Comment démondialise-t-on ?
Il est de plus en plus courant d’entendre parler de « démondialisation » comme antidote au désordre économique, financier et monétaire qui secoue les nations et aux perturbations sociales qu’il engendre.
Démondialiser, qu’est-ce à dire ?
Si le terme « mondialisation », du moins sa popularisation, est relativement récent, la réalité qu’il recouvre ne date pas d’aujourd’hui. Nous assistons simplement de nos jours à une amplification et une accélération d’un phénomène ancien.
Les échanges de toute nature entre États, régions et peuples se sont progressivement étendus tout au long de l’histoire. De tout temps, savants et érudits, au Moyen Âge, marchands et voyageurs, aventuriers et explorateurs, du XVIe au XIXe siècle se sont croisés, ont sillonné le monde et mis en contact, pacifiquement ou au moyen de conflits, peuples, produits, cultures, idées… A cet égard, le fameux commerce triangulaire qui mit en relation continue l’Afrique, l’Amérique et l’Europe, du XVIe au XIXe siècle, fit se rencontrer parallèlement produits d’échanges, techniques, religions, cultures… Toutes choses qui contribuèrent depuis au brassage des hommes et des cultures. Cette dynamique mondiale, s’intensifiant et se densifiant, est une caractéristique du monde contemporain.
A titre indicatif, la valeur des exportations mondiales est passée de 300 milliards de dollars en 1970, à 6 000 milliards en 2001. Et techniquement, il n’a jamais été aussi facile de se déplacer.
Les échanges culturels, technologiques, les déplacements de personnes, de capitaux, d’informations, et d’idées suivent la même pente régulièrement ascendante depuis la fin de la 2e Guerre mondiale.
Qu’est-ce donc précisément la mondialisation ?
C’est l’interdépendance des différentes parties du monde sous l’effet de l’accélération des échanges, de l’essor des moyens de transport et des nouvelles technologies de la communication.
L’accélération des mouvements de toute nature à la surface de la planète rejoint la densification et la multiplication des flux également multiformes (marchandises, personnes, capitaux, informations, techniques…).
Comment peut-on arrêter ce phénomène ? Comment démondialiser ?
La démondialisation devrait-elle signifier la fin de cette interdépendance entre États, régions et économies ? Le tarissement des flux qui irriguent inextricablement la planète en réduisant les distances ?
Plutôt que la démondialisation, ne faudrait-il pas rechercher les moyens d’une « humanisation » de la mondialisation ? L’infléchir afin qu’elle ne soit plus source d’angoisse pour les uns et source de profits pour les autres ? Bref, en faire le Forum planétaire d’échanges, de rencontres d’expériences, et de communion des complémentarités.
Puisqu'on ne peut empêcher la mondialisation inscrite dans les gênes des nations, il faut humaniser l'économie, en faire l'un des outils du bien-être des humains, non leur guillotine. Humaniser l'économie, c'est d'abord réglementer et humaniser la concurrence, car telle est la source première du mal. Faire qu'à l'échelle du monde les nations deviennent réellement partenaires et complémentaires en économie, plutôt que bourreaux et ennemies :un partenariat et une complémentarité organisés, codés.
L'économie mondiale devrait se réorganiser sur de nouvelles bases, sur une sorte de division du travail à l'échelle planétaire. Au lieu de cette confrontation mortelle, État contre État, bloc contre bloc, travailleurs contre personnes privées d'emploi, il faudrait une division du monde en « zones économiques » complémentaires et égales en dignité, sans esprit de domination ou d'exploitation, chacune se spécialisant, pour elle-même et pour les autres, dans un domaine ou un secteur économique déterminé. Faire que la « zone Europe », la « zone Afrique », la « zone Asie », la « zone Amérique »... échangent produits, techniques sur des bases établies en fonction des potentialités naturelles, humaines, technologiques, du génie propre ainsi que des besoins de chacune d'elles.
A l'intérieur des zones, il faudrait prévoir des sous-zones imbriquées, unies par des liens de complémentarité et d'égalité. Ainsi pour la « zone Amérique », le nord du continent constituera une sous-zone, de même le sud ou le centre. L'Afrique en aurait trois ou quatre voire cinq, de même l'Asie, chacune avec sa spécialisation.
Sans cette Nouvelle Économie Mondiale, qui serait l'antidote de la mondialisation sauvage et débridée, à défaut de l'éclosion d'une conscience sociale mondiale, les nouvelles technologies à l'origine des mutations industrielles ou autres délocalisations et restructurations en tous genres, apparaîtront de plus en plus comme des dévoreuses insatiables d'emplois, comme des pourvoyeuses de misères et des fossoyeuses de la paix. Le nouveau défi, pour les nations postindustrielles comme pour les autres, c'est concilier compétitivité et emplois, économie et humanisme. L'économie doit désormais prendre en compte le bien-être des individus au sein des nations ainsi que le rapprochement des peuples et l'entente entre les États du monde.
Dans ce monde ballotté entre les extrêmes, entre la culture de l'argent et la culture du rendement à tout prix, les ratés sont légion. En économie tout d'abord, ce qui serait de nature à susciter interrogation et inquiétude (donc inciter à la réflexion prospective et constructive), c'est que nous entrons de plus en plus dans un système où la richesse crée la pauvreté et la misère. Plus certaines entreprises réussissent et grossissent leurs chiffres d'affaires de façon faramineuse, plus elles développent en leur sein et autour d'elles chômage, misère et désolation. Dans le même ordre d'idée, nos villes sont de plus en plus peuplées de morts vivants sociaux qu'on nomme « exclus », c'est-à-dire la masse des laissés-pour-compte de la consommation, sans compter les infirmes du désir car, la consommation de tout, la consommation pour la consommation est l'une des formes de la servitude : la servitude moderne, qui nous couvre de chaînes quand nous nous croyons libres, qui nous consume quand nous croyons consommer. L'alternative est simple : ou il s'instaurera au niveau mondial un système plus concret et plus ouvert de coopération et d'harmonisation de l'économie et des systèmes économiques, ou on va vers une nouvelle forme de barbarie engendrée par l'abondance de biens. Cette concurrence économique effrénée entre les nations du monde a pour aboutissement logique l'intensification du chômage, car le risque ultime, c'est l'économie pour l'économie, l'économie sans les hommes et contre les hommes. Pire, la finance contre l’économie réelle. Plus une entreprise prospère, plus ses actions sont florissantes à la Bourse, plus elle licencie de travailleurs et fait des malheureux, brise des vies et instaure le désarroi. Tant que la compétition exacerbée implique la compétitivité à tous crins, celle-ci, avec la complicité de celle-là, mènera au productivisme qui nécessitera plus de « délocalisations » et plus de licenciements, ce qui ne peut qu'aviver les tensions de toutes sortes au sein des nations et entre nations, car cette compétition sans limites ni lois est aussi une forme de guerre qui ruine les bases de l'entente et de la paix. Cette pression sur les États et les sociétés justifierait-il l’idée de démondialisation ?
En définitive, plutôt que la démondialisation, rêvons d’une mondialisation organisée, solidaire, une mondialisation civilisée, soucieuse d’équité et d’avenir.