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20 juillet 2014 7 20 /07 /juillet /2014 07:07

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LE CONGO ENTRE BELGES ET FRANÇAIS

 

 

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A partir de 1880, les explorations prirent une couleur politique et nationaliste plus affirmée. On y va avec le drapeau de sa nation en poche, dans l'espoir de le hisser sur des portions d'Afrique. L'action des explorateurs n'est plus un acte solitaire en marge des intérêts nationaux. L'explorateur se mue peu à peu en conquérant puis en colonisateur. La prise de possession de territoire devient désormais l'objectif et la priorité, et se fait au nom de sa nation. Chaque explorateur hisse son drapeau dans ces contrées lointaines. C'est désormais la course, la compétition, la rivalité entre les nations d'Europe partout en Afrique. C'est ainsi qu'entre l'explorateur français Brazza et son homologue britannique Stanley (passé au service du roi des Belges Léopold II) s'engagea une véritable course de vitesse pour découvrir l'embouchure du fleuve Congo, dans la zone équatoriale, course qui se transforma en lutte acharnée à l'arrivée. Le résultat de cette confrontation fut le partage des deux rives du fleuve en territoire français au nord et en territoire belge au sud (propriété du roi des Belges). Les capitales des deux futures colonies (et futurs Etats, Congo-Brazzaville et Congo-Zaïre) se situant de part et d'autre des rives du fleuve Congo.

 

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Brazzaville et Stanleyville

 

Pierre Savorgnan de Brazza (1852-1905). Italien ayant acquis !a nationalité française, avait remonté l'Ogoué. au Gabon, sans parvenir jusqu'au cours du Congo (1875-1878). Lorsqu'il apprit le succès de l'expédition de Stanley et les nouveaux projets formés par ce dernier, il demanda au ministre de la Marine, par une note de caractère impersonnel (1879), l'organisation d'une nouvelle mission. Il put ainsi gagner la rive droite du Congo, fonder Brazzaville et signer un traité de protectorat avec Makoko, souverain du pays Batéké ; c'est la ratification de cet accord qu'il demanda en 1882 dans un rapport au ministre de la Marine.

(Napoléon Ney, Conférences et lettres de P. Savorgnan De Brazza) 

 

gif anime puces 029La rive gauche

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Stanley au service de Léopold II

 

gif anime puces 029La rive droite

 

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Pierre Savorgnan de Brazza au service de la France

 

gif anime puces 029Lettre de Brazza au ministre de la Marine

 

Les dernières découvertes en Afrique nous ont appris que le Congo, barré dans son cours inférieur par des rapides et par des chutes, est navigable dans son cours supérieur pendant près de deux mille kilomètres sans compter la partie navigable que peuvent présenter neuf affluents qu'il reçoit dans cette région. L'embouchure du Congo n'appartient à aucune puissance européenne. Un peu au Sud se trouve la colonie portugaise d'Angola ; un peu au Nord la colonie française du Gabon...

 

Frappées des avantages commerciaux que présente cette grande artère, diverses nations cherchent à en prendre possession. Le gouvernement belge, en particulier, vient d'y envoyer Stanley avec un matériel considérable et des ressources illimitées. Seule la France, qui a plus de droits que toute autre puissance, et par la situation de sa colonie du Gabon, et par l'exploration officielle faite par un officier français, ne peut s'abstenir dans cette lutte pacifique. Il suffirait pour réserver nos droits, et sans engager l'avenir, d'aller planter le drapeau français à Stanley Pool avant que l'expédition belge n'ait pu le faire. Ce serait possible si. pendant que Stanley, obligé de se frayer une route dans un pays difficile, a sa marche ralentie par un matériel considérable et des impedimenta nombreux. M. de Brazza connaissant le pays partait de la colonie française sans bagages et arrivait par une marche rapide au-dessus des chutes du fleuve... 

 

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Fleuve Congo

 

gif anime puces 029Deux capitales de part et d’autre du fleuve

 

Deux drapeaux flottent actuellement sur le point le plus rapproché de l'Atlantique où le Congo intérieur commence à être navigable. Sur la rive droite, à Brazzaville, le pavillon français représente notre droit d'accès au Congo intérieur. En face de nous, à Stanley Pool, un pavillon inconnu, à l'abri d'une idée internationale d'humanité, de science et de civilisation, tend à inaugurer le monopole commercial d'une compagnie qui aspire à devenir souveraine et dont le mandataire agit déjà en souverain. C'est notre droit d'accès que nous ratifions en ratifiant le traité. En ne le ratifiant pas nous laissons le champ libre à la réalisation d’une neutralité de nom et d'un monopole de fait...

 

Brazzaville se trouve avoir-été occupée provisoirement pendant deux ans, par un sergent et trois matelots noirs français auxquels j'avais donné le droit d'arborer notre pavillon. N'ayant pas qualité pour traiter, c'est sous ma propre responsabilité, qu'en occupant Brazzaville, j'ai profité des bonnes dispositions de Makoko à l'égard de la France dont j’étais le représentant. N'ayant fait qu'accepter, sous bénéfice d'inventaire, une cession de territoire, j'ai l'honneur, Monsieur le .Ministre, de vous demander la ratification d'un traité par lequel une seule des parties contractantes (les chefs noirs) se trouve liée...

 

gif anime puces 029Cession de territoire à la France : une nouvelle colonie

 

Notre ratification n'aurait pas d'inconvénients :

 

bouton 0061- Le fait que ce traité a été maintenu par les indigènes et respecté par d'autres Etats, grâce à la seule présence de notre pavillon, est la preuve évidente que la ratification ne donnera point prise à des complications futures.

 

bouton 0062-Nos seuls concurrents ont implicitement reconnu nos droits de premiers occupants, en demandant à s'établir en face de nous.

 

bouton 0063- Aucune complication n'est à prévoir de la part des indigènes, puisque ce sont les avantages qu'ils espèrent tirer de notre présence qui les ont engagés à venir au devant de nous.

 

bouton 0064- La France et le Portugal étant par leurs colonies reconnues les seules nations à portée de cette contrée, il n'y a que ce dernier pays qui pourrait vouloir profiter de la situation géographique pour revendiquer ses droits d'accès au Congo intérieur par la rive Sud. Mais en donnant même la plus large interprétation à ces traités, tombés en désuétude depuis un siècle et demi, nous sommes à l'abri de ses prétentions...

 

bouton 0065- L'Angleterre, qui, depuis trois ans, a jeté les yeux sur le bassin du Congo et cherche, par ses missionnaires, à se créer des droits, n'a actuellement aucun intérêt commercial à défendre...

 

La ratification du traité aurait des avantages :

 

bouton 0071- En effet le traité nous permet de faire valoir sans contestation, dès maintenant et dans la suite, des droits de souveraineté effective sur ce point..

 

bouton 0072- Il nous ferait prendre position à l'une des extrémités de la voie qui est fatalement appelée à jouer un rôle considérable dans l'avenir, je veux parler de celle qui reliera l'Atlantique au Congo intérieur navigable...

 

Seul à bien connaître la situation privilégiée faite par les dernières découvertes à notre colonie du Gabon, je crus de mon premier devoir d'assurer à la France le bénéfice d'une priorité d'occupation qui sauvegarde ses droits, dans une contrée devenue l'objectif de toutes les nations*...

(Napoléon Ney, Conférences et lettres de P. Savorgnan De Brazza) 

 

* Le traité fut ratifié à l'unanimité par les Chambres et promulgué le 30 nov. 1882

 

NB : Il existait enre la France et la Belgique des accords datant de 1884 et 1908 conférant à la France un droit de préemption si le roi des Belges renonçait à sa souveraineté sur le Congo. La France a toujours rêvé de l'application de ces accords qui lui aurait permis de réunir les deux Congo sous sa bannière, rêve qui ne fut pas exhaussé.

 

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13 juillet 2014 7 13 /07 /juillet /2014 06:15

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L’EXPANSION COLONIALE EN AFRIQUE

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Les signes annonciateurs de la ruée et du partage. Léopold II de Belgique et le Congo

 

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gif anime puces 029Une conférence historique

 

Au mois de septembre 1876, une conférence géographique fut réunie à Bruxelles par le roi Léopold II de Belgique, qui voulait, à partir de cette réunion, créer les bases d’une vaste association connue sous le nom d’« association internationale africaine ».

 

Dans le discours d’ouverture, Léopold II expose les raisons qui, selon lui, doivent motiver l’engagement des principales nations européennes dans la conquête et l’occupation de l’Afrique.

 

gif anime puces 583ALLOCUTION DE LEOPOLD II A L'OUVERTURE DE LA CONFERENCE DE BRUXELLES 1876 

 

Messieurs, permettez-moi de vous remercier chaleureusement de l'aimable empressement avec lequel vous avez bien voulu vous rendre à mon invitation. Outre la satisfaction que j'aurai à entendre discuter ici les problèmes à la solution desquels nous nous intéressons, j'éprouve le plus vif plaisir à me rencontrer avec les hommes distingués dont j'ai suivi depuis des années les travaux et les valeureux efforts en faveur de la civilisation. 

 

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Léopold II, roi des Belges

 

gif anime puces 029Au nom de la civilisation, les amis de l’Humanité

 

Le sujet qui nous réunit aujourd'hui est de ceux qui méritent au premier chef d'occuper les amis de l'humanité. Ouvrir à la civilisation la seule partie du globe où elle n'ait point encore pénétré, percer les ténèbres qui enveloppent des populations entières, c'est, j'ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès ; et je suis heureux de constater combien le sentiment public est favorable à son accomplissement ; le courant public est avec nous.

 

Messieurs, parmi ceux qui ont le plus étudié l'Afrique, bon nombre t ont été amenés à penser qu'il y aurait avantage pour le but commun qu'ils poursuivent à ce que l'on pût se réunir et conférer en vue de régler la marche, de combiner les efforts, de tirer parti de toutes les ressources, d'éviter les doubles emplois.

 

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gif anime puces 029Le règlement à l’amiable de la question africaine

 

Il m'a paru que la Belgique, Etat central et neutre, serait un terrain bien choisi pour une semblable réunion et c'est ce qui m'a enhardi à vous appeler tous, ici, chez moi, dans la petite conférence que j'ai la grande satisfaction d'ouvrir aujourd'hui. Ai-je besoin de dire qu'en vous conviant à Bruxelles, je n'ai pas été guidé par des vues égoïstes ? Non, Messieurs, si la Belgique est petite, elle est heureuse et satisfaite de son sort ; je n'ai d'autre ambition que de la bien servir. Mais je n'irai pas jusqu'à affirmer que je serais insensible à l'honneur qui résulterait pour mon pays de ce qu'un progrès important dans une question qui marquera dans notre époque fût daté de Bruxelles. Je serais heureux que Bruxelles devînt en quelque sorte le quartier général de ce mouvement civilisateur.

 

Je me suis donc laissé aller à croire qu'il pourrait entrer dans vos convenances de venir discuter et préciser en commun, avec l'autorité qui vous appartient, les voies à suivre, les moyens à employer pour planter définitivement l'étendard de la civilisation sur le sol de l'Afrique centrale ; de convenir de ce qu'il y aurait à faire pour intéresser le public à votre noble entreprise et pour l'amener à y apporter son obole. Car, Messieurs, dans les œuvres de ce genre, c'est le concours du grand nombre qui fait le succès, c'est la sympathie des masses qu'il faut solliciter et savoir obtenir.

 

De quelles ressources ne disposerait-on pas, en effet, si tous ceux pour lesquels un franc n'est rien ou peu de chose, consentaient à le verser à la caisse destinée à supprimer la traite dans l'intérieur de
l'Afrique ?

 

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gif anime puces 029Éradiquer la traite

 

De grands progrès ont déjà été accomplis, l'inconnu a été attaqué de bien des côtés ; et si ceux ici présents qui ont enrichi la         science de si importantes découvertes voulaient nous en tracer les points principaux, leur exposé serait pour tous un puissant encouragement.

Parmi les questions qui seraient encore à examiner, on a cité les suivantes :

 

1-Désignation précise des bases d'opération à acquérir, entre autres sur la côte de Zanzibar et près de l'embouchure du Congo, soit par conventions avec les chefs, soit par achats ou locations à régler avec les particuliers.

 

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gif anime puces 029Abolir l’esclavage interne

 

2-Désignation des routes à ouvrir successivement vers l'intérieur et des stations hospitalières, scientifiques et pacificatrices à organiser comme moyen d'abolir l'esclavage, d'établir la concorde entre les chefs, de leur procurer des arbitres justes, désintéressés, etc.

 

3-Création, l'œuvre étant bien définie, d'un comité international et central et des comités nationaux pour en poursuivre l'exécution chacun en ce qui le concerne, en exposer le but au public de tous les pays et faire au sentiment charitable un appel qu'aucune bonne cause ne lui a jamais adressé en vain.

 

Tels sont, Messieurs, divers points qui semblent mériter votre attention ; s'il en est d'autres, ils se dégageront de vos discussions et vous ne manquerez pas de les éclaircir.

 

 

Au fil des ans cependant, l’intérêt du roi des Belges se précise pour le territoire du Congo. Ce fut alors, en 1886, la création de l’État indépendant du Congo, propriété privée du roi, qui sera alimenté par les contributions personnelles du souverain et par des fonds d’emprunt. Léopold II se charge de tout ce qui se rapporte à la politique et à l’administration, ainsi que de la vie du nouvel État, laissant à d’autres, notamment à des compagnies privées, le soin de l’exploitation économique et du commerce. C’est alors qu’entre dans le jeu le privé avec les conséquences que l’on sait : cruautés inouïes, esclavage du travail forcé, abus et exactions de toute nature.

 

Mais, les intérêts du roi des Belges se heurtent à ceux d’autres nations, notamment des Français dans la région : le bassin du Congo.

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6 juillet 2014 7 06 /07 /juillet /2014 06:30

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RENCONTRES ET RÉACTIONS

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Les premiers contacts : prémices d’une ère nouvelle

 

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gif anime puces 029Au village, à l’ombre des cases

 

TROIS EXEMPLES DE REACTIONS AFRICAINES A LA DOMINATION COLONIALE. 

 

bouton 006Un chef kikuyu (ethnie du Kenya) décrit l'arrivée d'un administrateur britannique au début du XXème siècle.

 

Un homme aux joues roses vint un jour à notre conseil. Il venait de loin, d'un endroit où les gens habitent dans des maisons de pierre et où ils ont leur propre conseil. Il s'assit au milieu de nous et nous parla du roi des « joues roses » qui était un grand roi qui vivait dans un pays au-delà des mers. « Ce roi est maintenant le vôtre » dit-il, « et toutes ces terres lui appartiennent », il ajouta ensuite qu'on pouvait continuer à y vivre étant donné qu'il était notre père et que nous étions ses fils. Ces nouvelles étaient étonnantes car cette terre était bien la nôtre ; nous n'avions pas de roi et nous élisions notre conseil qui faisait nos lois. Nos aînés tentèrent patiemment d'expliquer cela à « joues roses » qui écouta. A la fin, il déclara : « Nous savons tout cela mais ce que je vous ai dit est un fait : vous avez dorénavant un roi et dans la ville appelée Nairobi, il y a un conseil et un gouvernement qui agissent au nom du roi et ses lois sont les lois... » (A plague for Europeans, Penguin, Londres)

 

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gif anime puces 029Poème annonciateur

 

bouton 006Poème ( en arabe) du nord de la Gold Coast (actuel Ghana, ancienne colonie britannique), vers 1900

 

...Un soleil de désastre s'est levé dans l'ouest

Eblouissant les hommes et les endroits peuplés

Pour parler clair, je parle de la catastrophe des chrétiens

La calamité chrétienne est venue sur nous

Comme un nuage de poussière

Au début, ils sont venus pacifiquement

Avec des discours mielleux

 

« Nous sommes venus faire du commerce » disaient-ils

« Pour changer les croyances des gens

« Pour faire cesser l'oppression et le vol

« Pour nettoyer et balayer la corruption. »

 

Aucun d'entre nous ne comprit leurs raisons

Et maintenant, nous sommes leurs inférieurs

Ils nous ont trompés avec des petits cadeaux

Et ils nous ont nourris de mets savoureux

Mais ils viennent de changer de mélodie.

(The struggie for power, Logman, Londres.

 

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L’explorateur Paul Crampel au Congo en 1891

 

gif anime puces 029Les temps nouveaux

 

bouton 006Un chef du sud du Tanganyika ( actuelle Tanzanie), répond à l'administrateur allemand de Lindi qui lui a ordonné de se rendre sur la côte (1890).

 

J'ai lu votre lettre mais je ne vois aucune raison qui me contraindrait à vous obéir, je préférerai mourir. Je n'ai aucune relation avec vous et je ne me souviens pas que vous m’ayez donné quoi que ce soit. Je cherche une raison qui pousserait à vous obéir et je n'en trouve aucune. Si c'est une question d'amitié, je ne refuserai jamais mais je ne serai jamais votre sujet. Je ne tomberai jamais à vos pieds car vous êtes tout comme moi une créature de Dieu. Je suis le « sultan » de mon peuple et vous êtes le « sultan » du vôtre. Je ne vous demande pas de m'obéir car je sais que vous êtes un homme libre. Depuis que je suis ici, je n'ai jamais mis les pieds sur la côte ; irais-je maintenant parce que vous me l'ordonnez ? Je ne viendrai pas, si vous êtes assez fort, venez me chercher.

(Deutschland, Zanzibar, Ost-Afrika. Geschichte einer Deutschen Kolonialeroberung, 1884-1890. Berlin)

 

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29 juin 2014 7 29 /06 /juin /2014 07:20

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LA BRETAGNE AUX QUATRE VENTS

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Bretons ici et ailleurs

 

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Les témoignages relatifs à l'accueil des opprimés de la Deuxième Guerre mondiale comme ceux de la Première, plaident en faveur de la Bretagne. Mais, cette main généreusement tendue aux éprouvés, aux prisonniers de guerre africains, comme aux fugitifs persécutés, de toutes origines ne viendrait-elle pas de périodes encore plus anciennes ?

 

S'il apparaît dès juin 1940, lors de la débâcle « que s'il y avait bien un endroit où il fallait se réfugier, c'était la Bretagne », beaucoup l'avaient déjà compris, sans doute longtemps avant. Serait-on venu en Bretagne si tant de Bretons n'avaient pas ouvert hier les routes du monde ?

 

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Découvreurs et administrateurs

 

Du Malouin Jacques Cartier au Quimpérois Yves de Kerguelen, du Brestois Victor Segalen à cet autre Malouin, Pierre Louis Moreau de Maupertuis, ce dernier à la tête d'une expédition pour mesurer la courbure de la terre (tout un symbole !), la liste des Bretons découvreurs et explorateurs du monde est très longue. L'Afrique aussi y eut sa part. Bien des épisodes de l'histoire de ce continent ont quelques liens avec des Bretons. L'un des plus connus est sans doute le Malouin Léopold Auguste Protêt, capitaine, puis amiral français (Saint-Servan 1808-Chang-Hai 1862). Nommé gouverneur du Sénégal de 1850 à 1854, puis à la tête de la division navale d'Afrique occidentale, il prend possession le 5 mai 1857, au nom de la France, du territoire de Dakar où il crée aussitôt un port et une base navale. C'est en effet à cette date « que le pavillon français a été, pour la première fois, hissé sur le village de Dakar. » C'est, assure Jacques Charpy (Rennais, historien de la fondation de Dakar), à compter de cette date que « débutait l'extraordinaire histoire de ce village sans ambition, devenu en un siècle, une cité, un port, une capitale. »

 

Par son génie extraordinaire, il bâtit la nouvelle ville et lui conféra les fondements de son rayonnement futur : capitale, siège du gouvernement général de l'Afrique occidentale. Première métropole d'Afrique subsaharienne par son rayonnement économique et culturel, Dakar fut un des moteurs de l'expansion de la France en Afrique. Parmi les noms des plus distingués, figurant dans le lexique général des fondateurs et des commandants de Dakar ainsi que celui des personnalités ayant marqué la colonie du Sénégal, établis par Charpy[1], on relève ceux de nombreux Bretons :

 

bouton 007Louis-Edouard Bouet-Willaumez, né à Brest en 1808, gouverneur du Sénégal de 1842 à 1844, puis du Gabon.

 

bouton 007Dagorne, capitaine de Frégate, commandant particulier de Gorée du 24 juin 1836 au 14 avril 1845.

 

bouton 007Jean René Fleuriot de Langle, né en 1809, Finistérien, il participa à la conquête de l'Algérie en 1830, mais surtout, il s'engagea activement dans la lutte contre la traite des Noirs le long des côtes d'Afrique de l'Ouest avant d'entreprendre une mission d'exploration et de découverte de l'intérieur du continent.

 

bouton 007Jean-Baptiste Montagniés de la Roque, né en 1793 à Lorient, capitaine de vaisseau, gouverneur du Sénégal en 1841.

 

bouton 007Jean-Baptiste Bouvet de Lozier, né à Saint-Malo en 1705, fut gouverneur de l'Ile-de-France (île Maurice) et de l'Ile-Bourbon (île de la Réunion) de 1750 à 1763.

 

bouton 007Paul-Marie Rapanel, né à Rennes en 1782, fut lieutenant général en Afrique en 1822 et gouverneur général (par intérim) de l'Algérie en 1836.

 

Jacques Cartier, découvreur du Canada, ou François Pyrard, marchand lavallois qui, « parti de Saint-Malo en 1601 en compagnie d'associés malouins et vitréens gagna l'océan Indien » ou encore le Malouin Mahé de la Bourdonnais (1699-1753) qui finit gouverneur de l'Île-de-France et de l'île Bourbon. Des intellectuels, scientifiques, savants, artistes bretons, tous prirent le large pour rencontrer, échanger sous d'autres cieux. Le peintre et dessinateur André Coppalle, né à Bourg-des-Comptes (Ille-et-Vilaine) s'installa à la cour du roi de Madagascar Radama Ier, dont il fut un familier et le portraitiste.

 

Bien d'autres noms d'aventuriers, de conquérants, de marchands ou d'administrateurs complètent ce vaste tableau de ces Bretons « Aux Quatre Vents », du XVIe au XIXe siècle. 

 

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Sur les routes du monde

 

De même apparaissent des noms de Bretons qui, sans être administrateurs coloniaux ou capitaines en mission sur les côtes d'Afrique, n'en ont pas moins marqué ce continent d'une forte empreinte, pour le meilleur et parfois pour le pire. Parmi eux, Jean-Marie Lamennais, né en 1780 à Saint-Malo, fondateur de l'institution chrétienne de Ploërmel, à l'origine des premières écoles françaises implantées au Sénégal et vouées à l'instruction des petits Sénégalais.

 

Enfin, parmi bien d'autres Bretons, une personnalité sans lien direct avec l'Afrique, mais auteur d'une lettre qui ne manque pas d'intérêt :

 

Alexandre Brethel né à Douarnenez, pharmacien et planteur installé au Brésil, adressa à son oncle François Gouziel une lettre datée du 6 février 1868. Même si le Brésil n'appartient pas au continent africain, cette lettre constitue une bonne synthèse du mythe entourant la France et les Français sur tous les continents du globe, du XVIIe au XIXe siècle. Elle aurait pu tout aussi bien provenir d'un ressortissant français vivant à Gorée au Sénégal ou à Grand-Bassam en Côte d'Ivoire :

 

« Le Brésilien estime le Français surtout parce qu'il est de bonne foi, qu'il est gai et communicatif. Il sait que l'étranger est une riche acquisition pour le pays, parce qu'il y vient avec de l'expérience acquise et avec du courage. Il aime au-dessus de tout la France, parce que la France est une nation de cœur qui a versé son sang sur toutes les parties du monde pour le triomphe d'idées généreuses et non comme l'Anglais pour de l'argent. Il n'aime pas le Portugais qui est âpre au gain, avare, grossier et qui lui rappelle de douloureux souvenirs de domination. Il a peu de sympathie pour l'Anglais, l'Allemand qui forme des centres de réunion l'un pour exploiter les mines, l'autre pour former des colonies ; là, ils vivent comme dans la mère patrie et se grisent, l'un buvant du gin, l'autre de la bière. Et si quelques-uns d'entre eux s'égarent dans l'intérieur, c'est pour parler un brésilien impossible avec un accent comme s'ils avaient des osselets dans la gorge. Ils n'aiment pas l'Italien qu'ils regardent comme des fauteurs de troubles domestiques avec leurs idées de liberté qu'ils insinuent aux esclaves. Ils n'estiment pas le Chinois qui, d'ailleurs, vient très mal représenté par quelques malheureux qui remplissent les rôles les plus subalternes de la vie.

 

Le Français, seul, il l'aime. Vous trouvez d'ailleurs le Français partout, il est niché sur les hautes montagnes du Mato-Grosso, il est roi en Auricanie et même Dieu dans une tribu indienne. Le Français voyage à dos de bœuf dans les provinces du nord, à dos de mulet dans les provinces du centre, et il galope sur un cheval à demi-sauvage dans les vastes plaines des provinces du Sud.

 

Le Français est tout, il est Dieu, roi, ministre, homme de guerre, homme de loi, docteur ès rébus notis et ignotis, perruquier, danseur de corde, il est grand buveur, grand rieur, grand conteur ; le Français est tout et grand en tout. Et comme je l'ai dit, il se glisse partout. » 

 

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Missionnaires bretons : l’appel de l’Afrique

 

Mais la Bretagne fut aussi terre de mission, une grande région de départ des missionnaires français vers les différents continents. Et l'histoire générale des relations entre la France et l'Afrique est marquée par l’action des missionnaires, ce continent ayant été une des principales destinations de ces derniers, tout au long du XIXe et de la première moitié du XXe siècle.

 

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Déconvenues et dévouement

 

Pour ces hommes et ces femmes engagés en Afrique, les dures déconvenues de toute nature accompagnaient cette œuvre missionnaire. Ils l'acceptaient comme une donnée inhérente à la nature de cet engagement. Des dix Pères Blancs massacrés en Afrique, quatre étaient Bretons. Le Père Ducasse, un Nantais, un des tout premiers missionnaires envoyés dans la région des Grands Lacs, et qui se dévouait à l'éducation de jeunes Africains arrachés à l'esclavage, eut le corps criblé de flèches par une bande d'esclavagistes en 1881.

 

Mais rien ne put arrêter ces hommes et ces femmes dans leur élan quasi mystique où le désir et la volonté d'action au service des autres puisaient au plus profond d'eux-mêmes des forces sans cesse renouvelées.

 

Quelques noms de personnalités ou d'institutions religieuses qui ont marqué l'action missionnaire des Bretons en Afrique sont connus et souvent cités. Le Père J.-M. Coquard (1886-1933) de Loire-Atlantique arriva au Nigeria dans l'agglomération d'Abeokuta qui bénéficia rapidement de ses talents de médecin chirurgien et d'habile organisateur. Il la dota de plusieurs dispensaires, d'un hôpital, d'une maternité et d'une léproserie. Cette ville lui manifesta sa reconnaissance en lui élevant une statue.

 

Monseigneur Hippolyte Bazin, né à Saint-Aubin du Cormier (Ille-et-Vilaine), était depuis une dizaine d'années, Supérieur du grand Scolasticat de Carthage lorsqu'en 1901, il fut nommé vicaire apostolique du Soudan français (le Mali actuel), mission qu'il accomplit jusqu'en 1910.

 

Un autre missionnaire breton, le Père Pichaud (1869-1902), envoyé au Dahomey (actuel Bénin) fut « un grand défricheur ». Entre autres réalisations pour le service des habitants, il créa un grand orphelinat agricole à Zagnonado ; il fit planter un grand nombre d'arbres à caoutchouc et les 15 000 premiers cacaoyers de la colonie. Et, toujours selon les informations du Père Joseph Michel, il importa aussi au Dahomey des manguiers, des plants d'ananas, des vanilliers et plusieurs espèces de bananiers. Plus au Sud, les Frères de Ploërmel s'installaient en 1900 dans un internat fondé à Libreville au Gabon.

 

Le Père Francis Augiais, né à Saint Père en Retz, en Loire-Atlantique, fut également missionnaire au Dahomey pendant vingt-quatre ans. Et, précise Joseph Michel, autant que cela est possible à un Européen, il se fit africain parmi les Africains et fut un grand éducateur. Mais, plus que d'autres Européens, il sut voir que les Dahoméens avaient des traditions plus que respectables et un art de grande valeur « que, par des conférences, des expositions et des films, il fit connaître en France et en Belgique ». En 1928, il fut élu provincial par ses confrères français. Il adressa au Bureau International du Travail (BIT) à Genève, un rapport sur le travail forcé en AOF ; rapport publié par la Revue apologétique en août 1929.

 

Ce rapport déplut au gouvernement français au point qu'au cours d'un entretien avec le Père Chabert, à l'époque supérieur général des Missions Africaines, le Président de la République, Gaston Doumergue, s'étonna qu'un missionnaire français ait pu traîner sa patrie devant une instance internationale. Les conséquences de cette initiative du missionnaire ne tardèrent pas. Après trois années de provincialat, le Père Augiais fut rétrogradé comme professeur de sixième et cinquième dans une petite école apostolique des Landes avant de retrouver ses fonctions et son titre de provincial en 1934. Les Dahoméens qui étaient eux conscients de l'utilité de son œuvre, mais surtout du respect et de la grande proximité qui les liaient au religieux français, en signe de reconnaissance, l'élurent député à l'Assemblée constituante (les habitants des territoires d'outre-mer ayant obtenu le droit de suffrage au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale). Sa mort survenue peu de temps après son entrée au Palais Bourbon « fut une immense perte tant pour l'Église que pour l'Afrique ».

 

Les religieuses, de toutes obédiences ne furent pas en reste. Sœur Marie Dédier (1859-1929) arriva au Congo français en 1893 après une dizaine d'années d'apostolat au Sénégal. Elle y exerça ses activités d'infirmière et d'enseignante, mais elle s'occupa aussi de « l'œuvre des fiancées : 2867 jeunes filles passèrent par ses mains ; elle put marier 1532 d'entre elles ». Parallèlement « à l'œuvre des fiancées de Brazzaville, où il y avait d'ordinaire 110 internes, elle joignit une école fréquentée par 180 fillettes de 12 à 17 ans, appartenant à 16 tribus ». Puis toujours au Congo, ce fut l'orphelinat du Père Augouard (dont il sera question plus loin) pour jeunes métisses.

 

En 1927, le gouvernement français décerna à Sœur Marie Dédier la Croix de la Légion d'Honneur pour son œuvre auprès des populations autochtones du Congo et de l'Afrique en général.

 

Ces Bretons missionnaires, dans leur ensemble, hommes et femmes, contribuèrent de façon décisive à tisser des liens profonds entre la Bretagne et l'Afrique, à travers les siècles et les vicissitudes de l'histoire passée et présente.

 

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Mgr Augouard (1852-1921)

au Congo en 1905

 

Mœurs et coutumes étranges !

 

Enfin, de tous ces noms de missionnaires en Afrique émerge celui du Père Prosper Augouard qui, quoique Poitevin de naissance, fit son noviciat en Bretagne avant d'être nommé prêtre en 1876, et fut Breton d'adoption. Il ne serait pas de mon point de vue excessif d'affirmer qu'après la foi, l'Afrique fut sa vocation. Mais, peut-être que ces deux vocations se rejoignaient intimement en lui pour n'en faire qu'une en définitive.

 

Le Père Augouard fut d'abord évêque de l'Oubangui (l'actuelle République Centrafricaine) où il arriva en 1890. Au Congo Brazzaville ensuite où il fut nommé, il fit bâtir plusieurs missions dont la mission Saint-Joseph de Linzolo, puis celle de Saint-Paul de Kassaï au confluent des fleuves Kassaï et Congo.[2] 

 

En 1871, le gouvernement français avait décidé d'abandonner le Gabon, colonie jugée trop lointaine et trop onéreuse. Ce sont les missionnaires catholiques français qui prirent la relève, s'accrochèrent fermement, y investirent, l'organisèrent jusqu'au retour officiel de la France en cette terre d'Afrique. Ils maintinrent ainsi seuls la présence française dans cette possession.

 

L'une des occupations principales, parmi beaucoup d'autres, du Père Augouard fut le rachat de jeunes enfants esclaves à leurs propriétaires africains pour les instruire. Par ailleurs, ses rapports et les cartes qu'il dressa du Congo « aidèrent Jules Ferry à obtenir en février 1885 à la conférence de Berlin, la reconnaissance de fait de la nouvelle colonie française du Congo ». Comment s'étonner dès lors que la Bretagne apparaisse aujourd'hui encore pour des Congolais comme une autre Patrie ?

 

Outre le rachat de petits enfants esclaves pour en faire des écoliers, les former pour en faire des hommes et des femmes libres capables de se suffire à eux-mêmes, le Père Augouard, après avoir fondé plusieurs missions, s'évertua à lutter contre les épidémies et la polygamie. Quelques épisodes croustillants ponctuent l'ensemble de son action et son engagement pour ces causes. Le rappel de quelques-uns de ces épisodes n'est pas sans intérêt, tel qu'il apparaît dans l'ouvrage cité (L’Appel de l'Afrique).

 

Un soir de 1898, alors qu'il venait d'accoster sur le fleuve Oubangui pour faire du bois, « à peine le bateau amarré qu'un homme sauta à bord. L'évêque accourut :

 

-Que viens-tu faire ici ?

-Mon chef veut me manger.

-Je comprends que ça ne te plaise pas. Mais ton maître va venir te réclamer.

-Oh ! Tu t'arrangeras avec lui. J'y suis et j'y reste.

-Mais, s'il me fait palabre ? S'il me fait la guerre ?

-Oh ! Tu seras bien plus fort.

 

Cinq minutes plus tard, le chef surgit :

 

-Tu as mon esclave

-Pardon. Tu vois à l'avant du bateau le pavillon de la mission et à l'arrière, le drapeau de la France ? Ici, c'est la terre française, il n'y a pas d'esclaves.

 

Le chef redescendit furieux. »[3] 

 

Le Père Augouard n'était pas seulement sauveur des enfants et des jeunes adultes de l'asservissement par la pratique de l'esclavage encore en vigueur dans cette partie de l'Afrique en cette fin de XIXe siècle. Il eut aussi à se battre contre une autre pratique d'asservissement : la polygamie ainsi que rapporté dans L’Appel de l'Afrique.

 

«Succédant aux esclaves, des jeunes filles se réfugiaient maintenant dans les missions pour échapper aux vieillards polygames et se marier à de jeunes chrétiens. »

 

Commentant cet épisode, Alain Frerejean et Charles-Armand Klein constatent « À une époque où trop de fonctionnaires coloniaux pactisaient avec l'esclavagisme des sociétés concessionnaires[4], l'équipe de Mgr Augouard incarnait les valeurs de la République. »

 

(Voir : Tidiane Diakité, L’immigration n’est pas une histoire sans paroles, Les oiseaux de Papier, 2008)

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[1] Ce n'est sans doute pas un hasard si le Rennais Jacques Charpy, fondateur et administrateur des Archives de l'AOF à Dakar, fut l'invité d'honneur du gouvernement sénégalais aux dernières cérémonies de commémoration (en 2007) du 200e anniversaire de la fondation de la ville de Dakar.

 

[2] Alain Frerejean et Charles-Armand Klein, l' Appel de l'Afrique, les pionniers de l'Empire colonial français, Perrin, 2002.

[3] id

[4] Les sociétés concessionnaires étaient des sociétés privées qui, installées dans les colonies, exploitaient ces dernières avec un cahier des charges ; grâce à des concessions accordées par la métropole. Les abus constatés surtout en Afrique centrale et équatoriale, amenèrent l’Etat à mettre fin à ce système.

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22 juin 2014 7 22 /06 /juin /2014 07:23

ANNONCE 

 

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De juillet à septembre


 

Une série d’articles seront consacrés aux relations Europe-Afrique, de la deuxième moitié du 19e au premier tiers du 20e siècle.

 

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gif anime puces 029Les Européens en Afrique

 

 

bouton 007Les premiers contacts.


bouton 007La compétition coloniale entre nations européennes :Belges, Anglais, Allemands, Français : la mêlée sous les Tropiques.


bouton 007Le débat colonial en France : apôtres et opposants : de Paul Louis à Jean Jaurès.


bouton 007La conquête coloniale et ses effets en Afrique et en France.

 

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gif anime puces 029Le partage de l’Afrique

 

 

 

bouton 007A la veille de la colonisation.


bouton 007L’apogée colonial 1930-1950.

 

 

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NB : Rythme de publication des articles : en principe un article chaque fin de semaine.

Vos réflexions, remarques et commentaires sont les bienvenus, pour informer et pour enrichir l’échange et le débat.

 

Ceux qui seraient susceptibles d’être intéressés par ces articles pourront les recevoir automatiquement dès leur publication en s’abonnant à la newsletter.

 

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15 juin 2014 7 15 /06 /juin /2014 07:15

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PRÉCEPTE DE PHILOSOPHE : IMITONS LES ABEILLES

 

 

Abeilles-25.gif

 

De la diversité à l’harmonie

 

 

fleurs 024

 

17Il faut lire et écrire alternativement

 

 

Ces déplacements, qui me font secouer ma paresse, profitent, selon moi, à ma santé et à mes travaux. Tu comprends pourquoi ils sont utiles à ma santé : mon amour des lettres me rend paresseux et me conduit à négliger mon corps ; je fais alors de l'exercice grâce aux efforts d'autrui. Pourquoi profitent-ils à mes travaux ? Je vais te le montrer. Je peux continuer mes lectures. Or la lecture est à mon avis nécessaire : d'abord, elle m'empêche de me contenter de ma propre personne ; ensuite, lorsque je prends connaissance des recherches des autres, je peux juger de leurs découvertes et réfléchir sur ce qui reste à découvrir. 

 

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17Pour le repos et la nourriture de l’esprit

 

La lecture nourrit l'esprit ; et quand celui-ci est fatigué de l'étude, elle lui redonne des forces, non sans le mettre au travail, d'ailleurs. Il ne faut se borner à pratiquer ou l'écriture ou la lecture : l'une des deux activités fatigue nos forces et les mène à épuisement — je parle de l'écriture ; l'autre les détend et les repose. Il faut passer de l'une à l'autre et trouver un équilibre entre les deux : ainsi, tout ce que la lecture a recueilli, l'écriture le rassemblera dans une composition. Nous devons, comme on dit, imiter les abeilles : elles volent de fleur en fleur et choisissent celles qui leur permettent de faire le miel ; ensuite, elles disposent et répartissent dans les rayons tout ce qu'elles ont rapporté. Pour reprendre le vers de notre grand Virgile : « Elles accumulent les gouttes de miel, et remplissent les cellules de leur doux nectar » En ce qui les concerne, on ne sait trop si elles tirent des fleurs un suc qui devient aussitôt du miel, ou si elles donnent cette saveur à leur récolte grâce à je ne sais quel mélange auquel s'ajouterait une vertu propre à leur souffle. Selon certains, elles ne savent pas faire le miel, mais se contentent de le recueillir. On trouve, expliquent-ils, chez les Indiens, du miel sur les feuilles de roseau, qui pourrait être produit soit par la rosée que donne le ciel de cette région, soit par un liquide sucré et gras né du roseau lui-même ; chez nous aussi, les plantes posséderaient cette propriété, mais à un degré moindre ; et c'est ce produit que l'animal destiné à cette activité rechercherait et collecterait. Pour d'autres, c'est grâce à une alchimie particulière qu'elles transforment en miel les éléments qu'elles ont tirés des fleurs les plus délicates au meilleur moment, en utilisant une sorte de ferment qui leur permet de condenser des particules diverses.

 

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17La synthèse des trouvailles

 

Mais ne perdons pas notre sujet de vue. Nous devons imiter les abeilles, en mettant de côté tout ce que nous avons récolté au cours de nos diverses lectures — car ce qu'on sépare se conserve mieux. Puis, il faut appliquer tous nos soins et toute notre intelligence à rassembler ces multiples trouvailles pour leur donner une seule et même saveur. Ainsi, même si l'on reconnaît l'origine, le résultat aura néanmoins un goût différent : c'est ce que la nature accomplit, sans aucun effort de notre part, dans notre propre corps. Les aliments que nous absorbons nous pèsent, tant qu'ils gardent leur forme première et séjournent entiers dans l'estomac ; mais quand ils se transforment, ils passent dans le sang et nous donnent des forces. Faisons de même pour les nourritures spirituelles : ne laissons pas intactes celles que nous avons absorbées, de peur qu'elles ne nous restent étrangères. Digérons-les ; sans quoi, elles iront se loger dans la mémoire, non dans l'intelligence. Tâchons de les bien comprendre et faisons-les nôtres, afin que de la multiplicité naisse l'unité : de même un nombre naît-il de plusieurs autres, quand on les additionne entre eux. Notre esprit doit procéder à cette opération : il doit tenir secrets tous les éléments dont il s'est servi pour élaborer le résultat, qui seul doit apparaître au grand jour. Même si on trouve une ressemblance entre toi et l'auteur que tu as placé sur un piédestal, je veux que tu lui ressembles comme un fils et non comme un portrait : un portrait est une chose morte !

 

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17Le chœur et l’harmonie 

 

« Eh quoi ! ne devinera-t-on pas le modèle que j'ai pris pour le style, le raisonnement, les idées » Non, cela est à mon avis tout à fait impossible, quand une intelligence supérieure a su marquer de son sceau la construction qu'il a élaborée à l'aide de matériaux empruntés. Pense au nombre de voix qui composent un chœur : lorsqu'elles chantent toutes ensemble, on n'entend pourtant qu'un son unique. Les unes sont aiguës, les autres graves, d'autres ont un registre intermédiaire. Les voix de femmes s'ajoutent à celles des hommes, et la flûte les accompagne ; les voix individuelles fusionnent pour ne laisser entendre que l'ensemble. Je parle là du chœur connu des anciens philosophes (il s’agit du chœur de tragédie).Dans les concerts actuels, il y a plus de chanteurs qu'il n'y avait autrefois de spectateurs dans les théâtres : tous les couloirs sont remplis de chanteurs, les gradins sont entourés de trompettistes, et sur la scène les flûtes et tous les autres instruments jouent ensemble : de ces sonorités diverses naît un accord harmonieux. Tel doit être notre esprit : abreuvé de connaissances, de préceptes, d'exemples empruntés à toutes les époques, mais réunis dans l'harmonie.


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17Les sentiers difficiles et escarpés ou la route plane

 

« Comment, me demanderas-tu, arriver à ce résultat ? » Grâce à une attention soutenue, et à la condition de ne rien faire sans s'appuyer sur la Raison. Si tu veux l'écouter, voici ce qu'elle te dit : « Renonce désormais à ce qui fait courir les hommes : renonce aux richesses, qui constituent un danger ou une charge ; renonce aux voluptés du corps ou de l'esprit : elles amollissent et énervent ; renonce à l'ambition : il n'y a là qu'un vain orgueil, du vent ! Elle ne connaît pas de limite, s'inquiète de celui qu'elle voit devant elle comme de celui qui est derrière elle, souffre de l'envie, et même d'une envie double : quel malheur en effet d'être à la fois envieux et envié ! Regarde les demeures des puissants, dont le seuil est le théâtre d'une lutte sans merci entre les clients venus saluer leur patron ; il faut subir bien des affronts pour entrer, et plus encore une fois entré ! Gravis les escaliers des riches et passe par les immenses terrasses, qui leur servent de vestibules : tu ne te trouveras pas seulement au bord d'un précipice, mais sur un terrain glissant ! Prends plutôt la voie de la sagesse et va à la recherche des biens qu'elle offre, qui sont sans éclat et pourtant considérables. Tout ce qui, dans les affaires humaines, paraît avoir une position dominante, même si la taille en est petite et ne l'emporte que par comparaison avec ce qui rase le sol, il faut prendre des sentiers difficiles et escarpés pour y arriver. Le chemin qui mène au faîte des honneurs est semé d'embûches. Mais si tu souhaites gravir le sommet au pied duquel la Fortune s'est arrêtée, tu apercevras tout en bas ce que tu mettais si haut : pourtant, c'est par une route plane que tu atteindras ce point culminant. 

(Sénèque (philosophe stoïcien), Lettres à Lucilius)

 

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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 06:58

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Enseigner l’enfant pour gagner un homme

9 

Ignorance, nuit et prison

 

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Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l'école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.
C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.
L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.
Où rampe la raison, l'honnêteté périt.


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Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l'âme en liberté se meut.
L'école est sanctuaire autant que la chapelle.
L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le cœur
S'éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.

 
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La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat.
Faute d'enseignement, on jette dans l'état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c'est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L'intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d'éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l'école en or change le cuivre,
Tandis que l'ignorance en plomb transforme l'or.


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Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu'ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu'ils étaient l'homme et qu'on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n'est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s'éclairer du flambeau qu'on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme.

 

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Victor Hugo (1802-1885). Poème écrit après la visite d’un bagne.

 

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1 juin 2014 7 01 /06 /juin /2014 07:46

 

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21 AVRIL 2002, AVANT ET APRÈS. RAPPEL (et toujours d’actualité ?)

 

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Les 17 tribus : une nation aux fractures multiples

 

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Les instruments de la démocratie athénienne

 

C’est une des révélations marquantes de ces élections de 2002. Le nombre record de candidatures à une présidentielle dans toute l’histoire de la République constitue un autre indicateur, sans doute aussi riche de signification. De ces élections a surgi soudainement une France inopinée, la France des dix-sept tribus, autant de chapelles qui se dressent face à la vieille cathédrale millénaire. Ce sont les 16 candidats officiels plus la puissante tribu des abstentionnistes. Le sens de cette fragmentation politique a-t-il été suffisamment analysé, en profondeur, à la mesure de l'événement ? En a-t-on tiré ou en tirera-t-on les conséquences ? Car la France est bel et bien cette nation aux fractures multiples dont chacune requiert des soins spécifiques. C'est certainement, entre autres explications, la résultante d'un vide politique autant que d'une brisure du ciment social. Et si, loin de signifier un regain de dynamisme démocratique, cette pléthore de candidatures était au contraire le signe d'une vacuité politique ? Quant à la dix-septième tribu, l’explication de son émergence et de son envergure est plus aisée : c'est l'agrégat informe des déçus de la politique et de la société, voire de la République, c'est-à-dire les naufragés de la démocratie.

 

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17Fragmentation

 

Cette fragmentation politique et sociale, traduite dans l'inflation des candidatures et l'éparpillement des votes qu'elle entraîne, se prête à une double lecture. Elle peut être interprétée comme une vitalité démocratique et une prise de conscience du fait que la politique étant l'affaire de tous, l'engagement civique du plus grand nombre devient une nécessité. Une lecture moins positive verrait dans cette multiplication excessive des candidatures une forme d'ethnicisation marquée des votes et surtout une mercantilisation de la politique via la course aux subventions de l'Etat liées au nombre de candidats présentés et au nombre d'élus (ceci s'appliquant aux élections législatives). L'inflation de partis politiques ou de candidatures aux élections signifie-t-elle regain d'engagement citoyen ou au contraire dégénérescence des mœurs politiques en France ? Il semble malheureusement que cette deuxième lecture soit celle qui s'accorde le mieux à l'ensemble de ces élections de 2002 (présidentielle et législatives). La cathédrale France, jadis si fière de son architecture, avec un exécutif fort et respecté, des formations politiques qui rassemblent et guident, s'est peu à peu disloquée en chapelles qui, aujourd'hui, se muent en boutiques microscopiques dont les contenus ne sont ni toujours avouables, ni forcément en concordance avec le bien commun. La vision individualiste ou strictement corporatiste de la société se traduit par une inflation de micro-partis et de candidatures aux élections dont certains ne défendent que le bout de leur toit ou la semelle de leur chaussure.


Autre paradoxe révélateur : ceux qui ont défilé en masse dans des manifestations puissantes au lendemain du premier tour de la présidentielle du 21 avril, à Paris entre Bastille et République ou entre Bastille et Nation ainsi que dans toutes les grandes villes de France, pour protester contre le score de l'extrême droite, sont aussi principalement ceux qui, pour la plupart, n'ont pas daigné se déplacer le jour du scrutin pour accomplir leur devoir civique, préférant qui la pêche, qui la promenade au soleil ou tout simplement par oubli  ou par manque d’intérêt!

 

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1721avril et après ?

 

Qu'importe, avant le 5 mai 2002, deuxième tour de la présidentielle, on a manifesté en masse partout en France, à satiété. Dieu, que la République est belle ! Place de la Bastille, place de la République, au Trocadéro, vieux, jeunes, enfants, Blancs, Noirs, Jaunes, tous communiant dans une ferveur communicative et dans l'ivresse de la République. C'est cela la République, ouverte et généreuse, pensait-on. On s'est dit : cette France folle et échevelée, certes étourdie par moments, est aussi une grande nation qui sait se montrer égale à elle-même, répondant toujours au rendez-vous de l'histoire quand il le faut, toujours présente au rendez-vous avec son destin. On s'est dit qu'une vieille et grande nation a parfois besoin de ces traumatismes fondateurs qui secouent les branches desséchées et vivifient la sève qui monte et irradie son corps. La démocratie et la liberté ne sont jamais des conquêtes achevées. L'essentiel, c'est la capacité de veille, de vigilance civique, le réflexe de la lutte contre les tentatives de régression. Voir cette jeunesse de France dans la rue, belle, magnifique de sûreté, de conviction et de profondeur de jugement autorise tous les espoirs. Ce fut l'occasion pour la France de revisiter son passé, quelques pages de son histoire, des plus sombres et des plus glorieuses. Cette capacité de rappel et de confrontation du passé est saine pour une nation et salutaire pour son peuple. Feuilletant les pages de son passé et y découvrant France patrie des droits de l'Homme en même temps que les valeurs fondatrices de sa République, le peuple français s'est dit : En aucun cas on n’acceptera que demain, la France soit la patrie de la négation des droits de l’Homme ! De même qu'il est nécessaire pour un individu de se poser de temps à autre la question : Qui suis-je ?, de même, pour une nation, cette pause dans le présent afin d'avoir ce regard sur le passé est indispensable : Qui sommes-nous ?, D'où venons-nous ? Où allons-nous ? sont les questions qui permettent à une nation ou à un peuple de rechercher l'équilibre et la cohérence de son destin en vue d'éclairer les chemins du futur car Une nation ne peut être qu'au prix de se rechercher elle-même sans fin. (Fernand Braudel).

 

Un des intérêts de cet événement, pensait-on, c'est d'avoir fait apparaître aux Français avec éclat les valeurs communes, celles qu'ils partagent plus ou moins consciemment et qui constituent le socle intangible de la nation, au-delà des clivages politiques partisans. N'est-ce pas l'essentiel ? Le plus important semblait être ainsi cet éveil de la conscience civique chez les jeunes et les moins jeunes. Effectivement, quand arriva le jour du second tour de l'élection présidentielle, ce 5 mai 2002, ah ! Que la République était belle ! Jeunes, vieux, hommes, femmes, tous prenaient d'assaut les bureaux de vote de nos villes et campagnes et, partout, en rangs compacts, attendaient patiemment d'accomplir le devoir sacré de la République, chacun serrant précieusement contre lui son bulletin de vote incarnant ses espoirs, ses craintes, sa vision de l'avenir, le sien, et celui de la France. Ces bulletins venaient de mains différentes, blanches, jaunes, noires, basanées, vieilles, jeunes, des mains d'origines diverses dont certaines ont vu le jour à deux pas du bureau de vote, tandis que des dizaines, des centaines d'autres sont nées à des milliers de kilomètres de là, sous d'autres régimes et sont devenues françaises par la grâce des lois de la République.

[…]

 

 

17L'Abstention

La Rue

Et la Démocratie

 


 

 

 


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Les Français avaient donc voté massivement. On s'est dit : les fractures de la nation sont enfin réduites, les plaies et bosses de la République sont pansés, le feu à la démocratie circonscrit, le sens du devoir civique inscrit et rivé aux consciences, la République sauvée ! Et pourtant ! Avec la levée en masse des citoyens et les résultats du second tour de l'élection présidentielle, l'on a éteint l'incendie, certes, mais les braises couvaient toujours sous la cendre, la plaie demeurait sous la cicatrice. Les élections législatives, à peine quelques semaines plus tard, devaient en apporter l'étonnante démonstration. Le second tour de ces législatives confirma, de loin, la tendance du premier tour, quatre Français sur dix s'abstenant ; avec 38% d'abstentions, tous les records de la Ve République étaient battus. Et les jeunes raflèrent toutes les palmes en la matière, ceux précisément qui avaient formé les flots des manifestations monstres et des défilés colorés et sonores du lendemain du 21 avril 2002. 58% des jeunes de 18 à 24 ans et 54% des 25-34 ans se sont abstenus ! Situation sans précédent dans les annales électorales de la République. Jamais les Français dans leur ensemble, toutes générations confondues, n'avaient aussi peu voté depuis l'établissement de la République en 1870 ! Les Français seraient-ils devenus les enfants gâtés de la démocratie ? Encore une fois, pour moi, l'événement ici, le désastre, ce n'est ni le score du Front National, ni la masse des élus de la droite classique, ni la défaite de la gauche, mais bien ce double record de l'abstention à quelques semaines d'intervalle.

 

[…]

 

Si l'on en juge par l'évolution du taux d'abstentions aux différentes élections législatives depuis 1958, assurément le ver est dans la République ainsi que l'atteste le tableau suivant.

 

 

Année

Abstentions en %

1958

23,68

1962

27,99

1967

20,2

1968

22,19

1973

18,23

1978

15,14

1981

24,96

1986

22

1988

30,11

1993

32,49

1997

28,93

2002

38

   L’abstention au 2e tour des législatives sous la Ve République

(Source : Assemblée nationale)

 

 

Au vu de ce tableau où apparaissent la lente agonie de l'esprit civique sous la froideur des chiffres et le record d'abstentions de 2002, l'intérêt ne doit plus porter sur les partis gagnants ou perdants, mais sur le pourquoi du phénomène et surtout la nécessité d'une profonde réflexion sur l'état des institutions de la République et l'avenir de la démocratie en France. Cependant la réflexion sur l'état des institutions n'a de sens que si elle passe par celle sur l'état de la société.


Quel était donc le sens de ces manifestations qui ont agité la France entre les deux tours de la présidentielle de 2002 ?


Fallait-il par ailleurs manifester entre les deux tours de l'élection présidentielle contre le score du candidat du Front National ? Les manifestants des lendemains du 21 avril pouvaient-ils se prévaloir du sceau de la démocratie pour battre le pavé de nos villes ? Ces manifestations heurtent quelque peu ma conception de la démocratie. Si les règles de celle-ci confèrent à chaque citoyen la faculté de voter librement, selon sa conscience intime, ces manifestations apparaissent dès lors comme peu compatibles avec la démocratie. Car enfin, ceux qui ont voté pour le candidat du FN, à partir du moment où ce candidat et son parti n'ont pas été écartés de la compétition pour des raisons constitutionnelles ou éthiques, ne sont-ils pas des citoyens français ? Ont-ils exprimé ce choix sous la contrainte ? Ont-ils entravé le libre choix de leurs concitoyens ? Pourquoi alors contester un suffrage librement et démocratiquement exprimé ? Peut-on (et de quel droit) contester un suffrage démocratique au nom de la démocratie ? A moins de considérer celle-ci comme un idéal qu'il faut atteindre, y compris au moyen de la contrainte et de l'ostracisme. La rue ne doit pas contredire les urnes dès lors que les élections se sont déroulées normalement sans tache d'irrégularités et conformément à l'esprit de la loi. De telles manifestations pourraient être de nature à porter atteinte à la démocratie elle-même.


Certes, voir tant de monde et tant de jeunes en particulier dans les rues manifester au nom de la démocratie, des valeurs de la République, a quelque chose de réconfortant qui autorise l'espoir. Certes, l'histoire nous enseigne qu'il est des circonstances où, pour défendre la démocratie, il faut descendre dans la rue. Sans doute que la démocratie a parfois besoin du concours de la rue pour s'affirmer ou pour être, tout simplement. Mais l'urne demeure supérieure à la rue dans un pays de vieille démocratie comme la France. La démocratie se joue aussi dans les urnes. La démocratie et la République vivent essentiellement par les urnes et la liberté du choix de la couleur politique de son bulletin. Le problème à mon sens se situe ailleurs.


Pourquoi les jeunes citoyens français ont-ils si massivement déserté les urnes ? Faut-il interpréter leur abstention comme un désaveu à l'égard de la classe politique ou de la pratique politique en France ? Dans l'un ou l'autre cas, il s'agit d'une crise de la politique, d'une crise civique et ceci n'est pas anodin. En tout état de cause, pour l'ensemble de ces élections de 2002, jamais une crise civique d'une telle ampleur en temps de paix et de relative prospérité économique n'a été enregistrée en France. En a-t-on vraiment pris la mesure ? Le regard des politiques sur le peuple a-t-il changé depuis ? Le regard du peuple sur les politiques a-t-il changé ?

 

La nature -dit-on- a horreur du vide. Et si le FN occupait naturellement le vide laissé par les autres ?


(Source : Tidiane Diakité, France, que fais-tu de ta République ?, L’harmattan, 2004)

 

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25 mai 2014 7 25 /05 /mai /2014 07:36

15RENOUVIER : LA RÉPUBLIQUE ET LE CITOYEN (1848)

 

 

 

 

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Droits et devoirs : exégèse

 

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gif anime puces 251Liberté, égalité, fraternité

 

Les pouvoirs que les hommes ne veulent ou ne peuvent jamais abandonner entièrement, parce qu'ils tiennent de trop près à leurs personnes s'appellent des droits naturels.

 

L'ÉLÈVE

 

N'appelle-t-on pas aussi ces droits des droits sacrés, inaliénables et imprescriptibles ? Que signifient ces derniers mots ?

 

L'INSTITUTEUR

 

Ces derniers mots signifient que l'homme peut toujours revendiquer ses droits naturels, quel que soit le laps de temps pendant lequel il en a perdu l'usage. On ne doit pas croire que ses pères aient pu légitimement l'en priver parce que, de gré ou de force, ils s'en seraient autrefois dépouillés en leur propre nom et au nom de leurs descendants.

 

L'ÉLÈVE

 

Maintenant veuillez me nommer les droits naturels.

 

L'INSTITUTEUR

 

On peut les réduire à deux : la liberté et l'égalité (...)

 

L'ÉLÈVE

 

Vous avez parcouru tous les droits qui dépendent de la liberté : dites-moi maintenant ce que c'est que l'égalité.

 

L'INSTITUTEUR


Les hommes naissent égaux en droits, c'est-à-dire qu'ils ne sauraient exercer naturellement de domination les uns sur les autres. La République consacre cet état naturel sous l'empire de la loi.

 

L'ÉLÈVE

 

Ne pourriez-vous me rendre cette idée plus claire?

 

L'INSTITUTEUR

 

La loi, dans la République, n'admet aucune distinction de naissance entre les citoyens, aucune hérédité de pouvoir. Les fonctions civiles et politiques n'y sont jamais des propriétés. Tous les citoyens y sont également admis aux emplois sans autre distinction que leurs vertus et leurs talents. Enfin la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.


L'ÉLÈVE

 

J'ai cru jusqu'ici, lorsqu'on m'a parlé de l'égalité, qu'on ne voulait pas seulement donner les mêmes droits à tous les hommes, mais aussi la même existence et les mêmes biens.

 

L'INSTITUTEUR

 

Vous ne vous êtes trompé qu'à demi. La République ne veut pas la parfaite égalité des conditions, parce qu'elle ne pourrait l'établir qu'en dépouillant les citoyens de leur liberté. Mais la République veut s'approcher de cette parfaite égalité, autant qu'elle le peut, sans priver le citoyen de ses droits naturels, sans faire de lui l'esclave de la communauté.

 

La devise de la République est : Liberté, Egalité, Fraternité. S'il n'y avait que liberté, l'inégalité irait toujours croissant et l'Etat périrait par l'aristocratie ; car les plus riches et les plus forts finiraient toujours par l'emporter sur les plus pauvres et les plus faibles. S'il n'y avait qu'égalité, le citoyen ne serait plus rien, ne pourrait plus rien par lui-même, la liberté serait détruite, et l'Etat périrait par la trop grande domination de tout le monde sur chacun. Mais la liberté et l'égalité réunies composeront une République parfaite, grâce à la fraternité. C'est la fraternité qui portera les citoyens réunis en Assemblée de représentants à concilier tous leurs droits, de manière à demeurer des hommes libres et à devenir, autant qu'il est possible, des égaux.

 

 

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gif anime puces 251De l’égalité à la fraternité

 

L'ÉLÈVE

 

Que faut-il dans une République fraternelle pour que les citoyens soient en même temps libres et égaux?

 

L'INSTITUTEUR

 

Il faut et il est indispensable qu'une République fraternelle reconnaisse et assure deux droits à tous les citoyens :

 

Le droit à travailler et à subsister par son travail ;

 

Le droit à recevoir l'instruction, sans laquelle un travailleur n'est que la moitié d'un homme.

 

L'ÉLÈVE

 

Comment concevez-vous que la République puisse assurer à tous les citoyens l'exercice du droit au travail ?

 

L'INSTITUTEUR

 

Il y a pour cela deux sortes de moyens : 1° L'organisation même du travail ; si les besoins et les ressources de la France étaient bien connus, ainsi que l'état du débouché extérieur et si les travailleurs trouvaient dans l'association, dans le crédit et dans les diverses aptitudes que l'enseignement professionnel devrait leur donner, un ensemble de lois ou de précautions tutélaires, il arriverait rarement qu'un citoyen eût à faire valoir son droit au travail envers la Société. 2° Les travaux d'intérêt général, d'utilité publique. L'Etat peut diriger lui-même ces travaux et leur donner plus d'extension dans les temps de crise industrielle, de manière à utiliser les bras ou les capacités sans service. Il est vrai que les travailleurs de toutes les spécialités ne pourraient ainsi trouver leur emploi le plus convenable ; mais aussi faudrait-il que l'éducation eût fait tout citoyen propre à certaines occupations manuelles. L'égalité le commande, et la santé, la moralité de tous ne pourraient qu'y gagner. 

 

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gif anime puces 251Devoirs et droits de la République

 

Au surplus, dans le cas où le droit au travail ne peut être exercé pour cause de force majeure, il se traduit en droit à l'assistance. Et ici je n'entends point consacrer l'aumône, car il est juste qu'un homme né, élevé au sein d'une société, d'un milieu artificiel où la nature est transformée, appropriée de telle façon qu'il n'ait pas à sa disposition pour subsister les moyens primitifs que la terre et une pleine liberté donnent au sauvage; il est, dis-je, de toute justice que cet homme tienne de la volonté sociale au moins cette vie que les autres conditions de la société lui refusent. Une République qui ne reconnaîtrait pas le droit à l'assistance serait elle-même sans droit sur les citoyens privés du nécessaire. Une guerre civile, légitime d'un côté, serait son état habituel. Et c'est là ce que nous n'avons que trop vu sous le gouvernement des rois. La société fondée sur le principe de la propriété dévolue à quelques-uns avait pour ennemi tous les hommes énergiques ou corrompus qu'elle laissait sans instruction et sans pain. (...)

 

L'ÉLÈVE

 

Vous avez nommé un autre droit qu'une République fraternelle doit, disiez-vous, garantir à tous les citoyens. C'est le droit à l'instruction. Expliquez-moi quelle est, à cet égard, l'étendue du devoir de la République. 

 

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gif anime puces 251L’instruction émancipatrice

 

L'INSTITUTEUR

 

L'instruction qu'il s'agit ici d'assurer se compose de deux parties, qui sont, d'abord, un ensemble de connaissances élémentaires nécessaires au développement de l'homme et du citoyen, puis un enseignement professionnel, ou, si vous aimez mieux, un apprentissage comprenant la théorie et la pratique première d'un état.

 

L'instruction n'est pas seulement un droit pour le citoyen; elle est encore un devoir, parce que la République, qui réclame ses services, et à la direction de laquelle il est même appelé à concourir, doit trouver en lui et l'intelligence de sa profession et l'aptitude aux fonctions politiques dont elle l'investit.

 

L'enseignement étant libre sous la République, libre à la seule condition d'une surveillance qui s'attache à la moralité, au patriotisme et à la force, à l'élévation suffisante de l'instruction donnée, quand elle s'adresse aux enfants ; libre absolument quand cette instruction s'adresse à des hommes faits, il en résulte que la République ne sera pas nécessairement chargée de la totalité de l'enseignement public ; mais elle sera tenue d'offrir l'instruction gratuite... aux enfants qui ne la reçoivent point d'ailleurs, et l'éducation civique à tous, sans distinction. Les pères ou tuteurs de ceux-ci seront obligés de leur faire fréquenter certaines écoles publiques, même alors qu'ils justifieront de l'instruction qu'ils leur donnent ou leur font donner par d'autres moyens.

 

Je ne parle pas de l'instruction et de l'éducation religieuse que les ministres des cultes peuvent seuls donner, et qui ne sont point de la compétence des magistrats de la République.

 

L'ÉLÈVE

 

Vous m'avez dit que le peuple avait des devoirs à remplir et des droits à respecter. Pouvez-vous me donner quelques explications sur ce point ?

 

L'INSTITUTEUR

 

Un mot seulement. Je vous ai exposé les devoirs et les droits de l'homme et du citoyen; il me reste à vous dire ceci : les devoirs du Peuple ou de la République sont indiqués par les droits des citoyens; de même les devoirs des citoyens font connaître les droits de la République.

 

La République a le droit d'exiger le service militaire, l'impôt, la fidélité dans les fonctions, et tous les sacrifices consentis par la représentation nationale.

 

C'est le devoir de la République de respecter les droits et les libertés que j'ai énumérés : devoir de justice. Et c'est son devoir de développer les facultés des citoyens en même temps qu'elle maintient leurs droits : devoir de fraternité.

 

L'ÉLÈVE

 

La République a-t-elle aussi des devoirs envers les autres peuples ?

 

L'INSTITUTEUR

 

Oui, la République doit être juste envers toutes les nations, et secourable à celles qui sont opprimées. Elle doit pratiquer la fraternité au-delà même des limites de son empire, car celui qui opprime un peuple est l'ennemi de tous les peuples. 

(Ch. Renouvier, Manuel républicain de l’homme et du citoyen (1848).

 

 

 

bouton 007Renouvier : philosophe français, 1815-1903)

 

fleche 026N.B. :La 2e République a établi pour la 1ère fois en France le suffrage universel (masculin !).

 

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19 mai 2014 1 19 /05 /mai /2014 09:32

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SÉNÈQUE : NE PAS SE TOURMENTER DE L’AVENIR

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Le dit et le ressenti, distinguo

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Jamais on ne peut avoir une confiance absolue en soi avant que maintes difficultés ne se soient présentées ici et là et même parfois ne nous aient touchés de près : c'est alors que se manifeste le véritable courage, celui qui ne dépend nullement de la volonté d'autrui. C'est là l'épreuve du feu !

 

Un athlète ne peut apporter une fière ardeur au combat, s'il n'a jamais été meurtri. Au contraire, celui qui a vu son propre sang couler, entendu ses dents se briser sous le choc d'un coup de poing, celui qui, renversé à terre, a supporté le poids de l'adversaire et perdu le combat sans perdre courage, celui qui, après chaque chute s'est toujours relevé plus décidé, celui-là seul descend au combat plein d'espoir. Je dirai, pour poursuivre la comparaison, que souvent déjà le sort t'a terrassé et que cependant tu ne t'es pas rendu : tu as repris ton élan et t'es remis sur pied, plus intrépide encore. Le courage s'accroît quand il doit répondre à des attaques. Néanmoins, si tu le veux bien, je te propose mon aide : tu te défendras mieux.

 

Nous sommes plus souvent victimes de notre terreur que de dangers réels, et nous souffrons plus de l'idée que nous nous faisons des choses que des choses elles-mêmes. Je ne prends pas avec toi le langage des stoïciens, mais un langage plus facile. En effet, nous autres, nous disons que tout ce qui arrache cris et gémissements est sans importance et méprisable. Laissons de côté ces grands mots, par ailleurs si justes, grands dieux ! Voici mon conseil : ne sois pas malheureux avant l'heure ; ces dangers, dont tu redoutes l'arrivée imminente, peut-être ne viendront-ils jamais (en tout cas, ils ne sont toujours pas venus !). Certains d'entre eux nous torturent à l'excès, d'autres trop tôt, d'autres encore sans aucune raison. Nous augmentons notre mal, nous le créons de toutes pièces, ou nous le devançons. Le premier point, je le laisse en suspens pour le moment : il est encore en discussion et fait l'objet d'un litige. Un mal qui pour moi sera insignifiant, pour toi sera d'une extrême gravité : certains, je le sais, rient sous le fouet ; d'autres gémissent quand ils reçoivent un soufflet. Nous verrons plus tard si ces maux nous atteignent de par leur force propre ou de par notre faiblesse.

 

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etoile 108Souffres-tu ou te fais-tu souffrir ?

 

Accorde-moi ceci : à chaque fois que tu auras autour de toi des gens qui essaient de te persuader de ta misère, pense non à ce que tu entends mais à ce que tu éprouves. Examine ta souffrance, interroge-toi : c'est toi qui te connais le mieux toi-même. « Pourquoi me plaignent-ils ? Devant quoi tremblent-ils au point de redouter mon contact, comme si mon malheur était contagieux ? S'agit-il d'un mal véritable ou plutôt de la peur du scandale ? » Interroge-toi encore : « N'est-ce pas sans motif que je me tourmente et m'afflige ? Ne fais-je pas un mal de ce qui n'en est pas un ? »

« Mais comment, me diras-tu, saurai-je si mes angoisses sont vaines ou fondées ? » Écoute la règle à suivre en cette matière : nous sommes tourmentés ou par le présent ou par l'avenir, ou par les deux à la fois. Pour le présent, il est facile de trancher : si tu es libre, en bonne santé et ne souffres d'aucun mauvais traitement, il sera temps plus tard de s'inquiéter ; pour aujourd'hui, tout va bien. « Mais demain finira par arriver ! » Eh bien, commence par voir si tu as de sérieuses raisons pour craindre le mal qui doit venir ; la plupart du temps, ce sont de simples conjectures qui nous font souffrir, et nous sommes les jouets d'une rumeur — celle qui provoque la perte d'une guerre mais plus encore celle d'un individu. Oui, mon cher Lucilius, nous nous rendons tout de suite à l'opinion. Nous ne réfutons pas ce qui nous conduit à avoir peur, nous ne cherchons pas à nous en dépouiller : au contraire, nous nous mettons à trembler et prenons la fuite, comme les soldats qui, effrayés par la poussière que soulève le passage d'un troupeau, abandonnent leur camp, ou les gens que la diffusion anonyme d'une fausse nouvelle remplit de terreur. Je ne sais pourquoi, le faux trouble plus que le vrai : celui-ci a sa propre mesure ; mais tout ce qui est incertain est la proie des conjectures et des caprices d'une imagination mue par l'effroi. Aucune frayeur plus funeste, ni plus difficile à calmer, qu'une frayeur panique. Les autres s'emparent d'une âme qui a perdu la raison, celle-ci, d'une âme qui a perdu l'intelligence même.

 

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etoile 108Clairvoyance et espérance

 

[...] La vie ne serait pas tenable, le malheur n'aurait pas de limite, si on craignait tout ce qui peut arriver de fâcheux : essaie d'être clairvoyant ; rejette même, de toutes les forces de ton âme, la crainte justifiée ; sinon, chasse un vice par un autre : apaise la crainte par l'espoir. Rien de ce que nous craignons n'a autant de chances de se réaliser que l'évanouissement de cette crainte même, ou l'effondrement de nos espoirs. Pèse donc espoir et crainte, et chaque fois que tu seras dans le doute, fais pencher la balance en ta faveur : crois ce que tu préfères. Si tu as plus de motifs de crainte, incline plutôt du côté de l'espérance, et cesse de te tourmenter. Et puis, médite ceci : la plupart des mortels, alors qu'aucun mal ne les afflige ou ne s'annonce pour l'avenir, se torturent et brûlent d'inquiétude. Personne ne peut se retenir, une fois emporté dans son élan, ni ramener sa crainte à sa juste valeur. Personne ne dit : « L'auteur de ces bruits n'est pas sérieux : ou il les a forgés de toutes pièces ou il y a naïvement ajouté foi. » Nous nous livrons pieds et poings liés à tous ceux qui nous racontent des fables ; nous tremblons à cause de rumeurs douteuses que nous prenons pour des certitudes. Nous ne savons plus garder la mesure : le moindre doute vire à la peur.

 

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etoile 108Ce qui est bon en toi, pour toi

 

J'ai honte de te parler ainsi et de te réconforter avec d'aussi pauvres remèdes. Laissons les autres dire : « Peut-être ce malheur n'arrivera-t-il pas. » Toi, dis ceci : « Qu'il vienne, et après ? Nous verrons lequel de nous deux l'emportera. Peut-être vient-il pour mon bien : ma mort fera honneur à ma vie. » La ciguë fit de Socrate un homme encore plus grand. Retire à Caton1 le glaive qui assura sa liberté : tu lui ôtes une grande partie de sa gloire. Mais assez d'exhortations : tu as plutôt besoin de conseils. Je ne te dirige pas dans un sens opposé à ta nature : tu es né pour suivre mes préceptes. Raison de plus pour accroître et embellir ce qui est bon en toi.

(Sénèque, Lettres à Lucilius)

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1- Caton d'Utique, qui se suicida après la victoire de César en Afrique pour ne pas tomber entre les mains de son ennemi.

 

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