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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 06:49

L’ÉCOLE CANTONALE. RÉMINISCENCES. 1950-1960

Souvenirs et nostalgie

L’école cantonale

Chant au goût de bonbons au miel

Ils vont à l’école,

Tous les écoliers,

En troupes frivoles

Parmi les sentiers.

 

Les petites filles

Ont de beaux boubous,

Dans leurs cheveux brillent

De jolis bijoux.

 

Hauts comme trois pommes

De petits garçons,

Fiers comme des hommes

Chantent des chansons…

 

CM1-CM2. Textes d’ouverture au monde et à nous-mêmes

LE DEVOIR À L’ÉCOLE

Travaille de ton mieux à l'école où tu es placé ; applique-toi de tous tes efforts à profiter de ce qui t'est enseigné. Songe bien qu'on pourrait déjà tirer un certain travail de tes petits bras et de tes petites jambes. On ne le fait pas cependant. Une comparaison va t'expliquer pourquoi.

 

Quand le maïs a poussé en herbe et que le champ ressemble à une prairie, on pourrait le couper et le faire manger au bétail, qui ne demanderait pas mieux. Mais cette herbe-là n'est pas une herbe comme les autres. Qu'on laisse avancer la saison, et de chaque tige il va sortir un épi de grains de maïs, dont les hommes se nourrissent, et que Je propriétaire, s'il ne le consomme, vendra argent comptant.

 

Eh bien ! tu es, toi aussi, un pied de maïs. Si l'on t'employait, dès à présent, à travailler autant que tu le peux sans te rien apprendre, tu ne serais jamais qu'un manœuvre, ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter ; tu ne vaudrais jamais que ce que valent tes bras, tes jambes, tes épaules, tes reins. Mais si l'on permet à ton intelligence de se développer par l'instruction, à la valeur de ton corps tu ajouteras celle de ton esprit ; tu pourras devenir non seulement un ouvrier, mais un contremaître ou un patron, l'égal d'un homme bien plus riche et plus favorisé que toi ; tu pourras te faire la place dont tu seras digne par ton courage et ton intelligence.

Veux-tu bien comprendre ta situation ? Ta famille et ton pays s'appliquent à te mettre entre les mains un outil admirable, dont c'est toi qui dois surtout profiter. Ils s'imposent pour cela des sacrifices. Que demande-t-on en échange ? De la bonne volonté, rien de plus. Si tu n'apportais pas cette bonne volonté, tu serais un ingrat.

Ch. Bigot.

L’utilité du savoir

(Légende balali-Moyen-Congo)

Dieu créa l'Afrique et le reste du monde, puis les hommes noirs et les hommes blancs. En Afrique, il plaça tout ce qui peut faire plaisir aux créatures humaines : des biches sans nombre pour les chasseurs, des rivières poissonneuses pour les pêcheurs, les fruits qui croissent sans peins, une température toujours chaude. Dans le reste du monde, il mit le froid, la glace, la neige, la terre ingrate, mais aussi les livres et le savoir qu'ils renferment.

Il demanda tout d'abord aux hommes noirs de choisir le pays qu'ils voulaient. Bien entendu les Noirs choisirent l'Afrique, et les Blancs durent se contenter du reste du monde. Or l'avenir démontra que les Noirs avaient commis une grosse sottise. Certes les Blancs eurent très froid et ils furent obligés de travailler sans cesse pour tirer la nourriture de leur maigre sol ; mais le savoir des livres leur donna une merveilleuse puissance grâce à laquelle ils construisirent des maisons confortables, confectionnèrent des vêtements moelleux et chauds, obligèrent la terre à leur donner des récoltes abondantes et des fruits savoureux.

Et c'est pourquoi les Noirs, qui ont compris leur erreur, désirent tellement s'instruire à leur tour.

A. Davesne

Ce que c’est qu’un livre

Voici ce qui se serait passé entre deux hommes, dont l’un savait lire et l’autre ne savait pas : « Que regardes-tu dans ce papier ? demandait l’ignorant. — Oh ! si tu savais, répondit le lecteur, comme cela est amusant ! Il y a là des personnes qui parlent ; on entend avec les yeux. » La définition n’était pas mauvaise ; beaucoup de personnes pourraient s’en faire honneur.

Cet homme, en effet, a compris ce que c’est qu’un livre. Si je demandais la définition d’un livre, j’embarrasserais bien des gens. On sait que c’est un assemblage de feuilles de papier sur lesquelles on a imprimé des caractères ; mais ce qui constitue véritablement le livre, on ne le sait pas, faute de réflexion.

Un livre est une voix qu'on entend, une voix qui vous parle : c'est la pensée vivante d'une personne séparée de nous par l'espace ou le temps ; c'est une âme. Les livres réunis dans une bibliothèque, si nous les voyions avec les yeux de l'esprit, représenteraient pour nous les grandes intelligence de tous les pays et de tous les siècles qui sont là pour nous parler, nous instruire et nous consoler. C'est là, remarquez-le bien, la seule chose qui dure : les hommes passent, les monuments tombent en ruines ; ce qui reste, ce qui survit, c'est la pensée humaine.

(Discours populaire)

Enfant que vas-tu faire à l’école ?

 

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

Je vais apprendre à lire pour savoir ce qu’il y a dans les livres. Écoutez bien. Tout en tournant ces pages tachées de noir, n’entendez-vous pas un bruissement confus de voix venues de je ne sais où, du fond des abîmes des siècles passés ? Ce sont les morts qui parlent sans que désormais aucune force puisse faire taire leur parole…

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

Je veux savoir comment, au travers des cieux, se propage d’un monde à l’autre la lumière ; comment au choc des nuages s’allume la flamme rapide de l’éclair. Je veux voir monter la sève depuis les robustes racines du chêne jusqu’aux fines dentelures de feuillage qui couronnent sa tête. Je veux voir circuler par mille canaux jusque dans les replis du cerveau le fleuve rouge du sang…

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

Alors que je n’étais pas encore, que n’étaient pas non plus et mon père et ma mère que je connais, d’autres étaient que je ne connais point. Chers êtres mystérieux qui avez fait la Patrie, je ne veux pas seulement savoir vos noms, je veux savoir aussi vos actes. Je veux apprendre l’histoire.

 

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

... Je suis venu en ce monde pour être utile, pour être juste, pour être bon... Je ne suis encore, il est vrai qu'un petit enfant, mais je veux être un homme. On n'est pas seulement un homme par la taille. On est aussi un homme par la raison et par le cœur.

École de mon pays, je t'apporte mon âme. De cette jeune âme plus débile encore que le corps qui l'enveloppe, fais une âme française, fais une âme humaine...

Léon Deries (Salut à l’école)

Ajoutons à l’humanité

On ne vous demande pas des miracles, on désire seulement que vous laissiez quelque chose après vous. « Celui qui a planté un arbre avant de mourir n'a pas vécu inutile. » C'est un proverbe indien qui le dit. En effet, il a ajouté quelque chose à l'humanité. L'arbre donnera des fruits, ou tout au moins de l'ombre, à ceux qui naîtront demain.

Un arbre, un toit, un outil, une arme, un vêtement, un remède, une vérité démontrée, une découverte scientifique, un livre, une statue, un tableau : voilà ce que chacun de nous peut ajouter au trésor commun.

Il n'y a pas aujourd'hui un homme intelligent qui ne se sente lié par des fils invisibles à tous les hommes passés, présents et futurs. Nous sommes les héritiers de tous ceux qui sont morts, les associés de tous ceux qui vivent, la providence de tous ceux qui naîtront.

Pour témoigner notre reconnaissance aux mille générations qui nous ont fait graduellement ce que nous sommes, il faut perfectionner la nature humaine en nous et autour de nous. Pour remercier dignement les travailleurs innombrables qui ont rendu notre habitation si belle et si commode, il faut la livrer plus belle et plus commode encore aux générations futures.

Nous sommes meilleurs et plus heureux que nos devanciers, faisons que notre postérité soit meilleure et plus heureuse que nous. Il n'est pas d'homme si pauvre et si mal doué qui ne puisse contribuer au progrès dans une certaine mesure.

Celui qui a planté l'arbre a bien mérité, celui qui le coupe et le divise en planches a bien mérité ; celui qui assemble les planches pour faire un banc a bien mérité ; celui qui s'assied sur le banc, prend un enfant sur ses genoux et lui apprend à lire, a mieux mérité que tous les autres. Les trois premiers ont ajouté quelque chose aux ressources de l'humanité ; le dernier a ajouté quelque chose à l'humanité elle-même. De cet enfant il a fait un homme éclairé, c'est-à-dire meilleur.

E. About (Le Progrès)

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10 juin 2018 7 10 /06 /juin /2018 07:15

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (5)

L’enseignement colonial en Afrique : programmes, bilan, réflexions critiques

AOF-AEF

Les programmes élaborés pour l’instruction des indigènes dans les colonies françaises d’Afrique ont fait l’objet de réflexions et de critiques plus ou moins acerbes depuis les origines, dès le 19e siècle. L’essentiel des critiques et de leurs auteurs sont français, parfois même administrateurs ou responsables coloniaux. La nouveauté, c’est que les remarques concernant l’enseignement colonial en général (méthodes, objectifs, personnel…) proviennent de plus en plus d’intellectuels africains formés par l’école française en France pour la plupart.

 

Bilan et réflexions critiques

Au-delà des programmes et méthodes, les critiques portent surtout sur le bilan d’ensemble de l’enseignement colonial.

Ainsi, au tout début du 20e siècle (la première école française  ayant été ouverte à Saint-Louis du Sénégal en 1817).

« En 1907, l'A.O.F. entière ne compte que 76 écoles de village, 33 écoles régionales (les deux tiers des cercles en sont donc dépourvus) et 12 écoles urbaines.

En 1912, les effectifs scolaires publics s'élèvent à 11.000 élèves, auxquels s'ajoutent 2.600 élèves de l'enseignement privé. » (Dans J. Suret-Canale, déjà cité).

Le même informateur ajoute :

« A la fin de 1914, les effectifs scolaires sont estimés à 17.000 en A.O.F. (Sénégal : 4.500 ; Haut-Sénégal et Niger : 3.000 ; Guinée : 2.600 ; Côte d'Ivoire : 3.400 ; Dahomey : 3.000 ; Niger : 400 ; Mauritanie : 100).

Mais les crédits consacrés à l'enseignement en A.O.F. demeurent faibles (moins de 2 millions en 1914).

La guerre bloque les progrès enregistrés de 1912 à 1914. En 1922, les effectifs scolaires d'A.O.F. s'élèvent à 25.000 pour les écoles publiques, auxquels il faut ajouter un peu moins de cinq mille élèves dans les écoles privées.

En 1944, ils atteindront 57.000 pour les écoles publiques, 19.000 pour les missions. »

Puis

« En 1944, les effectifs sont les suivants : 18.000 pour l'enseignement public (dont 2.000 filles), 16.000 pour l'enseignement privé reconnu, plus de 100.000 pour les "écoles de catéchisme".

C'est la situation de l'A.E.F. qui demeure la plus lamentable. Un arrêté de 1925 prévoit une organisation semblable à celle de l'A.O.F. mais n'est pas appliqué. 14 instituteurs sont recrutés de 1920 à 1924, 21 de 1926 à 1930.

Au Tchad, en 1921, la situation rappelle (en pire) celle du Soudan avant 1900 : une école avec 50 ou 60 élèves fonctionne à Fort-Lamy. Mais elle est restée fermée six mois en raison du départ en congé de l'unique instituteur. Il s'y ajoute dix "écoles de circonscription" confiées à des agents des services civils, des sous-officiers, ou des moniteurs africains dont les connaissances sont des plus sommaires. »

Déjà en 1846, un rapport sur l’instruction publique au Sénégal, signé des 7 noms de la Commission dépêchée là-bas à cette fin concluait :

« La France les a dominés, mais ne les a pas instruits. Les Européens les ont traités comme des instruments sans intelligence, bons à la satisfaction de leurs passions, à écouler les marchandises… ils ont négligé l’avenir intellectuel et moral d’une population intéressante à plus d’un titre… »2

 

Les effectifs ne sont pas seuls en cause

Ainsi

« Pour le régime colonial, l'instruction des masses présente un double péril : en élevant la qualification de la main-d'œuvre, elle la rend plus coûteuse ; d'autre part elle conduit les masses colonisées à prendre conscience de l'exploitation et de l'oppression auxquelles elles sont soumises.

Mais d'autre part l'appareil d'exploitation économique, d'oppression administrative et politique, ne peut fonctionner sans un minimum de cadres subalternes autochtones, courroies de transmission et agents d'exécution entre 1' "encadrement" européen et les masses. Avec l'extension de l'économie de traite, avec le progrès de la technique — si lent soit-il à se manifester — avec le perfectionnement (ou l'alourdissement) de la machine administrative, la colonisation est obligée de former de tels cadres en nombre croissant.

La politique coloniale en matière d'enseignement s'explique par cette contradiction.

Pour la colonisation, l'instruction est un mal nécessaire. On s'efforcera donc de limiter sa diffusion au minimum strictement indispensable, en quantité comme en qualité.

Et, puisqu'on ne peut se passer de l'enseignement, on cherchera à l'utiliser au mieux des intérêts de la colonisation. La dépersonnalisation culturelle entre ici dans les moyens de cette politique. On donnera à ces agents subalternes une formation purement française, on les convaincra de la supériorité exclusive de cette culture européenne dont ils ont le privilège d'obtenir quelques miettes, et on leur inculquera qu'elle les place bien au-dessus de leurs frères restés " sauvages", "incultes".

En même temps on s'efforcera de les modeler suivant les règles du "bon esprit" : ils doivent reconnaître la supériorité du Blanc, de sa civilisation qui les a sauvés de la cruauté sanguinaire des "roitelets barbares", lui vouer respect, reconnaissance et surtout obéissance.

[…]

Ainsi, l'A.O.F. de 1945 ne comportait aucun cadre autochtone ayant suivi l'enseignement supérieur. Médecins africains diplômés de l'école de Médecine de Dakar et instituteurs diplômés de Ponty constituaient la couche supérieure de l'élite intellectuelle. L'école normale W. Pontv comptait 281 élèves (dont 42 dans la section enseignement), l'école de Médecine de Dakar 106 élèves.

Le seul agrégé africain avait fait ses études en France, et y enseignait dans un lycée de province1.

[…]

Le bilan est simple : en 1945 on peut estimer que partout la proportion des illettrés dépasse 95 % de la population. En A.O.F., le pourcentage des enfants effectivement scolarisés par rapport aux enfants en âge de fréquenter l'école est de 3,34 % : par territoire, il varie de 0,82 % (Niger) à 4,25 % pour le Sénégal et 7,8 % pour le Dahomey. Encore faut-il tenir compte, pour expliquer ce dernier pourcentage, comme pour ceux de l'A.E.F. (6,1 %) du Togo (16,1 %) et au Cameroun (17,3 %) des effectifs considérables des écoles privées, dont le niveau est extrêmement bas. »

Ce qui inspire cette réflexion de l’inspecteur général Delage, à propos des méthodes d’enseignement et des contenus jusque-là en vigueur dans les colonies d’Afrique :

« Notre enseignement colonial (ne pourra) en aucun cas, se limiter à un simple dressage. Il ne s'agira pas de donner aux Noirs les quelques notions de langage, d'écriture, de calcul et d'hygiène destinées à faciliter la compréhension des ordres du Blanc.

Il ne s'agira pas de perfectionner un automate à notre service. Notre école africaine ne saurait être conçue comme une école de boys. »

Les griefs à l’encontre du système d’enseignement sont nombreux et variés.

Abdou moumouni (1929-1991)

Professeur Abdou Moumouni (1929-1991), Nigérien, agrégé de Physique en 1956, fait partie de ces intellectuels africains qui ont mené une réflexion approfondie sur le système d’enseignement colonial, [voir L’Éducation en Afrique, Editions MASPERO (1964)]. Il fut Consultant de l'UNESCO sur les questions d'éducation en Afrique ,et occupa de nombreuses fonctions internationales.

 

20e siècle, entrée en scène d’intellectuels africains.1924-1946.

Dans son ouvrage, L’Éducation en Afrique, Abdou Moumouni cite G. Hardy :

« Jusqu’en 1924 donc, pont d’école "obligatoire pour tous" à la Jules Ferry, encore moins de classes calquées sur leurs homologues françaises, mais en terre africaine. On ne saurait être plus explicite que ces quelques extraits de texte officiels :

"Deux ou trois ans de scolarité, une cinquantaine d’élèves par classe. Nous n’avons pas de temps à perdre. Allons aux besognes essentielles ?... Dans les écoles de villages ! il est bien entendu que ce français (langue commune) sera simple autant que possible, et limité à l’expression d’idées courantes, à la désignation d’objets visuels, sans raffinement de syntaxe et sans prétention à l’élégance. Et ce sera avant tout du français parlé. »

L.S. Senghor

Les premières élites africaines contre les programmes, les méthodes et les objectifs de l’enseignement colonial

En effet, ces premières élites formées en France, ont, comme aspiration principale pour la plupart,l’« assimilation » miroitée par la IIIe République et souvent présentée comme objectif majeur de la colonisation.

De tous ces « évolués », le plus connu, en France notamment, c’est le député sénégalais, Léopold Sedar Senghor, élu sous la IVe République, Senghor apparaît comme le véritable porte-étendard, le plus constant de la lutte contre l’enseignement colonial, qu’il qualifie d’« enseignement au rabais ». Son objectif, c’est l’unification définitive des programmes scolaires, en gommant toute différenciation entre programmes métropolitains et programmes scolaires en Afrique.

Sont vœu ne fut exaussé qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, jusque-là, seul le Sénégal connaissait un système d’enseignement digne de ce nom ; il fut la seule colonie rebelle à l’école rurale.

Les élites coloniales d’alors, les premiers députés à siéger au Palais Bourbon, à l’exemple de Senghor, ont réclamé, partout, en AOF notamment, un système d’enseignement qui garantisse aux jeunes Africains, l’accès à la culture et à la promotion sociale.

Les programmes scolaires de la métropole et ceux des colonies unifiées, l’AOF fut rattachée à l’Académie de Bordeaux jusqu’à la fin de la colonisation.

Georges Hardy  (1884-1972)

1924 : loi de scolarité obligatoire en Afrique francophone

         Inversion des hiérarchies traditionnelles

Sous l’impulsion de Georges Hardy, alors tout puissant responsable de l’enseignement colonial, les « lois Jules Ferry » : scolarité obligatoire, furent introduites en Afrique. Mais pour l’essentiel, ce sont des fils d’esclaves ou ceux de catégories sociales « mineures » qui furent envoyés à l’école, les anciens aristocrates ou anciens chefs refusant de « donner leurs enfants aux Blancs ». C’était pour eux une manière de résister à la domination coloniale. ( Tout comme lors de la Première Guerre mondiale, pour le recrutement de soldats africains, le chef de canton, ou  le chef de village, simple exécutant de l’administration coloniale, n’envoyait, pour l’’essentiel ,que des recrues de « condition  sociale inférieure »).

Mais à l’accession à l’indépendance, le colonisateur parti, les fils d’anciens esclaves, scolarisés, formés à l’école française, devinrent les responsables politiques des nouveaux États, au grand dam des descendants de familles de classe élevée.

Un bilan de l’école coloniale ? Pour qui ? Les Français ou les Africains ?

       Ce qu’ils ont gagné (les uns et les autres) vaut-il ce qu’ils ont perdu ?

Tout d’abord il convient de rendre justice aux premiers instituteurs pionniers de l’instruction en Afrique.

Qu’ils soient métropolitains ou autochtones, blancs ou noirs, ils méritent la reconnaissance publique, vu les conditions dans lesquelles ils ont exercé leur métier.

Par ailleurs l’apprentissage de la langue française fut pour les Africains une ouverture au monde, mais aussi et surtout, le brassage des populations de l’Afrique francophone, (ouverture de l’Afrique à l’Afrique par conséquent) en brisant les multiples barrières linguistiques.

Quant à la France, en niant ou méprisant les langues et cultures africaines, le colonisateur s’est privé d’une ouverture sur une richesse culturelle et humaine inestimable, car, une langue (ou une culture), quelle que soit son importance ou l’étendue de sa sphère de diffusion, exprime une vision spécifique du monde. L’apprendre, ou la reconnaître, c’est enrichir sa propre culture. Cette richesse aurait sans doute permis d’enrichir davantage le français et le Français, de même que les relations entre Africains et Français, hier et aujourd’hui.

1. Il s’agit de L. S. Senghor, futur président du Sénégal et membre de l’Académie française.

2. Archives nationales du Sénégal : Instruction des indigènes.

 

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3 juin 2018 7 03 /06 /juin /2018 07:08

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (4)

Programmes, bilan, réflexion critique de l’enseignement colonial

AOF-AEF

Programmes et objectifs

Les programmes, de même que les méthodes d’enseignement, sont fonction des objectifs de l’enseignement colonial en Afrique.

Les textes officiels, de 1817 à 1945, mettent en adéquation programmes, méthodes et objectifs. Ces textes demeurent en conséquence les matériaux premiers de toute réflexion sur l’instruction des indigènes dans les colonies d’Afrique.

Ainsi, celui promulgué par le gouverneur général de l’AOF, Camille Guy en 1922, fixe l’orientation générale :

« De l'air, avant tout de l'air ! s'écrie le gouverneur Camille Guy. Les bons programmes ne s'obtiennent qu'en élaguant, non en ajoutant. Enseignement du français, des sciences élémentaires, des travaux professionnels et enseignement technique approprié au milieu et c'est suffisant. A agir autrement on ne prépare pas des citoyens français, mais des déclassés, des vaniteux, des désaxés, qui perdent leurs qualités natives et n'acquièrent que les vices des éducateurs. C'est par ce système qu'on crée de toutes pièces des René Maran et qu'un beau jour apparaît un roman comme Batouala, très médiocre au point de vue littéraire, enfantin comme conception, injuste et méchant comme tendances. »1

Dans la lignée de ce texte, un autre gouverneur général de l’AOF précise en 1924 :

« Si nos écoles ainsi conçues (avec des programmes voisins de ceux utilisés en France. J.S.-C.) nous donnèrent de nombreux collaborateurs d'un loyalisme éprouvé, elles formèrent aussi, hélas, un contingent important de déracinés aigris qui devinrent nos contempteurs et nos ennemis.

Fallait-il les fermer comme d'aucuns le conseillaient ? Une solution aussi radicale, outre qu'elle n'était pratiquement pas réalisable, aboutissait à abandonner à leur propre inspiration l'éducation de nos sujets, ou, ce qui serait plus dangereux encore, aux initiatives des adversaires de la colonisation.

Il ne s'agissait donc pas d'abandonner, il fallait réformer l'enseignement. »2

Qu’apprennent-ils à l’école, concrètement ?

 "Dans l’esprit du temps l’enseignement dont l’intention majeure reste pourtant la même (reproduire le système colonial et favoriser l’exploitation des richesses) ne cherche nullement à accélérer le processus de scolarisation, ni à développer l’enseignement de qualité", selon A. Tirefort  (déjà cité).

Et le texte promulgué,émanant du gouverneur général  de L'A.O.F.précise:

« Considérons l’instruction comme chose précieuse qu’on ne distribue qu’à bon escient et limitons-en les bienfaits à des bénéficiaires  qualifiés. Choisissons nos élèves tout d’abord parmi les fils de chefs et notables… » (Gouverneur général Roume, 1924).

Et Georges Hardy (voir article 2 du blog du 20 mai 2018), principal responsable de l’enseignement colonial dans l’entre-deux-guerres fixe le cap :

« L’école sera tout bonnement préparatoire à toutes sortes d’apprentissages agricole, industriel, commercial. Civiliser une population indigène, ce n’est pas la faire entrer brusquement dans les cadres, et les habitudes de notre vieille société ; la moindre expérience permet d’affirmer qu’une telle entreprise ne peut aboutir, qu’elle n’est pas exempte de dangers. »

En conséquence, les programmes proposent un enseignement pratique, autour de l’apprentissage du français, comme précisé ci-dessous :

« Éviter que l'enseignement des indigènes ne devienne un instrument de perturbation sociale

Le français doit être imposé au plus grand nombre d'indigènes et servir de langue véhiculaire dans toute l'étendue de l'Ouest africain français. Son étude est rendue obligatoire pour les futurs chefs, et cette mesure constitue une innovation de l'arrêté3. Il n'est pas admissible, après quarante ans d'occupation, que tous les chefs sans exception, avec lesquels nos relations de service sont journalières, ne puissent entrer en conversation directe avec nous. » (Dans J Suret-Canale, déjà cité).

L’enseignement agricole, une place de choix dans les programmes, derrière le français

Selon une voix autorisée, Jean Suret-Canale, spécialiste de ce sujet :

« L'enseignement « agricole » devient obligatoire, et l'on y consacre jusqu'à la moitié des horaires, la classe proprement dite étant réduite à quatre heures et demie par jour.

Des champs, des plantations, des troupeaux, sont annexés à l'école et leur entretien devient la préoccupation essentielle. C'est d'après leur état et leur rendement qu'on note les instituteurs

Un document officiel donne de ce système l’appréciation suivante :

"Les résultats de l'école de village ne furent guère brillants. Dans ces écoles, l'enfant, parfois recruté de force, devait souvent collaborer à l'exploitation de la ferme annexée à l'école où il exerçait des travaux pénibles et le plus souvent dépourvus de valeur éducative. C'est pourquoi certains préféraient prendre la fuite." (L’enseignement dans les territoires d’outre-mer, Documentation française, Notes et Études documentaires, n° 1896).

 

Dépourvues de tout matériel moderne, ces écoles ne peuvent donner aucun enseignement agricole valable ; quant à l'agriculture traditionnelle, les jeunes élèves qui la pratiquent avec leurs parents depuis le plus jeune âge n'ont rien à apprendre en cette matière et en savent souvent plus que leurs maîtres.

L' "enseignement agricole" se réduit ainsi à des corvées manuelles. »

 

Malgré la place de choix attribuée aux deux matières considérées comme les plus importantes des programmes scolaires, le français et l’agriculture, les résultats révélés par différentes enquêtes officielles font état d’un déficit chronique de la seconde.

Nonobstant la réforme du gouverneur général des Colonies, Jules Brévié, en 1935, l’enseignement agricole paraît en grande difficulté par rapport aux objectifs à atteindre.

 

D’une manière générale, au-delà de l’échec de l’enseignement agricole, c’est l’ensemble du système scolaire mis en place dans les colonies qui est en cause, pour de multiples raisons.

Les réflexions critiques sur son bilan se font jour, de plus en plus nombreuses et incisives, y compris parmi les administrateurs coloniaux, les penseurs et intellectuels français, de même que les premières élites africaines, sorties de l’école française.

Le premier, Charles Régismanset , haut fonctionnaire du ministère des colonies(voir article 2 du blog du 20 mai 2018), en dévoilant des intentions cachées de l’action coloniale de la France en Afrique, sème le doute, peut-être inconsciemment, sur l’engagement réel de la France pour le progrès matériel, social, culturel de ses indigènes.

C’est sans doute que les premiers intéressés, les indigènes, et plus précisément leurs premières élites formées, mettent en parallèle cette déclaration et les intensions proclamées dès le début de la colonisation au 19e siècle. D’autant plus que des voix encore plus autorisées abondent dans le sens de Régismanset, tout spécialement Maurice Delafosse (voir blog article « Galerie de portraits de colonisés français au XIXe siècle (2) », 17/11/2017).

Maurice Delafosse (1870-1926)

Historien, administrateur colonial, humaniste

Maurice Delafosse écrit  ainsi en 1921 :

« Si nous condescendons à être francs vis-à-vis de nous-mêmes, nous sommes bien forcés d’avouer que ce n’est pas l’altruisme qui nous a conduits en Afrique, au moins en tant que nation. Que de pieux missionnaires, ayant voué leur vie au salut de l’âme de leurs semblables, soient allés là-bas dans le seul but d’être utiles à leurs frères noirs, en l’autre vie sinon en celle-ci, je l’admets volontiers. Mais ce ne sont point de pareils motifs qui nous ont amenés à planter notre pavillon au Sénégal et sur les côtes de Guinée, ni à batailler avec les indigènes pour leur faire accepter notre autorité.

Tantôt nous voulions assurer des débouchés à notre commerce ou des ressources de matières premières à notre industrie, tantôt nous éprouvions le besoins de protéger la sécurité de nos nationaux ou le besoin de ne pas nous laisser devancer par des rivaux étrangers, tantôt nous étions mus par le désir obscur et inconscient de procurer un peu de gloire ou de grandeur à notre patrie, tantôt nous obéissions simplement aux caprices du hasard ou suivions la trace d’un explorateur, parce que nous croyions ne pas pouvoir faire autrement. En aucun cas je ne découvre, comme mobile de notre expansion coloniale en Afrique, la volonté réelle et raisonnée de contribuer au bonheur des populations que nous sommes allés subjuguer. C’est là une excuse que nous donnons facilement après coup, ce ne fut jamais un dessein…

Loin de moi de jeter la pierre à ceux qui ont poussé la France dans cette voie… Mais la générosité de leurs intentions n’a pas dépassé les frontières de la patrie française et l’action nationale qu’ils ont mise en mouvement, pour admirable qu’elle ait été et qu’elle demeure du point de vue national, n’en fut pas moins égoïste du point de vue humain. »4.

1. C. Guy, A.F., 1922, n° 1, p. 43. René Maran, administrateur colonial antillais, avait dans son roman Batouala, qui obtint le prix Goncourt en 1922, dénoncé l'atroce condition des Noirs du Congo et dépeint avec réalisme le milieu administratif. Il souleva la colère des coloniaux. L'auteur devait finir, d'ailleurs, dans la plus parfaite orthodoxie coloniale.

2. Communication à l'Académie des Sciences coloniales de M. le gouverneur général Jules Brévié, le 13 octobre.

3. Arrêté du 1er mai 1924.

4. Maurice Delafosse, Sur l’orientation de la politique indigène de l’Afrique noire, A.F., R.C., 1921.

 

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 07:34

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (3)

Écoles, enseignants

Maîtres autochtones et maîtres métropolitains

Coexistence et hiérarchie

AOF-AEF

Écoles : la diversité est la règle

       —Diversité des noms ou appellations.

       —Diversité des statuts des établissements et du personnel.

On distingue ainsi :

       —L’école de village (la moins bien dotée).

       —L’école du canton (école cantonale).

       —L’école de la région (école régionale)…

Mais aussi :

       —École des fils de chefs.

       —École des otages…

(Écoles des otages, écoles des fils de chefs, crées par Faidherbe, gouverneur du Sénégal à partir de 1854. Etablissements où sont scolarisés de force des fils de chefs ou de notables ayant résisté à la domination coloniale, l’objectif étant d’en faire des auxiliaires dociles. Le Sénégal et le Soudan (actuel Mali) furent les principales régions d’implantation de ces écoles).

Enfants de l'École des otages créée  à Saint-Louis (Sénégal) par Faidherbe  

On distingue également des écoles sans nom : celles fondées par des militaires au cours de la conquête coloniale : de 1854 à 1900 ce sont pour la plupart des écoles éphémères, dont le destin est lié à l’histoire de la guerre et la conquête des régions d’implantation, en conséquence, des plus précaires.

On distingue aussi les écoles de Nomades (Peuls, Touaregs…). Écoles itinérantes, sans implantation fixe, où l’instituteur se déplace avec les propriétaires et les troupeaux, au quotidien. L’instituteur doit s’adapter ou démissionner (ou déserter).

Jean Suret-Canale (1921-2007) professeur français  d’histoire

 

Architecture générale de l’école française d’Afrique

« La structure établie était la suivante.

L'enseignement primaire élémentaire serait donné dans trois sortes d'écoles :

  • au niveau inférieur, l’école de village où enseigneraient des moniteurs indigènes. On y apprend les « rudiments de la langue française et du calcul » et l'on se propose d'y « initier les enfants aux travaux agricoles » ;
  • au niveau supérieur, l’école régionale, sise au chef-lieu cercle, comprenant outre les classes préparatoire et élémentaire tenues par des adjoints, un cours moyen tenu par un instituteur européen remplissant les fonctions de directeur. Les études y sont sanctionnées par un certificat d'études primaires élémentaires (C.E.P.E.) local, d'un niveau inférieur à celui de la métropole ;

— parallèlement, l’école urbaine, aux chefs-lieux de colonies et dans les grands centres, donnera aux enfants de la population européenne et assimilée un enseignement suivant les programmes français conduisant au C.E.P.E.

L'enseignement professionnel se limita à une école, l’école Pinet-Laprade, à Gorée, qui fonctionna de 1904 à 1924. Elle formait des contremaîtres, mais devait donner sa formation pratique à l'extérieur, « dans des ateliers publics et privés ».

L'enseignement primaire supérieur et commercial fut donné par l’école Faidherbe à Saint-Louis. Les écoles primaires supérieures (dont une seule était alors créée) devaient recruter au niveau du C.E.P.E. ; la durée des études était de deux ans, mais pouvait être réduite à une année selon les besoins de recrutement en personnel subalterne.

Enfin une école normale à Saint-Louis, formera pour toute l'A.O.F. les cadres africains dans deux sections, section normale (instituteurs) et section administrative (interprètes, chefs). Elle recrute parmi les meilleurs élèves des E.P.S. et la durée des études y est de trois ans. C'est la vieille « Ecole des fils de chefs » qui en tiendra lieu. » (Jean Suret-Canale, Afrique noire, occidentale et centrale, 1961)

Les écoles des congrégations religieuses qui, en plusieurs régions précédèrent l’école publique, sont implantées au Sénégal, mais surtout en Afrique équatoriale pour la plupart.

« Les lois sur les congrégations amenèrent l'administration coloniale, en 1903, à retirer aux religieux la gestion des écoles publiques. Ceux-ci conservèrent toutefois celles qui étaient attachées en propre aux missions et créèrent par la suite des écoles privées, que l'administration subventionna au moins en A.E.F.

Conduit pour la première fois à s'occuper des choses de l'enseignement, le gouvernement général de l'A.O.F., par trois arrêtés du 24 novembre 1903, institua un système scolaire qui devait durer, à quelques détails près, aussi longtemps que le régime colonial lui-même. » (id)

 

Saint-Louis du Sénégal, berceau de l’école publique laïque en Afrique

En matière d’enseignement, le Sénégal fut un véritable laboratoire. Ce qui fut implanté à Saint-Louis (première possession française d’Afrique depuis Louis XIV), s’étendit peu à peu sur l’ensemble du Sénégal, puis sur l’ensemble de l’A.O.F et plus tard, sur l’A.E.F.

En effet, la 1ère école française fut fondée à Saint-Louis du Sénégal par l’instituteur bourguignon Jean Dard (voir plus loin).

 

Saint-Louis du Sénégal (19e S)

Jean Dard, instituteur français, né le 21 juin 1789 en Côte d’Or, mort à Saint-Louis du Sénégal en 1833, à 44 ans,a ouvert la première école française d’Afrique noire en 1817.

Deux ans plus tard, en 1819, s’installait à Saint-Louis, la congrégation des religieuses de Saint-Joseph de Cluny, fondée par la mère Javouhey.

Les maîtres : recrutement et fonction

« Faute de personnel, on continua à recruter comme instituteurs un peu n'importe qui (colons ou commerçants ruinés, agents de factoreries licenciés par leurs patrons), et, en marge de leurs fonctions, on fit appel aux militaires et fonctionnaires.

En 1906, on comptait en Guinée 12 écoles régionales (tous les cercles n'en possédaient pas), une école urbaine et une école de filles à Conakry, et trois écoles de village seulement. En tout 1.345 élèves, dont 243 filles, fréquentaient les écoles publiques. Les pères tenaient en outre 3 écoles, avec 83 élèves. Le personnel comptait 13 instituteurs et 6 institutrices européens, 18 moniteurs et 2 monitrices africains.

En 1907, l'A.O.F. entière ne compte que 76 écoles de village, 33 écoles régionales (les deux tiers des cercles en sont donc dépourvus) et 12 écoles urbaines.

En 1912, les effectifs scolaires publics s'élèvent à 11.000 élèves, auxquels s'ajoutent 2.600 élèves de l'enseignement privé.

Quant à l'A.E.F., elle continue à ignorer à peu près complètement le problème de l'enseignement, qui est abandonné aux missions.

Le premier crédit budgétaire ouvert à ce titre (12.000 francs) le sera en 1906, au Gabon, pour l'établissement d'une école laïque à Libreville. Au budget de 1911, le Gabon avait prévu, sur 2.200.000 francs, 25.000 francs pour l'enseignement. Il n'en sera utilisé que 5.406,84 francs, trois des quatre écoles existant en 1910 ayant été fermées faute d'instituteurs. A celle de Libreville, seule demeurée ouverte, l'enseignement était donné par des agents des services civils, moyennant une indemnité supplémentaire. La même année, le Moyen-Congo avait consacré à l'enseignement un peu moins de 20.000 francs; l'Oubangui et le Tchad, absolument rien.

Un arrêté du 4 avril 1911 avait prévu la création d'un cadre du personnel enseignant : il ne fut pas appliqué.

De 1910 à 1919, cinq instituteurs seulement furent recrutés pour l'A.E.F.

C'est seulement en 1912 que l'A.O.F. fit un premier pas vers la réalisation des principes posés en 1903.

Il est alors créé un service de l'Enseignement, dirigé par le gouverneur général (qui ainsi n'abdique pas) assisté par un inspecteur de l'Enseignement de l'A.O.F. Le premier inspecteur sera Georges Hardy, agrégé d'histoire et de géographie, ancien élève de l'Ecole normale supérieure.

L'école normale, l'école Pinet-Laprade, l'école administrative Faidherbe et l'école des pupilles mécaniciens de la Marine (Dakar) sont placées sous son autorité directe et prennent un caractère fédéral. L'école normale, jusque-là simple « section normale » créée en 1904 à l'école des fils de chefs, est transférée de Saint-Louis à Gorée : elle prendra bientôt le nom d'école normale William Ponty. » (id)

Un pionnier méconnu : Jean Dard.

Le premier instituteur du Sénégal, Jean Dard, apprend le wolof, rédige le premier dictionnaire français-wolof, la première grammaire wolof, et plaide pour l’enseignement de base en wolof, mais il ne fut pas suivi.

L’intention de Dard de faire du wolof une langue écrite et enseignée était originale et d’ailleurs en contradiction avec les intentions de ses protecteurs parisiens. Il fut donc rappelé en France.

L’idée de commencer l’instruction en langue maternelle des jeunes autochtones dans les possessions françaises d’Afrique occidentale fut définitivement abandonnée, du moins dans l’enseignement public.

 

Une hiérarchie bien établie

Une hiérarchie quasi implicite s’établit entre maîtres autochtones et maitres métropolitains, dès l’arrivée de ces derniers sur le continent.

En 1919, une réforme fut tentée par l’instituteur français Dupont, alors directeur de l’École Normale William Ponty. Il fit prendre un décret dont l’objet était d’amener les instituteurs autochtones à préparer et obtenir les mêmes diplômes que leurs collègues français. « Cette décision souleva un tollé des milieux coloniaux, et tout spécialement de certains instituteurs européens, estimant inadmissible que les futurs instituteurs africains puissent avoir les mêmes titres qu'eux (voire, pour certains des titres supérieurs) et prétendre ainsi à 1 'égalité de situation et de traitement ». Dupont rappelé en France, l'arrêté ne fut jamais appliqué.

Jean Suret-Canale explique ainsi l’hostilité des instituteurs français à l’application de ce décret. Pour lui « Mais il y avait aussi des instituteurs européens compétents et ayant l'amour du métier. Même marqués par l'empreinte coloniale, ils ne pouvaient, de par leurs origines et leurs fonctions, partager intégralement les conceptions régnant en milieu administratif ; ils croyaient à la « mission civilisatrice » de la France ; ils croyaient à leur tâche d'éducateurs chargés de former des « Français Africains » et ces vues, en dépit de leurs aspects paternalistes, les conduisaient souvent à aller dans leur enseignement au-delà des limites fixées par la prudence coloniale »

Jean Suret-Canale justifie aussi cette différence de traitement entre Français et Africains :

« Mais il y avait aussi des instituteurs européens compétents et ayant l'amour du métier. Même marqués par l'empreinte coloniale, ils ne pouvaient, de par leurs origines et leurs fonctions, partager intégralement les conceptions régnant en milieu administratif ; ils croyaient à la « mission civilisatrice » de la France ; ils croyaient à leur tâche d'éducateurs chargés de former des « Français Africains » et ces vues, en dépit de leurs aspects paternalistes, les conduisaient souvent à aller dans leur enseignement au-delà des limites fixées par la prudence coloniale »

La différence de condition et de traitement entre Européens et Africains persistera encore longtemps, et ne fut remise en cause que bien après la Deuxième Guerre mondiale.

 

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20 mai 2018 7 20 /05 /mai /2018 07:31

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (2)

En France, un débat long et âpre : 1878- 1946.

L’Afrique après le partage : 1885. Afrique britannique, française, allemande, portugaise, belge.

 

La perspective de l’ouverture des études supérieures aux autochtones des colonies ébranla sans doute  la conscience de quelques membres des gouvernements successifs, de même que des intellectuels de haut rang.

 

Les doctrinaires de l’enseignement différencié

         Diversité et convergence des arguments

 

De tous les opposants à l’instruction des indigènes en langue française, Louis Vignon (1859-1932), professeur à l’École coloniale, fut sans aucun doute le plus déterminé, le plus constant et le plus prolixe. Il fut surtout celui qui développa l’argumentaire le plus riche et le plus varié, et surtout, le plus incisif.

Pour lui, s’il faut, malgré tout, instruire les indigènes, cela doit se faire uniquement dans leur langue et cette instruction doit se placer « au seul point de vue utilitaire ».

Concrètement, pour Vignon « une grosse difficulté est la résistance que présente l’intelligence même des autochtones »

Une autre difficulté pour lui se présente dans le coût financier, « le poids de la dépense que représenterait l’instruction dispensée aux indigènes en français, notamment le recrutement des maîtres en métropole ».

Louis Vignon a un autre souci, de nature philosophique et culturel, celui de « dénationaliser nos sujets par une instruction trop européenne ».

Le professeur Vignon s’indigne par ailleurs de constater que la question de l’instruction des indigènes ne figurait pas initialement dans le projet et dans le programme de colonisation de la France avant 1892. « Et voilà que tout à coup, en cette année 1892, un cri est jeté : il faut instruire nos indigènes ! ».

Et Vignon de s’en prendre à ceux qu’il nomme « les zélés de l’instruction des indigènes ». Le premier visé est Jules Ferry. Sous l’impulsion de ce dernier en effet, dans la foulée des réformes qui ont abouti aux lois scolaires de 1881-1882, quelques écoles aux ambitions limitées : enseignement d’un français sommaire associé à une « légère formation professionnelle », furent initiées en Kabylie (Algérie).

Les responsables fanatiques de cette tendance sont : « Jules Ferry, Burdeau, Léon Bourgeois, Combes qui se montrèrent parmi les plus ardents ».

Vignon semble ne pas croire un seul instant à l’intérêt de cette instruction des indigènes en français, n’y voyant que des inconvénients pour la France ainsi que pour les indigènes eux-mêmes à terme.

Prenant le contre-pied d’un partisan de l’instruction des indigènes en français, il écrit :

« Encore Albin Rozet, Paul Bourde jugeaient-ils hier le mouvement trop lent. « Le jour, écrivait le premier, où notre Nord-Africain parlera français, il sera véritablement une terre française et un prolongement de la patrie. Il sentira et pensera comme la France. » Et Bourde dans le Temps : « L'enseignement des indigènes est la clef de voûte de notre œuvre au delà de la Méditerranée. De lui dépend l'avenir de notre nation elle-même, car ce n'est que par l'instruction que la France peut espérer absorber les 15 millions d'indigènes qu'elle va désormais porter logés dans ses flancs. »

Ce sont là, hélas, des attitudes, des mots et, pour partie, des illusions ! La question est loin d'être aussi simple parce qu'au fond, et tréfonds, on rencontre l'irréductible opposition des mentalités, des civilisations ; que ces mentalités sont édifiées à travers les âges. Africains et Asiatiques ne sont point, comme le croient les assimilateurs idéologues, des « attardés » qu'il suffit de prendre par la main pour .en faire des Français ; ce sont d'autres hommes. La seule présence des européens, leur mode de vivre, leur action économique troublent déjà les indigènes profondément, et sur tous les points du monde. Leur porter avec précipitation langue, livres, idées, les troublera bien davantage. S'il ne s'agissait que de mettre le Noir, l'Arabo-Berbère, l'Annamite en état d'échanger avec son administrateur, son employeur, les mots usuels nécessaires : réclamations, explication de la feuille d'impôt, conditions d'engagement de travail, taux du salaire... cela ne soulèverait aucune objection. Une question seulement se poserait, qui, suivant les possessions, recevrait différentes réponses : sur tant de millions d'indigènes, combien en est-il de centaines ou de milliers qui aient suffisamment chance de rencontrer administrateurs ou colons pour qu'il soit nécessaire de leur donner ce petit bagage ? et pour, l'ayant acquis, l'entretenir et le conserver ? Mais, — et voici la grosse préoccupation, le danger, — l'enseignement de notre langue ne portera pas à nos sujets que des mots, il leur portera aussi des idées, idées tout à fait différentes des leurs, élaborées peu à peu à travers les siècles par des cerveaux autrement construits, travaillant autrement. »

 

De toute évidence, Vignon ne croit guère aux arguments des partisans de l’assimilation par le truchement de la langue française.

Scepticisme ainsi exprimé :

« avant de songer à jeter dans le courant de la civilisation européenne des esprits qui en sont si éloignés, il serait mieux de s’inquiéter de la place que pourront prendre "nouveaux instruits" et "intellectuels" dans leur propre pays. D’abord, pourquoi le dissimuler ? Il n’est pas certains que, du moins pendant un temps, ils reçoivent au sortir de nos écoles bon accueil de la part de leurs coreligionnaires. En q’y rendant, ne se sont-ils pas, en quelque sorte, mis hors de la communauté ? »

Poursuivant son argumentation, de l’Afrique du Nord à l’Afrique noire :

« En Afrique noire, la question se présente sous d'autres aspects. Ici, comme au Maghreb, la nécessité d'une langue véhiculatrice se fera peu à peu sentir, — nécessité économique, politique aussi, pour cette raison qu'à des tribus différentes, parlant cent dialectes et qui se battaient hier, nous avons imposé la paix française. Poussés par la nécessité, les Noirs de quelques parties du Sénégal, ont essayé, un temps, d'écrire leurs parlers avec les caractères arabes, mais outre l'imperfection du système, il ne serait pas sage de favoriser dans nos possessions la propagation de la langue en laquelle s'écrit le Coran. »

Et, comme prenant à témoin la conscience nationale, aujourd’hui et demain, il présente sa réflexion et son point de vue sur cette question sinon comme un devoir, du moins comme service rendu à sa patrie.

« Les préoccupations n’ont cessé d’apparaître à chaque ligne de cette étude, comme le souci de tenir à une juste mesure — mesure que nos gouverneurs tentent toujours de passer. La difficulté, pour nos sujets, de prendre d'un coup l'instruction française, de retenir ce qui leur aura été enseigné ; celle, pour les gouvernements coloniaux, de recruter de bons maîtres ; puis, encore, la préoccupation de résister à l'élévation des dépenses afin de boucler leur budget, constitueront des "surfaces de flottement" qui modéreront la "fureur scolaire". Si, — et en quelle mesure, — nos indigènes se modifieront au contact des idées nouvelles ; s'ils se rapprocheront ou éloigneront de leurs éducateurs, l'avenir le dira. Une seule chose apparaît dès maintenant certaine au sociologue, c'est que l'instruction primaire, professionnelle, secondaire, supérieure, technique ne transformera nulle part Noirs, Arabo-Berbères et Jaunes en des Français : déterminés physiologiquement et psychologiquement dans leur mentalité par l'hérédité, le milieu, la société, ils demeureront ce qu'ils sont, des Noirs, des Arabo-Berbères, des Jaunes, n'évolueront que suivant les possibilités et les modes de représentation de leurs cerveaux. »

Puis,

« Ainsi la France est la seule nation coloniale qui, obéissant au sentiment, méconnaissant les faits, a, dès la première heure, donné à ses sujets des droits politiques extraordinaires ; la seule qui convie leurs élus non seulement dans des assemblées locales, mais encore dans les assemblées métropolitaines. Ce faisant elle expose ses colons, sa domination, aux plus graves dangers en même temps qu'elle dévoye les populations ; ce faisant elle refuse de tenir compte des enseignements de la nature. »

Enfin, Louis Vignon clôt son long exposé, dense et argumenté par une mise en cause générale de la politique coloniale de la France au début du 20e siècle.

« Une chose est apparue bien nettement : la confusion des méthodes et des principes, l'incohérence des solutions, la contradiction des résultats. »

Sans avoir la densité, la variété et la force de conviction de l’argumentation du professeur Vignon, Georges Hardy est aussi un farouche défenseur de l’enseignement différencié. Pour lui, c’est une véritable aberration que d’enseigner le même programme aux élèves de métropole et à ceux des colonies.

Georges Hardy (1884-1972)

Georges Hardy, professeur d’histoire, haut fonctionnaire de l’Enseignement colonial. Il est l’artisan d’une réforme profonde de l’enseignement dans les colonies françaises.

 

Plaidoyer pour un enseignement différencié dans les colonies

         École de l’élite

         École de la masse

 

Sa philosophie de l’instruction des indigènes est des plus simples et des plus limpides.

Pour lui « les écoles coloniales ne doivent former, parmi les indigène qu’un petit nombre d’élites dont les autorités ont besoin pour faire fonctionner les rouages de la colonisation en dispensant à la masse un enseignement minimal. »

Georges Hardy considérait en effet, comme « dangereux pour le système colonial donc pour la métropole, la formation d’élites indigènes nombreuses, surnuméraires, qui s’insurgeraient si l’on ne pouvait leur offrir d’emplois à la hauteur de leur qualification. Elles nourriraient un sentiment de frustration qui les pousserait à embrasser la cause nationaliste ou indépendantiste ».

Il écrivait à ce propos en 1932, dans la revue L’Afrique française, s’agissant du système d’enseignement colonial

« il faut prévoir, pour les autres, c’est-à-dire la majorité, un vaste "terre-plein" qui restera au niveau de la vie indigène et qui la refléterait fidèlement. Autrement, établir une séparation nette entre les écoles destinées à former des élites, et une école populaire, une bonne école toute simple, pas savante pour un sou, exclusivement consacrée à améliorer le genre de vie traditionnel, soucieuse avant tout de ne pas déraciner, de ne pas désaxer, de ne pas déséquilibrer… »

Simple et pragmatique à souhait, cette philosophie de Georges Hardy rallia nombre de suffrages dans les rangs des opposants à l’enseignement unifié.

Parmi toutes les voix plaidant pour un enseignement différencié et spécifique aux colonies, la plus éminente fut celle dAlbert Sarraut, le deuxième plus grand théoricien de la colonisation française avec Jules Ferry, par sa longévité politique. Avocat, député radical-socialiste  de 1902 à 1924 ,puis sénateur radical-socialiste de 1926 à 1940, plusieurs fois ministre, notamment ministre des colonies de 1920 à 1931, puis de 1932 à 1933, il eut la haute main sur l’enseignement colonial pendant toute la durée de l’entre-deux-guerres et fut unanimement considéré comme le principal responsable de ce département jusqu’en 1940.

Sa personnalité et ses principales responsabilités politiques et gouvernementales (gouverneur général de l’Indochine : 1926-1928,puis de 1934 à  1935 ; président du Conseil  octobre-novembre 1933, puis janvier-juin 1936), firent de lui, le mieux placé de tous pour faire admettre la nécessité de prévoir pour les colonies, un enseignement différent de celui de la métropole.

Albert Sarraut (1872-1962)

Le triomphe de l’enseignement différencié dans les colonies

 

C’est donc tout naturellement qu’Albert Sarraut, ministre des Colonies fixe le cap.

« Instruire les indigènes est assurément notre devoir... Mais ce devoir fondamental s'accorde par surcroît avec nos intérêts économiques, administratifs, militaires et politiques les plus évidents.

L'instruction en effet, a d'abord pour résultat d'améliorer la valeur de la production coloniale en multipliant dans la foule des travailleurs indigènes la qualité des intelligences et le nombre des capacités ; elle doit en outre, parmi la masse laborieuse, dégager et dresser les élites de collaborateurs qui, comme agents techniques, contremaîtres, surveillants, employés ou commis de direction, suppléeront à l'insuffisance numérique des Européens et satisferont à la demande croissante des entreprises agricoles, industrielles ou commerciales de colonisation... »

C’est également A. Sarraut qui mit un terme au long débat sur l’ouverture de l’enseignement supérieur aux autochtones. Là, comme ailleurs, sa voix fut prépondérante. Il fixa les règles et sa philosophie en ce domaine.

« Les hautes spéculations sont un vin capiteux qui tourne facilement les têtes. Certains tempéraments n’offrent aucune résistance aux excitants… l’enseignement supérieur suppose, avec hérédité préparatoire, un équilibre des facultés réceptives, un jugement dont seule une faible minorité de nos sujets et protégés sont encore capables… »

 

 

Quelques années plus tôt, un autre haut fonctionnaire du ministère des Colonies, Charles Régismanset (1877-1945), écrivait dans un essai (1907):

« Je ne souhaite point que l’éducation noire soit poussée trop avant… tant que les populations  seront les plus faibles, elles admettront le droit du plus fort. Le jour où le "plus fort" désarmerait, le jour où elles auraient compris l’admirable mensonge de toutes ces abstractions, elles auraient tôt fait — les Amanites nous en donnent déjà un avant-goût — de dénoncer ce prétendu "contrat d’association", de s’insurger contre la tutelle et l’exploitation européennes ».

Et il résume sa philosophie en cette formule lapidaire : « assimilation irréalisable ou association hypocrite, deux systèmes également en contradiction flagrante avec le fait. »

 

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13 mai 2018 7 13 /05 /mai /2018 07:15

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (1)

En France, un débat long et âpre : 1878- 1946.

L’Afrique après le partage : 1885. Afrique britannique, française, allemande, portugaise, belge.

C’est la IIIe République qui ressuscita l’ambition coloniale de la France, même si la présence française en Afrique est antérieure à son avènement.

Des objectifs précis de l’expansion de la France en Afrique

Objectifs économiques

Objectifs civilisationnels : diffuser les Lumières et les principes de la Révolution de 1789.              

               -le Devoir de civiliser

           -éduquer pour assimiler

           -promouvoir l’« Africain français »

Discours et projets coloniaux : les différents points de vue

français

Discours de Jules Ferry 28 juillet 1885, à la Chambre des députés :

« Au point de vue économique, pourquoi des colonies ? … La forme première de la colonisation, c’est celle qui offre un asile et du travail au surcroit de population des pays pauvres ou de ceux qui renferment une population exubérante.

Mais il y a une autre forme de colonisation. Les colonies sont pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux. Au temps où nous sommes et dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché…

Messieurs, il y a un second point, un second cadre d’idées que je dois également aborder… C’est le côté humanitaire et civilisateur de la question… Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures…parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures…

À l’heure qu’il est, vous savez qu’un navire de guerre ne peut pas porter, si parfaite que soit son organisation, plus de quatorze jours de charbon, et qu’un navire qui n’a plus de charbon est une épave, sur la surface des mers, abandonnée au premier occupant. D’où la nécessité d’avoir sur les mers des rades d’approvisionnement, des abris, des ports de défense et de ravitaillement. »

britannique

Discours de Chamberlain, Premier ministre britannique, 1886

« Une nation est comme un individu ; elle a des devoirs à remplir et nous ne pouvons plus déserter nos devoirs envers tant de peuples remis à notre tutelle…

C’est notre domination qui, seule, peut assurer la paix, la sécurité et la richesse à tant de malheureux qui, jamais auparavant, ne connurent ces bienfaits. Et c’est en achevant cette œuvre civilisatrice que nous remplirons notre mission nationale, pour l’éternel profit des peuples à l’ombre de notre sceptre impérial. »

allemand

Discours de Leo von Caprivi chancelier allemand, 1890

« Un peuple a besoin de terre pour son activité, de terre pour son alimentation. Aucun peuple n’en a autant besoin que le peuple allemand qui se multiplie si rapidement, et dont le vieil habitat est devenu dangereusement étroit. Si nous n’acquérons pas bientôt de nouveaux territoires, nous irons inévitablement à une effrayante catastrophe. Que ce soit au Brésil, en Sibérie, en Anatolie ou dans le sud de l’Afrique, peu importe, pourvu que nous puissions de nouveau nous mouvoir en toute liberté et fraîche énergie, pourvu que nous puissions à nouveau offrir à nos enfants la lumière et de l’air d’excellente qualité, en quantité abondante. »

[…]

NB. Le discours de Jules Ferry, un des principaux théoriciens et idéologues de la colonisation française sous la IIIe République, est le symbole d’une synthèse rassemblant économie et devoir de civiliser. Par rapport aux autres discours, il apparaît que la France seule a pour ambition de « civiliser » et d’assimiler les indigènes.

Le projet de colonisation de la IIIe République, comme l’a rappelé Léopold Mabilleau (1853-1941), professeur et économiste français, lors du Congrès colonial de 1906 :

« La France n’a pas voulu, dans la création de ses colonies, une simple extension de sa domination commerciale. Elle y a vu un moyen de faire pénétrer chez les peuples restés en dessous du mouvement de la civilisation générale, celle de ses idées qui l’on mise précédemment en tête de la civilisation du monde […]

Quand on dit que la Franc conquiert une colonie nouvelle, cela signifie que la démocratie française prend en charge un peuple nouveau. »

Pour Alain Tirefort (thèse d’État),

« Cette "Mission" exprimée par le credo colonial voulant être comprise comme un acte de délivrance autant des tyrannies que de l’ignorance et des superstitions […] La ténébreuse et primitive Afrique trouve tout logiquement sa place au plus bas de l’échelle, attendant de l’œuvre coloniale, les clefs pour entrer dans l’orbite de la Civilisation… »

Denise Bouche corrobore cette place spécifique de la France parmi les nations d’Europe au 19e siècle :

« Les Français se sont fait, très tôt, une haute idée de la valeur de leur civilisation… Ancienne, la vocation à une mission civilisatrice a revêtu des formes variables selon les possibilités et l’idéologie du moment… »

Enfin, pour quelques théoriciens de l’expansion française en Afrique noire, le « devoir de civiliser » c’est aussi assurer un devoir d’humanité : devoir de nourrir ceux que l’on voudrait civiliser, devoir de les délivrer de l’« l’esclavage de la misère », les soigner, les instruire.

 

Précisément, l’instruction (ou l’éducation) des indigènes d’Afrique constitua un autre point de friction ou de crispation entre partisans et opposants à l’expansion française en Afrique.

Faut-il instruire les indigènes ? Faut-il leur apprendre le français, et les instruire dans notre langue ? [Comment, par qui ? Par des maîtres autochtones, ou par des maîtres recrutés spécialement en métropole à cette fin ? (ces questions trouveront leur réponse plus loin)].

 

Le débat fut encore plus vif quand il s’est agi d’instruire les petits indigènes dans la langue française.

L’État trancha en faveur de l’instruction de ses sujets coloniaux, et en français, car en matière d’enseignement dans les colonies l’État exerce un pouvoir sans partage contrairement à d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou la Belgique, où l’enseignement colonial est aux mains des missions religieuses, protestantes ou catholiques.

 

L’État considérait, en effet, cet enseignement comme une mission essentielle et publique.

Par ailleurs, comment civiliser sans instruire ? Comment assimiler des indigènes sans éducation à la France ? Toutes ces questions suscitaient des débats âpres. Débats qui furent clos par la décision du gouvernement français. Clos ? Pas vraiment, ou pas longtemps, car, au même moment, naissaient deux autres controverses d’une virulence insoupçonnée

La première portait sur les programmes scolaires qui seraient appliqués dans les écoles coloniales. Seraient-ils identiques à ceux des écoles de la métropole ? Ou au contraire, s’agira-t-il d’un programme et d’un enseignement différenciés, adaptés ? Cette lutte opposa longtemps, partisans et adversaires des programmes différenciés.

Le deuxième débat, de tous le plus virulent et le plus long, concernait la question de l’accès ou non des indigènes à l’enseignement supérieure : fallait-il ouvrir les portes de l’université aux autochtones, même avec élimination des programmes de quelques matières comme la philosophie, la psychologie…

Ce débat ne fut pas tranché avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

 

 

Qu’en pensaient les Français dans leur majorité, à la fin du 19e siècle ?

En réalité, « l’enseignement des indigènes malgré la bienveillance de principe qui lui était accordée n’était, pour l’opinion métropolitaine, qu’un souci tout à fait secondaire.

Cependant, à l’occasion de certaines crises politiques, la ferveur civilisatrice pouvait se réveiller et inciter le gouvernement central à pousser les gouvernements coloniaux à développer l’enseignement. Ce fut le cas au début de la révolution de 1848, en 1901-1903, au moment du triomphe de la laïcité et surtout après chacune des guerres mondiales, quand le développement et l’amélioration de l’enseignement apparurent comme l’une des récompenses dues à des populations fidèles à la France. » (Denise Bouche, Thèse d’État).

 

Néanmoins, une fraction de la population demeura hostile à l’instruction des indigènes en français.

 

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5 mai 2018 6 05 /05 /mai /2018 07:38

NORD-SUD : LES INÉGALITÉS DES NIVEAUX DE DÉVELOPPEMENT

LE REGARD AVISÉ DE PLANTU (2)

Plantu (dessinateur de Presse)

Sans discours !

 

Mais … Ils ne parlent pas français

 

Le trésor confisqué

 

Liberté ! Justice !...

 

Vogue la galère !

 

Une foutue crise…

(Source : CRDP Aix-Marseille)

 

Ceux qui ont, et peuvent

      Ceux qui n’ont pas et ne peuvent pas

 

Développés

      Sous-développés

(Source : Cent dessins pour les Droits de l’homme, Ligue des Droits de l’homme)

 

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27 avril 2018 5 27 /04 /avril /2018 14:00

NORD-SUD : LES INÉGALITÉS DES NIVEAUX DE DÉVELOPPEMENT

LE REGARD AVISÉ DE PLANTU (1)

Plantu (dessinateur de Presse)

Sans discours !

 

Doucement les enfants !

 

Le petit bricoleur

 

 

Quelle chance vous avez…

 

Du Nord au Sud…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonne nouvelle

 

Dialogue…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Source : CRDP Aix-Marseille)

 

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22 avril 2018 7 22 /04 /avril /2018 07:13

LE PROGRÈS ET LA SANTÉ DANS LES VILLES

Le progrès au service du bien-être des habitants de nos villes ?

Anatole France s’interroge

Anatole France (1844-1924)

 

Anatole François Thibault, dit Anatole France. Écrivain français, ses romans historiques ou de mœurs sont parfois empreints d’ironie et de scepticisme.

 

La ville moderne, un baromètre social ?

La ville dont il est ici question est une ville fictive, tout droit sortie de l’imaginaire de l’auteur, imaginaire fondé sur l’acuité du regard, la rigueur de l’analyse et le réalisme de la description.

Toute ressemblance avec nos villes modernes (ou avec l’une de ces villes) est-elle fortuite ?

 

Une cité monstrueuse

« On ne trouvait jamais les maisons assez hautes ; on les surélevait sans cesse et l'on en construisait de 30 à 40 étages, où se superposaient bureaux, magasins, comptoirs de banques, sièges de sociétés ; et l'on creusait dans le sol toujours plus profondément des caves et des tunnels. Quinze millions d'hommes travaillaient dans la ville géante, à la lumière des phares, qui jetaient leurs feux le jour comme la nuit. Nulle clarté du ciel ne perçait les fumées des usines dont la ville était ceinte ; mais on voyait parfois le disque rouge d'un soleil sans rayon glisser dans un firmament noir, sillonné de ponts de fer, d'où tombait une pluie éternelle de suie et d'escarbilles. C'était la plus industrielle de toutes les cités du monde et la plus riche. Son organisation semblait parfaite ; il n'y subsistait rien des anciennes formes aristocratiques ou démocratiques des sociétés ; tout y était subordonné aux intérêts des trusts. Il se forma dans ce milieu ce que les anthropologistes appellent le type du milliardaire. C'étaient des hommes à la fois énergiques et frêles, capables d'une grande puissance de combinaisons mentales, et qui fournissaient un long travail de bureau, mais dont la sensibilité subissait des troubles héréditaires qui croissaient avec l'âge... »

 

Une ville des puissants ?

« Cet état social semblait le mieux assis qu'on eût encore vu, du moins dans l'humanité, car celui des abeilles et des fourmis est incomparable par sa stabilité ; rien ne pouvait faire prévoir la ruine d'un régime fondé sur ce qu'il y a de plus fort dans la nature humaine, l'orgueil et la cupidité. Pourtant, les observateurs avisés découvraient plusieurs sujets d'inquiétude. Les plus certains, bien que les moins apparents, étaient d'ordre économique et consistaient dans la surproduction toujours croissante, qui entraînait les longs et cruels chômages auxquels les industriels reconnaissaient, il est vrai, l'avantage de rompre la force ouvrière en opposant les sans-travail aux travailleurs. Une sorte de péril plus sensible résultait de l'état physiologique de la population presque tout entière. "La santé des pauvres est ce qu'elle peut être, disaient les hygiénistes, mais celle des riches laisse à désirer." »

 

La ville inégale aux fractures sociales multiples

« II n'était pas difficile d'en trouver les causes. L'oxygène nécessaire à la vie manquait dans la cité ; on respirait un air artificiel ; les trusts de l'alimentation, accomplissant les plus hardies synthèses chimiques, produisaient des vins, de la chair, du lait, des fruits, des légumes factices. Les régimes qu'ils imposaient causaient des troubles dans les estomacs et les cerveaux...

Le nombre des aliénés augmentait sans cesse, les suicides se multipliaient dans le monde de la richesse et beaucoup s'accompagnaient de circonstances atroces et bizarres, qui témoignaient d'une perversion inouïe de l'intelligence et de la sensibilité.

Anatole France, L’île aux Pingouins

 

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15 avril 2018 7 15 /04 /avril /2018 07:32

LES DEUX MAINS, COOPÉRATION ET COMPLÉMENTARITÉ

Henri Focillon : Éloge de la main

Henri Focillon (1881-1943)

 

Henri Focillon, agrégé, docteur-ès-lettres. Historien de l’art et esthéticien français. Directeur du Musée des Beaux-arts de Lyon, professeur d’art et d’esthétique à la Sorbonne (1933), professeur au Collège de France, il fut également chargé de cours dans des universités américaines. De la fin du 19e siècle et la première moitié du 20e, son influence fut considérable sur l’histoire de l’art en France, en Europe et aux États-Unis.

La main, un organe supérieur méconnu

« Éloge de la main

J'entreprends cet éloge de la main comme on remplit un devoir d'amitié. Au moment où je commence à l'écrire, je vois les miennes qui sollicitent mon esprit, qui l'entraînent. Elles sont là, ces compagnes inlassables, qui, pendant tant d'années, ont fait leur besogne, l'une maintenant en place le papier, l'autre multipliant sur la page blanche ces petits signes pressés, sombres et actifs. Par elles l'homme prend contact avec la dureté de la pensée. Elles dégagent le bloc. Elles lui imposent une forme, un contour, et, dans l'écriture même, un style. »

 

Les mains actionnent le cerveau et créent l’action

« Elles sont presque des êtres animés. Des servantes ? Peut-être. Mais douées d'un génie énergique et libre, d'une physionomie — visages sans yeux et sans voix, mais qui voient et qui parlent. Certains aveugles acquièrent à la longue une telle finesse de tact qu'ils sont capables de discerner, en les touchant, les figures d'un jeu de cartes, à l'épaisseur infinitésimale de l'image. Mais les voyants eux aussi ont besoin de leurs mains pour voir, pour compléter par le tact et par la prise la perception des apparences. Elles ont leurs aptitudes inscrites dans leur galbe et dans leur dessin : mains déliées expertes à l'analyse, doigts longs et mobiles du raisonneur, mains prophétiques baignées de fluides, mains spirituelles, dont l'inaction même a de la grâce et du trait, mains tendres. La main est action : elle prend, elle crée, et parfois on dirait qu'elle pense. Au repos, ce n'est pas un outil sans âme, abandonné sur la table ou pendant le long du corps : l'habitude, l'instinct et la volonté de l'action méditent en elle, et il ne faut pas un long exercice pour deviner le geste qu'elle va faire. » ...

 

Les mains, témoins du passé, moteur du présent et de l’action au quotidien

« Quel est ce privilège ? Pourquoi l'organe muet et aveugle nous parle-t-il avec tant de force persuasive ? C'est qu'il est un des plus originaux, un des plus différenciés, comme les formes supérieures de la vie. Articulé sur des charnières délicates, le poignet a pour armature un grand nombre d'osselets. Cinq rameaux osseux, avec leur système de nerfs et de ligaments cheminent sous la peau, puis se dégagent comme d'un jet pour donner cinq doigts séparés, dont chacun, articulé sur trois jointures, a son aptitude propre et son esprit, une plaine bombée parcourue de veines et d'artères, arrondie sur les bords, unit au poignet les doigts dont elle recouvre la structure cachée. Son revers est un réceptacle. Dans la vie active de la main, elle est susceptible de se tendre et de se durcir, de même qu'elle est capable de se mouler sur l'objet. Ce travail a laissé des marques dans le creux des mains, et l'on peut y lire, sinon les symboles linéaires des choses passées et futures, du moins la trace et comme les mémoires de notre vie ailleurs effacée, peut-être aussi quelque héritage plus lointain. De près, c'est un paysage singulier, avec ses monts, sa grande dépression centrale, ses étroites vallées fluviales, tantôt craquelées d'incidentes, de chaînettes, et d'entrelacs, tantôt pures et fines comme une écriture. On peut rêver sur toute figure. Je ne sais si l'homme qui interroge celle-ci a chance de déchiffrer une énigme, mais j'aime qu'il contemple avec respect cette fière servante. »

 

« Elles ne sont pas un couple de jumeaux passivement identiques. Elles ne se distinguent pas non plus l'une de l'autre comme la cadette et l'aînée, ou comme deux filles aux dons inégaux, l'une rompue à toutes les adresses, l'autre, serve engourdie dans la monotone pratique des gros travaux. Je ne crois pas absolument à l'éminente dignité de la droite. Si la gauche lui manque, elle entre dans une solitude difficile et presque stérile. La gauche, cette main qui désigne injustement le mauvais côté de la vie, la portion sinistre de l'espace, celle où il ne faut pas rencontrer la mort, l'ennemi ou l'oiseau, elle est capable de s'entraîner à remplir tous les devoirs de l'autre. Construite comme l'autre, elle a les mêmes aptitudes, auxquelles elle renonce pour l'aider. Serre-t-elle moins vigoureusement le tronc de l'arbre, le manche de la hache ? Etreint-elle avec moins de force le corps de l'adversaire ? A-t-elle moins de poids quand elle frappe ? Sur le violon n'est-ce pas elle qui fait les notes, en attaquant directement les cordes, tandis que, par l'intermédiaire de l'archet, la droite ne fait que propager la mélodie ? C'est un bonheur que nous n'ayons pas deux mains droites. Comment se répartirait la diversité des tâches ? Ce qu'il y a de "gauche" dans la main gauche est assurément nécessaire à une civilisation supérieure ; elle nous relie au passé vénérable de l'homme, alors qu'il n'était pas trop habile, encore loin de pouvoir faire, selon le dicton populaire, "tout ce qu'il veut de ses dix doigts". S'il en était autrement, nous serions submergés par un affreux excès de virtuosité. Nous aurions sans doute poussé à ses limites extrêmes l'art des jongleurs — et probablement rien de plus. »

Henri Focillon, L’esprit des formes.

Les deux mains

Deux mains différentes mais complémentaires, coopération et complémentarité de tous les instants, dans toute action.

« Coopérer plutôt que se combattre et s’autodétruire », telle pourrait être la devise des deux mains.

 

Un modèle pour les Hommes ?

 

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