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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 09:45

chat-gif-164  S'allonger et laisser passer

 

 

Le temps vide de la méditation est, à la vérité, le seul temps plein. Nous ne devrions jamais rougir d'accumuler des instants vacants. Vacants en apparence, remplis en fait. Méditer est un loisir suprême, dont le secret s'est perdu.

[…]

Chaque fois qu'on se trouve à un tournant, le mieux est de s'allonger et de laisser passer les heures. Les résolutions prises debout ne valent rien : elles sont dictées soit par l'orgueil, soit par la peur. Couché, on connaît toujours ces deux fléaux mais sous une forme plus atténuée, plus intemporelle. 

                                                                                                       e.m. Cioran

 chat 013

 

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26 février 2012 7 26 /02 /février /2012 09:53

terre 045Dans ou hors de l’Histoire ?

 

Lors de rencontres ou de conférences, il m’a souvent été posé cette question : Que pensez-vous de cette phrase du président Sarkozy :

gif anime puces 251« L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ? ».

Tout d’abord, je pense qu’il est difficile de comprendre le sens précis de cette phrase. Que peut-elle signifier ?

A défaut d’un éclairage de l’auteur, le sens que je lui donne, c’est que l’Africain, depuis plus de cinq siècles, a perdu la maîtrise de son destin (je l’ai souvent dit et écrit moi-même et je persiste à le penser).

Si tel est bien le sens de cette phrase, les questions qui s’imposent immédiatement — étant entendu qu’il y a plus de cinq siècles, l’Africain était dans l’Histoire — sont les suivantes :

    bouton 007- Qui a poussé l’Africain hors de l’Histoire ?

 bouton 007   - Comment ?

Pour moi, la question n’est pas de savoir si l’Africain est entré dans l’Histoire ou en est sorti, mais de quelle histoire : l’histoire des vainqueurs ou celle des vaincus ?

 

A partir du XVIe siècle, le cours de l’histoire africaine change brutalement de direction. Cela se traduit pour les Africains par une perte progressive de la maîtrise de leur destin sur les plans politique, économique, culturel et identitaire. Les XVIIè et XVIIIe siècles firent vivre à l’Afrique noire les périodes les plus sombres de son histoire. Les causes de ce changement de cap historique sont la traite des Noirs (atlantique et orientale) et la décadence matérielle et humaine qu’elle induit, laquelle favorise l’occupation et la domination du continent, bref, la perte de la maîtrise de son destin.

Les XVIIe et XVIIIe siècles apparaissent alors comme une période particulière de l'histoire de l'Afrique noire, un moment entre "l'Afrique africaine" des XIe, XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles et "l'Afrique européenne" des XIXe et XXe siècles, c'est-à-dire l'Afrique coloniale. Nous sommes déjà loin de l'ère des grands empires de l'Afrique de l'Ouest : l'empire de Ghana des Xe et XIe siècles, l'empire du Mali du XIe au XVe siècle, l'empire Sonraï (ou Songhay) du XIIIe au XVIe siècle, mais aussi les royaumes Haoussa et la "civilisation" du Bénin…

A leur effritement, puis à leur disparition politique, le sable a recouvert les routes transsahariennes, celles des caravanes et du commerce ; des villes, jadis célèbres, comme Gao, Tombouctou, Djenné, Kano ne vivent plus que par leur nom et l'écho de la splendeur du passé. Désormais l'Afrique est tournée vers l'océan que sillonnent les vaisseaux européens chargés de pacotille et de chaînes, qui s'efforcent d'ouvrir les nouvelles voies d'un trafic nouveau. Et l'histoire de l'Afrique noire se confond de plus en plus avec celle de la traite atlantique. Ce n'est pas encore l'avènement de l'Afrique européenne, celle des colonies qui naîtra des assises de la conférence de Berlin en 1885. L'Afrique noire plonge lentement dans les abîmes profonds et sombres de l'histoire. Avec l'inexorable déclin de sa population, s'amorce celui de sa civilisation.

 

Les colonisateurs européens s’évertuèrent à enseigner aux Africains qu’ils n’ont ni histoire, ni civilisation, ni cultures dignes de ce nom, tentant ainsi de mettre l’Africain hors de l’Histoire.

Aujourd’hui, il appartient à ce dernier de sortir du déni de son histoire, de réhabiliter ses valeurs et renouer ainsi avec le fil de son histoire.

 

gif anime puces 029Que seraient aujourd’hui l’Afrique et les Africains sans cette rupture du cours de leur histoire ?

Autre question, autre débat.

6

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21 février 2012 2 21 /02 /février /2012 10:28

  k3366623.jpgComment voit-on l’autre ? Regards croisés


[…]


bouton 007Jacques — Ce bref exposé sur la colonisation amène à s'interroger sur la méconnaissance réciproque et l'incompréhension qui caractérisent les rapports entre Français et Africains. Comment ces deux peuples qui se côtoient si intimement depuis le XVIe siècle, qui se sont mêlés et emmêlés dans tant de circonstances heureuses et malheureuses de l'histoire, sont-ils si ignorants l'un de l'autre, si éloignés mentalement, si étrangers ? Faut-il y voir une des conséquences de cette « assimilation » manquée ?

 

bouton 007Tid — Il faudrait refaire l'histoire de la colonisation. Plutôt que d'une assimilation manquée, il s'agirait en ce cas d'une rencontre manquée.

Mais si l'on pousse cette question dans ses limites, elle ouvre un champ d'interrogation et de réflexion plus vaste, qui va au-delà du simple cas de la France et de l'Afrique et introduit au thème plus général des relations humaines et de la communication.

Pour ce qui concerne les peuples et les nations, point n'est besoin d'aller si loin jusqu'en Afrique. Penses-tu que les Anglais et les Français qui se côtoient depuis les temps les plus reculés et qui ne sont séparés que par un minuscule détroit se connaissent davantage, se comprennent mieux, sans parler des Allemands ? N'as-tu jamais lu de traités des relations entre Français et Anglais ou de la vision que les Allemands ont des Français et l'inverse, c'est-à-dire les Anglais et les Allemands dans le regard des Français ? Et que dire des Belges ? Tu y découvrirais des modèles achevés d'incompréhension, de stéréotypes.

On pourrait en dire de même entre Anglais et Irlandais, que dis-je, entre Franciliens et Bretons ou entre Parisiens et Auvergnats, au XIXe siècle notamment.

 

bouton 007Jacques — En effet, il existe tout un florilège en la matière. J'ai effectivement connu des traités sur les relations entre Français et Anglais, mais aussi entre Allemands et Français, une véritable anthologie du genre. J'en relèverai simplement quelques extraits significatifs pris au hasard, concernant d'abord la vision française des Anglais et la vision anglaise des Français.

Dans la vision française des Anglais au XIXe siècle, on peut noter cette idée répandue par le très sérieux Taine selon laquelle les « Anglais ont de grandes dents et de grands pieds ». L'explication de ces traits physiques résidant dans les aspects physiques et naturels du pays : froid, qui impose une nourriture carnée développant les mâchoires et la pratique des exercices physiques.

(Revue Historique n° 515. Problèmes de la communication franco-britannique aux XIXe et XXe siècles. François Crouzet)

François Crouzet constate en outre que, entre peuple français et peuple anglais, il est des visions moins anecdotiques et moins légères. L'une assimilait ainsi le Français « soit à l'enfant, soit à la femme et réservait aux Anglais masculinité et virilité... Aux Français également le caractère poids plume, le manque de sérieux d'un homme-pantin, gesticulant, bavard et querelleur... »

François Crouzet note aussi que le regard que les Anglais portaient sur les Français pouvait être influencé par celui qu'ils portaient sur les Allemands à la même époque. Ainsi, au XIXe siècle et dans l'entre-deux-guerres, « à l'égard de l'Allemagne, la germanophilie avait la francophobie pour contrepoids ». D'où cette vision de Carlyle, « opposant l'Allemagne noble, patiente, profonde, pieuse, solide, tendre, loyale, à la France capricieuse, superficielle, vaine et turbulente ».

Winston Churchill ne déclarait-il pas lui-même en 1941 sous forme de regret que : « le Tout-puissant, dans son infinie sagesse, n'a pas jugé bon de créer les Français à l'image des Anglais ».


bouton 007Tid — Cette vision anglaise des Français ressemble à s'y méprendre à des jugements que j'ai lus ailleurs portés par les Français des colonies d'Afrique sur leurs sujets indigènes.

 

bouton 007Jacques _ Ce bref tableau, fort incomplet, pourrait être enrichi par la vision allemande des Français incarnée dans les propos du célèbre poète national allemand Goethe (jugé le plus francophile des Allemands).

Pour Goethe, « aimable, vif, intelligent, cultivé, éminemment sociable et courtois, doué d'un sens pratique avisé et ne perdant jamais le contact avec la réalité, clair par son esprit et dans sa façon de présenter ses idées, ingénieux à les vulgariser, le Français a tous les défauts de ses qualités. Léger, frivole, superficiel, inconstant, hanté jusqu'à la manie par le souci de plaire, n'agissant jamais par désintéressement, donnant le pas à l'agrément sur la vérité, à la forme sur le fond, à la convention sur la nature, dépourvu d'idéalisme, toujours ballotté entre les idées ou les partis extrêmes, infatué de lui-même et de sa culture, incapable d'estimer ce qui n'est pas lui, méfiant et dédaigneux à l'égard de tout ce qui est étranger, esclave de son Paris, de ses traditions nationales... » (Goethe et la France. Hippolyte Loiseau)

 

Son compatriote et contemporain Lessing, dans sa Dramaturgie, s'élève contre « la duplicité française, qui sait cacher les grimaces les plus haineuses derrière le masque souriant de la politesse ».

Mais, Goethe dans son jugement, semble justifier plus loin le qualificatif defrancophile qui lui fut attribué toute sa vie lorsqu'il s'exclame :

« Comment aurais-je pu écrire des chants de haine, sans haine !

Comment, alors que civilisation et barbarie sont pour moi si importantes, aurais-je pu haïr une nation qui est au nombre des plus civilisées de la terre, et à qui je dois une si grande part de ma propre culture ? »

Et même le français (c'est-à-dire la langue française) qu’il qualifie en d'autres circonstances de langue de la perfidie par excellence, se trouve paré de grâce et de vertus quand il déclare :

« Les Français ont la langue de leur esprit et de leur tempérament ; leur langue est claire et logique comme leur esprit, faite pour les rapports sociaux, comme ils le sont eux-mêmes. Elle est gracieuse, polie, souple. Elle est par excellence le langage des cours et des gens du monde, la langue la plus commode pour les relations sociales, la langue des précautions oratoires et de la diplomatie. Le français est la langue la plus propre à la vulgarisation scientifique... »

Il est intéressant de noter que quelques années plus tôt, le même auteur affirmait : « la langue française semble avoir été créée pour exprimer ce qu'il y a de plus superficiel dans le superficiel, le français est la langue du vice et de la perfidie, la langue des réticences, des demi-vérités, du mensonge, dont la grande diffusion dans le monde s'explique, justement, parce que, entre toutes les langues, elle est la plus commode pour déguiser sa pensée, la plus commode par exemple, à l'amant préparant une trahison... ». Il fait dire ainsi à l'un de ses personnages dans sa pièce Wilhelm Meister « Dès qu'un amant a recours au français vis-à-vis de sa belle, c'est la preuve qu'il songe à la quitter. »

 

bouton 007Tid — En somme, ces regards que tente de porter Goethe, cette vision d'un peuple et de son caractère révèlent la complexité de ce genre d'exercice, la difficulté à cerner avec objectivité, à juger avec équité l'âme de tout un peuple. Comment caractériser, juger toute une nation à travers les propos et les gestes d'un seul individu sous prétexte qu'il appartient à cette nation ? C'est comme le trop fameux stéréotype du gentleman anglais à fine moustache, melon et parapluie, ou le Français à l'éternel béret et baguette de pain sous le bras...

 

bouton 007Jacques — Vision partiale et partielle.

 

bouton 007Tid — Oui. Mais toutes ces représentations, tous ces stéréotypes qui caractérisent la vision française des Anglais et la vision anglaise des Français ou encore la vision allemande des Français ont, depuis le XIXe siècle, subi une évolution certaine, des retouches plus ou moins sensibles, contrairement à la vision que les Européens en général ont de l'Afrique et des Africains. Cette vision semble s’être figée, défiant le temps.

Si l'Europe et l'Afrique n'appartiennent pas au même tronc commun de culture, elles appartiennent au tronc commun de l'humanité.

Dans cette vision que les peuples ont les uns des autres, dans ces regards croisés, chaque peuple se sert de l'autre comme d'un miroir, attendant de lui qu'il lui renvoie sa propre image en positif. Ainsi quand les Anglais disent des Français qu'ils sont hypocrites, c'est par rapport à l'image qu'ils se donnent ou qu'ils entendent qu'on leur donne, celle de la franchise et de la transparence. De même lorsque les Allemands trouvent les Français légers, superficiels, indisciplinés, c'est parce qu'ils se décernent à eux-mêmes le brevet de sérieux, de pondération et de civisme.

Lorsqu'à leur tour les Français voient les Allemands lourds, patauds, ils entendent se faire renvoyer à leur avantage, l'image de la finesse, de la politesse, celle de la délicatesse de mœurs, c'est-à-dire de l'urbanité exquise.

Ainsi, en même temps que l'autre renforce l'image qu'il souhaite se donner à lui-même, il lui faut un repoussoir qui le rassure.

 

bouton 007Jacques — Il faut à chacun son repoussoir pour être.

  • Tid- A chacun son miroir.

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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 10:28

papillon 040Paroles du BouddhaPapillons-65

 

bouton 007Moines, deux choses participent de la connaissance : le silence tranquille et l'intériorité. Si la tranquillité silencieuse est développée en soi, qu'est-ce que cela donne ? Cela permet à la conscience de se développer. Et quel est le profit tiré d'une conscience développée ? Les désirs sont alors remis à leur juste valeur et peuvent être abandonnés.

bouton 007Et si l'intériorité est développée, quel profit cela apporte-t-il ? Cela permet à la sagesse de se développer. Et quel est le profit d'une sagesse développée ? Cela conduit à abandonner toute forme d'ignorance, à couper les racines de l'ignorance.

bouton 007Une conscience troublée par les désirs ne peut se libérer ; et une sagesse troublée par l'ignorance ne peut se développer. Ainsi l'on peut faire disparaître les désirs en délivrant son esprit et on peut faire disparaître l'ignorance en délivrant sa sagesse.

Marc de Smedt, Carnets de sagesse, A Michel

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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 15:54

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La bonne mesure en toute chose pour le bien-être et le bien-faire


Marc-Aurele.jpeg

     Au petit jour, lorsqu'il t'en coûte de t'éveiller, aie cette pensée à ta disposition : c'est pour faire œuvre d'homme que je m'éveille. Serai-je donc encore de méchante humeur, si je vais faire ce pour quoi je suis né, et ce en vue de quoi j'ai été mis dans le monde ? Ou bien, ai-je été formé pour rester couché et me tenir au chaud sous mes couvertures ?

     —     Mais c'est plus agréable !

     —     Es-tu donc né pour te donner de l'agrément ? Et, somme toute, es-tu fait pour la passivité ou pour l'activité ? Ne vois-tu pas que les arbustes, les moineaux, les fourmis, les araignées, les abeilles remplissent leur tâche respective et contribuent pour leur part à l'ordre du monde ? Et toi, après cela, tu ne veux pas faire ce qui convient à l'homme ? Tu ne cours point à la tâche qui est conforme à la nature ?

     —     Mais il faut aussi se reposer.

    —     Il le faut, j'en conviens. La nature cependant a mis des bornes à ce besoin, comme elle en a mis au manger et au boire. Mais toi pourtant, ne dépasses-tu pas ces bornes, et ne vas-tu pas au-delà du nécessaire ? Dans tes actions, il n'en est plus ainsi, mais tu restes en deçà du possible. C'est qu'en effet, tu ne t'aimes point toi-même, puisque tu aimerais alors, et ta nature et sa volonté. Les autres, qui aiment leur métier, s'épuisent aux travaux qu'il exige, oubliant bains et repas. Toi, estimes-tu moins ta nature que le ciseleur la ciselure, le danseur la danse, l'avare l'argent, et le vaniteux la gloriole ? Ceux-ci, lorsqu'ils sont en goût pour ce qui les intéresse, ne veulent ni manger ni dormir avant d'avoir avancé l'ouvrage auquel ils s'adonnent. Pour toi, les actions utiles au bien commun te paraissent-elles d'un moindre prix, et dignes d'un moindre zèle ?

 

     Qu'il est aisé de repousser et d'abandonner toute pensée déplaisante ou impropre, et d'être aussitôt dans un calme parfait !

 

     Juge-toi digne de toute parole et de toute action conformes à la nature. Ne te laisse détourner, ni par la critique des uns, ni par les propos qui peuvent en résulter. Mais, s'il est bien d'agir ou de parler, ne t'en juge pas indigne. Les autres ont leur principe particulier de direction et ont affaire à leur instinct particulier. Quant à toi, ne t'en inquiète pas ; mais poursuis droit ton chemin, en te laissant conduire par ta propre nature et la nature universelle : toutes deux suivent une unique voie.

 

     J'avance sur la voie conforme à la nature jusqu'à ce que je tombe et trouve le repos, expirant dans cet air que chaque jour j'aspire, tombant sur cette terre d'où mon père a tiré sa semence, ma mère son sang, ma nourrice son lait, d'où chaque jour, depuis tant d'années, je tiens nourriture et boisson, qui me porte tandis que je marche, et dont je profite de tant de façons.

 

     On n'a pas lieu d'admirer ton acuité d'esprit. Soit. Mais il est bien d'autres qualités dont tu ne peux pas dire : « Je n'ai pour elles aucune disposition naturelle. » Acquiers-les donc, puisqu'elles dépendent entièrement de toi : sincérité, gravité, endurance, continence, résignation, modération, bienveillance, liberté, simplicité, austérité, magnanimité. Ne sens-tu pas combien, dès maintenant, tu pourrais acquérir de ces qualités, pour lesquelles tu n'as aucune incapacité naturelle, aucun défaut justifié d'aptitude ? Et cependant tu restes encore de plein gré au-dessous du possible. A murmurer, lésiner, flatter, incriminer ton corps, chercher à plaire, te conduire en étourdi et livrer ton âme à toutes ces agitations, est-ce le manque de dispositions naturelles qui t'y oblige ? Non, par les Dieux ! Et, depuis longtemps, tu aurais pu te délivrer de ces défauts, et seulement, si c'est vrai, te laisser accuser de cette trop grande lenteur et de cette trop pénible difficulté à comprendre. Mais, sur ce point même, il faut t'exercer, et ne point traiter par le mépris cette lourdeur, ni t'y complaire.

 

     Celui-ci, lorsqu'il a favorablement obligé quelqu'un, est tout prêt à lui porter en compte ce bienfait. Celui-là n'est pas prêt à se comporter ainsi, mais toutefois il considère, à part lui, son obligé comme son débiteur, et il sait ce qu'il a fait. Cet autre ne sait plus, dans une certaine mesure, ce qu'il a fait ; mais il est semblable à la vigne qui porte du raisin et ne demande rien autre une fois qu'elle a produit son fruit particulier, semblable au cheval qui a couru, au chien qui a chassé, à l'abeille qui a fait son miel. Cet homme, en obligeant quelqu'un, ne cherche pas à en tirer profit, mais il passe à un autre bienfait, comme la vigne qui, la saison venue, produit à nouveau du raisin.

     —     Il faut donc être de ceux qui agissent, dans une certaine mesure, sans s'en rendre compte ?

     —     Oui.

   —     Mais il faut pourtant s'en rendre compte, car c'est le propre, dit-on, d'un être sociable, de sentir qu'il agit pour l'intérêt social, et de vouloir, par Zeus, que son obligé le sente aussi.


     [...]

 

     Ne te rebute pas, ne te dégoûte pas, ne te consterne pas, si tu ne parviens pas fréquemment à agir en chaque chose conformément aux principes requis. Mais, lorsque tu en es empêché, reviens à la charge et sois satisfait, si tu agis le plus souvent en homme. Aime ce à quoi tu retournes et ne reviens pas vers la philosophie comme vers un maître d'école, mais comme ceux qui ont mal aux yeux retournent à la petite éponge et à l'œuf ; comme un autre malade, au cataplasme, et comme tel autre, à la compresse humide. En agissant ainsi, tu ne feras point parade de ton obéissance à la raison, mais auprès d'elle tu trouveras le calme. Souviens-toi aussi que la philosophie ne veut pas autre chose que ce que veut la nature, alors que toi, tu voulais quelque chose qui n'était pas conforme à la nature. Et, de ces deux choses, quelle est celle, en effet, qui est la plus apaisante ?

     —     N'est-ce point par l'attrait même de cet apaisement, que le plaisir nous égare ?

     —     Mais examine donc s'il n'y a pas plus d'apaisement dans la grandeur d'âme, la liberté, la simplicité, la bienveillance, la sainteté ? Quant à la sagesse, qu'y a-t-il de plus apaisant, si tu considères la stabilité et la prospérité qui proviennent en toutes tes actions de cette faculté d'intelligence et de science ?

Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même

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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 11:32

Le printemps sous les tropiques

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Le Sénégal est en ébullition, les émeutes violentes ayant fait des morts et des centaines de blessés. Un climat quasi insurrectionnel semble s’installer dans le pays.

          Quelle est donc cette fièvre insolite qui s’empare d’un peuple traditionnellement frondeur mais paisible ?

          La crispation s’est faite autour de l’attitude du président A. Wade, élu en 2000, réélu en 2007 (au 1er tour avec 54% des voix), et qui souhaite briguer un 3e mandat en 2012. La Constitution du pays limite à 2 le mandat présidentiel. M. Wade soutient que les réformes constitutionnelles de 2001 et 2008 l’autorisent à briguer un nouveau mandat.

          Cette lecture de la Constitution n’est pas celle de l’opposition qui a posé un recours en annulation de sa candidature auprès du Conseil constitutionnel. Le rejet de ce recours dimanche 29 janvier fut le détonateur des manifestations et des violences qui, depuis, embrasent le pays. La spécificité de ce conflit électoral sénégalais mérite d’être soulignée.

          Face au président sortant, âgé de 85 ans, des opposants dont la plupart sont des proches, font de l’invalidation de sa candidature une « exigence nationale ». Parmi eux, deux de ses anciens Premiers ministres, un ancien ministre des Affaires étrangères, ainsi que d’anciens cadres éminents de son parti, le parti démocratique sénégalais (PDS)


fleche 026  Autre curiosité : des recours croisés.


          Le président à son tour a posé un recours contre la candidature de ces proches auprès du Conseil constitutionnel, leur enjoignant de produire un document prouvant qu’ils sont en règle vis-à-vis de l’administration fiscale, condition de la validation de leur candidature. Pour compliquer le tout, un chanteur populaire, jouissant d’une notoriété internationale, Youssou N’Dour (52 ans), a vu sa candidature rejetée par le Conseil constitutionnel au motif qu’il n’a pas présenté suffisamment de signatures valides pour la soutenir. Le chanteur-candidat accuse le président sortant d’être à l’origine de ce rejet.

          Cet imbroglio électoral en ajoute à la confusion générale, et attise les rancœurs qui alimentent les violences, lesquelles agitent le pays depuis janvier 2012. Ces agitations ne sont que la manifestation de l’exaspération suscitée par la tentative du président Wade de modifier la Constitution à quelques mois de l’échéance électorale de 2012.


          Déjà le 23 juin 2011 éclataient de violentes émeutes qui firent de nombreux blessés. Ces émeutes s’étaient produites au moment même où l’Assemblée nationale examinait un projet de loi proposé par A. Wade visant à faire élire au scrutin de février 2012, un président et un vice-président avec un minimum de 25% au premier tour. Beaucoup de Sénégalais soupçonnent le président de  vouloir préparer ainsi sa succession par son fils (devenant vice-président), Karim Wade, actuel ministre d’État, qui cristallise les mécontentements. Sous la pression de la rue et des critiques de l’étranger, notamment celles du président Obama, le texte fut retiré et le projet abandonné. Cette initiative avortée a eu l’effet d’un ciment liant l’opposition politique, la société civile, les mouvements divers dont celui des jeunes rappeurs au nom symbolique « Y’ en a marre ! ».

          D’autres émeutes suivirent 4 jours plus tard, en rapport avec les carences administratives, et qui firent rapidement la jonction avec le climat politique ambiant, entraînant la cristallisation des mécontentements autour de ce qui fut désormais considéré comme la tentative de « coup d’Etat constitutionnel » du président Wade. L’opposition réussit ainsi à fédérer la société civile, les jeunes. Ainsi les émeutes qui éclatèrent à partir du 27 juin 2011, avaient pour acteurs les habitants de Dakar et de sa banlieue, excédés par les nombreuses et continuelles coupures de courant paralysant le pays.

          De manière symbolique, les manifestants incendièrent plusieurs bâtiments publics dont celui des impôts et celui de la Société nationale d’électricité. La dégradation des conditions de vie, le coût des produits de première nécessité, le chômage, notamment des jeunes diplômés, ainsi que l’accès difficile aux services de base, alimentent le cocktail qui détonne et embrase le pays depuis ce début 2012. Comme le pouvoir est incapable de résoudre la question sociale, les revendications se portent sur le terrain politique.


 fleche 026A cet égard, l’avenir du pays interroge.


bouton 007Ces soubresauts sont-ils le révélateur d’une dégradation de la situation générale, politique et sociale du Sénégal ?

bouton 007L’attitude de M. Wade surprend et intrigue, eu égard à son parcours, à son profil d’intellectuel de premier plan, professeur d’université, de même qu’à ses 26 ans d’opposition (au nom de la démocratie) et ses 12 ans de pouvoir. Où va le Sénégal ?


          Le pays donne le sentiment d’une embardée, d’une marche à reculons, après un parcours presque rectiligne depuis les indépendances en 1960. Les prédécesseurs de M. Wade (L.S. Senghor et A. Diouf) avaient donné l’impression d’avoir contribué à l’ancrage de la démocratie dans leur pays par la gestion réussie de l’alternance et par la manière élégante dont ils ont quitté le pouvoir (en 1980 pour L.S. Senghor et en 2000 pour A. Diouf).


bouton 007Les manifestations d’aujourd’hui résultent-elles en partie de ce constat, ou doivent-elles quelque chose aux révolutions arabes ?

bouton 007 Le Sénégal serait-il à son tour touché par le vent du printemps arabe ?

 

          Sans doute, mais à la marge. La personnalité du Sénégal, sa culture, sa sociologie, feraient plutôt penser à une différence de fond de prime abord. Au Sénégal, la contestation sociale est une tradition ancienne, même si depuis quelques années elle est plus fréquente et se radicalise de plus en plus.

          D’autre part, à la différence de la majorité des pays africains, l’expression démocratique est bien ancrée au Sénégal. Le multipartisme intégral, c’est-à-dire sans restriction, y est établi depuis 1981. La liberté d’expression y est une réalité, celle de la presse également (en dépit de quelques accrocs ces dernières années). Autre preuve de cette liberté relative, les manifestations en tous genres, celle du 23 juin 2011 comme celle du 1er février 2012, sont toutes autorisées par le pouvoir, bien qu’il en soit la principale cible. Tout cela marque une différence avec le régime d’un Ben Ali ou d’un Moubarak.

          Les symboles et les slogans au cours des manifestations dénotent cette différence. Le déploiement du drapeau national est de rigueur et le slogan le plus usité, le 23 juin 2011, comme lors des manifestations de janvier 2012, c’est « touche pas à ma Constitution »…

          Certes le contexte international, l’impressionnante mobilisation du printemps arabe, en Tunisie ou en Egypte, peuvent inspirer les manifestants sénégalais.Ainsi a-t-on entendu des « Wade dégage » comme « Ben Ali dégage »…


fleche 026Autre constat :

 

          Au Sénégal, aucun manifestant, aucun opposant n’a demandé le départ du président Wade avant la fin de son mandat, preuve que les manifestations avaient pour objectif prioritaire le retrait du projet de Constitution de juin 2011, et la validation de la candidature d’A. Wade en janvier 2012.

 

          Indépendamment de l’aspect institutionnel, d’autres facteurs, notamment socioculturels, marquent la différence. Le Sénégal n’est ni la Tunisie, ni l’Egypte. Par conséquent, le printemps arabe ne serait au Sénégal qu’un printemps tempéré, un printemps sous les tropiques, avec les couleurs du pays, où la flamme de la révolution aurait plus de mal à briller.


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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 10:20

001-CContre l’insécurité, l’union sacrée !

     Invité à donner une conférence sur le thème de l’insécurité dans la zone sahélienne en avril 2011, j’ai exprimé mon pessimisme, du moins à court et moyen terme, quant à la possibilité d’éradiquer l’insécurité régnant dans cet espace sans y consacrer les moyens nécessaires. Mes hôtes, organisateurs de cette rencontre ont semblé dubitatifs, voire déçus par mes propos, et sans doute aussi par l’énumération des obstacles qui, selon moi, s’opposent à une normalisation rapide de la situation.

     Invité ainsi à livrer ma vision du phénomène de l’insécurité au Sahel, je me devais d’utiliser un langage de franchise, en accord avec ma connaissance du sujet et mes convictions du moment, sans m’abriter derrière un discours de complaisance en vue de contenter l’auditoire composé pour l’essentiel de membres de comités de jumelage avec des communes du Nord-Mali, dont ils se trouvaient coupés du fait de l’insécurité et des injonctions du gouvernement français les dissuadant de se rendre dans la région.

     Malheureusement pour eux, il me manquait les arguments autorisant un optimisme sans réserve. Quels étaient mes arguments d’alors ?
    — La complexité inouïe du problème qui mêle mobiles politico-religieux, politico-mafieux, irrédentisme, banditisme crapuleux, trafics illicites en tous genres, à cette complexité se greffant la diversité des protagonistes et des intérêts.
     — La faiblesse des moyens déployés par les Etats riverains du Sahel, accentuée par l’immensité de l’espace concerné, et la désunion des mêmes Etats, ou à tout le moins, la difficulté à coordonner leurs efforts et leurs visions.
     — Les retombées de la guerre civile en Libye et la dissémination des armes provenant du pillage des arsenaux libyens.
     — La misère enfin, qui fournit à Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) des déshérités de toute provenance, en même temps qu’elle met sur les routes de l’aventure et des trafics illégaux toute une armée de laissés-pour-compte et de "meurt-la-faim".

     A tout cela s’ajoute une autre réalité : la zone du Sahel fut et demeure un espace de trafics en tous genres, licites et illicites, depuis les temps les plus reculés ; hier, trafics de marchandises diverses, d’êtres humains ; aujourd’hui, trafics de stupéfiants, de cigarettes et … toujours d’êtres humains, avec prises d’otages et rapts.

     Force est de reconnaître que la question sécuritaire au Sahel se pose aujourd’hui, avec encore plus d’acuité, depuis cette conférence d’avril 2011. Une revue de presse sommaire comme suit, révèle à la fois la complexité du phénomène et la difficulté d’y apporter des remèdes sans y mettre les conditions.

gif anime puces 025Aqmi, effets collatéraux de la révolution libyenne et irrédentisme touareg

« Un groupe de dissidents d’Aqmi revendique l'enlèvement de trois occidentaux

Dans un double message audio et écrit, l’enlèvement de trois Européens (deux Espagnols et un Italien) le 23 octobre 2011 à Tindouf, dans l’ouest de l’Algérie a été revendiqué hier, samedi 10 décembre 2011 par un groupe dissidents d’Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique). Des sources sécuritaires avaient depuis quelques jours annoncé la création de ce groupe.

Avec notre correspondant à Bamako

« Jamat tawhid wal jihad fi gharbi Ifriqqya » : voilà le nom de la nouvelle branche d’al-Qaïda en Afrique. Une traduction littérale donne : « Mouvement unité pour le jihad en Afrique de l’Ouest ». En clair, la nouvelle ambition des héritiers de feu ben Laden est de s’installer et d’être opérationnel en Afrique de l’Ouest.

L’Afrique de l’Ouest, c’est au bas mot 5 millions de kilomètres carrés. Et en revendiquant l’enlèvement fin octobre de trois humanitaires européens dans le quartier général du Front Polisario, le message d’Al-Qaïda en Afrique de l’Ouest est sans ambiguïté. Après le Maghreb, après le Sahel africain, l’Afrique au sud du Sahara deviendra le nouveau terrain de bataille.

Les spécialistes parlent déjà de « cellules dormantes » d’Al-Qaïda dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest. Cellules dormantes, mais aussi de « cellules éveillées ». Et quand on sait que sur trois ressortissants de l’Afrique de l’Ouest, deux sont originaires du Nigeria, pays où sévit la secte Boko Haram, compagnon de route d’Al-Qaïda, il y a danger. Ce qui fait dire à des participants à une rencontre sur les crises au Sahel, qui se tient actuellement à Bamako, que plus que des calmants, une thérapie de choc est nécessaire pour vaincre le terrorisme. »
                                      Correspondant de RFI à Bamako, Mali.
                                      Article du 11 déc. 2011.

« Insécurité États unis du Sahel

Comment lutter contre Aqmi et la dissémination des armes? Des centaines d'élus et de représentants de la société civile venus de toute la région se sont concertés à Bamako les 10 et 11 décembre.

Regain d'activité des salafistes d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui multiplient les prises d'otages et ont assassiné un touriste allemand à Tombouctou, retour dans leur pays - le Mali - de centaines de vétérans de la Légion verte (une brigade de l'armée libyenne créée au milieu des années 1980), résurgence de la revendication indépendantiste avec la création d'un mystérieux Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA)... Le Nord-Mali, et plus largement le Sahel, est au centre de toues les préoccupations et occulte le reste de l’actualité… »
                                                Jeune Afrique, 18-24 déc. 2011

« Insécurité-Mali : Le bal des barbouzes

Laboratoire magnifié de la démocratie depuis l'effondrement de la dictature du Général Moussa Traoré en 1991, le Mali est, sur le plan sécuritaire, désormais logé à l'enseigne d'un pays en voie de sinistre. Voire de naufrage. Par le truchement d'une actualité de feu et de frayeur, ce vaste pays (voisin oriental du Sénégal) marche au bord du précipice : prise d'otages sanglante, harcèlement des postes militaires et - comble d'inquiétude - parfum de sécession avec le flottement d'un nouveau drapeau dans la région de l'Azawad, c'est-à-dire grossièrement le septentrion malien.

Certes, l'ancien Soudan est depuis longtemps affecté par deux maux (endogène et exogène) que sont le vieil irrédentisme armé de la minorité blanche (les Touaregs) et le débordement de la guerre civile algérienne sur son sol ; mais le brutal constat est que les effets collatéraux de la crise libyenne ont surdimensionné les risques de déstabilisation du Mali, dont la désintégration diffuserait des ondes de choc dans les 7 Etats (un record de voisinage) qui l'entourent : Algérie, Niger, Burkina, Côte d'Ivoire, Guinée-Conakry, Sénégal et Mauritanie. Perspective géopoliti-quement cauchemardesque qui justifie la fébrilité des chancelleries diplomatiques, l'effervescence des états-majors militaires et l'offensive des services de renseignements. A cet égard, l'enchaînement des évènements laisse les observateurs fortement songeurs ; et les Maliens visiblement affolés.

En octobre dernier, la défaite et la dislocation de l'armée de Kadhafi ont entrainé le retour au bercail de 400 Touaregs longtemps militaires en Libye. Chose inédite et inquiétante, la noria de véhicules 4x4 bourrés d'armes a traversé le sud algérien, avant de se positionner et d'incruster ses occupants dans le désert immense, rocailleux, sablonneux et montagneux de la région de Gao. Donc d'accès difficile aussi bien pour l'armée malienne que pour les unités françaises en mouvement dans le secteur.

Dans la nuit du 23 au 24 novembre, deux ressortissants français sont capturés dans la petite ville de Hombori. Une action très en profondeur des hors-la-loi, puisque la localité se trouve au sud du fleuve Niger qui, sur les cartes d'Etat-major, est censé représenter la ligne de démarcation entre la partie sûre du territoire et la zone où l'Etat est en liquéfaction plus ou moins volontaire. Mais aussi, une présence très avancée (finalement troublante) dans une région au-delà de laquelle se trouve « le pénitencier » d'Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) qui abrite, depuis avril 2010, une poignée d'otages enlevés à Arlit, au Niger...

Alger a, de façon symétrique, noyauté les rebelles touaregs et infiltré les combattants d'Aqmi. Ce qui lui donne une marge de manoeuvre dans les affaires intérieures du Mali. Car dans la doctrine sécuritaire de l'Algérie, le Nord-Mali est un glacis. Toute intrusion d'un acteur extra régional dans cet espace, équivaut à un casus belli. Bref, un duel franco algérien qui ne porte pas son nom, est en cours au Mali. »
        Babacar Justin Ndiaye, Sud Quotidien(Sénégal) /02/12/2011

« Le péril venu du nord

Alimentée par le retour de Libye de plusieurs milliers de combattants touaregs d'origine malienne, la rébellion reprend du service. Sous la houlette du Mouvement national de libération de l'Azawad.

Les attaques sont revendiquées par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), une organisation créée en juillet dernier alors que des centaines de combattants touaregs d'origine malienne, incorporés depuis des lustres dans l'armée de Mouammar Kaddafi, rentraient au pays. Son objectif ? « Libérer nos terres de l'occupation des forces militaires de Bamako », déclare Hama Ag Sid Ahmed, l'un de ses porte-parole, basé à Paris. […]
Membres du corps d'élite de l'ex-« Guide » libyen, ces « revenants » ont servi Kaddafi parfois toute leur vie. Après sa chute en octobre dernier, environ quatre mille hommes, selon des sources touarègues (deux mille selon les autorités de Bamako) sont rentrés au Mali. Et avec eux d'impor-tantes quantités d'armes et de munitions, récoltées dans les arsenaux libyens : fusils d'assaut, missiles sol-sol et sol-air, lance-roquettes et lance-roquettes multiples (LRM), plus communément appelés « orgues de Staline ».
[…]
Bergers, diplômés-chômeurs, jeunes désespérés... Tous rêvent d'un Azawad indépendant, capable de pourvoir à ses besoins en matière d'éducation, de travail et de santé, et, surtout, débarrassé de la tutelle « inutile » du pouvoir central. De la fusion de ces trois groupes naît le MNLA, dont l'objectif assumé est de libérer l'Azawad, un territoire qui comprend les trois régions de Tombouctou, Gao et Kidal. Les effectifs s'étoffent avec l'arrivée de déserteurs de l'armée régulière… »
                                             Jeune Afrique, 22-28 janv. 2012

« Touareg Connection

Enquête sur ces hommes qui, anciens rebelles ou ex-kaddafistes, entretiennent des liens avec la nébuleuse islamiste dans le Nord.

A Bamako, le chef de l'État malien ne décolère pas. Ces derniers mois, Amadou Toumani Touré (ATT) avait multiplié les offensives diplomatiques pour rassurer les Occidentaux sur la situation sécuritaire dans son pays, et voici que deux rapts viennent saboter ses efforts. Le 24 novembre d'abord: deux Français (officiellement, des géologues) sont kidnappés dans leur hôtel de Hombori, dans l'Est. Le lendemain, trois touristes (néerlandais, suédois et sud-africain) attablés dans une auberge de Tombouctou (Centre) sont enlevés, un quatrième (allemand) est abattu.
Tous les regards se tournent vers Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a fait du kidnapping d'Occidentaux un fonds de commerce très lucratif, même s'il est probable que l'opération en elle-même ait été menée par un groupe de bandits, dont certains parlaient tamasheq. Les soupçons se portent donc vers les Touaregs, et notamment vers les ex-combattants de Mouammar Kaddafi, revenus lourdement armés dans le nord du Mali, via l'Algérie ou le Niger, après la chute de leur mentor. Ils seraient 2 000, selon des sources diplomatiques bamakoises, mais le chiffre réel pourrait se situer plus près de 4 000, et ils ambitionneraient d'y former une vaste zone autonome.
Difficile d'y voir beaucoup plus clair. Au Nord-Mali, les alliances se font et se défont entre des personnages troubles, mi-trafiquants de drogue, mi-rebelles, parfois islamistes, souvent opportunistes. Dans la région de l'Azawad, trois noms reviennent régulièrement : ceux de Mohamed Najim, d'lyad Ag Aghaly et d'Abdel Karim Targui.
Le premier, Mohamed Najim, est un ancien colonel de l'armée libyenne. Lui et ses hommes ont combattu pour Kaddafi. Ils sont revenus de Libye avec des armes automatiques, des missiles sol-sol et sol-air, et peut-être même des lance-roquettes multiples (LRM). Ils se sont établis, sans que les autorités maliennes cherchent vraiment à les en empêcher, dans les collines de Tin-Assalak, au nord de Kidal, aux côtés d'ex-miliciens d'un autre rebelle touareg malien, Ibrahim Ag Bahanga, décédé en août dernier et connu notamment pour avoir pris en otages des militaires maliens en 2008. Les deux groupes ont fusionné pour créer le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), qui réclame l'autodétermination de cette zone désertique, oubliée de Bamako.
À Koulouba [siège de la présidence de la République], on redoute la montée des tensions avec ce peuple ombrageux, mais aussi, et surtout, de l'extension de la « zone rouge» (selon l'appellation du Quai d'Orsay) à toute la moitié nord du Mali. Le chef de l'État gère donc directement l'épineux dossier avec le colonel major Elhadji Gamou et Mohamed Ag Erlaf, deux Touaregs originaires de la région de Kidal. »
                                               Jeune Afrique, 4-10 déc. 2011


gif anime puces 025Terrorisme et trafics illicites

     Tous les témoignages concordent : les enlèvements d’Occidentaux dans les pays du Sahel s’opèrent grâce à des complicités locales, parfois complexes. Dans toutes ces complicités, l’appât du gain le dispute à l’idéologie et au terrorisme le plus primaire.
Un élu local confirme :


« Au Mali, les mystères du rapt des otages français

Cet élu local, joint par téléphone, demande qu'on respecte son anonymat de peur "qu'on finisse par [lui] couper la tête". Il raconte les dérives de toute une région, où ont prospéré les trafiquants de drogue – résine de cannabis en provenance du Maroc et destinée à l'Egypte, ou cargaisons de cocaïne qui transitent par le Sahara sur la route vers l'Europe. "Il y a une mafia qui s'est développée, avec beaucoup de complicités. Ils cherchent tout ce qui peut rapporter de l'argent. Moi, j'avais un petit coopérant qui était chez moi, pour une mission de quelques semaines. Un de ces trafiquants m'a dit : “La tête d'un Blanc cela vaut 100 millions de francs CFA. Passe-le moi, je l'amène aux barbus, et on partage.” Jusqu'à ce jour il m'en veut encore d'avoir refusé. J'ai dit au coopérant : “Rentre dans ton pays et ne reviens jamais.” Il ne sait pas ce qui a failli lui arriver." »
                                           Jean-Philippe Rémy, | 29.11.11 |
                  http://www.maliweb.net/category.php?NID=83938

     La teneur de ces différents documents (qui va dans le sens d’une aggravation de la question sécuritaire au Sahel) se trouve confortée par la vision et l’analyse de responsables politiques natifs de la région.

gif anime puces 025Témoignages de terrain

AQMI, complicités

     Dans l’interview donné à Jeune Afrique.com, le député touareg malien de Bourem (Nord-Mali), Ibrahim Ag Mohamed Saleh met en cause l’Etat malien pour son manque d’efficacité dans la lutte contre Aqmi. Ci-dessous un extrait :


« Pensez-vous qu’il y a une protection en haut lieu pour le trafic de drogue, comme le suggèrent certains médias occidentaux et algériens ?
Je dirais même qu’il s’agit d’une complicité et d’une protection en très haut lieu. Je ne fais pas allusion à Koulouba seulement, mais à toutes les institutions qui sont chargées de trouver une solution aux trafics de drogue et à Aqmi. Je suis dans une institution, l’Assemblée nationale, qui a son mot à dire, mais elle ne le dit pas. On a relayé à maintes reprises les informations sur Aqmi et le trafic de drogue, mais je pense qu'il y a une défaillance du système sécuritaire dû aux proches conseillers du président Amadou Toumani Touré.

Pensez-vous que l’armée malienne est infiltrée par Aqmi, comme le pensent certains pays de la sous région ?
Sur le plan idéologique non, mais sur le plan financier oui. On se rappelle qu'en 2009, des armes de l'armée malienne ont été récupérées entre les mains d'Aqmi : elles avaient été vendues par des soldats ou des officiers maliens. Cette infiltration est aussi due à un manque de volonté politique de nos autorités. De fait, on laisse Aqmi prospérer pour créer un amalgame entre les terroristes et la communauté du Nord afin de discréditer les revendications de cette dernière. Et l'Algérie aussi veut instrumentaliser le problème pour mettre la main sur le pétrole qui se trouve dans ces régions. »
                             Propos recueillis par Baba Ahmed, à Bamako,
                             Jeune Afrique.com

    L
es propos du député touareg malien de Gao, Assarid Ag Im-barkouane, vont dans le même sens :

« Si on ne fait pas attention, viendra le jour où le président de la République du Mali sera choisi par Aqmi. Et c’est pour cela qu’il faut que tout le monde soit concerné par la lutte contre Aqmi. »


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     En effet, par delà le seul Mali, c’est une alliance sacrée qui s’impose, alliance pour une stratégie collective de lutte contre l’insécurité au Sahel.

     Pour éviter que la zone sahélienne ne soit un espace durablement infecté, facteur d’instabilité chronique, et de désagrégation d’Etats constitués, il faut une action d’envergure, résolue, concertée, à deux niveaux.


     — D’abord au niveau des Etats riverains du Sahel : Algérie, Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso, Nigeria, doit être élaborée une fédération sans faille des énergies, des moyens et des volontés, au service de l’objectif unique de lutte contre l’insécurité.
     — Le deuxième niveau doit consister en une internationalisation de cette même lutte, avec une forte implication de l’Europe, des Etats-Unis, dans une action coordonnée par les Nations unies.

     Mais, un mal aussi profondément enraciné se combat avec deux sortes d’armes : l’arme contre les terroristes et les trafiquants mafieux, et l’arme contre la misère et la désespérance qu’elle engendre.

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22 janvier 2012 7 22 /01 /janvier /2012 10:49

005.gifLa force dans l’épreuve, lumière intérieure et nature

     « Le maître intérieur, quand il se conforme à la nature, envisage les événements de telle sorte, qu'il puisse toujours, selon la possibilité qu'il en a, modifier sans peine son attitude envers eux. Il n'a de préférence pour aucune matière déterminée, mais il se porte, après choix, vers ce qu'il croit le meilleur ; et, s'il rencontre un obstacle, il s'en fait une matière, comme le feu lorsqu’il se rend maître des choses qu'on y jette, alors qu'une petite lampe en serait étouffée. Mais un feu ardent a vite fait de s'approprier ce qu'on y ajoute ; il le consume et, de par ce qu'on y jette, il s'élève plus haut.

     N'accomplis aucun acte au hasard, ni autrement que ne le requiert la règle qui assure la perfection de l'art.
     On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d'isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l'heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l'homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s'il possède, en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n'entends rien autre qu'un ordre parfait.
     Accorde-toi donc sans cesse cette retraite, et renouvelle-toi. Mais qu'il s'y trouve aussi de ces maximes concises et fondamentales qui, dès que tu les auras rencontrées, suffiront à te renfermer en toute ton âme et à te renvoyer, exempt d'amertume, aux occupations vers lesquelles tu retournes. Contre quoi, en effet, as-tu de l'amertume ? Contre la méchanceté des hommes ? Reporte-toi à ce jugement que les êtres raisonnables sont nés les uns pour les autres, que se supporter est une partie de la justice, que les hommes pèchent involontairement, que tous ceux qui jusqu'ici se sont brouillés, soupçonnés, haïs, percés de coups de lances, sont allongés, réduits en cendres ! Calme-toi donc enfin.
     Mais peut-être as-tu de l'amertume contre le lot que l'ensemble t'assigne ? Rappelle-toi le dilemme : Ou une Providence ou des atomes, et par quels arguments il a été prouvé que l'univers est comme une cité.
     Les choses du corps ont-elles alors fait mainmise sur toi ? Considère que la pensée ne se mêle point aux agitations douces ou violentes du souffle vital, une fois qu'elle s'est recouvrée elle-même et qu'elle a reconnu sa propre force ; et enfin rappelle-toi ce que tu as entendu et admis sur la douleur et sur le plaisir.
     Mais peut-être sera-ce la gloriole qui te sollicitera ? Jette les yeux sur le très prompt oubli dans lequel tombent toutes choses, sur le gouffre du temps qui, des deux côtés, s'ouvre à l'infini, sur la vanité du retentissement, la versatilité et l'irréflexion de ceux qui paraissent te bénir, l'exiguïté du lieu où la renommée est circonscrite. La terre entière, en effet, n'est qu'un point, et quelle infime parcelle en est habitée ! Et là, combien d'hommes, et quels hommes, auront à te louer !
     Il reste donc à te souvenir de la retraite que tu peux trouver dans ce petit champ de ton âme. Et, avant tout, ne te tourmente pas, ne te raidis pas ; mais sois libre et regarde les choses en être viril, en homme, en citoyen, en mortel. Au nombre des plus proches maximes sur lesquelles tu te pencheras, compte ces deux : l'une, que les choses n'atteignent point l'âme, mais qu'elles restent confinées au-dehors, et que les troubles ne naissent que de la seule opinion qu'elle s'en fait. L'autre, que toutes ces choses que tu vois seront, dans la mesure où elles ne le sont point encore, transformées et ne seront plus. Et de combien de choses les transformations t'ont déjà eu pour témoin ! Songes-y constamment. "Le monde est changement ; la vie, remplacement."
Il faut toujours avoir à ta disposition ces deux préceptes ; l'un, de n'accomplir uniquement que ce que t'inspire, dans l'intérêt des hommes, la raison de ton pouvoir royal et législatif. L'autre, de changer de conduite, s'il se trouve quelqu'un pour redresser et modifier ton opinion. Il faut toutefois que ce changement procède toujours d'un certain motif soutenable, de justice, par exemple, ou d'intérêt général et tels doivent être exclusivement les mobiles qui puissent t'y déterminer, et non point ce qui te paraît glorieux ou agréable.
       […]
     En un mot, toujours considérer les choses humaines comme éphémères et sans valeur : hier, un peu de glaire; demain, momie ou cendre. En conséquence, passer cet infime moment de la durée conformément à la nature, finir avec sérénité, comme une olive qui, parvenue à maturité, tomberait en bénissant la terre qui l'a portée, et en rendant grâces à l'arbre qui l'a produite.
        […]
     Ressembler au promontoire contre lequel incessamment se brisent les flots. Lui, reste debout et, autour de lui, viennent s'assoupir les gonflements de l'onde.
     " Malheureux que je suis, parce que telle chose m'est arrivée !" Mais non, au contraire : " Bienheureux que je suis, puisque telle chose m'étant arrivée, je persiste à être exempt de chagrin, sans être brisé par le présent, ni effrayé par ce qui doit venir. " Chose pareille, en effet, aurait pu survenir à n'importe qui ; mais n'importe qui n'aurait point su persister de ce fait à être exempt de chagrin. Pourquoi donc cet accident serait-il un malheur, plutôt que cet autre un bonheur ? Appelles-tu, somme toute, revers pour un homme, ce qui n'est pas un revers pour la nature de l'homme ? Et cela te paraît-il être un revers pour la nature de l'homme, ce qui n'est pas contraire à l'intention de sa nature ? Eh quoi ! cette intention, tu la connais. Cet accident t'empêche-t-il d'être juste, magnanime, sage, circonspect, pondéré, véridique, réservé, libre, et cætera, toutes vertus dont la réunion fait que la nature de l'homme recueille les biens qui lui sont propres ? Souviens-toi d'ailleurs, en tout événement qui te porte au chagrin, d'user de ce principe : Ceci n'est pas un revers, mais c'est un bonheur que de noblement le supporter.
      […]
     Va toujours par le chemin le plus court, et le plus court est celui qui va selon la nature. Voilà pourquoi il faut agir et parler en tout de la façon la plus naturelle. Une telle ligne de conduite te délivrera de l'emphase, de l'exagération et du style figuré et artificiel. »
                               Marc-Aurèle (121-180 ap. JC.), Pensées pour moi-même.

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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 12:09

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Afrique, indépendance et responsabilité dans la gestion du monde

 

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     A peine une décennie après la 2e Guerre mondiale, à la veille de l’accession à l’indépendance des colonies européennes d’Afrique, des rencontres d’élites culturelles noires se sont multipliées en Europe : à Paris et à Londres notamment. Elles furent l’occasion d’exprimer à la fois l’impact de la colonisation sur les peuples dominés et aussi la vision rêvée d’une Afrique décolonisée, libre et souveraine, qui assume sa part de responsabilité dans la marche du monde.
     Le 1er Congrès des écrivains et artistes noirs tenu à la Sorbonne à Paris, du 19 au 22 septembre 1956, dans la perspective de la libération des peuples colonisés, fait partie de ces événements fondateurs.
     La date de ce 1er congrès d’intellectuels noirs n’est pas fortuite : 1956 :quasiment toute l’Afrique noire est, comme à la fin du 19e siècle, partagée entre les différentes puissances coloniales : Grande-Bretagne, France, Portugal, Espagne, Belgique. Mais 1956 c’est aussi, pour les colonies françaises, l’année de la Loi-cadre (1) qui ouvre des perspectives nouvelles, de fait, la voie vers l’indépendance à court terme (sans intentionnalité cependant). Les Britanniques également se préparent à sortir de la colonisation. Leur colonie, la Gold Coast, accède à l’indépendance dès 1957 et prend le nom de Ghana. Les colonies françaises suivront le mouvement en 1960. L’inéluctable libération des colonies agite donc les esprits, en Afrique comme en Europe. C’est dans ce contexte que se tient le congrès de 1956.
     La synthèse de ses travaux dont suivent quelques extraits permet de juger la pertinence des propos et de mesurer leur degré de concrétisation dans l’Afrique de 2012.
     Il s’agissait pour ces élites noires de réfléchir aux moyens d’assembler les matériaux constitutifs du socle culturel de la souveraineté politique, afin que l’Afrique, une fois indépendante, soit entièrement elle-même, tout en n’étant pas cependant qu’elle-même, et puisse ainsi jouer sa partition, à sa mesure, dans la symphonie du monde.
     Les voies et pistes esquissées à cette fin, sont à ce titre, dignes d’intérêt et de nature à inspirer élites intellectuelles et responsables politiques de l’Afrique d’aujourd’hui. Ces élites avaient compris en 1956 que l’indépendance, pour être réelle, viable, et signifier pour les peuples libérés le tremplin vers le développement et l’épanouissement, devait être fondée sur un effort de construction méthodique et raisonnée de l’Etat et de la nation.

     «On peut donc, tout en poursuivant la lutte contre le racisme et le colonialisme, songer à l'avenir, aux tâches qui suivront l'indépendance et qui dès maintenant doivent être pensées et assumées par les Africains et les hommes de culture noirs.
     Mais, auparavant, qu'il nous soit donné de rappeler, contre un certain pessimisme, que les écrivains d'expression européenne tels que les poètes, les romanciers, les dramaturges doivent éviter de considérer leur mission comme achevée, au seuil de l'indépendance. Rien n'est moins certain ; et ce serait avoir une idée bien pauvre de leur mission que de se résigner à de telles perspectives. Ils ont à éveiller la conscience de leurs peuples à la vie moderne. Ils ont aussi à éveiller la conscience occidentale à des formes de beauté à un sens de la justice et de la solidarité dont le monde moderne n'avait pas conscience. Ils sont les premiers bâtisseurs d'une Cité mondiale où les familles humaines trouvent assez d'horizon, assez de lumière sur les possibilités immenses de l'aventure humaine. Nous pensons, sans vanité, que les hommes de culture des peuples non-occidentaux offriront l'inspiration la plus riche et la plus universalisante au monde qui va naître.
     Mais à côté de ces éclaireurs audacieux, et parmi eux très souvent, on s'attachera à des tâches plus humbles et dans une intention plus adaptée à la vie intime de nos peuples. Il s'agit de la renaissance d'une culture négro-africaine, indispensable à l'équilibre moral de la culture occidentale et indispensable à la vitalité de nos peuples.
     Nous proposerions donc plus spécialement aujourd'hui à l'attention des hommes de culture la nécessité de faire développer les travaux de linguistique, de spiritualité, d'histoire et de science.»

bouton 007Langue et culture

     «La langue d'un peuple est le miroir de son âme. Il n' est pas question d'abandonner les langues européennes. Elles nous sont indispensables dans l'immédiat comme langues de travail et d'acculturation aux conditions de la vie moderne. Elles nous seront indispensables dans un avenir moins immédiat comme langues dépositaires d'une part de notre histoire et de nos œuvres. Mais il est inévitable que les peuples nouveaux ne développent et ne dressent certaines langues indigènes (après choix judicieux) à appréhender et exprimer les réalités et situations modernes liées à nos destins. Elles seules d'autre part son susceptibles de dévoiler des aspects de notre passé, des dimensions de nos personnalités que les langues européennes sont d'autant moins aptes à refléter que les œuvres en langue française ou portugaise ne sont actuellement pas connues du 1 /10e de nos populations. Aussi des travaux sérieux et urgents s'imposent-ils à nos élites, aux jeunes en particulier (ainsi qu'aux africanistes de toute origine) pour que progressivement et rationnellement, sous l'inspiration de nos peuples, des options interviennent, que certaines langues soient favorisées et que leur enseignement s'organise dans les écoles et les universités. Car la langue d'un peuple est la source vive à la fois de son humanisme et de son histoire. Les peuples ont coutume de confier aux inflexions familières, aux sonorités, aux rythmes, aux lois intimes d'une langue, des éléments subtils de leur spiritualité et de leur humanisme. Ces éléments sont intraduisibles pratiquement et indispensables à l'expression intégrale d'un humanisme.

     Cet humanisme est spiritualiste. Il est encore vivace dans le peuple et comporte divers aspects. Il y a une sagesse cosmogonique, il y a des récits mythiques, des légendes historiques, du théâtre, des poèmes, des fables. Il ne suffira pas de recueillir ces richesses, il faudra que le peuple soit associé à ces travaux et les désire et soit fier de les faire admirer.»

bouton 007Histoire et conscience nationale

«Cependant, dans cet humanisme, il est une discipline qu'il serait opportun de privilégier : l'histoire. Il semble que ce soit d'elle que les circonstances exigent un développement urgent. La conscience nationale a besoin de meubler les horizons de sa vie et d'armer sa volonté d'une passion légitime d'interpréter le passé et les institutions. Ici nos rencontres avec les historiens occidentaux occupera une place à part. Et nos historiens s'attachent déjà à redéfinir ce que furent nos rapports dans le passé. Mais il est non moins précieux qu'à l'école et dans des œuvres solides de culture générale nos conceptions traditionnelles soient connues. L'histoire est toujours celle d'un historien, d'une époque, d'une intention. Pourquoi alors laisserions-nous éclairer notre passé par les seuls historiens occidentaux ? Pourquoi ne pas restituer à nos peuples la liberté légitime de reconstruire leur passé dans les perspectives mêmes que leur situation leur impose ?
     Il semble, en tout cas, que l'histoire soit fort appréciée de nos peuples. Aidons-les à écrire la leur. C'est délivrer leur ardeur à assumer des responsabilités.»

bouton 007Culture et technique

     «Enfin il est un domaine qu'en Occident même l'on a parfois coutume d'opposer à la culture : la technique. Pour certains, il s'agit de préserver les Africains contre les méfaits d'une technique qui a dépersonnalisé l'homme et atomisé l'unité de son âme. Pour d'autres (plus soucieux de « balkaniser » la conscience africaine) l'industrialisation introduirait dans les sociétés africaines (diverses, juxtaposées mais chacune intimement unifiée), les ravages et les traumatismes les plus affligeants.
     En fait, ces discussions sur les méfaits de la technique correspondent à des situations et des problèmes plus propres à l'Occident actuel.
     La technique, quand elle est assumée et pensée par un peuple, devient un élément de sa culture. C'est dans cette perspective (non dans celle d'une technique qui nous serait imposée selon les impératifs du colonialisme) qu'il nous faut envisager la question. A l'heure où la Russie et les U.S.A. (les plus favorisés dans ce domaine) s'inquiètent de ne pas avoir assez de techniciens pour assurer leur sécurité et leur prospérité — où bien des nations en Europe opèrent une conversion révolutionnaire de leur système d'éducation pour produire davantage d'ingénieurs et faire face à leurs obligations modernes — les peuples les plus déshérités (mais les plus riches en matières premières) seraient mal inspirés de se contenter de poésie et de danse, de musique et de métaphysique. La technique est désormais, comme le rappelle un historien, la substance de la vie moderne. Elle s'intègre à notre humanité, puisque c'est par elle, à travers elle que l'homme est appelé à connaître l'homme et à l'aimer. Il faut saluer avec respect l'émouvante ferveur de ces philosophes qui aspirent à sauver l'homme contre la technique, mais il serait dangereux de vouloir arracher la technique des mains des sens, de la réflexion de l'homme.
     Au surplus, les ressources qui entourent la vie de nos peuples et qui suscitent tant d'appétits éveilleront et préciseront rapidement notre vocation technique. Et rien n'oblige à croire qu'elle sera une simple réplique de la vocation de l'Europe.

     Il est d'autant plus impérieux d'encourager nos travaux et initiatives scientifiques que l'Occident exerce sur nos vies une sorte de dictature culturelle et spirituelle qui n'est bienfaisante ni à notre santé morale, ni à celle de l'Occident lui-même.»

bouton 007Universalité  et rencontre des cultures

     «Selon l'angle où on la considère, la culture est une autorité, l'expression d'une subjectivité, un dialogue, l'expression de valeurs universelles ou une démarche à la conquête du monde. Elle est tout cela. Mais c'est comme autorité qu'elle nous intéresse d'abord ici. La vie culturelle du monde est dominée uniformément par l'autorité de l'Occident. Les œuvres du passé de l'Europe, les canons propres à l'Europe, l'influence d'expériences historiques, culturelles ou spirituelles de l'Europe continuent de diriger l'évolution de la vie des peuples.
     En effet, les instances où l'on juge, où l'on édicte des lois sont localisées en Occident et insérées dans la seule culture occidentale jusqu'ici. C'est que cette autorité culturelle est liée à la fois au pouvoir politique et à la puissance technique. De sorte qu'on pourrait aisément dresser une géophysique de la culture. Le concours que le pouvoir politique, dans sa souveraineté, confère à l'essor et au prestige d'une culture, nous l'apprécions pleinement. Nous savons aussi que le pouvoir politique seul peut libérer l'élan créateur d'une culture. L'appui de la puissance technique est également essentiel. Après la souveraineté politique cette puissance sera notre plus précieuse conquête. Nous voudrions rappeler qu'elle ne peut être l'œuvre que des peuples eux-mêmes.
Non seulement il faudra opérer une décentralisation progressive des institutions culturelles mondiales, mais la voix des nouvelles cultures devra se faire entendre dans les instances culturelles ou spirituelles d'où s'énoncent les valeurs et se diffusent les réflexions qui jouissent de la plus grande autorité.
     Nous songeons par exemple à la vie chrétienne dans le monde. Nous ne sommes pas sans avoir remarqué que les Pères de l'Eglise, les docteurs, les saints sont tous insérés dans la seule culture occidentale. Les recommandations et décisions qui, de Rome, s'étendent sur le monde chrétien se formulent sous l'inspiration d'expériences, de ressources d'expression propres à l'Europe, et s'expliquent plus volontiers sur un fond historique propre à la culture occidentale.
     Nos cultures et nos aspirations souffrent d'une telle situation.
Hommes de culture du monde noir, nos tâches sont nombreuses et exaltantes. Les assumer en toute lucidité et passionnément, c'est exercer dès maintenant notre part de responsabilité dans la gestion du monde — et préparer une renaissance culturelle qui réponde aux douloureuses et profondes aspirations des peuples vers la paix.
     Et c'est enrichir les ressources de résistance à la dictature — ce vrai mal des peuples — que l'Occident n'était guère préparé à vaincre, puisqu'il vivait d'exercer sa dictature sur les autres peuples.»

                                                      Revue Présence Africaine, n°14-15, juin-septembre 1957.

 

1. loi-cadre : votée par l'Assemblée nationale le 23 juin 1956, la loi-cadre ou loi Gaston Defferre, modifie le statut des colonies d'Afrique noire. Elle accorde le suffrage universel aux populaltions, renforce les pouvoirs de l'Assemblée territoriale mise en place depuis 1946 et opère une certaine  décentralisation administrative.

 

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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 17:08

 

001-copie-2Code de la famille et droits de la femme


La faiblesse du niveau d’éducation représente toujours un risque pour la démocratie, risque de manipulation, d’altération des principes, en un mot, risque de détournement de la démocratie à des fins partisanes. Dans une société analphabète à plus de 70%, la pratique démocratique exige, en plus d’un effort constant de pédagogie et d’éducation, une vigilance sans relâche, elle-même fondée sur la vertu.

Il s’agit d’éveiller les esprits aux règles et aux exigences de la démocratie, laquelle ne saurait se confondre ni avec le droit de faire tout ce qu’on veut, ni avec la tyrannie du nombre. La démocratie est respect des consciences et recherche permanente de conciliation d’intérêts contraires, pour le bien de tous.

La laïcité, qui est garante de ce respect des consciences, est un élément fondamental du système démocratique. Aucune religion, même majoritaire dans le pays, ne peut s’arroger le droit de se substituer à la loi civile, à moins de vicier la nature démocratique du système de gouvernement. La séparation des domaines religieux et laïc garantit le droit de chacun au libre choix et au libre exercice de sa foi.

Or, le récent vote d’un nouveau code de la famille par l’Assemblée nationale malienne interroge et intrigue à cet égard. Questionnement légitime dès lors que ce code inscrit dans la loi un statut inférieur de la femme. Un précédent code issu du vote de la même assemblée en 2009, avait été retiré face à la levée de boucliers des partis islamistes avec l’appui des forces conservatrices (parmi lesquelles curieusement, un grand nombre de femmes). La nouvelle mouture adoptée par les députés le 2 décembre 2011, donne satisfaction à ces derniers sur les aspects majeurs du texte et constitue un sérieux recul par rapport à la mouture de 2009, parce que beaucoup moins favorable aux droits de la femme.


gif anime puces 286Extraits :

         Quand le texte de 2009 fixait à 18 ans l’âge minimum légal du mariage de la femme, le texte de 2011 le ramène à 16 ans, et le mariage religieux est désormais légalisé, à égalité avec le mariage civil.

         La responsabilité parentale inscrite dans l’ancien texte, cède la place à la « puissance paternelle », et la femme doit « obéissance à son époux » (mention qui avait disparue dans le texte de 2009).

 

Si le texte de 2009 se gardait de proclamer l’égalité des sexes, il constituait néanmoins une avancée en faveur des droits de la femme, concernant notamment la place de l’épouse au sein de la famille. L’unique bénéficiaire du nouveau code, c’est l’homme, ce nouveau « pater familias » qui voit la femme à ses pieds, soumise, et exclue de l’essentiel de la gestion de la famille, de la garde des enfants et des procédures d’héritage.


L’homme à lui seul est tout, a tout.


Entre le code de 2009 et celui de 2011 s’opère un glissement et une radicalisation, porteurs de dangers multiples pour la société malienne, un glissement vers le bord du précipice. Une société où la loi fait de la femme un être inférieur, est une société qui se condamne en hypothéquant son avenir.

Le code de la famille n’a pas pour vocation de prescrire par la loi la domination de la femme par l’homme, ni l’inverse, mais la recherche des moyens de l’épanouissement du couple et l’harmonie de la famille. La responsabilité familiale partagée est plus propice à cet épanouissement et à l’équilibre du foyer que l’exercice solitaire de la « puissance paternelle », en favorisant la coopération, l’échange dans la recherche du meilleur pour la famille. Elle est facteur de paix, de concorde.

Pourquoi dans un Etat comme le Mali, où en théorie prévaut la séparation du religieux et du laïc, le code civil serait-il dicté par les partis religieux ? L’islam, que je sache, n’est l’objet d’aucune menace au Mali. Pourquoi dès lors vouloir passer d’un islam paisible et consensuel, qui a toujours vécu en harmonie avec les autres religions, à un islam qui divise la population et les familles, crée et hiérarchise des catégories sociales ? Quel intérêt pour le pays ? Quelle est la motivation première de ceux qui œuvrent à une telle transformation ? La liberté, l’épanouissement individuel et collectif y seraient-ils garantis ?

Puisse la « charte de paix », également connue sous le nom de « pacte » ou « Constitution de Médine » promulguée par le Prophète Mohammed, en l’an 624 après Jésus- Christ, inspirer les fondamentalistes du Mali et d’ailleurs. Cette première « Constitution » écrite du monde, comptait 47 articles dont aucun ne mentionnait une quelconque « religion d’Etat ». Elle permit d’instaurer la paix dans la cité-Etat de Médine et l’entente entre les différentes composantes sociales et religieuses : polythéistes, chrétiennes, musulmanes (qu’il a fondées), juives…

Que le Mali soit un pays musulman à 90% n’autorise pas une infraction aux principes de la laïcité. Quand les religieux deviennent arbitres de la vie politique, c’est la nature même du régime qui est en jeu. Il s’agit de confirmer ou non le caractère laïc de l’Etat malien comme inscrit dans la Constitution du pays.

De plus, avec ce nouveau code, le Mali se trouve en porte-à-faux non seulement avec des articles fondamentaux de sa Constitution, mais aussi par rapport à ses engagements internationaux. Ce nouveau texte, en effet, viole gravement les obligations internationales consacrées par la Convention des Nations unies sur l’élimination de toute discrimination à l’égard des femmes, ratifiée en 1985 et le protocole de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples que le Mali a ratifié également en 2005.

Il ne s’agit ici ni de « civilisation occidentale », ni de « civilisation orientale », mais de civilisation tout court, laquelle reconnaît et garantit à toute personne un droit au respect et à l’égale dignité.

Le Mali succombera-t-il à la tentation de l’islam fondamentaliste contraire à sa tradition religieuse ? Ou, au contraire, l’antique sagesse malienne faite d’esprit de conciliation, de mesure et de sens du dialogue prévaudra-t-elle en définitive ?

Si les responsables politiques ne prennent pas leurs responsabilités à l’égard de cette question, il appartiendra à la société civile et à l’opinion éclairée d’ « éclairer » les esprits. Il serait infiniment regrettable que le Mali, qui, depuis 1991, a pris résolument l’option de la démocratie, et qui est cité depuis comme modèle, soit perçu comme le pays le la négation des droits légitimes de la femme.

La première mouture du code de la famille de 2009 avait fait descendre 50 000 personnes dans la rue sous la bannière des partis islamistes avec le renfort des forces conservatrices. Ce coup de force amena le chef de l’Etat malien à renoncer à la promulgation de ce texte et à demander une nouvelle mouture votée en 2011. Celle-ci, en tous points défavorable à la femme, fera descendre combien de personnes dans la rue ?

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