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28 avril 2024 7 28 /04 /avril /2024 13:17

 

L’HOMME ET L’ANIMAL

Ou

QUI EST « HOMME » - QUI EST « ANIMAL » ?

Où faut-il placer l’intelligence ? L’humain, seul, est-il intelligent ? Ne sommes-nous pas aussi scientifiquement des mammifères ?

Et qui est le plus cruel ? Ou le moins « humain » ? L’animal tue pour manger, l’homme tue pour le plaisir de tuer, pour voler le territoire de son voisin, pour acquérir plus de pouvoir, s’enrichir… (Les guerres actuelles, les trafiquants de toutes sortes, la violence dans les villes…)

*

Un article intéressant paru dans la revue Psychologies en octobre 2016, expose le point de vue du scientifique Frans Waal sur l’intelligence homme/animal sous le titre La hiérarchie des êtres vivants est une illusion.

 

« La hiérarchie des êtres vivants est une illusion

Qu'est-ce qui nous distingue des autres animaux ? Bien moins que nous le pensons, affirme Frans de Waal. Dans son nouvel ouvrage, le primatologue nous invite à rabattre un peu notre orgueil humain afin d’ouvrir les yeux sur notre réalité animale et sur la nature.

La conscience de soi, la coopération, le sens de la morale... Voilà, pense-t-on souvent, ce qui nous rend humains. Sauf que, à renfort d'études, l’éthologie, Ia biologie et les neurosciences bousculent chaque jour un peu plus ces certitudes. Frans de Waal fait partie de ceux qui mettent régulièrement en évidence les capacités exceptionnelles des grands primates (sa spécialité), mais pas seulement : corbeaux, campagnols, poissons, tous les animaux trouvent en ce biologiste un observateur si attentif qu'il ne lui viendrait pas à l'idée de dire que les « bêtes » sont stupides. Dans la tradition de Charles Darwin, qui, il y a quelque cent cinquante ans, affirmait, qu'entre l'esprit de l'homme et celui des animaux il n'y a qu'une différence de degré et non d'espèce, Frans de Waal nous intime de cesser de nous croire supérieurs, afin de nous regarder comme nous sommes : une espèce animale reliée à toutes les autres.

*

Psychologies : Dans votre livre, vous recensez toutes les études sur l'intelligence des animaux. D'abord, qu'est-ce que l’intelligence ?

Frans de Waal : Deux termes sont utilisés, intelligence et cognition. La cognition est le fait de traiter des informations à son avantage. Par exemple, une chauve-souris bénéficie d'un puissant système d'écholocation, et en utilise les informations recueillies pour se repérer et pour chasser. La cognition, très liée à la perception, est présente chez tous les animaux. L’intelligence désigne la capacité à trouver des solutions, notamment face à de nouveaux problèmes. On Ia constate chez les animaux à gros cerveau, mais aussi chez tous les mammifères, tous les oiseaux, chez des mollusques...

 

Vous énumérez quantité d'études qui démontrent l’intelligence des animaux. Pourquoi cette dernière reste-t-elle malgré tout si peu connue et reconnue ?

F.W. : C'est que deux grandes écoles ont dominé les études sur les animaux durant le siècle dernier. L'une, populaire en Europe, s'efforçant de tout ramener à l'instinct ; l’autre, dite béhavioriste, aux États-Unis, selon laquelle les animaux seraient des êtres passifs, leurs comportements n'étant que des réponses à des incitations extérieures. Ces approches très simplistes trouvent encore des adeptes aujourd'hui, en particulier en France. Cependant, durant cette même période, des pionniers sont apparus : Kôhler, Yerkes, Tolman... Une étude fameuse de Wolfgang Kôhler, menée il y a cent ans avec des chimpanzés, consistait à accrocher une banane en hauteur. Dans la pièce, des caisses étaient éparpillées. Le chimpanzé a eu l'idée de les empiler jusqu'à arriver à la hauteur du fruit. Cela veut dire quoi ? Qu'il imagine, qu'il visualise dans sa tête une solution à un problème nouveau. Bref : il pense. Inadmissible ! Cela choquait les scientifiques très cartésiens pour qui les animaux ne pouvaient pas être des êtres rationnels. C'est seulement dans les vingt-cinq dernières années que les choses ont changé et que nombre de scientifiques, moi compris, ont commencé à se demander, non plus « Les animaux sont-ils intelligents ? », mais « De quel type d'intelligence usent-ils et comment ? ».

Il s’agit de s'intéresser vraiment aux animaux plutôt que de nous comparer à eux, c'est cela ?

F.W. : Vous mettez le doigt sur un autre problème majeur, Ia tendance à mesurer l'intelligence des animaux selon nos standards humains. Par exemple, quand on se demande s'ils peuvent parler, en concluant que s'ils le peuvent ils sont intelligents, sinon, c’est la preuve que nous sommes uniques et supérieurs. C'est incohérent ! On se focalise sur les activités pour lesquelles nous sommes doués en essayant de voir ce que les animaux peuvent en faire.

 

L’autre voie que vous suivez s’appelle la cognition évolutive, n'est-ce pas ?

F.W. : Oui, il s’agit de regarder la cognition de chaque espèce comme étant le produit de l’évolution liée à son environnement. Un dauphin, qui vit sous l’eau, n'a pas besoin de la même intelligence qu'un singe, qui vit dans les arbres ; et les chauves-souris sont très douées en géolocalisation car cela leur permet de se repérer, d’éviter les obstacles et de capturer leurs proies ; les abeilles sont expertes dans la localisation des fleurs, etc. Chaque espèce a sa spécialité, donc se demander si le dauphin est plus intelligent que le singe ou l'abeille n'a aucun intérêt. Une conséquence peut en être que nous soyons moins doués que des animaux dans certains domaines, comme dans la mémoire à court terme, où des chimpanzés nous battent largement. Et alors ? Pourquoi devrions-nous être les meilleurs en tout ? La volonté de protéger l'ego humain entrave les progrès de la science objective. Nous avons été habitués à penser qu’il y a une échelle des êtres vivants, allant du plus haut (nous, bien sûr) au plus bas (insectes, mollusques ou que sais-je ?). Mais dans Ia nature il n'y a pas d’échelle ! Elle est composée de quantité de branches allant dans diverses directions. La hiérarchie des êtres vivants est une illusion.

 

Mais alors, quel est le propre de l'homme ?

F.W. : Ça, c'est une question très française ! Et qui, parcourant les siècles de philosophie, est pour beaucoup dans notre approche anthropocentrée de la nature. Pour vous répondre, j'aime l'image de l’iceberg : sa partie immergée, la plus importante, correspond à ce qui réunit toutes les espèces animales, nous compris. La minuscule partie émergée correspond à la spécificité humaine. Les sciences humaines sont dingues de ce tout petit bout-là ! Mais pour moi, scientifique, l'iceberg est intéressant dans son ensemble.

Cette quête du « propre de l'homme » n'est-elle pas liée au fait que nous devons justifier notre exploitation des animaux ?

F.W. : C'est très possible. Auparavant, quand nous étions chasseurs, un certain respect des animaux devait l'emporter parce qu'on mesurait combien il était difficile de les trouver et de les attraper. Mais être fermier c'est différent : on garde les animaux enfermés, on les nourrit, on les vend... Il y a fort à penser que de là découle notre attitude très dominatrice et très simpliste à leur égard.

 

Partant de votre ouvrage, donnons un premier exemple de la non-spécificité humaine : l'usage d’outils...

F.W. : Non seulement nombre d'espèces en usent, mais beaucoup en fabriquent, alors que cela a longtemps été considéré comme proprement humain. Un exemple : on présente un tube transparent à des grands singes, mais, étant vertical et immobile, ils ne peuvent pas attraper la cacahouète qui se trouve à l'intérieur. Au bout d'un moment, certains décident d'aller prendre de l’eau à une fontaine proche et de Ia cracher dans le tube afin de faire remonter la noix. C'est une idée très ingénieuse à laquelle ils n'étaient pas entraînés : ils doivent imaginer l'eau comme un outil, persévérer (faire plusieurs allers-retours jusqu'à la fontaine si nécessaire). Face au même problème, seuls 10% des enfants de 4 ans et 50%des enfants de de 8 ans ont cette idée.

 

Ce type d'épreuve exige également un certain contrôle de soi…

F.W. : En effet, on a souvent tendance à penser que les animaux ne sont qu'instinct et émotion, tandis que les humains savent se contrôler et réfléchir. Sauf qu'il est impossible pour quiconque, animal compris, d'avoir des émotions et de ne pas avoir de contrôle sur elles ! Imaginez un chat qui voit un oiseau dans le jardin : s'il suit immédiatement son instinct, il va foncer droit sur lui, et l'oiseau va s'envoler. Il a donc besoin de réprimer un peu son émotion pour approcher lentement de sa proie, il est même capable de rester caché derrière un buisson pendant des heures, à envisager le moment opportun. Autre exemple : la hiérarchie, très présente chez nombre d'espèces comme les primates par exemple, repose justement sur la répression des instincts et des émotions. Connaissez-vous le test du chamallow ? On place un enfant seul dans une salle, assis à une table, avec devant lui un chamallow, et on lui dit que s'il ne le mange pas il en aura un deuxième en partant. Certains enfants sont très doués pour se maîtriser, d'autres absolument pas. On a également fait ce test avec des grands singes et des perroquets. Ils sont capables de se contrôler aussi bien – et d'autres aussi mal ! – que les enfants. Or, cela perturbe nombre de philosophes, car cela signifie que les hommes ne sont pas seuls possesseurs de la volonté.

De même que nous n'avons pas, le monopole de l’empathie ni du sens de la justice...

F.W. : C'est vrai. J'ai mené de nombreuses études sur l'empathie chez les primates : ils consolent, ils aident... Quant au sens de la justice, il a été démontré, entre autres dans cette étude où l'on soumet deux chimpanzés voisins à un même exercice et, quand ils le réussissent, l'un obtient un raisin, l'autre un bout de concombre (c’est bon, certes, mais pas aussi savoureux !). Ce second chimpanzé constate l'injustice et se révolte, jette le concombre. Et parfois, le premier chimpanzé refuse le raisin jusqu'à ce que son voisin s'en voie offrir un, lui aussi. L’idée que le sens de la justice serait le résultat d'une formulation langagière rationnelle est donc probablement fausse. C’est sans doute une action reliée à la coopération : si tu n’obtiens pas autant que moi, tu ne voudras plus coopérer avec moi, donc cela me nuira.

 

Et le langage ?

F.W. : De toutes nos capacités, c’est sûrement Ia plus spécifique. Le langage humain est hautement symbolique et appris, alors que chez les animaux il consiste en signaux innés. Cependant, l'importance du langage est largement surestimée. On a pu croire qu'il était indispensable à la pensée, à la mémoire, à Ia programmation... Nous savons désormais que c'est faux. Les animaux peuvent prévoir, ils se souviennent... Le psychologue Jean Piaget, déjà, dans les années 1960, affirmait que Ia cognition et le langage sont deux choses séparées. Cela est aujourd'hui prouvé, via les animaux.

 

L’intelligence des animaux peut-elle servir à des actes gratuits, c'est-à-dire ne pas répondre à un besoin vital ? Je pense à la création artistique, par exemple.

F.W. : Dans la nature, ils ont bien trop besoin de se consacrer à leur survie pour développer ce type d'activités. Comme cela a été le cas pour les humains pendant des millénaires. Mais dès lors que vous avez du temps, du confort et l'intelligence, alors vous pouvez user de cette dernière autrement. En jouant, par exemple, comme le font nombre d'animaux, même adultes. Puis, pour parler art, des études démontrent le sens du rythme des animaux dont les perroquets ; et des singes se sont avérés très doués en peinture. Je pense notamment au chimpanzé Congo, dont Picasso a acheté une œuvre dans les années 1950.

 

Faut-il donc cesser de penser en termes de différences entre humains et animaux ?

F.W. : Il s'agit surtout de développer une conception plus juste de notre propre espèce. Plutôt que de la voir comme le produit de la culture et de l'éducation, je la considère suivant une perspective ascendante : nous sommes des animaux avant tout très intuitifs et émotionnels. Rationnels ? Nous le sommes parfois, mais décrire notre espèce comme rationnelle serait une erreur de jugement. Il suffit de regarder notre monde pour voir combien l’émotion y joue un rôle écrasant. Alors ne surestimons pas notre rationalité ni notre « exceptionnalité ». Nous sommes totalement connectés au reste de la nature.  [Psychologies, octobre 2016, n°366) Propos recueillis par Anne Laure Gannac, Illustration : Ludwick Hernandez. »

 

>À lire

Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l'intelligence des animaux ? de Frans de Waal.

Un chimpanzé qui fabrique un escabeau, un geai qui trompe ses comparses en camouflant ses proies. Des orques qui coopèrent pour chasser, une pieuvre qui sort toute seule d'un bocal fermé... En révélant nombre d'études et d’observations sur le terrain, l’auteur livre ici une somme pour qui osera mettre à l’épreuve ses préjugés sur l'intelligence animale... et humaine. (Les Liens qui libèrent, 32O p.).

 

Frans de Waal (1948-2024)

*Brève biographie de Frans de Waal

Frans de Waal (de son nom complet : Franciscus Bernardus Maria de Waal) est un éminent scientifique, primatologue et éthologue néerlandais.
Il est né le 29 octobre 1948 à Bois-le-Duc aux Pays-Bas et mort le 14 mars 2024 à Atlanta (Géorgie, États-Unis).

Il étudie à l'université Radboud de Nimègue et à l'université de Groningue. Il obtient un doctorat en biologie à l'université d'Utrecht en 1977, après s'être formé en zoologie et en éthologie avec le professeur Jan van Hoof (expert des expressions faciales émotionnelles chez les primates). Sa thèse porte sur le comportement agressif et la formation d'alliances chez les macaques.

De Waal a été inspiré par l'éthologue néerlandais Nikolaas Tinbergen.

Il fut professeur en éthologie des primates au département de psychologie de l'université Emory à Atlanta et directeur du Centre des chaînons vivants au Centre national Yerkes de recherche sur les primates (Atlanta).

Élu à la National Academy of Sciences (États-Unis) et à l'Académie royale néerlandaise des arts et des sciences, de Waal a contribué à faire avancer la connaissance sur les comportements des primates. Il a permis de faire mieux connaître les capacités d'empathie et de coopération dont ils sont capables. Et surtout, il a mis en évidence le phénomène de réconciliation chez de nombreuses espèces de primates après un conflit, aptitude qu'on considérait auparavant réservée à l'espèce humaine.
 

Au final, il s'interroge sur ce qui fait la différence entre les humains et les bonobos ou les chimpanzés, dont nous partageons 98,5% des gènes. Il dit ceci :

« Nous commençons par postuler des frontières nettes, telles qu'entre les humains et les grands singes, ou entre les grands singes et les singes, mais avons en fait affaire à des châteaux de sable qui perdent beaucoup de leur structure lorsque la mer de la connaissance les recouvre. Ils se transforment en collines, nivelés de plus en plus, juqu'à ce que nous revenions là où la théorie de l'évolution nous mène toujours : une plage en pente douce.»

De Waal démontre, par ses travaux, que le sentiment d'injustice existe aussi chez les grands singes, de même que l'entraide. Il considère l'empathie et la sympathie comme des caractéristiques universelles des mammifères. (Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Frans_de_Waal)

En 2012, il partage le prix Ig-Nobel d'anatomie avec Jennifer Pokorny pour leur étude montrant que les chimpanzés peuvent identifier leurs congénères en voyant l'image de leur postérieur.
[Prix Ig-Nobel : prix parodique du prix Nobel récompensant les recherchees scientifiques qui font rire les gens, puis qui les font réfléchir].

 

Frans de Waal a publié de nombreux livres de vulgarisation, voici quelques titres :

- La Politique du chimpanzé.
- De la réconciliation chez les primates.
- L'âge de l'empathie : Leçons de nature pour une société plus apaisée.
- Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux?

 

 

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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 09:53

Sophie Taeuber-Arp
Deux cercles, deux plans et lignes croisées

 

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LA VISION DE L’ART DE GOTTFRIED HONEGGER

DANS SA LETTRE À SOPHIE TAEUBER

Sophie Taeuber-Arp sur le billet suisse de 50 francs.

*

Dans cette lettre Honegger aborde plusieurs aspects de l’art, l’art et l’argent, l’art dans le temps, l’art créé par des femmes, le combat des artistes…

 

***

 

« Très chère,

Hier à Zurich, on m'a rendu dans un magasin un billet sur lequel, chère madame, était gravé votre portrait... j'aimerais savoir par curiosité : vous a-t-on demandé votre permission ? Personnellement je trouve ce pseudo-hommage sur un billet suisse plus que discutable. D'autant que, jusqu'à présent, on n'a pas été tellement tendre avec vous dans ce pays. On vous a supprimé votre poste de professeur à l'École des arts décoratifs de Zurich, parce que vous étiez membre du Cabaret Voltaire. Ne l'oublions pas, dada était mal vu dans notre ville. Et voilà qu'on vous utilise pour faire honneur à la Suisse.

J'ai demandé à la vendeuse si elle savait qui était Ia dame sur le billet. La réponse fut : « Non, pas Ia moindre idée ». Elle ne connaissait pas non plus les autres « honorés » : Le Corbusier, Arthur Honegger, Alberto Giacometti — pour elle, tous des inconnus. Je trouve que la banque nationale devrait au moins fournir un minimum d'explication. Vraiment — notre culture de l'argent ne connaît plus de bornes. Aujourd'hui l'art est tout juste bon à servir de feuille de vigne à notre société de divertissement. L'art comme public relations. D'autant que vous ne réussissez à vendre que peu ou aucune de vos œuvres en Suisse. C'est Paris, Ia France qui vous a accueillie, tout comme Le Corbusier, Honegger, Giacometti qui tous y ont vécu et travaillé. C'est l'étranger qui vous a fait crédit, a reconnu l’importance de votre œuvre. À propos de reconnaissance : lorsque votre mari, Jean Arp, a voulu devenir citoyen dans notre Suisse, à Wegis au lac des Quatre-Cantons, sa demande a été rejetée. Les artistes deviennent trop souvent des assistés — une charge pour la commune.

De tels incidents et la situation pas brillante de l’art en général ont conduit mon ami Herbert Read, un incorruptible, à faire dans une lettre ce pénible constat : « Les artistes mènent un combat perdu d'avance dans notre civilisation technique et je ne vois pour eux aucun espoir. Le poète est devenu un anachronisme. Même un clown a plus de valeur que lui : il amuse ».

C'est ainsi et pourtant nous devons continuer à travailler, continuer à espérer, continuer à rêver. Qui sait, chère Madame, peut-être cette résistance publique nous rendra plus forts, nous endurcira. Parce que telle est la situation aujourd'hui, le courage d'éclairer, d'agir reste notre mission.

Notre société ne se sent bien que dans le passé. Là où ne se pose plus aucune question, où il n’y a plus d'inconnu. Le passé est comme une paire de lunettes de soleil qui rendrait supportable le présent aveuglant. Cette fuite hors de notre époque est pour moi un signe alarmant de résignation. On ne croit pas aux valeurs du présent.

Tiré d'un livre de Karl Gerstner, Les artistes et la majorité : « Finalement ça ne nous aide pas d'exorciser le passé. Nous n'avons plus besoin de Saint-Pierre de Rome... Il devrait être possible en esprit et avec les matériaux actuels d'atteindre au moins un niveau comparable à celui du passé et à l'héritage, et d'instaurer pour le présent : la culture avec des aspects entièrement démocratiques ».

C'est justement ce point de vue que personne ne veut aujourd'hui admettre. Or cette vérité est pourtant le sens profond de tout art.

Vous êtes en outre marginalisée parce que vous êtes une femme. À l'art des femmes colle toujours le soupçon d'« ouvrage de dame ». Ce qui a pour conséquence que les artistes femmes veulent trop souvent se donner des allures masculines. Mais laissons cela. Vos tableaux n’ont rien à voir avec cette question. Ils sont simplement là, l’art dans sa forme la plus pure. J’ai vu hier, ici, à Paris quelques-uns de vos travaux. J'ai été étonné de votre façon souveraine de donner à l'art concret une impulsion nouvelle et surprenante. En partant de l’angle droit, vous ouvrez la voie à un monde de liberté, un monde riche de possibilités d’expression insoupçonnées.

Amicalement. »

 

Sophie Taeuber-Arp (1889-1943)

 

--> Qui était Sophie Taeuber ?

Brève biographie

Sophie Taeuber (Sophie Henriette Gertrude) est une artiste, peintre, sculptrice et danseuse suisse, naturalisée française. Elle est née en 1889 à Davos (Suisse) et morte en 1943 à Zurich.

De père allemand et de mère suisse allemande, Sophie grandit dans un milieu où l’art est présent dans la vie de tous les jours.

À Saint-Gall, elle apprend le dessin décoratif et les techniques de la broderie et de la dentelle, puis étudie dans les « ateliers expérimentaux » de Hermann Obrist et de Wilhem von Debschitz, à Munich, où elle se forme à toutes les disciplines artistiques, y compris au travail sur bois et à l’architecture. En 1912-1913, elle apprend également le tissage à l’École des arts décoratifs de Hambourg. (Archives of women artists research).

Elle découvre la danse d’expression grâce à son amie Mary Wigman.

En 1915 elle s’installe à Zurich et rencontre Jean Arp, qu’elle épouse en 1922, et sera désormais connue sous le nom de Sophie Taeuber-Arp. Elle participe avec lui au mouvement dada.

Sophie Taeuber dit du mouvement dada : « Le mouvement dada est compliqué à expliquer, c’est même presque son but ! Il se compose de pièces de théâtre bruyantes, de lectures de poèmes qui n’ont aucun sens… De manière plus générale, dada est un mouvement mené par des artistes contre la bourgeoisie. Ces artistes protestent contre la culture de la société qui a, selon eux, mené à l’effroyable première guerre mondiale. »

1925 : Sa participation à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes la conduit à Paris, où le couple, qui obtiendra la nationalité française l’année suivante, côtoie les surréalistes. Leur maison-atelier devient, de 1929 à 1939, un foyer de rencontres artistiques internationales.

Grâce à son talent de danseuse, elle va danser au Cabaret Voltaire de façon anonyme car en même temps elle enseigne à l’École des arts appliqués de Zurich (1916-1929).

Pendant cette période elle réaliste une série de Têtes Dada qui font partie de ses œuvres les plus célèbres.

1927-1928, le couple s’installe à Clamart. Leur maison-atelier devient un foyer de rencontre artistiques internationales, de 1929 à 1939.

Elle rejoint les associations Cercle et Carré et Abstraction Création.

(1937-1939), S. Taeuber édite la revue multilingue Plastique jusqu’à la veille de la guerre. Elle est très concernée par la politique et essaie de renouer les liens entre les artistes dispersés.

Son mari et elle s’installent à Grasse, lors de l’exode ; là, ils réalisent des dessins à quatre mains avec Alberto Magnelli et Sonia Delaunay, dessins qui manifestent leur opposition au fascisme.

Le couple projette de s’installer au États-Unis, mais c’est un échec. Ils se réfugient alors en Suisse (novembre 1942).

1943, Sophie Taeuber meurt en 1943 peut-être « intoxiquée par le monoxyde de carbone émis par un poêle à gaz défectueux. » (Wikipédia) ou selon Gabriele Mahn « Sa mort reste une énigme »

Sophie Taeuber-Arp
Quatre espaces à croix brisée (1932)

Brève biographie de Gottfried Honegger : voir articles du blog :

  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Jean Arp (13-10-2021)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Léonard de Vinci (20-04-2022)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Sonia Delaunay (19-03-2023)

Gottfried Honegger (1917-2016)

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10 mars 2024 7 10 /03 /mars /2024 09:36

 

LA LANGUE FRANÇAISE

 

 

Voici écrite par Marcel Arland une analyse de notre langue, la langue française, une langue riche et belle.

 

****

 

« Parmi les caractères que l'on a le plus souvent et le plus justement attribués à la langue française, je crois que la clarté vient en premier lieu. Cette clarté qui faisait dire à Brunetto Latini, le maître de Dante, que, s'il usait non de l’italien, mais du français, c'est que le français était, de toutes les langues, non seulement la plus « délectable », mais, par sa clarté, la plus compréhensible, la plus « commune à toutes gens », la plus propre aux échanges de l’esprit. Et tel est bien le rôle que le français a longtemps joué, au XVIIIe siècle surtout, quand il était devenu la haute langue de l'Europe. On sait que cette prédominance s’est aujourd’hui effacée devant celle de l'anglais ; on sait que le caractère d’universalité que l’on reconnaissait à notre langue se trouve fort discuté et combattu. Est-ce à dire que ce caractère ait disparu ? Je ne le crois point. Je tiens notre prose, telle qu’elle se manifeste encore aujourd'hui, à ses bonnes heures, pour une école où toute autre prose peut trouver sinon une leçon, à tout le moins un contrôle. Je Ia tiens pour une école de portée universelle, au même titre que notre peinture.

*

Cela dit, reconnaissons que cette fameuse clarté s'est altérée. Non point que nous manquions, même aujourd'hui, d'une forme claire et jusqu’à la transparence. Mais il en va de la langue comme du roman ; un roman au ton pur, un roman que la philosophie, la science, la politique n'ont pas envahi, roman-roman, un roman qui ne propose rien d'autre que lui-même, mais qui met là sa justification et son orgueil, — eh bien, ce roman est aujourd'hui assez dédaigné, à tout le moins suspect ; suspect de conformisme et de pauvreté. De même pour la forme ; si elle est claire, apparemment aisée, si elle ne pose pas de problèmes (ou plutôt n'en semble pas poser), elle n'attire pas l'attention, elle ne semble pas assez moderne, on la traite en parente de province. Comme si l’aisance était synonyme de facilité ; comme si la clarté et la transparence étaient synonymes de vide et de fadeur. II n'est pas de transparence sans mystère intime ; il n’est pas de plus pur secret —et qui toujours s'entretient, se nourrit, se renouvelle — que celui d'une forme de claire apparence, quand elle vient d'un écrivain véritable.

*

On ne saurait parler de clarté sans parler de construction. La construction régulière de notre langue peut apporter à la fois une aisance et un frein. Vous vous rappelez que Fénelon déplorait un peu cette régularité, qui engendre la monotonie. Je ne vois pas toutefois que nos grands écrivains n'aient su la plier à leur génie propre : un Pascal (c'est, il est vrai, le plus grand de nos écrivains, et le plus complet), un Fénelon lui-même à ses grandes heures (aux heures de combat ou de révolte), bien entendu, un Rabelais, un Saint-Simon, un Michelet. Mais il me semble que la construction de notre langue, très forte encore chez Victor Hugo, et même un peu trop apparente, un peu ostentatoire et redondante, a perdu, non seulement de sa régularité, mais de sa vigueur...

*

Si l'on parle des rapports de la littérature et de la langue contemporaines comment esquiver la fameuse question de la grammaire et de la syntaxe, le fameux problème de la correction ? La grammaire est une institution nationale ; les journaux littéraires et même les autres ont des tribunes de grammaire, des consultations grammaticales ; les lecteurs questionnent et les professeurs répondent : « Est-ce que Giono a raison d'écrire Je m'en rappelle ? — Non, il a tort ». « Et Gide, quand il écrit malgré que ? Eh, eh ! on ne peut pas dire qu'il ait raison, étant donné qu'il ne s'agit pas de l'expression malgré que j’en aie ». « Et François Mauriac, quand il écrivait dans La Table ronde en 1952 : Cela s'est avéré faux ? —Mauriac ! ah ! diable Mauriac ! Nous vous répondrons un autre jour ». Etc. Et de toutes ces réponses on fait des livres ; et sur les livres des articles. C'est un jeu plaisant, mais tout compte fait, assez vain. On peut estimer sans doute qu'il existe un certain nombre d'erreurs dont tout écrivain doit se garder. Sans doute encore est-il bon et nécessaire que quelques écrivains usent d'une langue aussi pure que possible. Mais si, pour critère de correction, on prend l'usage ancien, faut-il absolument négliger l’usage qui tend à s'établir, qui se forme sous nos yeux ? Il me semble que le principe le plus sage est celui-ci : quelque considération que l'on ait pour l’usage — et j’entends l'usage des bons écrivains — il n'est de fautes vraiment graves que celles qui menacent l’esprit de notre langue...

*

Brice Parain, dans un essai qu'il me communiquait voilà quelques jours, déclare que l’une de ses plus fortes raisons d'espérer, c'est de voir qu'un langage commun est en voie de formation dans notre littérature, un langage qui échappe à une littérature trop savante ou trop éprise de son jeu, pour devenir entre tous les hommes l'instrument fondamental de l'union.

*

Cette tendance existe, elle est forte, elle est naturelle, elle se développe. Naturelle, donc légitime. Et l'on voit bien que, si notre littérature s'y ferme de parti-pris, elle court le risque de dessécher notre langue et de la séparer à jamais du langage populaire. Mais l'on voit aussi que, si elle s'y abandonne, notre langue va perdre, ou du moins altérer, ses caractères les plus précieux : élégance, clarté, précision, rigueur, harmonie, et force dans la délicatesse.

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La position que nous choisissons est celle de l'extrême milieu ; elle peut sembler facile, elle ne l’est pas ; elle l'est moins que jamais aujourd'hui. Nous souhaitons que notre langue se renouvelle sans se perdre ; nous souhaitons l'expérience, mais aussi le contrôle. Je précise. Qu'il y ait chez la plupart de nos écrivains une bonne et belle langue, sans recherches trop savantes ou trop hardies, mais sans complaisance à l'égard des lecteurs de nos magazines et de nos auditeurs de la radio : voilà ce qui constituera le gros de nos forces et le plus constant. Que certains écrivains d'autre part fassent résolument appel à un langage plus libre, plus populaire, débraillé à l'occasion, je l'admets fort bien et le trouve utile — tout en remarquant qu'il n'est pire littérature littéraire et littératurante que celle des sans-culotte. Je l’admets donc, mais c'est à condition qu'en face d'eux et à I ‘opposé la France connaisse cette équipe, ces écoles, ce laboratoire, qu'elle a toujours connus et qui ont fait la souveraine qualité de notre langue, soit qu'il s'agisse de raffinement, soit d'audace.

*

Mais je sens bien que cette équipe elle-même, dont le rôle me paraît capital et absolument nécessaire, je sais que l'on peut être parfois inquiet de l’action qu'elle exerce sur notre langue. Oui, l'on pourrait dire que toute littérature originale, toute nouveauté, tout apport, remet en jeu l'état d'une langue. On pourrait prétendre, bien plus, que toute originalité est une maladie, que tout style est une maladie, et qu'ils imposent ou proposent à Ia langue une maladie. Une langue ne peut rester absolument intacte, à la venue d'un esprit, d'une sensibilité et d'un art nouveaux. Il n'est pas jusqu'au sens des mots, qui plus ou moins ne se modifie ; et non point parce que l'écrivain le veut ainsi, d'une façon orgueilleuse ou perverse, mais parce qu'il ne peut pas faire autrement s'il veut être lui-même ; parce que le mot « arbre » ou le mot « ciel » ont dans son cœur un sens particulier, et que, s'il est vraiment un artiste, ce sens original passera dans son œuvre et se manifestera, soit par l'accent particulier et la valeur particulière que lui donne sa place dans la phrase, soit par l'éclairage qu'il reçoit des mots voisins. Qu’on le veuille ou non, c'est la loi de l'œuvre d'art. Eh quoi I Est-ce qu'avec Joinville, avec Commynes, avec Rabelais, avec Amyot, Bossuet, Pascal, Saint-Simon, Rousseau et tant d'autres, la langue française n'a pas changé ? Ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une évolution naturelle et quasi fatale fut souvent tenu à l'origine pour une altération et même un sacrilège. On disait de Marivaux, en son temps, qu'il était illisible à force de charabia ; il me semble qu’on le lit beaucoup aujourd'hui. On a dit de Ramuz qu'il n'écrivait même pas la langue d’un canton ; il me semble que cette langue a dépassé les limites de plus d'un canton.

*

Nous ne voulons point d'une langue abâtardie, certes, et complaisante ou raccrocheuse. Mais nous ne voulons point d'une langue morte, ou qui se meure. Ce qui est à proscrire, c'est la nouveauté qui ne vise qu’au jeu, à l’étonnement du badaud (et que de badauds dans les cercles avertis !) ou au scandale. C’est la nouveauté qui renie l'esprit profond d'une langue. Car, ici encore, le critère, c'est le génie de la langue, et Dieu sait combien il peut nous apparaître complexe et accueillant, habile à faire son miel ; combien il y a de chambres dans la maison du Père ! une langue ne vit qu'en se renouvelant ! mais on ne la renouvelle valablement que par l'amour, par toutes les formes et les nuances de l'amour. Je ne crois pas que jamais une langue ait mérité plus d’amour que la nôtre. »

                                                                             (MARCEL ARLAND, in Cinq propos sur la langue française, (Fondation Singer-Polignac, 1955))

I

Marcel Arland (1899-1986)

¤ Marcel Arland

Marcel Arland est un écrivain, essayiste, critique littéraire et scénariste français. Il est né en 1899 à Varennes-sur-Amance et mort en 1986 à Saint-Sauveur-sur-École. Il est issu d’une famille de petite bourgeoisie rurale.

À trois ans il perd son père et est élevé par sa mère et ses grands-parents. Sa mère, veuve inconsolable, en oublie l’amour maternel pour ses deux fils.

Cette conscience d’être orphelin et de la figure absente de son père mais aussi de sa mère, marque son œuvre.

Il fait de brillantes études au collège de Langres, puis à la faculté la Sorbonne, à Paris (1919).

Il enseigne au collège de Jouy-en-Josas de 1924 à1929.

Responsable de la partie littéraire de la revue de l’Université de Paris, il y publie ses premiers textes. De grands noms d’écrivains collaborent à cette revue : Proust, Mauriac, Cendrars, Giraudoux.

Marcel Arland commence sa carrière dans la révolte et la contestation de la société suite au désordre provoqué par la Première Guerre mondiale et face aux injustices sociales.

1920 : il adhère au dadaïsme et fonde la revue d’avant-garde Aventure.

Il fréquente Dhôtel, Vitrac, Crevel, Limbour. Il fait aussi la connaissance d’André Malraux.

En 1924 il publie dans La Nouvelle Revue française (NRF).

1929, il reçoit le prix Goncourt pour l’Ordre (long roman de formation (Bildungsroman), seul vrai roman qu’il écrira et dont le héros, Gilbert, est une sorte de Rimbaud des années 1920. Il collabore de plus en plus à la NRF sauf durant l’Occupation où il se retire dans sa maison de Brinville, près de Paris où il vit en reclus, écrivant des essais.

1930, il épouse Jeanine Béraud, tante maternelle de Michael Lonsdale.

Après la Libération Arland déploie une grande activité critique et une attention particulière aux jeunes talents.

1952, Arland reçoit le Grand Prix de la Littérature de l’Académie Française

1953 : Il partage avec Jean Paulhan, la direction de la Nouvelle NRF et à la mort de ce dernier, assurera seul cette fonction jusqu’en 1977.

1960, Arland reçoit le Grand Prix national des Lettres.

1968, il entre à l’Académie française

1986 : Arland meurt subitement dans sa maison de Brinville, au mois de janvier, et son épouse meurt la même année en octobre.

Ses manuscrits et sa correspondance ont été légués à la bibliothèque littéraire Jacques Douvet.

 

*

Quelques-unes de ses œuvres

Essais    

-Anthologie de la poésie française (1942)

-La Prose française : anthologie, histoire et critique d’un art (1951)

-Proche du silence, mémoires (1973)

-Terres de France, essai sur la paysannerie

...

Fictions

-Terres étrangères (1923)

-Les Âmes en peine (1927)

-L’Ordre (1929)

-Les Vivants (1934)

-Sur une terre menacée (1941)

-Zélie dans le désert (1944)

-Il faut de tout pour faire un monde (1947)

-La consolation du voyageur (1952)

-L’Eau et le feu (1960)

-Le grand Pardon (1965)

-La musique des anges (1967)

 

 Réflexions

On remarque l’évolution de la langue française tout au long des années, des siècles, et c’est une bonne chose. Une langue doit rester vivante sinon elle disparaîtra.

Des mots nouveaux apparaissent, apportés par l’évolution de la société, des sciences, les nouveaux métiers… Des mots inventés par les jeunes pour se différencier des parents, ne pas toujours être compris par ceux-ci : verlan, argot à l’école…

Puis il y a les apports étrangers grâce aux voyages de plus en plus aisés, lointains, fréquents ; les déplacements des différentes populations, immigration…

Notre langue s’enrichit.

Si elle n’est plus la langue universelle du 18e siècle, elle reste parlée dans beaucoup de pays et régions du globe.

 

Mais attention : si nous limitons le nombre d’étudiants étrangers qui propagent notre langue, celle-ci risque à plus ou moins longue échéance, de se « ratatiner », de ne plus être parlée qu’en France. Elle perdra de son aura et notre pays également.

Attention aussi à l’utilisation trop fréquente de termes anglais.

-Beaucoup de chanteurs français (les jeunes surtout) chantent en anglais malgré le fait que bien des Français ne comprennent pas leurs chansons et donc ne les écoutent pas, ne les connaissent même pas.

-Les nouvelles entreprises prennent des noms anglais, peu attractifs pour la majorité des Français.

-Beaucoup de journalistes, de personnes publiques… utilisent des termes anglais (par snobisme ou est-ce par ignorance ou pauvreté du vocabulaire français ?) alors qu’il existe l’équivalent en français.

 

Et vous, chères lectrices et chers lecteurs, que pensez-vous de notre langue, de son évolution, de sa place dans le monde, de son avenir ?

 

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 08:47

 

LES FEMMES DANS L’HISTOIRE

LEUR PUISSANCE

UN MOUVEMENT DE FEMMES PEU CONNU

LES BÉGUINES

 

Béguinage Saint-Vaast, Cambrai

 

¤ QUI ÉTATIENT LES BÉGUINES ?

Le béguinage, c'est d'abord l'invention, dans la Flandre du XIIe siècle, d'un nouveau mode de vie : pour la première fois, des religieuses mettent en place des communautés laïques de femmes en dehors des murs des monastères ou des couvents. Ces femmes, souvent veuves ou célibataires, adhèrent à certaines règles monastiques sans pour autant former de vœux perpétuels : elles restent donc indépendantes de l'Église. Elles étaient, bien souvent, cultivées et enseignaient dans des écoles attenantes au béguinage ou prodiguaient des soins dans les hôpitaux.

 

Elles vivent, en général, dans des maisons individuelles regroupées autour d'une église, un peu en marge des villes, comme à Louvain ou à Malines (Belgique). L’élaboration de ce nouveau mode d'existence est en partie liée à la conjoncture historique : les croisades, qui ont lieu jusqu'en 1291, ont conduit à une surpopulation féminine en Europe. Beaucoup de femmes, qui ne peuvent fonder un foyer, se tournent vers la religion. Mais les couvents sont pleins. Seule solution : amener la religion dans le monde laïc, à la manière des ordres mendiants (franciscains, dominicains, etc.) qui se développent à la même époque.

Les béguinages sont régis par des principes d'autogestion, de solidarité et d'entraide. « C'est une sorte de démocratie avant l’heure. Il n’y a pas de mère supérieure, juste une "Grande Dame" élue pour quelques années. De même, chaque béguinage édicte ses propres règles, toujours modifiables. » (Silvana Panciera, sociologue et auteure de Les Béguines, Fidélité, 2oo9).

Élisabeth de Hongrie (canonisée en 1235), de par sa position sociale, joue un rôle important à partir de 1227 en créant une émulation. Elle décide de soulager la misère des femmes seules en s’appuyant sur les hôpitaux. Mais ce lien hospitalier ne dure pas et les communautés deviennent indépendantes.

Cette indépendance des béguines, qui s'affranchissent de la domination masculine, est perçue d'un mauvais œil par les autorités ecclésiastiques. D’abord critiqués par Latran II, les béguinages sont encouragés par le pape avant que les religieuses laïques soient condamnées pour fausse piété et hérésie par le concile de Vienne de 1311. Le mouvement disparaît presque totalement, sauf en Flandre, où il est toléré.

La dernière béguine est morte le 14 avril 2013 à Courtrai en Belgique.

(Des béguinages d’hommes sont aussi apparus vers le 12e siècle, ces hommes étaient appelés béguards.)

 

Sacerdos libera sive Beguina, par Amman Jost, gravure sur bois, 1585. Bibliothèque municipale de Lyon

 

¤ LES BÉGUINES EN FRANCE

Ailleurs, en Europe, des béguinages s’installent aussi (Suisse, pays du Nord…) et même en France.

 

En France, c’est Saint Louis qui apporte une protection aux béguines. Il « leur a offert le terrain du béguinage de l’Ave Maria, dans le Marais, en 1264, et il les a protégées contre les critiques rencontrées par cette nouvelle forme de vie : des femmes qui, ayant fait le vœu de chasteté et le vœu d’obéissance à l’abbesse — élue — menaient une vie de prière en commun et sortaient pour travailler, sans autre habit commun que leur manteau à capuchon de béguine. Elles étaient connues pour leur charité envers qui frappait à leur porte. » (Lucetta Scaraffia, Femmes dans l’Église : « Comment les béguines ont disparu »)

En effet, à son retour de la 7e croisade, Saint Louis rencontre Hugues de Digne, frère franciscain qui lui enjoint de veiller sur les pauvres comme à la simplicité de sa vie. Louis IX se fait protecteur des ordres mendiants.

Hugues de Digne avait une sœur béguine, Sainte Douceline, autour de laquelle s’était constitué le béguinage, les « Dames de Roubaud ». Philippa Porcelet, proche disciple de Douceline, écrit en langue occitane (1297) une vie de Sainte Douceline. (Ernest Renan, considère cette œuvre comme un chef-d’œuvre en prose de la première littérature provençale).

Donc en 1264, comme dit plus haut, Louis IX installe une communauté de béguines à Paris qui comptera jusqu’à 400 béguines. Parmi les tâches quotidiennes des béguines de Paris, figuraient l’alphabétisation de jeunes et le soin aux pauvres.

Cependant la liberté de ces femmes est vue comme un danger par les théologiens de l’Université de Paris qui les considèrent comme « illettrées », ne maîtrisant pas le latin, qui était la langue de l’autorité ecclésiastique. Mais, plus grave, elles écrivaient en langue vernaculaire qui selon Gilbert de Tournai « transmettaient des « subtilitates » (hérésies) ».

Les béguines ont écrit ou fait écrire en français, en picard, en flamand, en allemand, en provençal… Et dans ces écrits il y avait une certaine posture de prêche interdite aux femmes, ce qui était insupportable à l’autorité ecclésiastique, de même qu’une interprétation personnelle et mystique de la foi qui échappait au contrôle dogmatique extérieur. (https://gallica.bnf.fr/blog/08102021/les-beguines-et-la-litterature-au-moyen-age?mode=desktop)

 

 

Grâce à l’ouvrage de Silvana Panciera « Les béguines, Une communauté de femmes libres », on découvre ce mouvement de femmes libres, très ancien.

¤ Silvana Panciera est née en Italie. Elle a mené ses études universitaires à l’Université Catholique de Louvain, en Belgique.

1978 : elle obtient un doctorat en sociologie à l’École pratique des Hautes Études de Paris.

1995 : elle obtient le prix Femme d’Europe pour la Belgique, pour ses nombreux engagements socio-culturels.

Silvana Panciera écrit :

« Les béguines cherchent des formes de vie qui leur permettent de poursuivre le projet évangélique, sans se greffer sur le système ecclésiastique ni sur les formes cléricales d’évangélisation et sans se couper du monde par l’éloignement monastique. »

 

Gravure sur bois représentant une béguine, tirée de l'ouvrage Des dodes dantzLübeck, 1489.

 

¤ Une béguine célèbre et forte, Marguerite Porete

Femme de lettres, mystique chrétienne, intransigeante, Marguerite Porete, resta toute sa vie fidèle à ses convictions, en dépit des menaces et des tentatives d'intimidation.

Sa pensée de l'amour et de la liberté, qui s'affranchissait de l'Église, lui valut d'être brûlée vive, Elle accepta son sort, plutôt que de se renier.

 

« Ces gens que je traite d’ânes, ils cherchent Dieu dans les créatures, dans les monastères par les prières, dans les paradis créés, les paroles humaines et les Écritures. » (Porete)

 

On ne connaît presque rien de la vie de cette mystique chrétienne, hormis sa fin tragique mais elle avait une grande culture théologique comme profane et avait sûrement reçu une bonne éducation. Née vers 1250 dans le comté de Hainaut (nord de la France), elle vécut sans doute à Valenciennes. Elle est essentiellement connue pour « le Miroir des âmes simples anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour » publié en 1295, un dialogue allégorique entre l'Amour et la Raison.

Porete y décrit les sept phases de l'anéantissement de soi par lesquelles l'âme s'élève vers Dieu et s'unit à lui. Dans cette union mystique, l'âme se trouve réconciliée avec sa véritable nature, et n'est plus soumise à rien d'autre que l’amour : elle se libère de la morale aussi bien que de la raison.

 

« Vertus, je prends congé de vous pour toujours : j'en aurai le cœur plus libre et plus gai, votre service est trop couteux, je le sais. J'ai mis un temps mon cœur en vous, sans rien me réserver, […] j’étais alors votre esclave, j'en suis maintenant délivrée ». (Porete)

 

L’ouvrage de Porete exerça une grande influence sur maître Eckhart (1260-1328), figure de proue du mysticisme rhénan des XIIIe et XIVe siècles, et sur les béguines. Cependant, il suscita rapidement la méfiance de « Sainte-Église-la-petite », comme l'appelait Marguerite Porete.

En effet, la démarche de Porete « se passe de l'Église comme institution, […] relativise les sacrements et rejette la morale », note le philosophe Olivier Boulnois.

Dès 1306, Guy de Colmieu, évêque de Cambrai, condamne l'ouvrage pour hérésie et le fait bruler en place publique, ce qui n'empêche pas Porete de continuer à promouvoir ses idées. Philippe de Marigny, successeur de Guy de Colmieu, la fait arrêter en 1308 : elle est incarcérée à Paris sur ordre de l’Inquisiteur général du royaume de France, Guillaume Humbert, mais refuse de répondre aux questions de l'Inquisition, qui suspecte son appartenance au mouvement du Libre-Esprit.

21 docteurs en théologie de l'université de Paris condamnent à nouveau « le Miroir » pour hérésie, mais la religieuse garde le silence et refuse de se rétracter. Elle est brûlée avec son ouvrage en place de Grève le 1er juin 1310. (Octave Larmagnac-Matheron, Philosophie Magazine, hors-série 43H)

Cependant son livre lui survit par un manuscrit du 15e siècle qui modernise le texte d’origine.

 

 

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4 février 2024 7 04 /02 /février /2024 11:40

Fontaine (1917) de Marcel Duchamp

***

LA VISION DE L’ART DE GOTTFRIED HONEGGER

DANS SA LETTRE À MARCEL DUCHAMP

 

 

Dans cette lettre, Gottfried Honegger s’en prend violemment à l’art dévoyé. Aujourd’hui, d’après lui, tout n’est plus que jeu, tout est permis, tout est à vendre, à acheter. Notre société est devenue consumériste. L’individualisme et le culte du moi priment. On le voit avec les réseaux sociaux où les personnes se montrent et se « remontrent » sur tous les angles.

Honegger attend mieux de l’art.

 

 

« Très cher,

Dans une de vos lettres vous évoquiez Ludwig Wittgenstein. Comme vous l'avez constaté à juste titre, il a remis en question de la manière la plus radicale non seulement l'art, mais aussi tous les problèmes philosophiques. Il ne demande pas « Qu'est-ce que l'art », sa pensée tourne autour de la théorie du jeu. La langue comme un jeu, obéissant comme tous les jeux à des règles.

Les questions que je vous pose ne portent pas sur ce qui est radical. Ce qui m'intéresse c'est votre influence, l'influence de votre œuvre sur les jeunes artistes d'aujourd'hui. Ce qui était pour vous un manifeste, disons un refus de l'art officiel, est devenu l'art officiel. Ce qui était chez vous encore hésitant, ce qui était question, est devenu réponse. Finie la remise en cause de l'art, désormais tout est permis. Votre art a-t-il ouvert toutes les écluses ? Les pionniers, leurs points de vue et leurs théories sont aujourd'hui largement oubliés, dépassés, exposés dans les musées, cimetières pour tourisme de masse.

À Cassel, à Venise, partout domine une effervescence multicolore. Sans honte, sans règles, la pacotille mercantile est ennoblie, donnée pour de l'art. Le ready-made est in. Votre œuvre exerce sur les jeunes une étonnante fascination. Chez vous, cher Marcel Duchamp, l'habituel devient inhabituel, les rapports familiers avec la réalité sont arbitrairement inversés. Chez vous, cela paraît si naturel que cela semble aller de soi et que ça influence notre façon de voir.

J'insiste — je ne vois dans le cirque ready-made, aujourd'hui dominant, qu'une culture de divertissement. Le divertissement domine largement le « jeune art ». Même l'architecture, le design, la mode ont trop souvent peur de la forme. Bilbao est un succès public parce que le musée de Frank Gery est spectaculaire. Disneyland à l'extérieur, cimetière à l'intérieur, écrit le magazine Der Spiegel. Que la fonction détermine la forme extérieure, c'est aujourd'hui oublié.

 

Certes, vous n'avez pas prévu cette vulgarisation de l'art. Certes les dadaïstes, parce que mal compris, ont participé au relâchement de notre culture. Pour moi le présent a trop pollué, trop consommé, trop transformé en produits de consommation. On vole et on falsifie, on pratique le culte de l'art-marchandise, qui correspond tout à fait à notre société consumériste. Si l'art est miroir, témoin de son temps, pourquoi les gardiens de la culture ne le disent-ils pas haut et fort ? Si l'art contemporain était le reflet du libre marché, de la globalisation, l'art d'aujourd'hui aurait une signification politique. Malheureusement cela arrive trop rarement. A la biennale de Venise, de mon point de vue, le kitsch artistique officiel est élevé au mythique. Les textes pratiquent le culte du moi. L'individualisme, la trace de la personnalité originelle, connaît un succès mondial. A une époque où, chaque jour, des centaines de milliers d'hommes meurent de faim, à une époque où l'économie de monopole supprime toutes les garanties humaines et où les États en sont réduits au football, l'art se doit de prendre position. Il ne doit jamais et en aucun cas être un « amusement ». L'art est arme ou vision. L'art est politique, histoire d'une époque.

Ma question est : quelle est votre attitude vis-à-vis de l'informe, de l'infantilisme régnant ?

 

Est-il faux de penser que l'art actuel devrait être avant tout forme et système, que l'art devrait contribuer à un avenir plus humain, un avenir social ? Suis-je naïf, un vieil aveugle hors du coup quand je remets en question les foires d'art contemporain, les ventes aux enchères, le commerce de l'art tout entier ?

Nous le savons : « La laideur nous rend malades ». Un environnement détruit et dominé par la spéculation, associé à la folie de la consommation, est le terreau où se développent le vandalisme, la criminalité et la corruption. Une aliénation autiste se répand. Je lis : « Le dialogue des cultures et des religions doit prévaloir sur les alliances politiques et les coopérations économiques. Des analystes perspicaces, de Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss à l'économiste Amartya Sen, l'ont déjà pronostiqué comme un devoir de pacification. Certes ce dialogue est aujourd'hui plus compromis que jamais ».

 

Tatlin et vous, cher Marcel Duchamp, avez élaboré des concepts esthétiques qui — aussi opposés qu'ils soient — non seulement ne respectaient pas la relation existante entre création artistique et théorie de l'art mais la remplaçaient par leurs propres interrogations liées à l'époque.

Vous devez savoir que ce qui m'importe n'est pas le jugement de valeur mais la volonté de comprendre.

Dans l'attente de votre réponse. »

Marcel Duchamp (1887-1968)

 

***

(Henri, Robert) Marcel Duchamp est né en 1887 à Blainville-Crevon et mort en 1968 à Neuilly-sur-Seine. C’est un peintre, plasticien et homme de lettres français.

Son père, Justin Isidore Duchamp était notaire à Blainville et sa mère, Marie Caroline Lucie née Nicolle, était une musicienne accomplie.

Marcel est le petit-fils d’Emile Frédéric Nicolle, courtier maritime et artiste qui enseigna l’art à ses petits-enfants. Dans cette famille de 7 enfants il y avait plusieurs artistes : Raymond Duchamp-Villon : sculpteur, Jacques Villon et Suzanne Duchamp : peintres

 

Le premier tableau de Marcel Duchamp, Madeleine au piano, est exécuté alors qu’il est en 4e au collège.

Il poursuit de brillantes études au lycée de Rouen.

1904 : avec l’accord de son père, il s’installe à Montmartre, chez son frère, le peintre Jacques Villon. Il s’inscrit à l’académie Julian mais en part au bout d’un an à cause des cours théoriques. Il dessine beaucoup et assiste aux numéros de cabaret humoristiques.

 

1908, il commence à exposer au Salon d’Automne (Grand Palais), il est alors très marqué par les impressionnistes et en 1909 il expose au Salon des indépendants (Orangerie des Tuileries). Il peint alors des paysages. Il commence à vendre ses œuvres. Il expose aussi à Rouen.

Il rejoint ses frères à Puteaux où il fréquente des peintres cubistes (Albert Gleizes, Fernand Léger, Jean Metzinger, Roger de la Fresnaye) et aussi des poètes (Guillaume Apollinaire, Henri-Martin Barzun, Maurice Princet, Georges Ribemont-Dessaignes)

 

Pendant ces périodes, Marcel Duchamp explore différents style artistiques : cubisme, impressionnisme, fauvisme symbolisme.

 

1912, Marcel Duchamp se rend à Munich, où il revoit son ami Max Bergmann. Il entre en contact avec l’avant-garde munichoise. Puis il passe par Bâle, Dresde, Berlin ce qui le mène à étudier un nouveau contexte intellectuel, artistique et scientifique.

Il expose à la galerie La Boétie, à Paris, auprès d’autres artistes qui l’influencent également.

1913, il expose aux Etats-Unis.

En cette année il commence aussi à travailler à la bibliothèque Sainte-Geneviève (Quartier Latin) ce qui le rend autonome financièrement.

 

Vers 1913-1915, il s’écarte de la peinture avec les premiers ready-mades, (ready-made : un artiste s’approprie un objet manufacturé en le privant de sa fonction utilitaire et opère sur lui une manipulation sommaire (retournement, suspension, fixation au sol ou au mur…) puis il ajoute un titre, une date, une inscription avant de l’exposer dans un lieu culturel en tant qu’œuvre d’art).

Duchamp prend des articles ordinaires, prosaïques, et les place quelque part où leur signification d'usage disparait sous le nouveau titre et le nouveau point de vue. en arrachant un objet manufacturé à son contexte et en le plaçant dans un lieux inhabituel, Duchamp élève ces objets au rang d'oeuvre d'art par son simple choix en tant qu'artiste. Il marche ainsi une césure profonde avec toute la tradition artistique qui l'a précédé. il se rapproche ainis des dadaïstes mais il souhaite garder son indépendance, n'appartenir à aucun mouvement.

Il collabore à la revue "Le Surréalisme au Service de la Révolution" (1930-1933)

Parallèlement à son art, il s'intéresse aussi au cinéma. 1935 : il dépose le brevet des  "rotoreliefs".

1955 : il est naturalisé américain.

Dans les années 1960 il est considéré comme un artiste majeur du 20e siècle avec son invention des ready-made.

 

Marcel Duchamp n’appartient à aucun courant artistique précis. Il casse les codes artistiques et esthétiques de l’époque. N’ayant pas suivi de cours dans une école d’art, Marcel Duchamp peut être considéré comme un autodidacte.

 

Porte-Bouteilles (1914)

***

 

Vous pouvez retrouver une courte biographie de Gottfried Honegger dans les articles précédents :

Articles du blog

  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Jean Arp (13-10-21)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Léonard de Vinci (20-04-22)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Sonia Delaunay (19-03-23)

 

Gottfried Honegger (1917-2016)

 

 

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18 novembre 2023 6 18 /11 /novembre /2023 08:59

 

LA SAGESSE DE BOUDDHA

 

 

Quelques pensées

 

 

 

> Un bref aperçu de sa vie

Bouddha (L’Éveillé), de son vrai nom, Siddhartha Gautama, serait né au 6e siècle avant J.C, à Lumbini (Népal actuel).

Son père, le roi Suddhodana, gouvernait le royaume des Sakya ; sa mère était la reine Maya, morte peu après sa naissance.

Selon les textes bouddhistes, à sa naissance, une prophétie annonçait qu’il deviendrait soit un roi puissant, soit un grand maître spirituel.

Il est instruit et éduqué dans le respect de l'hindouisme, loin de la souffrance et de la misère qui existent à l’extérieur du palais familial.

À 16 ans il épousa la jeune princesse Yasodhara qui lui donna un fils.

Siddhartha vivait dans le luxe du palais paternel jusqu'à son expérience avec les Quatre Signes (un homme âgé, un homme malade, un homme mort, un ascète religieux). Il comprit que tous ceux qu’il aimait, tout ce qu’il avait, disparaîtrait un jour car tout le monde est soumis à l’âge, la maladie, la mort. Mais il remarqua que l’ascète, bien que condamné aussi, restait serein. Celui-ci lui expliqua qu’il suivait le chemin de la réflexion spirituelle et du détachement, qu’il était donc indifférent à la perte.

Il prit aussi conscience de la misère dans laquelle vivait le peuple et une nuit, après avoir enfilé la robe d'un ascète, il quitta le palais. Il se tourna vers l’ascétisme et avec l’aide de grands maîtres, il pratiqua l’austérité et se concentra sur la méditation.

À 35 ans, s’asseyant sous un figuier, il promit de ne pas en partir avant d’avoir atteint la vérité ultime.

Il reconnut que la souffrance venait du fait de l’attachement des hommes à ce qu’ils sont, possèdent… alors que la vie n’est qu’évolution, transformation.

Il est le fondateur de la philosophie religieuse du bouddhisme.

Après une vie d’ascète et d’errance, Siddhartha Gautama, connu sous le nom de Bouddha, mourut vers 480 av J.C, à un âge très avancé.

 

 

>Très belle introduction de Marc de Smedt à son livre « Paroles du Bouddha ».

« Siddharta Gautama, qui sera appelé plus tard le Bouddha, l'Éveillé, est né il y a 2500 ans environ dans le nord de l'Inde, tout près de l'actuelle frontière du Népal, à Lumbini. On dit que son père était un roi : les fouilles archéologiques dans la région ont permis de découvrir que c'était en tout cas un seigneur, une sorte de chef de clan, celui des Shakyas. Il naquit donc dans une famille puissante, les Gautama, aux moyens d'existence nettement supérieurs à ceux du commun. La légende nous dit aussi que son père, soucieux d'une prédiction faite par un ermite au moment de la naissance de son fils, annonçant que celui-ci serait soit un grand roi, soit un grand sage, fit tout pour que cela soit évidemment la première partie de la prophétie qui se réalise. Le jeune prince Siddharta reçut donc une éducation guerrière et intellectuelle poussée, et son père fit tout pour lui éviter soucis et ennui. Danseuses, chasses, précepteurs, serviteurs l'occupent donc à plein temps. On le marie aussi à la jolie Yasodhara, fille d'un clan voisin qui lui donnera un fils. Mais tout cela ne fait pas son bonheur : il est en effet tourmenté et déprimé par l'existence de la maladie, de la misère, de la vieillesse et de la mort qui lui « ôtent toute fierté au sujet de cette vie que je menais » et dont il ressent la futilité. Alors, une nuit, il quitte le palais et sa famille, il s'enfuit loin de la vie facile pour chercher la vérité et essayer de comprendre le sens de l'existence. Il a trente ans. Il coupe sa longue chevelure, quitte ses vêtements luxueux pour une simple tunique et part suivre l'enseignement des sages du temps. Durant des années il pratique des techniques de yoga, il jeûne, il écoute des philosophies, mais sans apaiser sa soif de comprendre. Alors il décide de s'enfermer dans une grotte et d'y méditer jusqu'à découvrir le pourquoi des choses. Il y reste jusqu'à devenir une sorte de squelette halluciné qui se nourrit d'une graine par jour. Sans résultat. Dans un sursaut il sort de sa grotte pour ne pas y mourir comme un chien dans un trou, il se traîne jusqu'à un arbre où il s'adosse entre les racines pour, au moins, finir en plein jour. Et là, il entend un maître de musique s'installer avec ses élèves dans un bosquet proche. Le maître dit : « Pour qu'un luth fasse de la bonne musique, il faut qu'il soit bien accordé ; si les cordes sont trop lâches, le son est mou, si les cordes sont trop tendues, le son est discordant. Il faut trouver l'accord juste. » A ces paroles, Gautama a une véritable illumination. Il réalise qu'elles s'appliquent à son cas : prince, il menait une existence trop molle, déliquescente, et, vagabond errant, il mène une vie inutile qui le conduit aux portes de la déchéance, pour rien. Il comprend que la vérité est dans l'équilibre des forces et découvre ainsi le premier principe de ce qui deviendra le bouddhisme : la voie du juste milieu. Le corps et l'être doivent être harmonieusement accordés pour donner un juste mouvement et être utiles aux autres. Une nouvelle vie commençait pour lui : tout en reprenant vigueur il se recueillera encore longuement avant de se décider à enseigner ceux qui le désiraient dans ce qu'il a appelé le Noble Chemin, composé de huit préceptes qui peuvent nous servir encore aujourd'hui : la vision correcte, la parole correcte, l'action correcte, la vie correcte, l'effort correct, l'attention correcte et la méditation correcte. Il mourut à quatre-vingts ans : une nouvelle philosophie était née. Elle ne suscita jamais de guerres. » (Marc de Smedt, Paroles de Bouddha, Albin Michel, Carnets de sagesse.)

 

 

>Quelques pensées de Bouddha

 

« Toute conquête engendre la haine, car le vaincu demeure dans la misère. Celui qui se tient paisible, ayant abandonné toute idée de victoire ou de défaite, se maintient heureux. »

 

 

« Un homme peut bien dépouiller autrui, autant qu’il convient à se fins : mais dépouillé à son tour par autrui, tout dépouillé qu’il est, il le dépouille encore.

Tant que le fruit n’a pas mûri, le sot s’imagine : « Voici mon heure, voici mon occasion ! » Mais quand son acte a porté ses fruits, tout se gâte pour lui. Le tueur se fait tuer à son tour ; le vainqueur trouve quelqu’un pour le vaincre ; l’insulteur se fait insulter, le persécuteur a des tracas.

Ainsi par l’évolution de l’acte qui dépouille il est dépouillé à son tour. »

 

 

 

« Actuellement, ô brahmane, les gens sont enflammés de désirs illégitimes, accablés par leurs appétits dépravés, obsédés par de fausses doctrines. Étant ainsi, ils saisissent des glaives acérés et s’ôtent la vie les uns au autres, et beaucoup périssent. De plus, sur ces gens enflammés, accablés, obsédés, la pluie ne tombe pas régulièrement. Il est difficile d’avoir de quoi manger. Les récoltes sont médiocres, frappées de la moisissure, mal venues. Ainsi, beaucoup périssent. Telle est la raison, telle est la cause de l’apparente perte et croissance de l’humanité. Voilà pourquoi les villages ne sont plus des villages, les bourgs ne sont plus des bourgs, les villes ne sont plus des villes, et les régions campagnardes sont dépeuplées. »

 

 

« Faciles à voir sont les fautes d’autrui : celles de soi sont difficiles à voir. En vérité les fautes des autres, nous les passons au van comme la balle du grain, mais celles du soi nous les couvrons comme le rusé joueur cache le coup qui le ferait perdre. »

 

 

« Le temps est un grand maître, le malheur, c’est qu’il tue ses élèves. »

 

 

« Chaque matin nous renaissons à nouveau. Ce que nous faisons aujourd’hui est ce qui importe le plus. »

 

 

« Ne demeure pas dans le passé, ne rêve pas du futur, concentre ton esprit sur le moment présent. »

 

 

« Accepte de qui est, laisse aller ce qui était, aie confiance en ce qui sera. »

 

 

« Quand vous adorez une fleur, vous l’arrachez, mais quand vous aimez une fleur, vous l’arrosez tous les jours. Celui qui comprend cela, comprend la vie. »

 

Marc Smedt 

> Marc de Smedt

Né le 21 octobre 1946, est un écrivain et un journalise français, spécialiste des techniques de méditation et des sagesses du monde. Il est aussi éditeur.

Il dirige et codirige plusieurs collections chez Albin Michel : Carnets de sagesse, Paroles de, Espaces libres, Spiritualités Vivantes.

Il dirige aussi les Éditions du Relié.

Il est également Directeur de rédaction et de publication du magazine Nouvelles Clés (devenu Clés et qui a cessé son activité en 2016) qui est spécialisé dans l’exploration des traditions spirituelles qui peuvent aider chacun à faire le point sur les différentes sagesses, mais aussi sur la santé du corps et de l’esprit, sur l’écologie au sens large.

De 1970 à 1981, il a suivi l’enseignement du maître zen Taisen Deshimaru.

Il est membre du jury du prix Alexandra—David-Néel/Lama-Yongden.

 

 

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14 octobre 2023 6 14 /10 /octobre /2023 08:17

 

LITTÉRATURE NÉGRO-AFRICAINE

OU

LITTÉRATURE AFRICAINE ?

Lilyan Kesteloot, Anthologie négro-africaine

   Le débat fut long et difficile pour définir avec précision, à la satisfaction de tous, la littérature née en Afrique, en lien avec la colonisation, notamment la colonisation européenne.
   Un constat : cette littérature est effectivement née avec la colonisation européenne : française, anglaise, portugaise, allemande, espagnole…


   Sans refaire le débat, il convient de signaler simplement l’apport de l’autrice, Lilyan Kesteloot, en ce domaine.
   Née en 1931, en Belgique, morte à Paris en 2018, elle fit des études supérieures dans des universités belges, études conclues par sa thèse monumentale : Anthologie négro-africaine, Histoire et textes de 1918 à nos jours.
   Elle enseigne ensuite dans des universités en Afrique : Cameroun, Mali, Sénégal, Guinée, Côte-d’Ivoire…

   Pour elle, toutes les littératures africaines ont un rapport direct avec la colonisation ou avec le contact des Noirs issus de la Traite, mais aussi de l’Histoire en général, exemple : la littérature originelle de l’Afrique, issue de la littérature orale africaine : contes, légendes...
   Selon elle, cette littérature a évolué ou évolue avec l’histoire de chaque pays africain de la colonisation à nos jours.

   Au début de la colonisation les lecteurs plébiscitaient les auteurs noirs ou blancs dont les écrits étaient consacrés à l’Afrique, puis sont privilégiés les auteurs qui s’attaquent aux colonisateurs et à l’esclavage, comme par exemple Senghor et la Négritude.   
   Les indépendances des pays colonisés constituent une autre étape, un autre genre d’écrivains et de lecteurs, avec une influence grandissante des Noirs américains sur leurs « frères colonisés ». C’est l’épisode du débat « panafricanisme avorté » et ses conséquences politiques »

Lilyan Kesteloot (1931-2018)

*

Écoutons Lilyan Kesteloot présenter sa vision de la « littérature africaine » dans l'introduction à son ouvrage : Anthologie négro-africaine, Histosire et textes de 1918 à nos jours, EDICEF.

*

« Pourquoi avons-nous adopté le titre d'Anthologie « négro-africaine » pour présenter l'ensemble des œuvres littéraires, tant orales qu'écrites, qui expriment la vision du monde, les expériences et les problèmes propres aux hommes noirs d'origine africaine ?

Pourquoi ne parlons-nous pas de littérature « nègre », ou mieux de littérature africaine ? Et pourquoi spécifie-t-on la race ? A-t-on jamais parlé de littérature blanche ou jaune ? Non. Mais il faut éviter l'équivoque qu'entraînerait le seul adjectif « africain ». Car on engloberait alors abusivement la littérature des Africains du Nord, qui, culturellement, appartiennent au monde arabe.

Pourquoi « négro-africain » est-il plus précis que « nègre », encore qu'on emploie couramment l'un pour l'autre ? Négro-africain indique une nuance géographique qui est aussi une référence culturelle importante : il ne s'agit pas des Noirs de Malaisie ou de Nouvelle-Guinée. Mais bien de ceux d'Afrique qui ont, au cours des siècles, développé une civilisation bien particulière que l'on reconnait entre toutes.

Nous considérons donc la littérature négro-africaine comme manifestation et partie intégrante de la civilisation africaine. Et même lorsqu'elle se produit dans un milieu culturellement différent, anglo-saxon aux U.S.A., ibérique à Cuba et au Brésil, elle mérite encore d'être rattachée à l'Afrique tant le résultat de ces métissages conserve les caractères de l'Afrique originelle. Ceci est plus sensible encore dans la musique : qui niera par exemple l'africanité du jazz ou des rythmes cubains ?

L'aire de la littérature négro-africaine recouvre donc non seulement l'Afrique au Sud du Sahara, mais tous les coins du monde où se sont établies des communautés de Nègres, au gré d’une histoire mouvementée qui arracha au Continent cent millions d'hommes et les transporta outre-océan, comme esclaves dans les plantations de sucre et de coton. Du Sud des Etats-Unis, des Antilles tant anglaises que françaises, de Cuba, de Haïti, des Guyanes, du Brésil, rejaillit aujourd'hui en gerbes l'écho de ces voix noires qui rendent à l'Afrique son tribut de culture : chants, danses, masques, proses, poèmes, pièces de théâtre ; dans tous les modes d'expression humaine s'épanouissent des œuvres marquées du génie de l'Afrique traditionnelle, et qui témoignent de la profondeur de ses racines autant que de la vigueur de ses greffes.

 

*

*La littérature orale traditionnelle

Dans la littérature négro-africaine nous distinguerons les œuvres écrites en langues européennes et la littérature orale qui se fait en langues africaines.

Cette dernière est de loin la plus ancienne, la plus complète et la plus importante. Ancienne car pratiquée depuis des siècles et transmise fidèlement par des générations de griots ou aèdes, dont les mémoires ne sont rien de moins — dans une civilisation orale — que les archives mêmes de la société.

Complète car cette littérature comprend tous les genres et aborde tous les sujets : mythes cosmogoniques, romans d'aventures, chants rituels, poésie épique, courtoise, funèbre, guerrière, contes et fables, proverbes et devinettes. Importante par son abondance, son étendue et son incidence sur la vie de l'homme africain. En effet, cette littérature orale n'a jamais cessé, même pendant la colonisation, d'animer les cours des chefferies, comme les veillées villageoises, ni de proliférer avec une liberté et une virulence échappant au contrôle des étrangers ignorant d'habitude les langues indigènes.

Quant à sa portée sur le public africain, il faut savoir, pour en juger, que cette littérature orale charrie non seulement les trésors des mythes et les exubérances de l'imagination populaire, mais véhicule l'histoire, les généalogies, les traditions familiales, les formules du droit coutumier, aussi bien que le rituel religieux et les règles de la morale. Bien plus que la littérature écrite, elle s'insère dans la société africaine, participe à toutes ses activités ; oui, littérature active véritablement, où la parole garde toute son efficacité de verbe, où le mot a force de loi, de dogme, de charme.

Et les chefs des nouveaux Etats indépendants sentent si bien le pouvoir de cette littérature, qu'ils n'hésitent pas à confier aux griots traditionnels le soin d'exalter leur politique ou leur parti.

Littérature plus vivante parce que non figée, et transmise directement du cerveau qui l'invente au cœur qui l'accueille ; plus ardente parce que recréée à chaque fois, au feu de l'inspiration ; plus souple parce qu'adaptée, exactement, au jour, au lieu, au public et aux circonstances.

Mais certes, il faut avouer que les littératures orales sont aussi plus fragiles, difficiles à consigner, à inventorier et à cataloguer. C'est d'ailleurs à cause de ce handicap qu'elles sont encore mal connues, et méconnues ; nous faisons le point sur l'état actuel de ce problème en fin de notre ouvrage.

 

*

*La littérature écrite moderne

Voilà aussi pourquoi ce livre porte surtout sur la littérature écrite. Ce qui ne veut pas dire que celle-ci soit sans intérêt, et qu’on l’aborde à défaut d’avoir accès à l’autre !

La valeur des écrivains négro-africains n’est d’ailleurs plus à démontrer. Des voix autorisées l’ont d’ores et déjà reconnue, et je songe à André Breton, Michel Leiris, Sartre, Armand Guibert, Jean Wagner, Georges Balandier, Claude Wauthier, Roger Bastide, Janheinz Jahn !

Mais à l’opposé de la littérature orale, cette littérature écrite est d’origine assez récente ; car elle n’est pas à confondre avec les œuvres que certains lettrés africains et antillais ont écrites de tout temps, à la manière française, anglaise, portugaise et même russe (comme Dumas, Pouchkine, etc.).

J’ai dit plus haut qu’une littérature est avant tout la manifestation d’une culture. On n’a donc pu parler de littérature négro-africaine qu’au moment où les livres écrits par les Noirs ont exprimé leur propre culture et non plus celle de leurs maîtres occidentaux. Or cette désaliénation de l’expression littéraire n’a pu se faire, chez les Noirs, qu’à la lumière d’une prise de conscience douloureuse de leur situation socio-politique.

C’est ce qui explique le caractère agressif de leurs œuvres, et leur prédilection pour certains thèmes : l’analyse des souffrances antiques et multiformes que la race endure comme un destin implacable, la révolte titanesque qu’elle prépare contre ses bourreaux, la vision d’un monde futur et idéal d’où le racisme serait banni et bannie l’exploitation de l’homme par l’homme, le retour enfin aux sources culturelles de l’Afrique-Mère, continent mythique certes, mais aussi très concrète matrice d’une Weltanschaung qui a profondément déterminé l’âme des peuples éparpillés aujourd’hui dans la vaste diaspora nègre.

La naissance de la littérature noire écrite s’est faite dans le déchirement, et cela est bien sensible dans le texte de W.E.B. Du Bois qui commence ce panorama. Dès le début de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « le mouvement de la négritude », l’écrivain noir fut contraint de s’engager dans ce combat étrange que menait toute une race pour la conquête de sa liberté, voire de son statut d’homme.

La littérature nègre porte donc très nettement les stigmates de ce combat. C’est seulement ces toutes dernières années, alors que certaines parties du monde accèdent à une libération effective, que des œuvres, des problèmes raciaux viennent au jour : chants d’amour batanga, drames de jalousie du Ghana, comédies sur le mariage et la dot en pays ewondo — autant de symptômes qui indiquent que la négritude se débarrasse de l’obsession du racisme — quand on ne lui oppose plus le racisme.

La négritude redevient simplement la manière particulière aux Négro-Africains de vivre, de voir, de comprendre, d’agir sur l’univers qui les entoure ; leur façon bien à eux de penser, de s’exprimer, de parler, de sculpter, de raconter des histoires, de faire de la musique comme de faire de la politique, bref : caractéristique culturelle. La littérature africaine nous en transmet les multiples facettes et nous souhaitons qu’elle continue à se développer dans l’épanouissement de l’authenticité retrouvée.

 

*

*Littérature africaine ou littérature nationale ?

Est-ce à dire que les auteurs négro-africains n’ont plus d’autres problèmes que celui de la joie d’écrire ? Ce serait trop beau ! Entre tous, nous évoquerons trois de ces problèmes.

Tout d’abord, celui de l’unité culturelle de l’Afrique. Littérature nationale, tribale ou littérature africaine ? C’est un faux dilemme : pour faire plus « africain », certains sont tentés de rester dans les sentiers battus des thèmes bien éprouvés : souffrance nègre, colonialisme, néocolonialisme, Afrique des Ancêtres etc. et se perdent dans la banalité ! Il faudrait que les intellectuels aient plus de foi dans la civilisation africaine et ne redoutent pas d’y plonger. Car il y a plus d’« africanité » dans Soundiata de Tamsir Niane, dans Chaka de Thomas Mofolo, dans Trois prétendants, un mari de Guillaume Oyono, que dans les œuvres d’Edouard Glissant ou de Paul Dakeyo.

Comme le disait Gide : c’est en approfondissant le particulier qu’on accède au général. Ce n’est pas en criant « Seigneur, Seigneur » ou plutôt « Afrique, Afrique » que les orphées noirs retrouveront leur négritude s’ils l’ont perdue. Mais les intellectuels formés pour la plupart en Europe et coupés de leur milieu traditionnel ont à refranchir le fossé qui les en sépare, pour manifester valablement les Africains d’aujourd’hui.

Reste à savoir s’il importe pour l’écrivain négro-africain de manifester quelqu’un d’autre que lui-même ?

 

*

*La littérature engagée

Ceci nous amène à considérer le second problème que se posent les auteurs noirs. Dans quelle mesure la littérature doit-elle rester « engagée » ? Nous avons vu qu’à sa naissance, elle était d’emblée militante, ce qui lui donnait d’ailleurs cette exceptionnelle unité qu’à très bien fait remarquer le malgache Rabemananjara. « La vérité est que, sous l’impératif de notre drame, nous parlons malgache, arabe, wolof, bantou, dans la langue de nos maîtres. Parce que nous tenons le même langage, nous arrivons à nous entendre parfaitement de Tamatave à Kingston, de Pointe-à-Pitre à Zomba. »

Nul ne songera à nier la force et le relief que prit ainsi la littérature nègre dès ses débuts. Mais ce demi-siècle d’unanimité combattante peut commencer de peser sur la plume des jeunes. Plusieurs songent et s’essayent à une expression plus individualiste, à un lyrisme plus personnel. Et il est préférable en effet de se cantonner dans son petit moi que de jouer les grandes orgues de l’unanimité nègre sans y croire. Tous les jeunes — et même les anciens — n’ont plus la conviction qui animait encore les Maunick et les Tchicaya. Mais le passé encore proche risque d’exercer le diktat de l’« engagement » obligatoire.

Et ici nous rappellerons qu’en dépit de tous les impératifs extérieurs, l’art et la poésie n’obéissent à la contrainte qu’an prix de l’inspiration. Que la seule obligation péremptoire à laquelle l’artiste est tenu de se soumettre est l’engagement en lui-même, à savoir : l’authenticité. Et qu’on ne pourra garder grief à J. Nzouankeu ni à Nyunai, à Camara Laye ni à Birago Diop, parce qu’ils ne soulèvent pas de problèmes sociaux, raciaux, politiques, mais se contentent d’explorer leur folklore quotidien ou les labyrinthes de leur esprit inquiet.

La question de l’engagement se règle dans la conscience de chacun et n’est pas un critère esthétique. De même, il ne suffit pas de mettre en vers ses bonnes intentions pour faire un bon poème.

 

Il reste que l’artiste qui arrive à exprimer l’âme de sa collectivité tout en coïncidant parfaitement avec lui-même, est sans doute plus représentatif, à l’intérieur d’une littérature, d’une culture. Il reste aussi que, dans la tradition africaine, l’artiste assumait un rôle social qu’il n’a plus en Europe. Et dans la mesure où l’écrivain noir se soucie de « retour aux sources », il ne peut manquer d’être sensible à ce rôle traditionnel que jouait et jour encore le griot ou le conteur à l’égard de son groupe.

 

*

* Langues européennes ou langues africaines?

Le troisième problème majeur qui se pose aux écrivains noirs est celui de la langue. Il est assez simple de comprendre pourquoi ils ont commencé à écrire dans les langues étrangères. Comme l’a justement dit J-P Sartre, ils ont utilisé la langue de leurs colonisateurs — « ne croyez pas qu’ils l’aient choisie » — et ce, pour se faire plus largement entendre. De plus les masses africaines ne sachant pas lire, on ne les aurait pas atteintes beaucoup plus en écrivant dans leurs langues. Enfin les éditeurs européens ne s’intéressaient évidemment qu’à des œuvres écrites en langues européennes. Et il est vrai que ce sont le français, et l’anglais qui ont permis aux intellectuels colonisés d’exposer leurs problèmes devant le monde entier, et il n’est pas question qu’ils renoncent à ces langues de communication internationales, à la francophonie entre autres.

Mais aujourd’hui se créent des maisons d’éditions au Nigéria, au Ghana, au Kenya, au Cameroun. Aujourd’hui, grâce à l’alphabétisation intensive, un public africain populaire s’est constitué et s’accroît sans cesse. Aujourd’hui la littérature écrite n’est plus le monopole des universitaires ayant fait leurs études en Europe. Des Africains d’instruction primaire se mettent à écrire, de plus en plus nombreux, et dans un français douteux ou un anglais voisin du pidgin. On ne peut dès lors s’empêcher de penser que ceux qui ont du talent s’exprimeraient mieux dans leurs langues maternelles. Le cas le plus flagrant est celui d’Amos Tutuola : si je reconnais volontiers avec J. Jahn et Raymond Queneau que l’univers de ce planton de Lagos est rempli de la mythologie africaine la plus authentique, je regrette aussi, avec les lettrés nigérians, la bâtardise d’un langage qui n’est plus anglais, ni africain. Tutuola écrivant en yoruba ferait des merveilles, c’est certain, et nous donnerait des œuvres plus authentiques encore plus purement nègres, que l’on pourrait toujours traduire par la suite comme on l’a déjà fait pour le célèbre Chaka (1933) du southo Thomas Mofolo.

Enfin faut-il encore insister sur l’irréparable perte que constituerait, pour les culture africaines, l’abandon des langues nationales ? Tout un domaine de la sensibilité de l’homme ne peut s’extérioriser que dans sa langue maternelle. C’est la part inviolable, particulière, intraduisible de toute culture. L’homme africain ne peut renoncer à ses idiomes traditionnels sans ressentir une amputation grave de sa personnalité.

Ce mouvement de retour aux langues africaines est d’ailleurs largement amorcé surtout dans les pays de colonisation anglaise : au Nigéria où l’on écrit et enseigne le yoruba et le haoussa jusqu’à l’université, dans l’Est africain (Kenya, Uganda, Tanganyika), se développe toute une littérature écrite en Kiswahili. Ne pourrait-on donc imaginer la formation de littératures wolof, bambara, peule, bamileke, ewondo, kikongo, dont les œuvres écrites rejoindraient l’antique courant oral pour former un vaste ensemble de littératures européennes composées cependant de langues nationales aussi différentes que le français, le russe, l’allemand, l’italien, l’anglais, l’espagnol et j’en passe ?

Certains intellectuels africains ont compris cette nécessité et, sans abandonner le français, ils écrivent aussi en peul, comme Hampaté Ba, en kinyaruanda comme Alexis Kagame, en wolof comme Cheik Ndao et Assane Sylla.

 

*

*Le pari cultuel de l'Afrique

 

La survie des langues africaines dépendra essentiellement du crédit que les Africains eux-mêmes leur accorderont.

Ceci  est aussi vrai pour la survie de la civilisation africaine toute entière. Survie nécessaire sans laquelle jamais aucune indépendance politique, aucun développement économique, ne pourra lever le préjugé qui pèse encore aujourd'hui sur le "barbare" sur le primitif, sur l'évolué, le "singe des blancs". Ce préjugé s'amplifie lorsque l'Africain moderne adopte sans réserve le mode de vie européen, les philosophies, l'art même de l'Europe : cela prouve qu'il n'avait rien de bien valable à conserver n'est-ce pas? C'est donc aussi la justification à posteriori de l'action coloniale!

Tel est le pari culturel qu'il importe que l'Afrique gagne. De telle sorte que soit vérifiée cette profession de foi d'Alioune Diop, fondateur de la revue Présence Africaine

« Incapables de nous assimiler à l'Anglais, au Français, au Belge, au Portugais   de laisser éliminer au profit d'une vocation hypertrophiée de l'Occident certaines dimensions originales de notre génie  nous nous efforcerons de forger à ce génie des ressources d'expression adaptées à sa vocation dans le XXe siècle. » »

 

 

 

 

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2 octobre 2023 1 02 /10 /octobre /2023 16:13

FACE AUX ALÉAS DE LA VIE

 

Le livre de Bertrand Piccard Changer d’Altitude a été préfacé par Matthieu Ricard. Dans cette préface il nous montre que l’on peut être heureux face aux aléas de la vie.

Chacun se fait son propre bonheur ou malheur.

Depuis des années, des décennies, je dis toujours à mon épouse, quand il y a des difficultés, ceci :

« Imagine que tu voles au-dessus de notre monde et que tu regardes tous ces êtres humains qui s’agitent dans tous les sens, comme des fourmis. Tu relativises, tu vois que les problèmes sont minuscules dans ce grand Univers. Reste zen, prends les choses comme elles viennent. Soyons juste heureux de vire, le reste n’a pas beaucoup d’importance. »

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Bertrand Piccard nous donne aussi une leçon de vie dans son ouvrage « Changer d’altitude »

Bertrand Piccard

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*Brève biographie de Bertrand Piccard

Bertrand Piccard est né en 1958 à Lausanne (Suisse). Il est psychiatre, mais aussi explorateur et environnementaliste suisse.

Il est le fils de l’océanographe Jacques Piccard qui a exploré les fonds marins et petit-fils du physicien Auguste Piccard qui, lui, a exploré la stratosphère.

Dans les années 1960 il vit en Floride où son père travaille dans le groupe du programme Apollo. Grâce à un ami de la famille, Wernher von Braun, il assiste au décollage de certaines fusées.

Tout en étudiant la psychiatrie, il devient pionnier du vol libre et ULM en Europe. Il s’essaie aussi au vol en montgolfière, en parapente, deltaplane (champion d’Europe de 1985). Il est vainqueur de la 1ere course transatlantique en ballon (1992).

Avec André Borschberg, il développe et pilote en alternance l’avion Solar Impulse. Ils réalisent le tour du monde en 2016.

Son épouse, Michèle Piccard, avec laquelle il a eu trois filles, participe au service de communication de Solar Impulse.

Il est fait chevalier de l’ordre de Saint-Charles (2012) et promu au rang d’officier de la Légion d’honneur (2017).

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*Quelques ouvrages

  • Une trace dans le ciel
  • Quand le vent souffle dans le sens de ton chemin
  • Changer d’altitude, quelques solutions pour mieux vivre sa vie
  • Réaliste, soyons logiques autant qu’écologiques.

Bertrand Piccard « est persuadé que l’esprit de pionner ne se limite pas à l’exploration du monde extérieur, mais que c’est avant tout dans notre vie de tous les jours qu’il nous faut le développer. » (Bertrand Piccard, Changer d’Altitude, Pocket).

 

*Préface de son livre écrite par Matthieu Ricard

« Bertrand Piccard nous a habitués à admirer la manière dont il a su, à force d'imagination, de créativité, de persévérance et de courage, transmuer ses rêves en réalité. Avec Changer d'altitude, il nous offre le fruit de réflexions sur son expérience vécue. Ce partage est présenté avec une ingénuité rafraîchissante qui ne vise pas à théoriser sur la meilleure manière de planifier le cours de notre destinée, mais à dégager les leçons de vie qui lui ont paru les plus fécondes, sans jamais perdre de vue l'aspect pragmatique de leur mise en œuvre.

Bertrand nous rappelle notamment que vouloir que le présent soit autre chose que ce qu'il est constitue l'une des plus grandes causes de frustration dans l'existence. C'est aussi la plus inutile. Chaque jour, nous nous trouvons à la croisée de chemins qui sont également le nouveau point de départ d'un futur souvent imprévisible dont nous pouvons cependant être l'architecte inspiré. La peur de l'inconnu s'estompe si nous disposons des ressources intérieures nous permettant de faire face aux aléas de la vie. Pour ce faire, écrit Bertrand, nous devons nous libérer du joug des idées préconçues, puisque : « Nous devenons la plupart du temps prisonniers non pas des vents de la vie, mais de notre propre façon de penser et de comprendre l'existence. »

Notre esprit peut être notre meilleur ami comme notre pire ennemi, et la qualité de chaque instant qui passe est étroitement liée à notre façon d'interpréter le monde. Quoi qu'il arrive, nous avons la possibilité de faire différemment l'expérience des choses et de transformer la façon dont nous traduisons les circonstances extérieures en bien-être ou en mal-être.

Bertrand s'insurge contre la quête « de la maîtrise et du contrôle, de la réponse à toutes les questions, de la construction de certitudes rassurantes ou d'explications toutes faites ». De fait, notre contrôle des conditions extérieures est limité, éphémère, et le plus souvent illusoire. Pour influentes que soient ces conditions, le mal-être et le bien-être sont essentiellement des expériences vécues. Il convient donc de nous demander quelles sont les conditions intérieures qui vont miner notre joie de vivre et quelles sont celles qui vont la nourrir. Changer notre vision du monde n'implique pas pour autant un optimisme naïf pas plus qu'une euphorie factice destinée à neutraliser I’adversité.

« La vie, écrit Bertrand, est remplie de ces situations que nous ne pouvons pas changer et, pourtant, nous avons appris à les refuser plutôt qu'à les utiliser à notre avantage. [...] L'idéogramme qui correspond au mot "crise" en chinois nous y encourage. Il est composé de deux parties, la première signifiant le risque et le danger, alors que la seconde exprime la notion d'action à entreprendre, d'opportunité à saisir. » Les obstacles qui se dressent sur notre chemin ne sont pas désirables en eux-mêmes, mais peuvent devenir des catalyseurs de transformation si l'on sait les utiliser à bon escient. Ne pas être déstabilisés par les revers de fortune ne signifie pas qu'ils ne nous affectent pas ou que nous les ayons éliminés à jamais, mais qu'ils n'entravent plus notre chemin de vie. Il est important de ne pas laisser l'anxiété et le découragement envahir notre esprit. Shantideva, sage bouddhiste du VIIe, siècle, nous le rappelle : « S'il y a un remède, à quoi bon le mécontentement ? S'il n'y a pas de remède, à quoi bon le mécontentement ? »

Il en va de même pour la souffrance. Bertrand cite une enquête réalisée auprès de personnes souffrant d'un cancer et auxquelles on a demandé : « Est-ce que le cancer a eu de quelque façon que ce soit une influence positive sur votre vie ou sur votre sentiment d'exister ? Si oui, laquelle ? » « Environ la moitié des malades, note-t-il, ont répondu par l'affirmative, en citant comme principaux aspects positifs une vie plus intense et plus consciente, davantage de compréhension envers autrui, une meilleure relation avec le conjoint et un plus grand épanouissement intérieur et relationnel. »

Selon la voie bouddhiste, la souffrance n'est en aucun cas souhaitable. Cela ne signifie pas que l'on ne puisse pas en faire usage, lorsqu'elle est inévitable, pour progresser humainement et spirituellement. Comme l'explique souvent le Dalaï-Lama : « Une profonde souffrance peut nous ouvrir l'esprit et le cœur, et nous ouvrir aux autres. » La souffrance peut être un extraordinaire enseignement, à même de nous faire prendre conscience du caractère superficiel de nombre de nos préoccupations habituelles, du passage irréversible du temps, de notre propre fragilité, et surtout de ce qui compte vraiment au plus profond de nous-mêmes.

La façon dont nous vivons ces vagues de souffrance dépend donc considérablement de notre propre attitude. Ainsi vaut-il toujours mieux se familiariser et se préparer aux souffrances que l'on est susceptibles de rencontrer et dont certaines sont inévitables, telles la maladie, la vieillesse et la mort, plutôt que d’être pris au dépourvu et de sombrer dans la détresse. Une douleur physique ou morale peut être intense sans pour autant détruire notre vision positive de I’existence. Une fois que nous avons acquis une certaine paix intérieure, il est plus facile de préserver notre force d’âme ou de la retrouver rapidement, même si, extérieurement, nous nous trouvons confrontés à des circonstances particulièrement difficiles.

Cette paix de l'esprit nous viendrait-elle simplement parce que nous la désirons ? C'est peu probable. On ne gagne pas sa vie seulement en le souhaitant. De même, la paix est un trésor de l'esprit qui ne s’acquiert pas sans efforts. Si nous nous laissons submerger par nos problèmes personnels, aussi tragiques soient-ils, nous ne faisons qu'accroître nos difficultés et devenons également un fardeau pour ceux qui nous entourent. Toutes les apparences prendront un caractère hostile, nous nous révolterons amèrement contre notre sort au point de douter du sens même de l'existence. Aussi est-il essentiel d'acquérir une certaine paix intérieure, de sorte que, sans diminuer en aucune façon notre sensibilité, notre amour et notre altruisme, nous sachions nous relier aux profondeurs de notre être.

Bertrand consacre également une partie de son ouvrage à la manière de résoudre ou d'éviter les conflits, en adoptant le point de vue de I’autre, en faisant preuve d'ouverture et de compréhension, en souhaitant trouver une solution mutuellement acceptable et en se gardant à tout prix de creuser plus profondément le fossé qui sépare deux points de vue. Un proverbe oriental dit que l'on ne peut applaudir d'une seule main. De même est-il difficile de se disputer avec une personne qui ne souhaite absolument pas entrer dans une stratégie de confrontation. La bienveillance et le calme intérieur sont les meilleurs moyens de désamorcer les conflits naissants.

Pour Bertrand : « La liberté, la vraie, ne consiste pas à pouvoir tout faire, mais à pouvoir tout penser. À penser dans toutes les directions et à tous les niveaux à la fois, sans aucune restriction. » On pourrait aussi évoquer le Mahatma Gandhi qui affirma « La liberté extérieure que nous atteindrons dépend du degré de liberté intérieure que nous aurons acquis. Si telle est la juste compréhension de la liberté, notre effort principal doit être consacré à accomplir un changement en nous-mêmes. »

Dans les années soixante-dix, un Tibétain vint trouver un sage âgé, auquel je rendais moi-même visite, près de Darjeeling, en Inde. Il entreprit de lui raconter ses malheurs passés, puis continua par une énumération de tout ce qu'il redoutait du futur. Pendant ce temps, le sage faisait tranquillement rôtir des pommes de terre sur un petit brasero posé devant lui. Au bout d'un moment, il dit au visiteur plaintif : « A quoi bon tant te tourmenter pour ce qui n'existe plus et pour ce qui n'existe pas encore ? » Interloqué, le visiteur se tut et resta un bon moment en silence auprès du maître, qui lui tendait de temps à autre quelques bonnes patates croustillantes.

La liberté intérieure permet de savourer la simplicité limpide du moment présent, libre du passé et affranchi du futur. Se libérer de l'envahissement des souvenirs du passé ne signifie pas que l'on soit incapables de tirer des enseignements utiles des expériences vécues.

S’affranchir de I ‘appréhension à l'égard du futur n’implique pas que l'on soit incapables d'aborder l’avenir avec lucidité, mais que l'on ne se laisse pas entraîner dans des tourments inutiles.

Une telle liberté a une composante de clarté, de transparence et de joie que la prolifération habituelle des ruminations et des fantasmes interdit. Elle permet d’accepter les choses avec sérénité sans pour autant tomber dans la passivité ou la faiblesse. C'est aussi une manière d'utiliser toutes les circonstances de la vie, favorables ou adverses, comme facteurs de transformation personnelle, d'éviter d'être distraits ou arrogants lorsque les circonstances sont favorables, ou déprimés quand elles se font contraires. Ainsi, sans nous départir de notre force d'âme et de notre paix intérieure, nous serons constamment disponibles pour œuvrer au bien d’autrui et au service de nobles causes qui donnent un sens à chaque instant qui passe. »

Matthieu Ricard

****

*Brève biographie de Matthieu Ricard

Matthieu Ricard, né en 1946 à Aix-les-Bains, est un essayiste et photographe français. Docteur en génétique, il devient moine bouddhiste tibétain et réside surtout au monastère de Shéchèn au Népal.

Il est le fils de la peintre française Yahne Le Toumelin et du philosophe, essayiste, journaliste et académicien Jean-François Revel (de son vrai nom Jean-François Ricard)

Par ailleurs, il est aussi le neveu du navigateur Jacques-Yves Le Toumelin, le frère de la poétesse et écrivaine, Ève Ricard et le demi-frère du haut fonctionnaire Nicolas Revel.

Matthieu Ricard fait ses études au lycée Janson-de-Sailly à Paris.

Très tôt il se passionne pour la photo : « Je souhaite utiliser la photographie comme une source d'espoir, pour redonner confiance dans la nature humaine et raviver notre émerveillement devant les splendeurs de la nature ». Il expose et publie ses photographies. 

Très jeune, il découvre la spiritualité à travers l’œuvre de René Guénon. Il cherche à passer de la théorie à la pratique.

Il voyage en Inde et rencontre des maîtres spirituels tibétains, notamment le maître Kangyour Rinpoché.

Après sa thèse en génétique cellulaire à l’Institut Pasteur, il s’établit dans l’Himalaya (1972). Il y médite, étudie et pratique le bouddhisme tibétain.

En 2017 il vivait dans un petit ermitage en montagne en alternance avec sa vie au monastère.

Il devient moine en 1979, et en 1980 il rencontre pour la première fois le dalaï-lama grâce à Dilgo Khyentsé Rinpoché

« Quand j'ai quitté l'Institut Pasteur en 1972, j'avais de côté l'équivalent de six mois de salaire au CNRS, ce qui m'a permis de vivre quinze ans sur place. Durant ces années, j'ai vécu avec 30 euros par mois, ne faisant rien d'autre que méditer ». (Matthieu Ricard)

 

 

 

Ricard traduit le tibétain en français et en anglais et depuis 1989 il est l’interprète en français du dalaï-lama.

En 2000 il fonde l’association humanitaire Karuna Shechen et fait partie du Mind and Life Institute, une association qui facilite les rencontres entre la science et le bouddhisme.

Il collabore avec des institutions de différents pays : Etats-Unis (université du Wisconsin-Madison, Université de Princeton, Université Berkeley en Californie), Allemagne (Institut Max Planck de Leipzig), Belgique (Centre de Recherche du cyclotron à Liège), France (INSERM de Lyon et Caen).

Matthieu Ricard, végétarien, s’est aussi engagé pour la protection de la nature et des animaux.

****

*Quelques-uns de ses ouvrages

  • Solitudes
  • Carnets d’un moine errant
  • Le moine et le philosophe
  • L’art de la méditation
  • Cerveau et méditation
  • Quand la mort éclaire la vie
  • Paroles du Dalaï-Lama

 

Matthieu Ricard collabore à la création du site Treasury of Lives, une encyclopédie biographique en ligne.

Il consacre l’intégralité de ses droits d’auteurs à plus de 200 projets humanitaires au Tibet, en Inde et au Népal.

 

 

 

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19 mars 2023 7 19 /03 /mars /2023 09:09

Sonia Delaunay, lithographie

***

LA VISION DE L’ART DE GOTTFRIED HONEGGER

DANS SA LETTRE À SONIA DELAUNAY

***

Gottfried Honegger (1917-2016)

*

Gottfried Honegger, né et mort à Zurich (1917-2016), est un peintre, graphiste publicitaire et collectionneur suisse.

Il a vécu et travaillé à Paris, Zurich, Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes)…

1938 : il fonde un atelier de graphisme, de décoration et de photographie.

Entre 1939 et 1960, il séjourne dans différents pays puis revient en France en 1960, où il utilise l’informatique pour des dessins programmés par ordinateur.

Honegger réalise des Tableaux-reliefs aux formats monumentaux.

Il est reconnu comme l’un des piliers de l’art concret (mouvement artistique de tendance abstraite).

Il travaille sur le principe des variations à partir d'un seul et même thème.

 

Il pense que la beauté peut changer le monde. Pour lui, l’art a une fonction sociale, ce qui le conduit à concevoir un outil pédagogique : Le Viseur. Cet instrument est destiné à l’apprentissage du regard pour l’enfant : améliorer la perception des couleurs, des formes, du rythme. En 2015, Honegger avait initié des activités plastiques pour les enfants handicapés.

Il est convaincu que «l'excès d'images virtuelles paralyse notre conscience», il s'inquiète de l'addiction des jeunes aux écrans, allant parfois jusqu'à la folie.

 

Il réalise les vitraux des quatorze baies supérieures de la nef de la cathédrale de Liège, avec Hervé Loire, maître verrier de Chartres. (2014).

En 2000, avec sa dernière épouse, Sybil Albers-Barroer, il fait la donation de leur collection d’art (500 œuvres de 160 artistes) à l’État français.

Sonia Delaunay, portrait (vers 1912)

*

"Lettre à Sonia Delaunay

 

Très chère,

 

Je me souviens, Robert Delaunay m'a écrit autrefois : « Aussi longtemps que l'art actuel ne se libérera pas de l'objet, il restera description, littérature, esclave de l'imitation ».

Effectivement, chère Sonia, vous avez prouvé par votre œuvre qu'un art libéré du « contenu » ouvrait les portes du ciel. Vos tableaux, il faut les percevoir en ouvrant grand les oreilles. La musique des couleurs et le rythme des formes caressent nos yeux, font atteindre le sublime.

J'ai eu envie de vivre et de m'approprier le monde de la même manière que votre art se déploie. A quelle source d'espoir puisent votre espoir, votre joie, votre courage de vivre ? Vous débordez, vous composez un chant de couleurs que je n'oublierai jamais.

Les couleurs, n'est-ce pas, il faut les écouter.

 

Lorsque je vous ai rendu visite, j'ai appris à connaître votre personnalité. Vous avez fait la paix avec l' »être ». L'humain contient l'inhumain, dites-vous, ce fait aussi a besoin de la lumière de l'art. Oui, nous avons besoin de l'art, pour tenir tête à la cruauté du quotidien. L'art est peut-être notre ange gardien, celui qui le suit vit dans la beauté et la vérité.

Je vous ai écoutée avec un grand intérêt raconter votre immigration à Paris. Je suis moi-même quelqu'un qui souffre de l'absence de patrie. Ici, à Paris, je suis un étranger, en Suisse, où je suis né, je suis un Suisse de l'extérieur.

Cette non-appartenance a certainement déterminé la forme et le contenu de mon travail.

L'art, vous avez raison de le dire, est toujours imprégné du lieu du crime, de la culture dans laquelle l'artiste vit et travaille. Hans Hartung, par exemple, quand il immigra à Paris, était un expressionniste allemand. Aujourd'hui, devenu cent pour cent français : c'est un informel.

 

En Europe, cette diversité culturelle nous permet — et pas seulement à l'artiste — de trouver notre biotope, notre identité. Je pense que la diversité culturelle est notre capital européen. La diversité des langues, des mœurs, des traditions correspond à la diversité de nos caractères, à notre histoire. La perte de cette richesse conduit à l'uniformité, à l'égalisation, à la perte d'identité.

Vous m'avez raconté que le poète Maxime Gorki, un ami intime de Staline, le dictateur, a suggéré de faire du russe la langue nationale. Visiblement Staline a repoussé cette idée en arguant qu'il perdrait le pays natal, l'odeur de sa langue maternelle.

Il est pour moi incompréhensible que les politiques actuels puissent envisager avec tant de légèreté l'appauvrissement culturel de la nouvelle Europe. Et pourtant Robert Schuman, le père spirituel de l'Europe, a écrit : « L'Europe avant d'être une alliance militaire ou une entité politique doit être une communauté culturelle ».

 

Votre œuvre prouve que de la rencontre d'une Russe et d'un bourgeois français naissent des fleurs nouvelles et des fruits insoupçonnés. Vous apportiez la couleur, Robert, la forme, et l'inséparable tout fut un enfant européen. Vous représentiez ce qui dans l'avant-garde russe était révolutionnaire : le spirituel ; la liberté était la contribution française de Robert Delaunay. Vous comprenez maintenant pourquoi je suis inquiet. Le libre marché, la puissance économique des monopoles, la mondialisation, la bourse, la consommation de masse, tout cela et plus encore affadit, étouffe pour toujours la prodigieuse richesse culturelle européenne. Ce qui a mis mille ans à se développer est menacé par un néo-libéralisme aveugle. Ce serait à nous les intellectuels de protester, d'éclairer, d'apporter notre concours à la nouvelle Europe.

« La santé de la nouvelle Europe repose sur deux conditions : chaque pays doit avoir sa culture propre et les différentes cultures doivent connaître et reconnaître leur parenté intérieure », Eliot.

« Le pluralisme - c'est-à-dire l'égalité des droits, le vivre ensemble protégé par des garanties fondamentales et la possibilité d'une pluralité de groupes sociaux au sein d'une communauté étatique — a été reconnu de plus en plus clairement comme l'une des caractéristiques d'une démocratie libérale », Sontheimer.

Nous n'avons qu'une alternative : soit la prédominance totale de l'économie dans tous les domaines de la vie, la consommation de masse, l'aliénation et l'anonymat par refus de l'art, soit une politique culturelle qui ne favorise pas les arts de façon centrale mais régionale, qui rend possible d'accroître nos expériences, de renforcer la créativité et la liberté individuelle de chacun de nous.

Certains indices me donnent à penser qu'aujourd'hui une minorité a pris conscience d'un appauvrissement culturel. Je rêve d'une exposition dans laquelle on pourrait montrer la diversité de l'art en Europe. Il n'y a rien de plus beau que d'expérimenter la différence des cultures. À cela s'ajoute que dans un monde qui devient de plus en plus standardisé, les identités culturelles sont vitales pour notre bien-être.

Chère Sonia, je me réjouis de notre prochaine conversation."

***

« Même en dehors du fauvisme, Sonia appartient, par la couleur de ses premiers tableaux à l'espèce des grands fauves. Sa force de création est instinctive comme la puissance animale. » (Jacques Damase)

 

***

SONIA DELAUNAY (Sonia Ilinitcha Stern), qui se considérait avant tout comme française et plus encore, comme parisienne « Je ne me sens bien qu'en France, et encore pas partout. Avant tout l’Île de France, c’est ce que j’aime le plus », est née en 1885, en Ukraine, dans une juive. Son père est ouvrier. À 5 ans, elle est adoptée par son oncle, avocat à Saint-Pétersbourg. Elle vit alors dans un milieu cultivé et passe ses vacances à l’étranger. Elle parle français, allemand, découvre les arts.

En 1903, elle est envoyée à Karlsruhe (Allemagne) où elle étudie de dessin

1905, elle arrive à Paris où elle s’installe dans une pension au quartier latin avec d’autres jeunes filles russes.

Elle suit les cours de l’Académie de la Palette.

Très vite elle travaille seule et part à la découverte de Paul Gauguin, Pierre Bonnard, André Derain et Vuillard qui exposent à la galerie Bernheim et qui ont fondé le fauvisme. Nouveau style qui enthousiasme Sonia mais qu’elle veut dépasser.

 

1907 : son premier tableau fauve, Philomène. Cette période est très importante pour elle. Elle y laisse éclater son goût des couleurs vives. Ces couleurs vont réveiller, plus tard, la tendance »sombre » dans laquelle Robert s'enferme. Mais sous l'influence de Sonia, il se relance dans des couleurs plus franches.

 

1907-1908 : Sonia apprend la gravure. Elle rencontre le collectionneur et galeriste allemand, Wilhelm Uhde quelle épouse en 1908.

Elle commence ses premières « tapisseries-broderies », et à la galerie Uhde, elle rencontre Robert Delaunay, Picasso, Derain, et George Braque.

 

1910 : après avoir divorcé de Uhde, elle épouse Robert Delaunay. Ils reçoivent beaucoup et font la connaissance de Kandinsky Vassily.

1911 : naissance de leur fils Charles.  Sonia réalise sa première œuvre abstraite avec du textile : une couverture pour son fils, un assemblage de coupons de diverses couleurs vives, selon la tradition ukrainienne. Elle joue avec les couleurs comme dans sa peinture, fait des collages, des reliures de livres en papier et déchets de tissus. Elle peint des coffrets, des abat-jour, des voilettes…

1912 : Apollinaire donne  au mouvement pictural fondé par les Delaunay, le nom d’Orphisme.

 

Sonia et Robert Delaunay ont surtout travaillé ensemble sur la recherche de la couleur pure et du mouvement des couleurs simultanées, une tendance qui a inspiré d'autres peintres après eux,

 

De plus en plus orientée vers l’art abstrait, elle crée en 1946 le Salon des réalités nouvelles pour promouvoir l'abstraction.

Elle laisse derrière elle une œuvre abondante qui comprend des tissus imprimés, des livres d'artistes, des robes de haute couture…

Plaque Sonia et Robert Delaunay, 16 rue de Saint-Simon, Paris 7e

***

Commentaire

Déjà en 2003, dans cette lettre, Gottfried Honegger, soulève un problème qui, on le voit aujourd’hui, en 2023, s’est accentué.

L’anglais s’impose partout. Une certaine catégorie de personnes ne veut s’exprimer qu’en anglais (snobisme, manque de connaissance de la langue française… ?)

  • Chanteurs
  • Créateurs d’entreprises
  • Médias

À la radio nationale, on n’entend plus que des chansons en langue anglaise, même si les auteurs sont français, allemands…

Les nouvelles entreprises situées en France portent des noms anglais.

Dans les médias : vocabulaire franglais, anglais, même si la majorité des Français ne comprend rien.

On oublie le vocabulaire français, si riche, on oublie la syntaxe, la grammaire françaises (que de fautes n’entend-on pas, ne voit-on pas dans les médias.

Les entreprises françaises avec des noms anglais, n’incitent pas la majorité du peuple à les contacter.

 

Petit à petit, les jeunes générations, baignant dans cette atmosphère, appauvrissent leurs connaissances en français et bientôt ne sauront plus parler correctement leur langue maternelle.

Sommes-nous condamnés, à plus ou moins long terme, à nous exprimer dans une langue mondiale ou européenne appauvrie, uniformisée, dans une pensée unique.

 

Par contre, le métissage est positif, il apporte de la richesse culturelle, du sang neuf, grâce aux gens venus d’ailleurs et évite ainsi à une société de se scléroser.

Nous apprenons les uns des autres, nous nous enrichissons mutuellement.

Une langue européenne, voire mondiale est utile pour mieux nous comprendre sur notre planète, mais en plus des langues nationales, voire régionales.

 

Avec les progrès, la modernisation (tout cela est utile, voire indispensable) nous avons perdu beaucoup de savoir-faire, beaucoup de vocabulaire aussi.

 

En fait, la pensée s’appauvrit ; s’impose à nous un schéma de pensée universelle, standard, mais très simplifié.

Édith Schuss, L'Anémone rouge

 

 

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7 février 2023 2 07 /02 /février /2023 15:04

 

LA FEMME, L’HOMME, L’AMOUR

DE

L’OCCIDENT ANCIEN À NOS JOURS

QUELLE PLACE, QUEL ORDRE DANS LA SOCIÉTÉ ? (2)

 

 

Éternel débat

 

***

 

« Le poète a toujours raison,
qui voit plus haut que l'horizon
Et le futur est son royaume
Face à notre génération, je déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme
… » (Jean Ferrat)

 

***

 

**Qui ? Pourquoi ? Comment ?

Peut-on parler de l’histoire du rôle de la femme dans le couple et dans la société, de nos jours, sans évoquer ce que fut le débat des Anciens sur cette épineuse question ?

La Femme est-elle inférieure, supérieure ou égale à l’homme ?

 

***

 

« Je ne réclame aucune faveur pour les femmes, tout ce que je demande à nos frères, c’est qu’ils retirent leur pied de notre nuque ».( Ruth Bader Ginsburg)

 

***

 

 « La femme est l’avenir de l’homme » dit Jean Ferrat, dans sa chanson, s’inspirant de Louis Aragon, lequel a écrit dans son poème « Le Fou d’Elsa » :

 

« L'avenir de l'homme est la femme.

Elle est la couleur de son âme.

Elle est sa rumeur et son bruit.

Et sans elle, il n'est qu'un blasphème. »

 

Cette affirmation est-elle valable pour tous et de tout temps ?

Et l’ère des sorcières ?

 

????

**Hommes-Femmes. Forces ou faiblesses ?

 

Et les sentiments dans tout cela ? Et l'Amour ?

 

Heureusement qu'ils existent. Ils constituent l'exception à la règle. Et quand l’Amour paraît, sur son chemin et face à lui, il n'y a plus ni riche, ni beau, ni intelligent, ni laid, ni impur, il n'y a que l'Amour. Et c'est cela précisément qui fait sa noblesse.

Par rapport à ce thème sécuritaire, comme il vient d'être souligné, on a souvent soutenu que la femme était incapable de garder le secret. Ce préjugé ou cette conviction qui a cours dans nombre de civilisations dans le monde ne peut à mon sens se justifier que par rapport à ce besoin de sécurité.

 

Quel rapport entre les deux, me direz-vous ?

 

Justement, lorsqu'on garde un secret et qu'on est tenu de le garder pour longtemps ou pour toujours, cela représente une sorte d'inconfort moral, soit parce que ce secret est celui d'une faute commise, auquel cas on est soumis aux coups répétés de la conscience, soit parce que c'est le secret d'un événement heureux qui procure une joie immense et alors, on brûle du désir de le communiquer à autrui. Dans l'un et l'autre cas, le secret se révèle lourd à porter.

Alors, la femme avoue ou divulgue, ce qui met fin à l'inconfort, voire à l'insécurité. C’est sans doute un aspect paradoxal chez celle-ci, qui est par ailleurs la première à s’enflammer en principe, en dénonçant l'injustice à l'égard des plus faibles. Cela explique bien des actions dans l'histoire. Notamment le fait que très souvent, on voit les femmes à la tête des révolutions, non pour casser ou brûler, mais pour pacifier, en rétablissant les équilibres nécessaires au moyen de la justice et l'équité.

 

 

Ainsi le 5 octobre 1789, des femmes au nombre de six à sept mille, parties du faubourg Saint-Antoine et du quartier des Halles à Paris, décidèrent une marche mémorable sur Versailles, réclamant du pain à Louis XVI. Manque de pain, donc inconfort et insécurité.

 

Le 23 février 1917, la Marche des femmes russes à Saint-Pétersbourg — qui constitua du coup l'acte de naissance de la révolution russe — avait pour motivation première de réclamer au Tsar Nicolas II, « la paix et du pain », mais aussi des libertés, donc la fin de l'autocratie. Leur marche par sa détermination et sa spontanéité finit par entraîner le courage et l'action des hommes. De même que lorsque les hommes se terraient, lâches et tremblants, on a vu dans certains pays d'Afrique des femmes sortir, dignes de spontanéité et de courage, affronter mains nues, les balles et braver les brutalités des sbires du pouvoir. Ce fut déjà le cas au Sénégal lors de la très longue et très dure grève des cheminots du chemin de fer « Dakar-Niger » qui s'est déroulée du 10 octobre 1947 au 19 mars 1948. A l'annonce de l'échec des négociations entre la délégation des cheminots africains et la direction française du chemin de fer, bravant les militaires et forçant les barrages au péril de leur vie, les femmes organisèrent spontanément une longue et éprouvante marche sur Dakar (de Thiès à Dakar : distance d'environ cinquante kilomètres), destinée à obtenir le règlement pacifique et honorable du conflit.

De même, pour protester contre l'arrestation arbitraire et l'emprisonnement massif des dirigeants du tout jeune « Parti Démocratique de Côte d'Ivoire » (section du R.D.A. : Rassemblement Démocratique Africain, fondé en 1946 à Bamako) décidés par les autorités coloniales le 5 février 1949, les femmes organisèrent une marche fameuse (restée dans les annales d'histoire du pays) sur la capitale du territoire Grand-Bassam pour réclamer la libération de leurs hommes ainsi que la paix.

 

 

Plus récemment encore, dans l'histoire de l'Afrique indépendante, les femmes surent en maintes occasions faire preuve de la même détermination et de la même inclination dans l'action en faveur de la paix et de la justice.

De même, la volonté des femmes du Caucase du Sud (volonté contrariée par le gouvernement russe) de manifester (sous forme de rassemblements et de défilés), en faveur de l'arrêt de la guerre et de la paix en Tchétchénie, répond aux mêmes impératifs et aux mêmes penchants naturels. Pourquoi ? Tout simplement parce que leurs maris, arrêtés ou fusillés, elles perdaient tout soutien, toute source de confort moral et de sécurité. Il ne s'agit pas que de la sécurité matérielle mais morale et psychologique. Et surtout de cette propension naturelle à la paix et à la justice. Pour toutes ces raisons, la femme a souvent été par ailleurs un précieux auxiliaire de la police ou de la justice, indépendamment de son pouvoir naturel de séduction parce que prompte à avouer et dénoncer.

Bien sûr, certains hommes sont également incapables de garder un secret comme il est des femmes capables de garder des secrets.

 

***

 

 « Vous avez brisé le sceptre du despotisme […] et tous les jours vous souffrez que treize millions d’esclaves portent les fers de treize millions de despotes ! » (Requête des dames à l’Assemblée nationale)

 

 

Alors faut-il brûler la femme ? Bien sûr que non ! Il faut l'encenser, l'aduler, l'adorer.

Il est un autre aspect pour lequel il serait dans l'intérêt de l'Humanité que ce prochain siècle soit celui de la femme. Qui voit-on dans la rue, défiler, protester et manifester pour réclamer la paix ? Lorsque la violence s'installe dans un pays ou une région, la fraction de la société qui s'élève contre cette violence, crie fort et manifeste pour le retour de la paix, ce sont les femmes. Presque toujours dans l'histoire, l'initiative de ces mouvements de protestation en faveur de la paix s'inscrit au crédit de la femme. C'est ainsi que le 28 mars 1915, des femmes représentantes des partis socialistes de sept pays d'Europe : Allemagne, Angleterre, France, Italie, Pays-Bas, Russie et Suisse se rencontrèrent à Berne pour élaborer une résolution définitive condamnant la guerre et faire pression sur leurs gouvernements respectifs.

 

 

« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. » (Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne)

**La Femme plus anti-guerre que L’homme ?

 

Il arrive aussi souvent que les hommes suivent. Mais ce sont les femmes parfois spontanément, en tout cas sincèrement (pense-t-on avec foi) qui ouvrent la marche.

Ce fut le cas, ici en Corse, là en Algérie ou ailleurs, en Bosnie, ces défilés en faveur de la paix démontrent avec éclat que l'injustice qui consiste à éloigner les femmes des rênes de la direction des pays pour les maintenir en marge de la vie politique constitue un crime contre la paix. Faire accéder les femmes au pouvoir, ce serait aussi faire changer les hommes. Les femmes au pouvoir, c'est la paix dans le monde.

A ce propos, « Madame Emma Bonino, commissaire européen chargée de l'aide humanitaire, envoyée spéciale de l'Union Européenne en Yougoslavie, puis au Zaïre lors de la crise rwandaise de 1996, incarne le mieux l'idée que je me fais de la femme responsable, de la femme aux commandes de l'action politique. En l'observant à l'œuvre, au milieu d'un monde hostile et sourd, j'ai admiré en elle le naturel, allié à la conviction et à la détermination dans l'action, la justesse de ton alliée à la justesse de vue, le courage allié au sens de la justice et guidé par la générosité. Bref, le devoir dans sa plénitude, l'action au strict service de l'humain, sans démagogie ni faux-fuyants.

Bien entendu, parmi les femmes dirigeantes de leur pays, il peut y avoir des exceptions. La guerre des Malouines ainsi que l'action politique de celle qui en fut la principale protagoniste (la Première ministre britannique de l’époque), administrent la preuve qu'il peut aussi y avoir des femmes-faucons, des femmes-fauves, ou tout simplement des femmes politiques qui font moins bien ou qui font autant que les hommes pour la préservation de la paix et la sauvegarde de la justice sociale. Les « Belle Irène » cela existe aussi. Au-delà, c'est la place de la femme dans nos sociétés qui demeure la question essentielle. » 

 

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