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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 16:05

gif anime puces 283  Osez !


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          Il est des faits qui passent sous silence et qui, néanmoins, constituent des symboles chargés de sens dans le cours de l'histoire d'une société. Les manifestations de révolte, d'indignation et de protestation de plus de 4 000 Egyptiennes sur la désormais mythique place Tahrir au centre du Caire, le 21 décembre 2011, loin d'être anodines, sont de ceux-là.

       Rien n'y a fait, ni la coupure de l'éclairage électrique ordonnée par le gouvernement, ni les intimidations, ni les menaces. Les femmes ont bravé le danger et ignoré les interdits. A l'origine, il s'agissait de protester contre les brutalités subies par une jeune Egyptienne sur la fameuse place ; mais en réalité, ce fut un puissant mouvement organisé par les femmes pour revendiquer leur droit au respect et à la dignité.

         Il n'y a aucun doute, les slogans inscrits sur des banderoles brandies avec fureur et hardiesse sont le signe d'une prise de conscience et d'une volonté de changement.


"Les filles d'Egypte, c'est la ligne rouge !"

"Frapper des femmes, ce n'est pas acceptable..."

"Le chemin est encore long, mais nous y arriverons."

 

        Autrement dit, au-delà de la dénonciation de la violence faite aux femmes, l'objectif, c'est bien le changement des mentalités et des comportements.

          Les images elles aussi étaient saisissantes et inédites : des femmes de tous âges, de toutes conditions et confessions, des musulmanes voilées donnant la main aux chrétiennes en jupe, des enseignantes et des avocates, des bourgeoises côtoyant des ouvrières et des domestiques. Toutes unies pour le même objectif, par la même détermination, scandaient les mêmes propos et portaient le même espoir : celui du changement des mentalités et des pratiques à l'égard des femmes.

         Ce mélange des conditions et des générations, unique en Egypte, n'est-il pas une nouveauté symbolique dans ce pays ? Enfin les femmes osent  réclamer l'abolition des barrières qui les séparent des hommes et clamer leur droit à une citoyenneté pleine et entière. Elles se sont ainsi exprimées dans un mouvement et un rassemblement d'une ampleur sans précédent depuis 1919, quand, aux côtés des hommes, elles manifestaient alors contre la présence britannique dans le pays. C'est ce ressort d'indignation et de désir de dignité que les autorités ont tenté de briser ce 21 décembre 2011, en vain. C'est en même temps un signal adressé à leurs gouvernants du moment, mais c'est avant tout une nouvelle conscience qui s'éveille pour faire de l'esclavage des femmes une pratique d'un âge désormais révolu. Loin d'être un simple feu de paille, il est probable qu'en Egypte comme en Tunisie, ce vent nouveau qui se lève ira se renforçant et que les femmes écriront, avec les hommes, une nouvelle page de l'histoire de leur nation.

 

gif anime puces 029Quid des  femmes au sud du Sahara ?

 

         Pourquoi un tel mouvement féminin n'est-il pas constaté dans les Etats subsahariens ?

         Pourquoi le souffle du "printemps arabe" ne traverse-t-il pas les dunes du Sahara pour illuminer le Sud en y déposant les germes de l'espoir du changement ?

         Pourtant, au moins autant qu'au Nord, les femmes portent le même poids de siècles de domination, d'exploitation, d'injustice et de relégation sociale. (Les hommes non plus n'ont pas reproduit les "révolutions" du Nord).

         D'une manière générale, par rapport au Nord ,le Sud semble rester dans l'expectative. Il semble y manquer le souffle de l'indignation. Pourquoi y peine-t-on à braver les féodaux, à incarner les forces susceptibles d'ébranler les fondements des vieilles murailles politiques et sociales ? Comme au Nord, les autochrates y confisquent le pouvoir, exploitent les populations, pillent les ressources du pays à leur seul profit depuis plus d'un demi-siècle.

      Le poids de la tyrannie annihile-t-il les capacités de protestation et de revendication en anesthésiant la volonté du renouveau ? L'une des raisons résiderait-elle dans les fondements culturels, la pesanteur sociale, celle des traditions et du système social en général, confortés par la trop grande faiblesse du niveau d'éducation qui tous, écrasent l'individu en le vidant de sa capacité de jugement et d'esprit critique, dans des sociétés où les sorciers, les marabouts, la culture du fétichisme obscurantiste, mais surtout le regard permanent des ancêtres enserrent l'esprit dans un cercle de fer ?

          En effet, dans ces sociétés, à la différence de celles du Nord, les morts règnent sur les vivants, dictent leur conduite et guident leurs actions. De surcroît, la peur de la malédiction, cette "fatwa" du groupe et des aînés, perpétuelle épée de Damoclès, est une puissante force de dissuasion à la disposition des gouvernants et des forces conservatrices. Et pourtant, il faut bien ouvrir une brèche dans cette épaisse muraille des siècles, renverser la multiséculaire chape de plomb qui innhibe des personnalités, et passer !

 

gif anime puces 029Femmes d'Afrique, du Nord et du Sud, osez !

 

       Vous êtes le tremplin vers le renouveau. C'est de vos volontés, de vos énergies, de vos indignations ouvertement manifestées que naîtra une Afrique nouvelle, réconciliée avec elle-même, à jamais débarrassée des dinosaures politiques, des pratiques esclavagistes et des "cultures carcans" aliénantes et liberticides qui la maintiennent dans le creux de l'Histoire depuis si longtemps.

 

      Pour une Afrique enfin dans le sens de l'Histoire, en mouvement, osez !

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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 18:07

A TOUTES LES VISITEUSES ET A  TOUS LES VISITEURS   DU BLOG

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                               T.D.

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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 11:19

a685DE LA CONNAISSANCE DES AUTRES A LA CONNAISSANCE DE SOI

 

« Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui »

 

Les obstacles sur le chemin de la connaissance des autres et de soi sont multiples. Tout est question de regard, vaincre les préjugés n’est pas tâche aisée, car les préjugés sont comme les souvenirs, ils ne meurent pas, ils dorment.

Préjugé, cela signifie jugé d'avance, jugé avant que les faits soient constatés ou le délit constitué. Jugé depuis quand ? Où ? Par qui ? Dans quelles circonstances ? Sur quels critères ? Avec quelles preuves ? On ne se pose jamais la question. Le jugement est classé. Définitivement.

Quant aux stéréotypes, ce sont ces images et formules toutes faites, préfabriquées pour la circonstance, squelettiques à souhait, mais immuables, qui ne prennent jamais ni chair, ni rides, ni consistance : stéréotyper, c’est rendre fixe, immuable. En conséquence les préjugés ne subissent jamais les outrages du temps.

Les préjugés, c'est comme ces rivières souterraines qui, lorsqu'on pense qu'elles ont disparu, resurgissent soudainement et se remettent à couler et à bruire. Faire qu’ils ne soient pas un obstacle à la rencontre de l’autre demeure l’idéal.

La qualité d'homme civilisé se mesure aussi à la capacité à surmonter et maîtriser la peur ancestrale de l'autre, faite d'instinct plus que de raison. En ce sens, le rôle pédagogique des responsables politiques (comme des intellectuels) consiste précisément à faire passer les populations d'une réaction primaire l'égard de l'autre à une réaction réfléchie. Il s’agit de vaincre les phobies irrationnelles, faire que les cris de haine n'étouffent pas les chants de générosité, que la voix du démon ne recouvre pas celle de l'Ange. Il faut enseigner à nos sociétés la culture de l'autre, et ainsi, faire que l'enfer ne soit pas l'autre, mais l'enfermement de soi dans soi, l'absence de l'autre.

Les préjugés et stéréotypes constituent ce qu'il y a de plus facile à manier ; ils contribuent au repos et au confort de l'esprit. Reposants, ils ne demandent ni effort, ni originalité. Ils préservent la tranquillité d'esprit et ne troublent point le sommeil. Remettre en question des préjugés et stéréotypes multiséculaires exige courage intellectuel et générosité.

C’est ce courage qui manque le plus souvent. Pour Goethe, le « faux s'atteint plus aisément que le vrai ». « Jamais, affirme-t-il, la raison ne sera populaire. Passions et sentiments peuvent le devenir, mais la raison sera toujours l'apanage de l'élite. La grandeur et la sagesse ne se trouvent que dans la minorité... ». Que faut-il en penser? (Propos à replacer dans leur contexte).

Lorsque préjugés et stéréotypes s'enracinent et  ne sont ni tempérés, ni corrigés par le courage, ni par la générosité, ils se muent en racisme qui reste incontestablement un des fléaux du monde. L'absence de ce courage et de cette générosité engendre l'intolérance dont se nourrit le racisme, lequel se nourrit également d'ignorance et de léthargie mentale.

« Les haines ne s'apaisent jamais par la haine, c'est par l'absence de haine qu’elles s 'apaisent » (Dhammapada). Or, la haine est toujours automutilante. Tolérance ou intolérance, le tout est surtout une question de regard, c'est-à-dire de rencontre et de connaissance de l'autre.

« Ne te mets pas en colère contre la poule qui a souillé ta natte, va plutôt voir l'endroit où elle dort » dit le proverbe africain.

Le thème du racisme est un de ceux qui mêlent connaissance de l'âme humaine, histoire des peuples et sociologie.

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18 décembre 2011 7 18 /12 /décembre /2011 11:20

7.gif Connaissance de soi et   connaissance de l’autre

 

L'homme, cette étrange mécanique ! L’homme reste un mystère pour l'homme. Si nous sommes faits à l'image de Dieu (comme le dit la Bible) il n'est point étonnant que nous soyons parfaitement impénétrables. De plus, comme le souligne avec pertinence Jean Pierre Vernant (spécialiste de la Grèce antique), « l'homme est au-dedans de lui-même le lieu d'une histoire » et en tant qu'histoire, il est « par essence inachevé » puisqu'il doit sans cesse « se fabriquer et se défaire lui-même ».

Le mystère de l'homme dépasse tous nos concepts forgés à coups de rationalité, de cartésianisme, de logique et d'objectivité. L'homme ne se met point en équation.

Chacun de nous a sa mythologie personnelle qu'il est seul à connaître (et encore !) faite d'objectivité et de subjectivité. Une bonne part de cette mythologie qui lui est propre, lui échappe.

L'homme est donc un mystère pour lui-même. A cela s'ajoute le fait que tout homme est unique ; tout être vivant est en somme un solitaire. Les empreintes digitales ou génétiques le prouvent. Cela demeure vrai pour le physique comme pour le mental et le psychique.

Ce qui ne facilite pas la connaissance de l'homme, c'est qu'en plus des caractères identitaires naturels propres à chacun, nous soyons obligés de paraître affublés de masques qui jouent le rôle de défense contre les autres, contre l'agression extérieure. Et chacun de nous en porte. « Dans un monde où tout le monde est grimé, c'est le visage nu qui paraît fardé ». Ainsi, à force de porter un masque, nous finissons par ne plus nous connaître nous-mêmes, et par nous identifier au masque. Comment voulez-vous connaître l'autre s'il est lui aussi constamment masqué ? Il n’est pas question ici de mensonge, mais demasque. Le meilleur moyen de connaître l'autre, c'est de commencer par retirer son propre masque afin de se connaître soi-même. Cela implique qu'on s'assume, qu'on assume son corps, son âge, ses capacités physiques, intellectuelles et mentales. Et pour les assumer, il faut d'abord les connaître. Il faut une pédagogie de soi, qui passe d'abord par le soi physique. Connaître bien son corps. Cette pédagogie doit également consister à apprendre à connaître son mental et enfin elle doit mener à la capacité de mettre en rapport, en harmonie le physique avec le mental, le moral...

Connaître bien son corps pour bien connaître le corps de l'autre. Bien connaître son mental pour connaître bien le mental de l'autre. Mettre en rapport son physique et son mental pour être en mesure de mettre en rapport le physique et le mental de l'autre. Connaître bien son cheminement interne et externe pour bien connaître le cheminement de l'autre. Connaître son chemin de vie, pour connaître le chemin de vie de l'autre et pouvoir dire : mon frère je te connais parce que je me connais et je me connais parce que je te connais : tu es, donc je suis.

Chaque homme apparaît comme un pays immense, s'étendant sur de vastes latitudes : latitudes froides et latitudes chaudes, mais aussi tièdes ou tempérées. Ces latitudes vont des zones équatoriales  aux déserts d'extrême aridité.

Chaque homme est aussi une montagne avec son adret et son ubac. Il y a ainsi en chaque homme une infinité de potentialités, les unes à ras de peau ou à ras d'esprit, les autres enfouies en des profondeurs plus ou moins variables. Nous avons en chacun de nous une infinité d'intuitions. Le tout, c'est de savoir s'orienter en soi-même.

Il existe sans doute un rapport entre ces latitudes et l'âge. Qu'est-ce que la jeunesse, qu'est-ce que la vieillesse ? Quelle est la différence entre ces deux moments de l'existence humaine ?

Je n'en vois qu'une : à dix-sept ans on est persuadé qu'on peut, seul, soulever une montagne alors qu'à soixante dix ans, on a la certitude du contraire.

Il est nécessaire de distinguer âge physique et âge mental, âge objectif et âge subjectif, « seuls ceux qui ont cessé de regarder, de s'intéresser sont vieux » selon Martin Gray, ceux qui ont cessé de suivre le mouvement de la vie. De ce fait, la jeunesse est capacité d'émerveillement et disponibilité d'esprit.

On a coutume de découper l'existence d'un homme en tranches situées sur une pyramide. Ainsi, la 1ère tranche, jusqu’à 25 ans, occupe le versant montant ; la 2e, de 25 à 65 ans trône au sommet ; la 3e de 65 ans à la fin de la vie, emprunte le versant descendant.

Cette dissection de l'existence humaine n'est sans doute pas aussi figée. Elle est fonction de chaque individu,  de chaque personnalité, des conditions physiques, matérielles, mentales et psychiques de chacun, ainsi que de l'environnement social.

S'il fallait néanmoins distinguer des paliers, on pourrait en distinguer deux.

fleche 026Tout d'abord le cap de la vingtaine,  l'âge où l'on est pris tout entier dans le tourbillon de la vie, le début de la phase active de  construction de soi par soi, après la construction de soi par les autres : la famille, l'école, l'environnement... C'est l'âge où l'on est envahi par la sève verte et chaude de l'existence, les poumons et toutes les artères gonflés par le souffle et les effluves de la vie. Bref, l'âge où l’on sort de la communale de la vie pour entrer dans la grande école du monde où l'on apprend sans livres.

Ainsi, bardé de convictions et insolent de certitudes, le torse bombé et le front haut, on s'engage sur le chemin de la montagne de la vie.

fleche 026Le deuxième cap correspond à la cinquantaine, l'âge où la sève commence à tiédir. Mais ici, contrairement au cap des vingt ans, le bouillonnement est plus psychique que physique, plus mental que matériel, plutôt intellectuel que sensuel. Le voyage à travers le monde se mue alors en voyage au fond de soi, le voyageur en explorateur. Cette exploration n'est point enfermement, elle est exploration de l'Univers en soi et de soi en l'Univers. Cinquante ans, c'est l'âge où l'on commence à élaguer sa vie en acquérant le sens et l'intuition de l'essentiel, à promouvoir de nouveaux arbitrages entre nos désirs, nos pulsions et notre sens moral, afin de parvenir ainsi à la synthèse des contradictions. C'est l'heure d’un premier bilan, mais aussi de perspectives, l’heure où plus que jamais on doit cultiver l'instinct de vie. C'est surtout le moment où l'on commence à mieux maîtriser la gestion du temps, à se faire à l'idée que tout passe et cependant à se mettre en quête de l'absolu. C'est le début du cheminement qui doit mener à l'éveil, du brouillard à la clarté, alors qu'on avait jusque-là vécu à la surface de sa vie, on entreprend une descente méthodique en ses profondeurs où l'être prime sur l'avoir, le silence sur le bruit . C'est aussi le début de la saison de l'engrangement ; ce qu'on acquiert reste et demeure à jamais, au contraire de la jeunesse où l’on apprend et oublie ; ce qui signifie plus d'attention aux choses, plus de perspicacité. C'est l'étape où l'on s'arrête pour lever les yeux et jeter un regard sur le chemin parcouru en vue d'évaluer la distance qui nous sépare de notre plénitude. On arrive alors à une certaine conscience, une certaine science de soi et des autres.

Il faut errer pour comprendre, errer dans l'espace, errer dans le temps, mais surtout errer en soi-même et dans autrui, pour aboutir à la synthèse où l'on apprend à voir dans l'être humain ce qui échappe au regard. Il faut du temps pour devenir soi-même. Mais on ne devient pas soi-même sans les autres. Bref, si l'être humain est l’édifice dont la construction n'est jamais achevée, il atteint néanmoins un stade de sa vie où les matériaux fondamentaux sont assemblés en vue d’être consolidés. La cinquantaine constitue cette étape. Quant à la vieillesse, dans la tradition humaniste africaine, loin d’être un naufrage, elle est le couronnement de la vie.

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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 18:40

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Les Etats-Unis d’Amérique, une nation entre fascination et interrogation.


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Plus que toute autre nation au monde, durant tout le XXe siècle et en ce début de XXIe siècle, les Etats-Unis étonnent et fascinent par la singularité de leur droit, de leur culture et de leurs codes sociaux.

Si tout jugement qui ne serait pas fondé sur la connaissance intime de l’histoire, de la construction politique et sociale ainsi que les mœurs d’un peuple quel qu’il soit, ne peut être qu’imparfait, ce constat est sans doute encore plus vrai s’agissant des Etats-Unis et du peuple américain. Il existe bien une énigme de ce pays, modèle à la fois atypique et insaisissable.

Le pays qui a outrageusement dominé tout le XXe siècle et servi de moteur au monde entier, n’était jusqu’en 1783 (date de sa reconnaissance officielle et universelle comme Etat souverain) qu’un agrégat de colonies dominées et exploitées. Les « insurgents » se sont dressés contre leurs maîtres, les Anglais, et, au nom de la liberté, ont incarné leurs idéaux et leur volonté de vivre libres et unis dans un texte d’une profondeur exemplaire et en tous points fondateur en matière de droits de l’homme : la « Déclaration d’indépendance » en 1776.

Dans ce texte, chargé de symboles et d’espérance, étaient affirmés, de façon solennelle et définitive, le principe absolu de liberté, la liberté pour tout être humain, de même que le principe d’égalité entre Américains d’abord, mais aussi entre tous les hommes, principes frappés selon ses concepteurs, du sceau du « Créateur universel ».

En effet, cette déclaration unanime du Congrès, du 4 juillet 1776, stipulait :

« Nous tenons pour incontestables et évidentes ces vérités : que tous les hommes naissent égaux ; que leur Créateur leur a donné certains droits inaliénables parmi lesquels sont la vie, la liberté et la recherche du bonheur… »

C’est précisément dans la traduction concrète de cette déclaration dans la vie quotidienne des Américains que l’esprit se heurte à ce qui pourrait être perçu comme le premier paradoxe du modèle américain.

En effet, ce sont ces mêmes Américains devenus indépendants et libres qui, chez eux, ont, par un arrêt de la Cour Suprême de 1896 légalisant la ségrégation raciale, violant ainsi la lettre et l'esprit du texte de 1776, proclamé la privation de liberté et de droits d'une composante de leur communauté nationale, en l'occurrence les Noirs ; ces « machines à faire le tabac, ces machines à faire le coton, ces machines à faire le sucre, ces machines à faire des machines ».

On vit alors s'élaborer dans le pays de la liberté, phare de l'humanité en matière de droits de l'homme, et s'ériger toute une hiérarchie des droits avec ses privilégiés et ses exclus, ses élus et ses non élus. Au sommet de cette pyramide de la ségrégation devaient trôner désormais les Américains blancs, anglo-saxons et protestants (W.A.S.P.), eux-mêmes subdivisés de haut en bas en puritains, quakers, anabaptistes et tout en bas, méprisés et discriminés, parce que pauvres et catholiques ou « papistes » et « alcooliques », les Irlandais, les mêmes qui, à leur tour s'en prennent aux Noirs qu'ils privent de libertés et de droits (au XIXe siècle) parce que noirs et pauvres.

D'aucuns, travestissant l'histoire, ou par méconnaissance des faits, ont prétendu que le Président Abraham Lincoln avait été assassiné en avril 1865 parce qu'il défendait les Noirs opprimés par les sudistes esclavagistes. Anti-esclavagiste certes ; homme de qualité et président de l'émancipation, certes, mais non pas spécialement et exclusivement défenseur des Noirs, lui qui affirmait en 1862 en pleine guerre de sécession :

« Mon objectif essentiel dans ce conflit est de sauver l'Union. Ce n'est pas de sauver ou de détruire l'esclavage. Si je pouvais sauver l'Union sans libérer aucun esclave, je le ferais. Si je le pouvais en libérant tous les esclaves, je le ferais. Et si je le pouvais en libérant quelques- uns sans toucher au sort des autres, je ferais cela aussi. »

Le Président Lincoln plaçait sans doute l'unité de son pays avant le sort des Noirs et la défense de leurs libertés et droits. Certes. Il reste néanmoins que c'est bien sous son mandat et par son action que le treizième amendement de la Constitution fédérale approuvé en février 1865, abolit définitivement l'esclavage aux Etats-Unis.

Et c’est de ce même président Lincoln que se réclama, 143 ans après la tragique guerre civile qui opposa le sud esclavagiste au nord du pays, un citoyen américain descendant d’un Africain noir, Barack Obama, qui en fit son modèle et sa source d’inspiration pour gravir la plus haute marche de l’échelle politique en accédant au plus haut sommet de l’Etat.

Ce 44e président des Etats-Unis apparaît ainsi comme l’incarnation la plus achevée de la singularité du modèle américain, modèle insaisissable et inimitable.

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11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 10:35

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L’être raisonnable. La voix du philosophe.

 

"Ne porte pas tes regards sur le principe directeur des autres, mais regarde droit où te conduit la nature : la nature universelle, par les accidents qui t'arrivent, et ta propre nature, par les devoirs qu'elle t'impose. Chaque être doit accomplir, en effet, ce qui est en accord avec sa constitution. Tous les autres êtres ont été constitués en vue des êtres raisonnables, comme, dans n'importe quel ordre, les choses inférieures en vue des supérieures, mais les êtres raisonnables l'ont été les uns pour les autres. Dans la constitution de l'homme, le caractère essentiel est donc la sociabilité. Le second, c'est la faculté de résister aux sollicitations corporelles, car le propre du mouvement de la raison et de l'intelligence est de se donner sa limite à lui-même et de ne jamais être vaincu par les mouvements des sens ni par ceux de l'instinct. Ces deux mouvements, en effet, sont de nature animale. Mais le mouvement de l'intelligence veut prédominer et ne pas être maîtrisé par eux, et cela à juste titre, car il est d'une nature à pouvoir se servir de tous les autres. En troisième lieu, il est dans la constitution d'un être raisonnable de ne pas se montrer prompt à juger, ni facile à duper. Que ton principe directeur, en s'en tenant à ces prérogatives, suive droit son chemin, et il possède ce qui lui appartient.

fleurs 173A chaque événement, aie devant les yeux ceux à qui les mêmes choses sont arrivées ; pense ensuite à ceux qui s'en affligeaient, s'en étonnaient, s'en plaignaient. Où sont-ils maintenant ? Nulle part. Eh quoi ? Veux-tu, toi-même aussi, faire comme eux ? Ces attitudes étrangères, ne veux-tu pas les laisser à ceux qui les prennent et qui sont pris par elles, et t'employer tout entier à savoir te servir de ces événements ? Propose-toi seulement et aie la volonté d'être un homme de bien en tout ce que tu fais. Et souviens-toi de ces deux maximes : que n'importe pas l'occasion de l'action...

fleurs 173Creuse au-dedans de toi. Au-dedans de toi est la source du bien, et une source qui peut toujours jaillir, si tu creuses toujours.

fleurs 173Il faut que le corps soit aussi lui-même affermi et ne soit pas relâché, ni dans l'action ni dans le repos. Car ce que l'intelligence donne au visage, le maintenant toujours harmonieux et noble, il faut pareillement l'exiger du corps entier. Mais il faut en cela se garder de toute affectation.

fleurs 173L'art de vivre est plus semblable à celui de la lutte qu'à celui de la danse, en ce qu'il faut se tenir prêt et sans broncher à parer aux coups directs et non prévus.

fleurs 173Considère sans cesse ce que sont ceux dont tu veux invoquer le témoignage et quels sont leurs principes de direction. Ainsi, tu ne les blâmeras point, s'ils errent involontairement, et tu n'auras plus besoin de leur témoignage, si tu regardes à la source de leurs opinions et de leurs impulsions.

fleurs 173Passe à travers la vie sans violence, l'âme pleine de joie, même si tous les hommes poussent contre toi les clameurs qu'ils voudront, même si les fauves déchirent les morceaux de cette pâte que tu épaissis autour de toi. Car, dans tous ces cas, qui donc empêche ta pensée de conserver sa sérénité, de porter un jugement vrai sur ce qui passe autour de toi et d'être prête à tirer parti de ce qui vient à ta rencontre ? Que ton âme donc, en tant qu'elle peut juger, dise à ce qui survient : « Tu es cela par essence, quoique l'opinion te fasse paraître autre. » Mais qu'elle ajoute, en tant qu'elle peut tirer parti de ce qui lui survient : « J'allais à ta rencontre, puisque le présent m'est toujours matière à vertu raisonnable et sociale et, en un mot, matière à faire œuvre humaine ou divine. » Tout ce qui arrive, en effet, se rend familier à Dieu ou à l'homme ; rien n'est nouveau ni difficile à manier, mais tout est commun et facile à façonner.

fleurs 173La perfection morale consiste en ceci : à passer chaque jour comme si c'était le dernier, à éviter l'agitation, la torpeur, la dissimulation.

fleurs 173Lorsque tu as fait du bien et qu'un autre y a trouvé son bien, quelle troisième chose recherches-tu en outre, comme les insensés ? Passer pour avoir fait du bien, ou être payé de retour ?

fleurs 173Personne ne se lasse de recevoir un service. Or, rendre service est agir conformément à la nature. Ne te lasse donc point de te rendre service, en obligeant les autres."

 

Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même

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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 15:47

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Le réveil des consciences. De la participation à la condamnation.

 

Les nations qui ont dominé la traite atlantique durant tout le XVIIIe siècle, l’Angleterre et la France, après avoir interdit ce trafic dans leur nation respective, sont les premières à prendre l’initiative d’une véritable croisade pour son abolition partout dans le monde.

 

Déjà au XVIIe siècle, des quakers nord-américains passaient progressivement du doute moral timidement exprimé à la véhémente condamnation. Ainsi, en 1688, des quakers allemands de Germantown (Philadelphie) signèrent-ils un manifeste dénonçant la traite des Noirs. Ce mouvement ira s'amplifiant jusqu’au XVIIIe siècle, unissant dans la même réprobation et la même condamnation de la traite, les quakers d'Amérique et ceux de Grande-Bretagne.

bouton 007Comment expliquer une telle initiative en Grande-Bretagne précisément au moment où ce pays dominait la traite, depuis le XVIIIe siècle, par le nombre de ses navires négriers, par le nombre d'esclaves transportés ainsi que par les activités et le dynamisme sans précédent de ses ports de traite ?

bouton 007Comment justifier l’abandon de tant de profits au moment même où l'Angleterre occupait le premier rang devant les grandes nations de traite qu'étaient le Portugal, la France, les Pays-Bas pour la déportation d'esclaves noirs, et alors que les négriers de Liverpool en étaient arrivés à vendre plus de la moitié des hommes arrachés à l'Afrique par les Européens ?

bouton 007Comment expliquer enfin, au regard de tant d'atouts et de perspectives heureuses pour la traite anglaise, ce désengagement et ce spectaculaire revirement ?

bouton 007Comment comprendre également que l'Angleterre ait pris la tête d'une si vaste et si audacieuse campagne, avec une si constante détermination pour obtenir l’abolition de la traite ? Les interrogations suscitées par l'initiative et l'action de la Grande-Bretagne sont nombreuses et justifiées.

  Les arguments des partisans et des adversaires du trafic négrier furent nombreux et variés. L'argument économique vint opportunément conforter les motifs humanitaires et juridiques déjà exprimés et renforcer ainsi l'arsenal abolitionniste. Les travaux de l'économiste Adam Smith démontraient que « le travail accompli par des hommes libres coûte finalement moins cher que celui effectué par des esclaves ».

William Pitt le jeune, Premier ministre fit un discours devant la Chambre des communes en avril 1792. Son vibrant appel à la conscience humaine est un condensé du plaidoyer pour l'arrêt de la traite :

« S'il est évident que cet exécrable trafic est aussi contraire à l'utilité qu'aux préceptes de la pitié, de la religion, de l'équité et à tous ceux qui doivent remuer la poitrine [...] comment pouvons-nous balancer un instant à abolir ce commerce de chair humaine qui défigure depuis trop longtemps notre pays, exemple qui contribuera sans doute à l'abolir à chaque coin du globe. »

Pour lui, la traite « est le plus grand mal effectif qui eût jamais frappé l'espèce humaine. »

Cette lutte exceptionnelle qui finit par faire de l'abolition de la traite une cause nationale, fut menée et portée pendant deux décennies par des hommes d'exception : Palmerston (même s'il était «plein de mépris pour les Noirs »), William Pitt, Clarkson et surtout Wilberforce qui, au terme de ces 20 ans de lutte quotidienne acharnée et de débats harassants, de 1787 à 1807, virent triompher officiellement la condamnation de la traite par leur nation.

gif anime puces 286La loi votée le 23 février 1807 et appliquée à partir du 1er mai 1807 ouvrait la première brèche importante dans l'édifice multiséculaire de la traite atlantique.

Au discours du Premier ministre, W. Pitt, devant le Parlement, répondait, devant la même assemblée, celui du Lord Chancellor, après le vote historique de la loi d'abolition :

« C'était notre devoir à l'égard de Dieu et de notre pays, le phare de l'Europe éclairée, dont la fierté et la gloire consistaient à accorder la liberté et la vie commune, à apporter l'humanité et la justice à toutes les nations, de remédier à ce mal. »

Dans ces deux discours, Dieu, la justice, l'humanité sont les principes autour desquels s'est opéré le ralliement des Britanniques pour abolir chez eux le trafic d'esclaves noirs. Ces mêmes principes faisaient désormais obligation à la nation anglaise de porter la bannière d'une croisade internationale afin d'obtenir de toutes les nations l'arrêt définitif du commerce d'êtres humains.

L'Angleterre se tourna donc vers ces nations, en tout premier lieu celles d'Europe. Ce fut une autre étape, d'une autre dimension, associant diplomatie et armes. La France, le Portugal et l'Espagne restaient à convaincre, tout particulièrement les deux dernières où le commerce entre l'Afrique et le Brésil pour la première et entre l'Afrique et Cuba pour la deuxième apparaissait depuis si longtemps, mais plus encore vers la fin du XVIIIe siècle, non seulement comme une priorité économique, mais aussi comme un élément de stabilité politique. Ce furent en conséquence les États les plus déterminés à poursuivre la traite et où la diplomatie britannique se heurta aux obstacles les plus enracinés et les plus irréductibles. Incontestablement, l'Angleterre aura été la figure de proue de la lutte antiesclavagiste ; elle initia l'objection et même la guerre contre la traite atlantique, en jouant le rôle de gendarme, en ralliant les autres puissances à sa cause, car elle était désormais convaincue « [...] que le devoir et la mission lui incombaient d'utiliser l'influence et la puissance qu'il a plu à Dieu de lui donner pour sortir l'Afrique de la poussière et la mettre à même d'abattre par ses propres moyens l'esclavage et le commerce des esclaves. »

Ainsi par un curieux retournement de l'histoire, la nation qui exerça sa suprématie de façon incontestée sur le commerce des esclaves en Afrique durant tout le XVIIIe siècle devenait, à la fin de ce siècle, la championne de la lutte contre la traite. De toutes les nations, elle fut celle qui fournit les efforts les plus grands et les plus constants. Ses penseurs, ses philosophes et écrivains, ses religieux et industriels épousèrent la nouvelle cause :

« Si l'on a pu évoquer l'Écriture pour justifier la traite, le libre arbitre qui libère les consciences contribua plus facilement que dans le monde catholique à utiliser la même Écriture pour la combattre. Dans l'Angleterre protestante, la philanthropie et l'esprit de la Réforme se donnèrent ainsi la main pour créer des œuvres charitables. »

Le Royaume-Uni eut ainsi à convaincre d'abord les grandes nations esclavagistes, comme les Etats-Unis et la France, du bien-fondé de sa politique d'interdiction de la traite. Il devait les amener à en accepter le principe et à coopérer à son application. Mais comment suivre dans cet élan abolitionniste la nation qui, depuis le début du XVIIIe siècle, avait tiré les plus gros profits de ce commerce qu'elle dominait en tous points sur les côtes africaines ? D'où la suspicion légitime des Français, Portugais, Espagnols et Américains face à cette nouvelle attitude.

La France aussi eut ses abolitionnistes militants de la fin du XVIIIe siècle : Lafayette, Mirabeau, La Rochefoucauld, Condorcet, Lavoisier, l'abbé Sieyès, l'abbé Grégoire, Brissot, Benjamin Constant, Madame de Staël, son fils Gustave et son gendre le duc de Broglie... Ils furent tous menacés de mort par les représentants des intérêts des planteurs des Antilles et par ceux des grands marchands et armateurs négriers.

fleche 026À l'instar de Londres, Paris aussi eut sa société des Amis des Noirs.

En 1818, le député Benjamin Constant, s'adressant à l'Assemblée nationale, dénonçait l'hypocrisie des pouvoirs publics français en matière d'application des mesures d'interdiction de la traite :

« La traite se fait, elle se fait impunément : on sait la date des départs, des achats, des arrivées ; on publie des prospectus pour inviter à prendre des actions dans cette traite ; seulement on déguise l'achat des esclaves en supposant l'achat de mulets sur la côte d'Afrique, où jamais on n'acheta de mulets. La traite se fait plus cruellement que jamais, parce que les capitaines négriers, pour se dérober à la surveillance, recourent à des expédients atroces pour faire disparaître les captifs. »

 

Si certains rois africains acceptèrent de signer avec la Grande-Bretagne des contrats prohibant le commerce d'esclaves, moyennant finance et mise en place de nouvelles activités économiques, d'autres en revanche restèrent sourds à toute proposition amiable. Pour ceux-là, les Anglais durent employer la force. De fait, il fallut livrer en Afrique une nouvelle bataille, non plus pour se procurer des esclaves via les intermédiaires africains, mais contre les trafiquants autochtones hier fournisseurs d'esclaves des négriers européens. Cette bataille ne fut pas des plus aisées car quatre siècles et demi de traite esclavagiste avaient marqué les lieux et les esprits, conditionné les existences tant et si bien qu'ils ne pouvaient être effacés du jour au lendemain, à la faveur d'une loi votée en Europe. Comme certains trafiquants européens, des souverains africains et nombre d'auxiliaires et d'agents attitrés restèrent sourds au cri de la conscience humaine.

L’implication de l’Eglise catholique dans cette lutte multiforme contre la traite fut aussi décisive. Le pape Pie VII, par la voix de son secrétaire d’Etat et représentant au congrès de Vienne en 1815, s’éleva avec force contre la traite qualifiée de plaie de l’humanité, qu’il condamna sans ambigüité en réclamant son éradication totale et immédiate. La voix de l’Eglise conforta ainsi opportunément l’action des inconditionnels de l’abolition. (Avant Pie VII, le 2 juin 1537, le pape Paul III condamna sans réserve la traite des Noirs).

La Grande-Bretagne et la France, enfin solidairement liées dans la même cause, restèrent jusqu’au milieu du XIXe siècle, les gendarmes intransigeants de l’abolition de la traite des Noirs, en menant une lutte sans merci contre  les trafiquants blancs et noirs. Cette lutte vint à bout de ce trafic qui reste malgré tout une page spécifique de l’histoire de l’humanité par sa durée, son ampleur et son impact.

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[Pour des notions plus approfondies sur l’abolition et ses conséquences en Afrique, voir Tidiane Diakité, La Traite des Noirs et ses acteurs africains, Editions Berg].

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4 décembre 2011 7 04 /12 /décembre /2011 10:22

mante religieuse 002      La fin des scrupules au XVIIe sièclebouton 007

 

Les mêmes considérations entraînèrent en Hollande la réprobation de la traite des Noirs. Au début des années 1590, des marchands hollandais ayant capturé des esclaves en Afrique se heurtèrent à une interdiction sans appel des autorités municipales d'Amsterdam de vendre leurs cargaisons dans cette ville. En 1596, le même refus fut opposé par le conseil municipal de Middleburg à la vente, par un capitaine de Rotterdam, d'esclaves noirs ramenés d'Afrique.

Ces multiples refus opposés tout au long de la dernière décennie du XVIe siècle par les municipalités hollandaises furent tous motivés par « des raisons morales ». C'est au cours de la même décennie que les Hollandais firent leur entrée en Afrique, mais pour s'y livrer essentiellement au commerce de l'or et de l'ivoire. Le pionnier de l'aventure africaine des Pays-Bas, le capitaine Bernard Ericks, fut transféré du Brésil, où il fut capturé par les Portugais, en Afrique dans leur possession de Sao Tomé. « Il y découvrit les grands profits engendrés par la traite. » Une fois libre, il se lança dans ce commerce en créant une Compagnie maritime au golfe de Guinée.

Peu à peu, d'autres capitaines et marchands hollandais côtoyant les Portugais en Afrique mesurèrent les profits escomptés du commerce d'esclaves et suivirent la voie ouverte par le capitaine Ericks. Mais la détermination des autorités municipales hollandaises de refuser sur leur sol la vente d'esclaves noirs ne fut pas entamée.

Les contacts commerciaux avec l'Afrique s'intensifièrent après la création d'une importante Compagnie maritime au début du XVIIe siècle : la Compagnie hollandaise des Indes occidentales vouée au commerce avec l'Afrique et les Antilles. La nouvelle Compagnie dont l'activité principale était le commerce de l'or, de l'ivoire et du bois africains « refusa de se livrer au commerce d'esclaves. Certains actionnaires ambitieux proposaient d'y avoir recours. Mais les directeurs décidèrent, après discussion avec des théologiens, que le trafic d'êtres humains était moralement injustifié. »

Comme ailleurs, on oublia les grands principes humanitaires aux Pays-Bas malgré l'œuvre du poète dramaturge hollandais Gerbrand Bredero, auteur de la première œuvre littéraire condamnant ouvertement l'esclavage, publiée en 1615 à Amsterdam, où il parle ainsi de la traite des Noirs :

« Inhumaine coutume ! Piraterie impie ! Ces gens sont vendus pour vivre un esclavage de bête de somme. On en sait dans la ville qui se livre à ce commerce. »

La Compagnie hollandaise des Indes occidentales entendait, comme les Compagnies anglaises ou françaises, prendre toute sa part dans le commerce triangulaire. Elle allait désormais réexaminer ses premiers doutes quant à la moralité de la traite africaine.

La possession de terres en Amérique et bientôt en Afrique, sur les dépouilles portugaises, l'emporta sur les hésitations. La Chambre de Zélande qui, naguère, interdisait la vente d'esclaves « permit bientôt aux colons hollandais en Guyane et à Tobago ainsi qu'à ceux du Nord du Brésil d'importer des esclaves. Et la Compagnie hollandaise des Indes occidentales déclarait avec détermination qu'elle s'efforcerait de fournir aux colons autant de Noirs que possible. »

Ainsi, de farouches opposants à la traite esclavagiste au XVIe siècle, la Grande-Bretagne, la France et les Pays-Bas se convertirent progressivement au commerce triangulaire, qu’ils dominèrent tour à tour sur les côtes africaines du XVIIe au début du XIXe siècle.

Le Portugal fut combattu avec acharnement par chacune de ces nations, délogé peu à peu de ses bastions traditionnels et marginalisé en Afrique.

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30 novembre 2011 3 30 /11 /novembre /2011 11:29

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gif anime puces 029De la condamnation à la participation

 

Pratiquement au moment même où la reine Elisabeth 1ère condamnait le capitaine John Hawkins, premier Britannique à s’être livré au commerce d’esclaves noirs,  en France, en février 1571, le Parlement de Bordeaux, en réaction à la vente de quelques esclaves noirs dans la ville, proposée par un marchand normand, ordonna de les mettre en liberté car « la France mère de liberté, ne permet aucun esclave ».

A Toulouse, la même raison fut invoquée par le Parlement pour libérer un jeune esclave noir en transit avec son maître, se rendant en Espagne. On vit alors l’un des jurisconsultes des plus réputés de France proclamer que « toutes personnes sont franches en ce royaume ; sitôt qu’un esclave a atteint les marches de celui-ci, se faisait baptiser, il était affranchi ».

Cependant, comme la Grande-Bretagne au XVIIesiècle, la France, elle aussi, opéra son retournement de conscience, un changement radical qui vit la mise en sourdine de ses principes antiesclavagistes. La traite n’y fut autorisée officiellement qu’en 1670, mais c’est sous Louis XIII que la position française vis-à-vis de ce commerce s’assouplit, perdant de jour en jour de sa rigidité.

« Du jour où nous eûmes des colonies dans la zone tropicale de l’Amérique au Maranhâo, en 1613, en Guyanne, aux Antilles, nous dûmes recourir comme les Espagnols et les Portugais à une race capable de supporter de rudes labeurs sous un ciel torride : mêmes causes, mêmes effets[…] ».

Après la découverte de l’Amérique, la fondation des premières colonies françaises des Antilles fut donc l’élément déclencheur. Dès lors que la mise en valeur des nouvelles terres françaises d’Amérique requérait impérativement de la main-d’œuvre noire servile, les raisons économiques prirent le pas sur la morale et la foi. Même des théologiens se mirent de la partie pour arriver à bout des scrupules du roi et lui arracher l’autorisation de la traite des Noirs. La religion chrétienne fut à nouveau mise à contribution, et cette fois non pour interdire l’esclavage mais pour l’autoriser. Après des hésitations et des réticences, Louis XIII finit par céder en 1642 lorsqu’on le persuada que « c’était pour sauver des âmes païennes », qu’on ne créait pas l’esclavage dans les colonies françaises d’Amérique mais qu’on ne faisait que déplacer aux îles des hommes déjà réduits à l’esclavage chez eux en Afrique, pour leur « profit parce qu’ils y étaient baptisés et pour celui des colons qui trouvaient ainsi de la main-d’œuvre ». L’argument religieux justifiait la traite :

« Ce commerce parait inhumain à ceux qui ne savent pas que ces pauvres gens sont idolâtres ou mahométans, et que les marchands chrétiens en les achetant de leurs ennemis, les tirent d’un cruel esclavage, et leur font trouver dans les îles où ils sont portés, non seulement une servitude plus douce, mais même la connaissance du vrai Dieu et la voie du salut.[…]Et il y a lieu de croire que sans ces considérations, on ne permettrait point ce commerce. »

La religion justifiait alors, sous le prétexte de sauver des âmes, le commerce d’êtres humains. Certains chefs africains le comprirent et voulurent également profiter de ce précieux filon. C’est ce que confirme un témoignage émanant de missionnaires portugais qui, pour expliquer l’échec de leur tentative d’évangélisation des royaumes du Bénin et d’Oweri (au Nigeria) en 1622, mettaient en cause l’attitude et le jeu intéressé des rois locaux, notamment le manque de rectitude de l’Oba (chef) du royaume du Bénin qui, tout en vouant un culte à ses idoles, continuait de demander au Portugal d’envoyer des prêtres « non parce qu’il désirait se faire chrétien, mais plutôt pour se rendre puissant grâce à notre faveur à l’égard de ses voisins auxquels il faisait la guerre la plupart du temps ».

La France rejoignit donc le peloton de tête des nations européennes pour lesquelles la traite des esclaves était sur le point de devenir une des entreprises commerciales les plus importantes du XVIIe siècle. Au cours de ce siècle et du suivant, des religieux tentèrent de rappeler les clauses du baptême et de l’éducation chrétienne des esclaves qui furent les conditions de l’autorisation royale de la traite. « Aussi est-ce pour cette raison que nos rois ont autorisé la traite et pourquoi ils enjoignent si étroitement aux maîtres de les faire instruire et baptiser dans les temps convenables ; comme c’est pourquoi les souverains pontifes ont accordé aux missionnaires des pouvoirs étendus. »

Quelques scrupules subsistèrent donc et à la « fin du XVIIe siècle, la contestation fut portée devant la plus haute autorité scientifique et morale du royaume : la Sorbonne où la question fut débattue devant le tribunal des cas de conscience qui rendit son verdict en 1698. Les intérêts économiques devaient primer à la longue ».

On vit donc naître des Compagnies françaises consacrées exclusivement à l’achat et à la vente des Noirs. La première du genre fut la Compagnie rouennaise fondée en 1639, avant l’autorisation royale.

La traite ne fut décrétée légale en France que le 26 août 1670. « Ce jour-là, à la requête de Colbert, le conseil d’Etat consacra officiellement l’esclavage en exonérant de l’impôt de 5% la traite des nègres en Guinée. Il n’est rien qui contribue davantage à l’augmentation des colonies et à la culture des terres que le laborieux travail des nègres » disait l’arrêt du conseil. Louis XIV fit de la traite une institution en l’élevant au rang de « service d’État », anoblissant ceux qui se distinguaient dans ce trafic.

Dès le règne du Roi Soleil, des captiveries furent installées à Saint-Louis du Sénégal pour alimenter les colonies françaises. Ses possessions d’Outre-mer, les Antilles, et la nécessité de soutenir et de promouvoir les activités économiques de ses colons planteurs amenèrent naturellement la France à emboîter le pas aux Anglais en faisant de la traite des Noirs une cause nationale. Après l’acquisition de la Martinique, de la Guadeloupe puis de Sainte-Lucie, Saint-Vincent… les différentes Compagnies maritimes créées avaient, parmi leurs missions prioritaires, l’approvisionnement des colonies en esclaves.

Ces possessions françaises d’Outre-mer furent dès lors régulièrement approvisionnées avec une moyenne de 2000 à 3000 esclaves noirs par an, du début du XVIIe au début du XVIIIe siècle. Louis XIV intervenait personnellement dans la vie et l’action de ces différentes Compagnies en son Conseil, avec le souci constant d’un approvisionnement régulier des colonies en main-d’œuvre servile.

Ainsi les digues naguère érigées, en France comme en Grande-Bretagne, au nom de la religion, de la morale et la justice humaine, cédèrent une à une face à l’impérieux besoin de main-d’œuvre servile pour la mise en valeur des possessions d’outre-mer.

Les Pays-Bas ne furent pas en reste.

 

A suivre

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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 11:04

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gif anime puces 042De la condamnation à la participation

 

Rares sont les principales nations d’Europe qui, d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement par les retombées économiques, n’ont pas participé à la traite atlantique du 16e au 19e siècle.

Seul le Portugal s’était illustré dans ce trafic dit négrier avant le 16e siècle. Au 15e siècle, ses navigateurs avaient largement ouvert les portes des côtes africaines.

 

A ses débuts, l’entreprise portugaise de vente d’esclaves noirs en Europe fut sévèrement jugée par les uns et condamnée par les autres au nom de la morale et de la justice. La critique fut unanime en Angleterre, en France, aux Pays-Bas, notamment.

En Angleterre, le capitaine John Hawkins fit œuvre de pionner dans son pays en décidant dès 1562 de prendre le chemin de l’Afrique pour y rechercher des esclaves destinés à être vendus dans l’Empire espagnol d’Amérique. Il appareilla avec trois bateaux et, après un voyage fructueux qui lui rapporta 300 Noirs transportés et vendus outre-Atlantique, il regagna Londres en septembre 1563. Bien qu’il ne se soit pas livré au commerce d’esclaves noirs sur le sol anglais, il s’attira cependant la réprobation de ses compatriotes dont la reine Elisabeth Ièrequi réagit en ces termes : « Toutes les violences et les mauvais traitements que vous emploierez envers ces esclaves seraient des actions détestables que je vous défens, parce qu’elles attireraient sur vous la haine des hommes et la juste vengeance des cieux… ».

Cette imprécation de la reine contre le commerce d’êtres humains se manifestait dans la pratique. Ainsi, au nom de la tradition anglaise, un esclave ramené de Russie quelque temps plus tard fut libéré sous le prétexte que « l’air de l’Angleterre était trop pur pour que les esclaves y respirent ». Au-delà de la reine et de la tradition anglaise, cette opposition à l’esclavage et à la traite trouvait écho chez quelques sujets britanniques. Tel ce marchand, Richard Jobson, qui se trouvait en Afrique, sur la côte de Guinée à la recherche d’or pour le compte d’une compagnie anglaise. Il s’adressa en ces termes à un Africain qui lui proposait des esclaves : « Nous sommes un peuple qui ne fait pas commerce de ce genre de biens, nous ne nous achetons ni ne nous vendons, nous ou quiconque ayant notre corps d’homme. » Puis, à ce marchand africain qui lui faisait remarquer que « c’était la seule marchandise qu’ils transportaient dans le pays, et qu’on l’y vendait à des Blancs qui en étaient très friands, le commerçant britannique répondit qu’il s’agissait d’un peuple différent du nôtre ».


bouton 007Le retournement des consciences


Les digues élevées contre le commerce d’esclaves noirs en Europe, ici en Angleterre, là en France, ailleurs aux Pays-Bas ou au Danemark… étaient-elles suffisamment solides et sûres au point de pouvoir résister au flot montant de la traite atlantique au début du XVIIe siècle ? Un vent s’était levé, soufflant des rives du Nouveau Monde en passe de devenir le point d’attraction principal des nations d’Europe. Après sa découverte, sa mise en valeur devenait un objectif partagé par plusieurs nations. Des colonies ou des empires coloniaux fondés par l’Europe aspiraient à se développer pour le bien de leur métropole. Des plantations : coton, tabac, café, canne à sucre… des mines : or, cuivre, argent… requéraient une main-d’œuvre abondante, des hommes robustes, résistants, adaptés au climat. Ce besoin de main-d’œuvre devenait précisément aigu au début du XVIIe siècle, la population autochtone d’Amérique succombant à l’intensité physique et aux exigences du travail servile. De plus, les profits générés par le commerce d’esclaves pratiqué depuis le XVe siècle par le Portugal et l’Espagne justifiaient la tentation pour les autres nations, de s’y adonner.

Peu à peu cependant, les digues dressées au nom de la morale craquèrent de toutes parts. En Grande-Bretagne d’abord. L’attitude de la reine Elisabeth 1ère incarne à la perfection les premières fissures apparues dans ces digues mais aussi sans doute la fragilité ou le manque de consistance de leurs fondations.

En 1564,  la deuxième expédition du capitaine anglais John Hawkins,  qui avait entrepris son premier voyage africain à bord de son navire Le Jésus en 1562 et qui, pour avoir razzié des Africains, fut admonesté par sa reine, reçut cette fois les éloges de la même souveraine qui participa elle-même à l’expédition en y joignant un navire de 700 tonneaux. Par la suite, plusieurs membres du Conseil de la reine prirent part à la troisième expédition du capitaine anglais comportant six bateaux dont deux appartenant à la reine. Celle-ci fit campagne dans le pays et auprès du Parlement afin que des subventions soient accordées à Hawkins qui fut nommé trésorier principal de la reine en 1573. Il fut anobli et promu au rang de héros national. Depuis lors, quasiment tous les souverains britanniques et leur entourage eurent des intérêts ou s’engagèrent personnellement dans les différentes compagnies consacrées à la traite négrière, et cela jusqu’au XIXe siècle. Les différentes Compagnies royales créées à cette fin, dont notamment la Compagnie Royale d’Afrique, sans doute la plus importante de toutes, comptaient parmi leurs actionnaires des membres de la famille royale. En 1663, le roi et le duc d’York, mais aussi la reine, y avaient réalisé les investissements les plus importants.

Fait symptomatique, en plus des entrepreneurs et actionnaires royaux de cette Compagnie, figurait parmi ses investisseurs les plus actifs, le « philosophe de la liberté », John Locke.

La mise en valeur des colonies anglaises d’Amérique du Nord au profit de l’économie de leur métropole constitua donc un des leviers importants de l’engagement de l’Angleterre dans le commerce de traite.

 

(Voir T. Diakité, La Traite des Noirs et ses Acteurs africains, Berg Editions, Paris)

 

gif anime puces 042Et la France ?


 

A suivre

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