Osez !
Il est des faits qui passent sous silence et qui, néanmoins, constituent des symboles chargés de sens dans le cours de l'histoire d'une société. Les manifestations de révolte, d'indignation et de protestation de plus de 4 000 Egyptiennes sur la désormais mythique place Tahrir au centre du Caire, le 21 décembre 2011, loin d'être anodines, sont de ceux-là.
Rien n'y a fait, ni la coupure de l'éclairage électrique ordonnée par le gouvernement, ni les intimidations, ni les menaces. Les femmes ont bravé le danger et ignoré les interdits. A l'origine, il s'agissait de protester contre les brutalités subies par une jeune Egyptienne sur la fameuse place ; mais en réalité, ce fut un puissant mouvement organisé par les femmes pour revendiquer leur droit au respect et à la dignité.
Il n'y a aucun doute, les slogans inscrits sur des banderoles brandies avec fureur et hardiesse sont le signe d'une prise de conscience et d'une volonté de changement.
"Les filles d'Egypte, c'est la ligne rouge !"
"Frapper des femmes, ce n'est pas acceptable..."
"Le chemin est encore long, mais nous y arriverons."
Autrement dit, au-delà de la dénonciation de la violence faite aux femmes, l'objectif, c'est bien le changement des mentalités et des comportements.
Les images elles aussi étaient saisissantes et inédites : des femmes de tous âges, de toutes conditions et confessions, des musulmanes voilées donnant la main aux chrétiennes en jupe, des enseignantes et des avocates, des bourgeoises côtoyant des ouvrières et des domestiques. Toutes unies pour le même objectif, par la même détermination, scandaient les mêmes propos et portaient le même espoir : celui du changement des mentalités et des pratiques à l'égard des femmes.
Ce mélange des conditions et des générations, unique en Egypte, n'est-il pas une nouveauté symbolique dans ce pays ? Enfin les femmes osent réclamer l'abolition des barrières qui les séparent des hommes et clamer leur droit à une citoyenneté pleine et entière. Elles se sont ainsi exprimées dans un mouvement et un rassemblement d'une ampleur sans précédent depuis 1919, quand, aux côtés des hommes, elles manifestaient alors contre la présence britannique dans le pays. C'est ce ressort d'indignation et de désir de dignité que les autorités ont tenté de briser ce 21 décembre 2011, en vain. C'est en même temps un signal adressé à leurs gouvernants du moment, mais c'est avant tout une nouvelle conscience qui s'éveille pour faire de l'esclavage des femmes une pratique d'un âge désormais révolu. Loin d'être un simple feu de paille, il est probable qu'en Egypte comme en Tunisie, ce vent nouveau qui se lève ira se renforçant et que les femmes écriront, avec les hommes, une nouvelle page de l'histoire de leur nation.
Quid des femmes au sud du Sahara ?
Pourquoi un tel mouvement féminin n'est-il pas constaté dans les Etats subsahariens ?
Pourquoi le souffle du "printemps arabe" ne traverse-t-il pas les dunes du Sahara pour illuminer le Sud en y déposant les germes de l'espoir du changement ?
Pourtant, au moins autant qu'au Nord, les femmes portent le même poids de siècles de domination, d'exploitation, d'injustice et de relégation sociale. (Les hommes non plus n'ont pas reproduit les "révolutions" du Nord).
D'une manière générale, par rapport au Nord ,le Sud semble rester dans l'expectative. Il semble y manquer le souffle de l'indignation. Pourquoi y peine-t-on à braver les féodaux, à incarner les forces susceptibles d'ébranler les fondements des vieilles murailles politiques et sociales ? Comme au Nord, les autochrates y confisquent le pouvoir, exploitent les populations, pillent les ressources du pays à leur seul profit depuis plus d'un demi-siècle.
Le poids de la tyrannie annihile-t-il les capacités de protestation et de revendication en anesthésiant la volonté du renouveau ? L'une des raisons résiderait-elle dans les fondements culturels, la pesanteur sociale, celle des traditions et du système social en général, confortés par la trop grande faiblesse du niveau d'éducation qui tous, écrasent l'individu en le vidant de sa capacité de jugement et d'esprit critique, dans des sociétés où les sorciers, les marabouts, la culture du fétichisme obscurantiste, mais surtout le regard permanent des ancêtres enserrent l'esprit dans un cercle de fer ?
En effet, dans ces sociétés, à la différence de celles du Nord, les morts règnent sur les vivants, dictent leur conduite et guident leurs actions. De surcroît, la peur de la malédiction, cette "fatwa" du groupe et des aînés, perpétuelle épée de Damoclès, est une puissante force de dissuasion à la disposition des gouvernants et des forces conservatrices. Et pourtant, il faut bien ouvrir une brèche dans cette épaisse muraille des siècles, renverser la multiséculaire chape de plomb qui innhibe des personnalités, et passer !
Femmes d'Afrique, du Nord et du Sud, osez !
Vous êtes le tremplin vers le renouveau. C'est de vos volontés, de vos énergies, de vos indignations ouvertement manifestées que naîtra une Afrique nouvelle, réconciliée avec elle-même, à jamais débarrassée des dinosaures politiques, des pratiques esclavagistes et des "cultures carcans" aliénantes et liberticides qui la maintiennent dans le creux de l'Histoire depuis si longtemps.
Pour une Afrique enfin dans le sens de l'Histoire, en mouvement, osez !