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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 09:53

Sophie Taeuber-Arp
Deux cercles, deux plans et lignes croisées

 

****

LA VISION DE L’ART DE GOTTFRIED HONEGGER

DANS SA LETTRE À SOPHIE TAEUBER

Sophie Taeuber-Arp sur le billet suisse de 50 francs.

*

Dans cette lettre Honegger aborde plusieurs aspects de l’art, l’art et l’argent, l’art dans le temps, l’art créé par des femmes, le combat des artistes…

 

***

 

« Très chère,

Hier à Zurich, on m'a rendu dans un magasin un billet sur lequel, chère madame, était gravé votre portrait... j'aimerais savoir par curiosité : vous a-t-on demandé votre permission ? Personnellement je trouve ce pseudo-hommage sur un billet suisse plus que discutable. D'autant que, jusqu'à présent, on n'a pas été tellement tendre avec vous dans ce pays. On vous a supprimé votre poste de professeur à l'École des arts décoratifs de Zurich, parce que vous étiez membre du Cabaret Voltaire. Ne l'oublions pas, dada était mal vu dans notre ville. Et voilà qu'on vous utilise pour faire honneur à la Suisse.

J'ai demandé à la vendeuse si elle savait qui était Ia dame sur le billet. La réponse fut : « Non, pas Ia moindre idée ». Elle ne connaissait pas non plus les autres « honorés » : Le Corbusier, Arthur Honegger, Alberto Giacometti — pour elle, tous des inconnus. Je trouve que la banque nationale devrait au moins fournir un minimum d'explication. Vraiment — notre culture de l'argent ne connaît plus de bornes. Aujourd'hui l'art est tout juste bon à servir de feuille de vigne à notre société de divertissement. L'art comme public relations. D'autant que vous ne réussissez à vendre que peu ou aucune de vos œuvres en Suisse. C'est Paris, Ia France qui vous a accueillie, tout comme Le Corbusier, Honegger, Giacometti qui tous y ont vécu et travaillé. C'est l'étranger qui vous a fait crédit, a reconnu l’importance de votre œuvre. À propos de reconnaissance : lorsque votre mari, Jean Arp, a voulu devenir citoyen dans notre Suisse, à Wegis au lac des Quatre-Cantons, sa demande a été rejetée. Les artistes deviennent trop souvent des assistés — une charge pour la commune.

De tels incidents et la situation pas brillante de l’art en général ont conduit mon ami Herbert Read, un incorruptible, à faire dans une lettre ce pénible constat : « Les artistes mènent un combat perdu d'avance dans notre civilisation technique et je ne vois pour eux aucun espoir. Le poète est devenu un anachronisme. Même un clown a plus de valeur que lui : il amuse ».

C'est ainsi et pourtant nous devons continuer à travailler, continuer à espérer, continuer à rêver. Qui sait, chère Madame, peut-être cette résistance publique nous rendra plus forts, nous endurcira. Parce que telle est la situation aujourd'hui, le courage d'éclairer, d'agir reste notre mission.

Notre société ne se sent bien que dans le passé. Là où ne se pose plus aucune question, où il n’y a plus d'inconnu. Le passé est comme une paire de lunettes de soleil qui rendrait supportable le présent aveuglant. Cette fuite hors de notre époque est pour moi un signe alarmant de résignation. On ne croit pas aux valeurs du présent.

Tiré d'un livre de Karl Gerstner, Les artistes et la majorité : « Finalement ça ne nous aide pas d'exorciser le passé. Nous n'avons plus besoin de Saint-Pierre de Rome... Il devrait être possible en esprit et avec les matériaux actuels d'atteindre au moins un niveau comparable à celui du passé et à l'héritage, et d'instaurer pour le présent : la culture avec des aspects entièrement démocratiques ».

C'est justement ce point de vue que personne ne veut aujourd'hui admettre. Or cette vérité est pourtant le sens profond de tout art.

Vous êtes en outre marginalisée parce que vous êtes une femme. À l'art des femmes colle toujours le soupçon d'« ouvrage de dame ». Ce qui a pour conséquence que les artistes femmes veulent trop souvent se donner des allures masculines. Mais laissons cela. Vos tableaux n’ont rien à voir avec cette question. Ils sont simplement là, l’art dans sa forme la plus pure. J’ai vu hier, ici, à Paris quelques-uns de vos travaux. J'ai été étonné de votre façon souveraine de donner à l'art concret une impulsion nouvelle et surprenante. En partant de l’angle droit, vous ouvrez la voie à un monde de liberté, un monde riche de possibilités d’expression insoupçonnées.

Amicalement. »

 

Sophie Taeuber-Arp (1889-1943)

 

--> Qui était Sophie Taeuber ?

Brève biographie

Sophie Taeuber (Sophie Henriette Gertrude) est une artiste, peintre, sculptrice et danseuse suisse, naturalisée française. Elle est née en 1889 à Davos (Suisse) et morte en 1943 à Zurich.

De père allemand et de mère suisse allemande, Sophie grandit dans un milieu où l’art est présent dans la vie de tous les jours.

À Saint-Gall, elle apprend le dessin décoratif et les techniques de la broderie et de la dentelle, puis étudie dans les « ateliers expérimentaux » de Hermann Obrist et de Wilhem von Debschitz, à Munich, où elle se forme à toutes les disciplines artistiques, y compris au travail sur bois et à l’architecture. En 1912-1913, elle apprend également le tissage à l’École des arts décoratifs de Hambourg. (Archives of women artists research).

Elle découvre la danse d’expression grâce à son amie Mary Wigman.

En 1915 elle s’installe à Zurich et rencontre Jean Arp, qu’elle épouse en 1922, et sera désormais connue sous le nom de Sophie Taeuber-Arp. Elle participe avec lui au mouvement dada.

Sophie Taeuber dit du mouvement dada : « Le mouvement dada est compliqué à expliquer, c’est même presque son but ! Il se compose de pièces de théâtre bruyantes, de lectures de poèmes qui n’ont aucun sens… De manière plus générale, dada est un mouvement mené par des artistes contre la bourgeoisie. Ces artistes protestent contre la culture de la société qui a, selon eux, mené à l’effroyable première guerre mondiale. »

1925 : Sa participation à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes la conduit à Paris, où le couple, qui obtiendra la nationalité française l’année suivante, côtoie les surréalistes. Leur maison-atelier devient, de 1929 à 1939, un foyer de rencontres artistiques internationales.

Grâce à son talent de danseuse, elle va danser au Cabaret Voltaire de façon anonyme car en même temps elle enseigne à l’École des arts appliqués de Zurich (1916-1929).

Pendant cette période elle réaliste une série de Têtes Dada qui font partie de ses œuvres les plus célèbres.

1927-1928, le couple s’installe à Clamart. Leur maison-atelier devient un foyer de rencontre artistiques internationales, de 1929 à 1939.

Elle rejoint les associations Cercle et Carré et Abstraction Création.

(1937-1939), S. Taeuber édite la revue multilingue Plastique jusqu’à la veille de la guerre. Elle est très concernée par la politique et essaie de renouer les liens entre les artistes dispersés.

Son mari et elle s’installent à Grasse, lors de l’exode ; là, ils réalisent des dessins à quatre mains avec Alberto Magnelli et Sonia Delaunay, dessins qui manifestent leur opposition au fascisme.

Le couple projette de s’installer au États-Unis, mais c’est un échec. Ils se réfugient alors en Suisse (novembre 1942).

1943, Sophie Taeuber meurt en 1943 peut-être « intoxiquée par le monoxyde de carbone émis par un poêle à gaz défectueux. » (Wikipédia) ou selon Gabriele Mahn « Sa mort reste une énigme »

Sophie Taeuber-Arp
Quatre espaces à croix brisée (1932)

Brève biographie de Gottfried Honegger : voir articles du blog :

  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Jean Arp (13-10-2021)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Léonard de Vinci (20-04-2022)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Sonia Delaunay (19-03-2023)

Gottfried Honegger (1917-2016)

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30 mars 2024 6 30 /03 /mars /2024 08:32

LA VIE EN VERS

Un très beau poème de Sandrine Mage, poétesse contemporaine, sur l’éphémère de la vie.

(http://stereen.over-blog.com/2022/04/le-temps-qui-passe.html)

 

Et puis, plus rien...

Il y avait ce fruit juteux sur l’arbre de la vie

Que j’ai croqué un soir d’été, d’un élan rassuré ;

Il avait la peau douce et le cœur plein d’envies

Et le goût passionnel des caresses effleurées.

 

Il y avait cette fleur dans le nid de l’amour

Qui s’est envolée en lâchant ses pétales,

Libre, dans le souffle d’un nouveau jour,

Sereine, sur un chemin inspirant le graal.

 

Il y avait ces douleurs qui resteraient à quai

Quels que soient les efforts, les gestes, les pardons,

Les combats dans le vent que les nuits ont pleurés,

Les forces bâillonnées dans un cri d’abandon.

 

Il y avait toutes ces couleurs habillées d’éphémère,

Qu’on aurait voulu protéger dans un écrin ;

Il y avait tous ces rêves qui cherchaient la lumière,

Suspendus à l’horloge du temps, et puis... plus rien...

                                              (Sandrine Mage, Texte primé au concours de poésie, Commune de Beynat 19 Juin 2022- Thème « L’Ephémère »)

 

 

¤ Qui est Sandrine Mage ?

SANDRINE MAGE est originaire du Ségala côté Paternel et de Rocamadour, côté maternel; elle habite à Loubressac. Autrice contemporaine, elle aime les mots et écrit surtout de la poésie.

Poétesse, écrivaine, elle est aussi animatrice culturelle, créatrice de spectacles, conteuse, aussi bien pour les enfants que pour les adultes, notamment dans les EHPAD.

Elle n’a de cesse de découvrir de nouveaux  "territoires"  littéraires.

Elle vient de sortir mon 3è recueil de poésies "Brûlants Souvenirs" qu’on peut découvrir sur son blog :  http://sandrineartiste.centerblog.net/

Ce 3e recueil réunit quelques textes de ses deux précédents recueils qu’elle ne peut plus éditer et une quarantaine de poèmes inédits. Sandrine Mage dit à propos de ce recueil :

« Mes lecteurs me réclamaient quelques vers poétiques et mes précédents recueils étant épuisés, j’ai concocté cet ouvrage en attendant le prochain projet qui se voudra plus original. »

Pendant 8 ans et jusqu'en 2023 elle a été présidente de la Délégation Lotoise de la Défense de la Langue Française.

Maintenant elle a créé sa propre Compagnie : La plume de Sand, avec laquelle elle propose différents spectacles (Poétiques et musicaux, des spectacles de Noël...) et animations notamment en Ehpad.  (http://laplumedesand.fr/)

 

***

Ses ouvrages:

- Les mots pour le dire, 2006- Poésies
- Contes de Noël, 2010- Contes illustrés pour la jeunesse
- Les maux du poète, 2012- Poésies
- Un coquelicot sur un oreiller, 2018- Roman
- Entre Douceur et Tendresse- 2021Contes illustrés pour la jeunesse 
- Brûlants Souvenirs, mars 2024- Poésies

 

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18 novembre 2023 6 18 /11 /novembre /2023 08:59

 

LA SAGESSE DE BOUDDHA

 

 

Quelques pensées

 

 

 

> Un bref aperçu de sa vie

Bouddha (L’Éveillé), de son vrai nom, Siddhartha Gautama, serait né au 6e siècle avant J.C, à Lumbini (Népal actuel).

Son père, le roi Suddhodana, gouvernait le royaume des Sakya ; sa mère était la reine Maya, morte peu après sa naissance.

Selon les textes bouddhistes, à sa naissance, une prophétie annonçait qu’il deviendrait soit un roi puissant, soit un grand maître spirituel.

Il est instruit et éduqué dans le respect de l'hindouisme, loin de la souffrance et de la misère qui existent à l’extérieur du palais familial.

À 16 ans il épousa la jeune princesse Yasodhara qui lui donna un fils.

Siddhartha vivait dans le luxe du palais paternel jusqu'à son expérience avec les Quatre Signes (un homme âgé, un homme malade, un homme mort, un ascète religieux). Il comprit que tous ceux qu’il aimait, tout ce qu’il avait, disparaîtrait un jour car tout le monde est soumis à l’âge, la maladie, la mort. Mais il remarqua que l’ascète, bien que condamné aussi, restait serein. Celui-ci lui expliqua qu’il suivait le chemin de la réflexion spirituelle et du détachement, qu’il était donc indifférent à la perte.

Il prit aussi conscience de la misère dans laquelle vivait le peuple et une nuit, après avoir enfilé la robe d'un ascète, il quitta le palais. Il se tourna vers l’ascétisme et avec l’aide de grands maîtres, il pratiqua l’austérité et se concentra sur la méditation.

À 35 ans, s’asseyant sous un figuier, il promit de ne pas en partir avant d’avoir atteint la vérité ultime.

Il reconnut que la souffrance venait du fait de l’attachement des hommes à ce qu’ils sont, possèdent… alors que la vie n’est qu’évolution, transformation.

Il est le fondateur de la philosophie religieuse du bouddhisme.

Après une vie d’ascète et d’errance, Siddhartha Gautama, connu sous le nom de Bouddha, mourut vers 480 av J.C, à un âge très avancé.

 

 

>Très belle introduction de Marc de Smedt à son livre « Paroles du Bouddha ».

« Siddharta Gautama, qui sera appelé plus tard le Bouddha, l'Éveillé, est né il y a 2500 ans environ dans le nord de l'Inde, tout près de l'actuelle frontière du Népal, à Lumbini. On dit que son père était un roi : les fouilles archéologiques dans la région ont permis de découvrir que c'était en tout cas un seigneur, une sorte de chef de clan, celui des Shakyas. Il naquit donc dans une famille puissante, les Gautama, aux moyens d'existence nettement supérieurs à ceux du commun. La légende nous dit aussi que son père, soucieux d'une prédiction faite par un ermite au moment de la naissance de son fils, annonçant que celui-ci serait soit un grand roi, soit un grand sage, fit tout pour que cela soit évidemment la première partie de la prophétie qui se réalise. Le jeune prince Siddharta reçut donc une éducation guerrière et intellectuelle poussée, et son père fit tout pour lui éviter soucis et ennui. Danseuses, chasses, précepteurs, serviteurs l'occupent donc à plein temps. On le marie aussi à la jolie Yasodhara, fille d'un clan voisin qui lui donnera un fils. Mais tout cela ne fait pas son bonheur : il est en effet tourmenté et déprimé par l'existence de la maladie, de la misère, de la vieillesse et de la mort qui lui « ôtent toute fierté au sujet de cette vie que je menais » et dont il ressent la futilité. Alors, une nuit, il quitte le palais et sa famille, il s'enfuit loin de la vie facile pour chercher la vérité et essayer de comprendre le sens de l'existence. Il a trente ans. Il coupe sa longue chevelure, quitte ses vêtements luxueux pour une simple tunique et part suivre l'enseignement des sages du temps. Durant des années il pratique des techniques de yoga, il jeûne, il écoute des philosophies, mais sans apaiser sa soif de comprendre. Alors il décide de s'enfermer dans une grotte et d'y méditer jusqu'à découvrir le pourquoi des choses. Il y reste jusqu'à devenir une sorte de squelette halluciné qui se nourrit d'une graine par jour. Sans résultat. Dans un sursaut il sort de sa grotte pour ne pas y mourir comme un chien dans un trou, il se traîne jusqu'à un arbre où il s'adosse entre les racines pour, au moins, finir en plein jour. Et là, il entend un maître de musique s'installer avec ses élèves dans un bosquet proche. Le maître dit : « Pour qu'un luth fasse de la bonne musique, il faut qu'il soit bien accordé ; si les cordes sont trop lâches, le son est mou, si les cordes sont trop tendues, le son est discordant. Il faut trouver l'accord juste. » A ces paroles, Gautama a une véritable illumination. Il réalise qu'elles s'appliquent à son cas : prince, il menait une existence trop molle, déliquescente, et, vagabond errant, il mène une vie inutile qui le conduit aux portes de la déchéance, pour rien. Il comprend que la vérité est dans l'équilibre des forces et découvre ainsi le premier principe de ce qui deviendra le bouddhisme : la voie du juste milieu. Le corps et l'être doivent être harmonieusement accordés pour donner un juste mouvement et être utiles aux autres. Une nouvelle vie commençait pour lui : tout en reprenant vigueur il se recueillera encore longuement avant de se décider à enseigner ceux qui le désiraient dans ce qu'il a appelé le Noble Chemin, composé de huit préceptes qui peuvent nous servir encore aujourd'hui : la vision correcte, la parole correcte, l'action correcte, la vie correcte, l'effort correct, l'attention correcte et la méditation correcte. Il mourut à quatre-vingts ans : une nouvelle philosophie était née. Elle ne suscita jamais de guerres. » (Marc de Smedt, Paroles de Bouddha, Albin Michel, Carnets de sagesse.)

 

 

>Quelques pensées de Bouddha

 

« Toute conquête engendre la haine, car le vaincu demeure dans la misère. Celui qui se tient paisible, ayant abandonné toute idée de victoire ou de défaite, se maintient heureux. »

 

 

« Un homme peut bien dépouiller autrui, autant qu’il convient à se fins : mais dépouillé à son tour par autrui, tout dépouillé qu’il est, il le dépouille encore.

Tant que le fruit n’a pas mûri, le sot s’imagine : « Voici mon heure, voici mon occasion ! » Mais quand son acte a porté ses fruits, tout se gâte pour lui. Le tueur se fait tuer à son tour ; le vainqueur trouve quelqu’un pour le vaincre ; l’insulteur se fait insulter, le persécuteur a des tracas.

Ainsi par l’évolution de l’acte qui dépouille il est dépouillé à son tour. »

 

 

 

« Actuellement, ô brahmane, les gens sont enflammés de désirs illégitimes, accablés par leurs appétits dépravés, obsédés par de fausses doctrines. Étant ainsi, ils saisissent des glaives acérés et s’ôtent la vie les uns au autres, et beaucoup périssent. De plus, sur ces gens enflammés, accablés, obsédés, la pluie ne tombe pas régulièrement. Il est difficile d’avoir de quoi manger. Les récoltes sont médiocres, frappées de la moisissure, mal venues. Ainsi, beaucoup périssent. Telle est la raison, telle est la cause de l’apparente perte et croissance de l’humanité. Voilà pourquoi les villages ne sont plus des villages, les bourgs ne sont plus des bourgs, les villes ne sont plus des villes, et les régions campagnardes sont dépeuplées. »

 

 

« Faciles à voir sont les fautes d’autrui : celles de soi sont difficiles à voir. En vérité les fautes des autres, nous les passons au van comme la balle du grain, mais celles du soi nous les couvrons comme le rusé joueur cache le coup qui le ferait perdre. »

 

 

« Le temps est un grand maître, le malheur, c’est qu’il tue ses élèves. »

 

 

« Chaque matin nous renaissons à nouveau. Ce que nous faisons aujourd’hui est ce qui importe le plus. »

 

 

« Ne demeure pas dans le passé, ne rêve pas du futur, concentre ton esprit sur le moment présent. »

 

 

« Accepte de qui est, laisse aller ce qui était, aie confiance en ce qui sera. »

 

 

« Quand vous adorez une fleur, vous l’arrachez, mais quand vous aimez une fleur, vous l’arrosez tous les jours. Celui qui comprend cela, comprend la vie. »

 

Marc Smedt 

> Marc de Smedt

Né le 21 octobre 1946, est un écrivain et un journalise français, spécialiste des techniques de méditation et des sagesses du monde. Il est aussi éditeur.

Il dirige et codirige plusieurs collections chez Albin Michel : Carnets de sagesse, Paroles de, Espaces libres, Spiritualités Vivantes.

Il dirige aussi les Éditions du Relié.

Il est également Directeur de rédaction et de publication du magazine Nouvelles Clés (devenu Clés et qui a cessé son activité en 2016) qui est spécialisé dans l’exploration des traditions spirituelles qui peuvent aider chacun à faire le point sur les différentes sagesses, mais aussi sur la santé du corps et de l’esprit, sur l’écologie au sens large.

De 1970 à 1981, il a suivi l’enseignement du maître zen Taisen Deshimaru.

Il est membre du jury du prix Alexandra—David-Néel/Lama-Yongden.

 

 

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25 octobre 2023 3 25 /10 /octobre /2023 09:25

SOURIONS UN PEU FACE AUX ALÉAS DE LA VIE EN CE MOMENT !

 

 

Si vous voulez oublier un peu les folies du monde ou vos propres difficultés, rien de mieux que de se plonger dans le livre de Jérôme Duhamel pour reprendre un peu d’énergie.

Voici quelques perles de l’école piochées dans le livre de Jérôme Duhamel « Les perles de l’école (Albin Michel).

Les élèves :

« -On ne doit pas crier à la cantine pour pas balancer des bactéries dans les nourritures.

-Moïse était le seul homme à avoir le droit de téléphoner directement à Dieu.

-Il paraît que Napoléon n’a mis que son cœur dans son tombeau aux Invalides et qu’après il a été mourir ailleurs…

 

*Ou encore

 

-Quand l’eau s’évapore, la casserole reste toute seule…

-Une bibliothèque, c’est comme un cimetière pour les vieux livres.

-L’oreille interne est une oreille qui permet d’entendre les bruits du cerveau.

-Dans le désert, les fleuves coulent à sec.

-Les nuages sont des sacs de vent remplis de pluie.

 

*Il fallait y penser !

 

Quand il y a une éclipse, la lune vient se cacher sur la terre.

-Calais est un village français de la banlieue de Londres.

-Le temps passe moins vite aux antipodes parce que les gens sont obligés de marcher plus doucement et en faisant bien attention parce qu’ils ont les pieds en haut et la tête en bas.

-Quand on lance le poids, il faut bien faire attention à ne pas partir avec…

 

Les professeurs ne sont pas en reste :

 

-Votre fils prétend avoir juste copié « un peu » sur son voisin… Son voisin s’appelle donc Victor Hugo et s’est fait plagier 4 pages entières par votre fils !

 

Et les parents non plus…

-Même à la maison mon fils est souvent absent et c’est pas pour ça qu’il m’amène des mots d’excuse…

 

Jérôme Duhamel est un journaliste, écrivain et éditeur français, né en 1949 et mort en 2015. Il est le petit-fils de l’écrivain Georges Duhamel et de Blanche Albane (actrice). Son père Bernard Duhamel était professeur de chirurgie et son oncle, Antoine Duhamel, compositeur. Lui-même est le filleul de François Mauriac (écrivain).

Quelques-uns de ses livres :

Les Perles des fonctionnaires

La Fête des perles

Le XXe siècle bête et méchant

C’était mieux avant

Le Bêtisier du XXe siècle

Grand inventaire du génie français en 365 objets.

...

 

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14 octobre 2023 6 14 /10 /octobre /2023 08:17

 

LITTÉRATURE NÉGRO-AFRICAINE

OU

LITTÉRATURE AFRICAINE ?

Lilyan Kesteloot, Anthologie négro-africaine

   Le débat fut long et difficile pour définir avec précision, à la satisfaction de tous, la littérature née en Afrique, en lien avec la colonisation, notamment la colonisation européenne.
   Un constat : cette littérature est effectivement née avec la colonisation européenne : française, anglaise, portugaise, allemande, espagnole…


   Sans refaire le débat, il convient de signaler simplement l’apport de l’autrice, Lilyan Kesteloot, en ce domaine.
   Née en 1931, en Belgique, morte à Paris en 2018, elle fit des études supérieures dans des universités belges, études conclues par sa thèse monumentale : Anthologie négro-africaine, Histoire et textes de 1918 à nos jours.
   Elle enseigne ensuite dans des universités en Afrique : Cameroun, Mali, Sénégal, Guinée, Côte-d’Ivoire…

   Pour elle, toutes les littératures africaines ont un rapport direct avec la colonisation ou avec le contact des Noirs issus de la Traite, mais aussi de l’Histoire en général, exemple : la littérature originelle de l’Afrique, issue de la littérature orale africaine : contes, légendes...
   Selon elle, cette littérature a évolué ou évolue avec l’histoire de chaque pays africain de la colonisation à nos jours.

   Au début de la colonisation les lecteurs plébiscitaient les auteurs noirs ou blancs dont les écrits étaient consacrés à l’Afrique, puis sont privilégiés les auteurs qui s’attaquent aux colonisateurs et à l’esclavage, comme par exemple Senghor et la Négritude.   
   Les indépendances des pays colonisés constituent une autre étape, un autre genre d’écrivains et de lecteurs, avec une influence grandissante des Noirs américains sur leurs « frères colonisés ». C’est l’épisode du débat « panafricanisme avorté » et ses conséquences politiques »

Lilyan Kesteloot (1931-2018)

*

Écoutons Lilyan Kesteloot présenter sa vision de la « littérature africaine » dans l'introduction à son ouvrage : Anthologie négro-africaine, Histosire et textes de 1918 à nos jours, EDICEF.

*

« Pourquoi avons-nous adopté le titre d'Anthologie « négro-africaine » pour présenter l'ensemble des œuvres littéraires, tant orales qu'écrites, qui expriment la vision du monde, les expériences et les problèmes propres aux hommes noirs d'origine africaine ?

Pourquoi ne parlons-nous pas de littérature « nègre », ou mieux de littérature africaine ? Et pourquoi spécifie-t-on la race ? A-t-on jamais parlé de littérature blanche ou jaune ? Non. Mais il faut éviter l'équivoque qu'entraînerait le seul adjectif « africain ». Car on engloberait alors abusivement la littérature des Africains du Nord, qui, culturellement, appartiennent au monde arabe.

Pourquoi « négro-africain » est-il plus précis que « nègre », encore qu'on emploie couramment l'un pour l'autre ? Négro-africain indique une nuance géographique qui est aussi une référence culturelle importante : il ne s'agit pas des Noirs de Malaisie ou de Nouvelle-Guinée. Mais bien de ceux d'Afrique qui ont, au cours des siècles, développé une civilisation bien particulière que l'on reconnait entre toutes.

Nous considérons donc la littérature négro-africaine comme manifestation et partie intégrante de la civilisation africaine. Et même lorsqu'elle se produit dans un milieu culturellement différent, anglo-saxon aux U.S.A., ibérique à Cuba et au Brésil, elle mérite encore d'être rattachée à l'Afrique tant le résultat de ces métissages conserve les caractères de l'Afrique originelle. Ceci est plus sensible encore dans la musique : qui niera par exemple l'africanité du jazz ou des rythmes cubains ?

L'aire de la littérature négro-africaine recouvre donc non seulement l'Afrique au Sud du Sahara, mais tous les coins du monde où se sont établies des communautés de Nègres, au gré d’une histoire mouvementée qui arracha au Continent cent millions d'hommes et les transporta outre-océan, comme esclaves dans les plantations de sucre et de coton. Du Sud des Etats-Unis, des Antilles tant anglaises que françaises, de Cuba, de Haïti, des Guyanes, du Brésil, rejaillit aujourd'hui en gerbes l'écho de ces voix noires qui rendent à l'Afrique son tribut de culture : chants, danses, masques, proses, poèmes, pièces de théâtre ; dans tous les modes d'expression humaine s'épanouissent des œuvres marquées du génie de l'Afrique traditionnelle, et qui témoignent de la profondeur de ses racines autant que de la vigueur de ses greffes.

 

*

*La littérature orale traditionnelle

Dans la littérature négro-africaine nous distinguerons les œuvres écrites en langues européennes et la littérature orale qui se fait en langues africaines.

Cette dernière est de loin la plus ancienne, la plus complète et la plus importante. Ancienne car pratiquée depuis des siècles et transmise fidèlement par des générations de griots ou aèdes, dont les mémoires ne sont rien de moins — dans une civilisation orale — que les archives mêmes de la société.

Complète car cette littérature comprend tous les genres et aborde tous les sujets : mythes cosmogoniques, romans d'aventures, chants rituels, poésie épique, courtoise, funèbre, guerrière, contes et fables, proverbes et devinettes. Importante par son abondance, son étendue et son incidence sur la vie de l'homme africain. En effet, cette littérature orale n'a jamais cessé, même pendant la colonisation, d'animer les cours des chefferies, comme les veillées villageoises, ni de proliférer avec une liberté et une virulence échappant au contrôle des étrangers ignorant d'habitude les langues indigènes.

Quant à sa portée sur le public africain, il faut savoir, pour en juger, que cette littérature orale charrie non seulement les trésors des mythes et les exubérances de l'imagination populaire, mais véhicule l'histoire, les généalogies, les traditions familiales, les formules du droit coutumier, aussi bien que le rituel religieux et les règles de la morale. Bien plus que la littérature écrite, elle s'insère dans la société africaine, participe à toutes ses activités ; oui, littérature active véritablement, où la parole garde toute son efficacité de verbe, où le mot a force de loi, de dogme, de charme.

Et les chefs des nouveaux Etats indépendants sentent si bien le pouvoir de cette littérature, qu'ils n'hésitent pas à confier aux griots traditionnels le soin d'exalter leur politique ou leur parti.

Littérature plus vivante parce que non figée, et transmise directement du cerveau qui l'invente au cœur qui l'accueille ; plus ardente parce que recréée à chaque fois, au feu de l'inspiration ; plus souple parce qu'adaptée, exactement, au jour, au lieu, au public et aux circonstances.

Mais certes, il faut avouer que les littératures orales sont aussi plus fragiles, difficiles à consigner, à inventorier et à cataloguer. C'est d'ailleurs à cause de ce handicap qu'elles sont encore mal connues, et méconnues ; nous faisons le point sur l'état actuel de ce problème en fin de notre ouvrage.

 

*

*La littérature écrite moderne

Voilà aussi pourquoi ce livre porte surtout sur la littérature écrite. Ce qui ne veut pas dire que celle-ci soit sans intérêt, et qu’on l’aborde à défaut d’avoir accès à l’autre !

La valeur des écrivains négro-africains n’est d’ailleurs plus à démontrer. Des voix autorisées l’ont d’ores et déjà reconnue, et je songe à André Breton, Michel Leiris, Sartre, Armand Guibert, Jean Wagner, Georges Balandier, Claude Wauthier, Roger Bastide, Janheinz Jahn !

Mais à l’opposé de la littérature orale, cette littérature écrite est d’origine assez récente ; car elle n’est pas à confondre avec les œuvres que certains lettrés africains et antillais ont écrites de tout temps, à la manière française, anglaise, portugaise et même russe (comme Dumas, Pouchkine, etc.).

J’ai dit plus haut qu’une littérature est avant tout la manifestation d’une culture. On n’a donc pu parler de littérature négro-africaine qu’au moment où les livres écrits par les Noirs ont exprimé leur propre culture et non plus celle de leurs maîtres occidentaux. Or cette désaliénation de l’expression littéraire n’a pu se faire, chez les Noirs, qu’à la lumière d’une prise de conscience douloureuse de leur situation socio-politique.

C’est ce qui explique le caractère agressif de leurs œuvres, et leur prédilection pour certains thèmes : l’analyse des souffrances antiques et multiformes que la race endure comme un destin implacable, la révolte titanesque qu’elle prépare contre ses bourreaux, la vision d’un monde futur et idéal d’où le racisme serait banni et bannie l’exploitation de l’homme par l’homme, le retour enfin aux sources culturelles de l’Afrique-Mère, continent mythique certes, mais aussi très concrète matrice d’une Weltanschaung qui a profondément déterminé l’âme des peuples éparpillés aujourd’hui dans la vaste diaspora nègre.

La naissance de la littérature noire écrite s’est faite dans le déchirement, et cela est bien sensible dans le texte de W.E.B. Du Bois qui commence ce panorama. Dès le début de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « le mouvement de la négritude », l’écrivain noir fut contraint de s’engager dans ce combat étrange que menait toute une race pour la conquête de sa liberté, voire de son statut d’homme.

La littérature nègre porte donc très nettement les stigmates de ce combat. C’est seulement ces toutes dernières années, alors que certaines parties du monde accèdent à une libération effective, que des œuvres, des problèmes raciaux viennent au jour : chants d’amour batanga, drames de jalousie du Ghana, comédies sur le mariage et la dot en pays ewondo — autant de symptômes qui indiquent que la négritude se débarrasse de l’obsession du racisme — quand on ne lui oppose plus le racisme.

La négritude redevient simplement la manière particulière aux Négro-Africains de vivre, de voir, de comprendre, d’agir sur l’univers qui les entoure ; leur façon bien à eux de penser, de s’exprimer, de parler, de sculpter, de raconter des histoires, de faire de la musique comme de faire de la politique, bref : caractéristique culturelle. La littérature africaine nous en transmet les multiples facettes et nous souhaitons qu’elle continue à se développer dans l’épanouissement de l’authenticité retrouvée.

 

*

*Littérature africaine ou littérature nationale ?

Est-ce à dire que les auteurs négro-africains n’ont plus d’autres problèmes que celui de la joie d’écrire ? Ce serait trop beau ! Entre tous, nous évoquerons trois de ces problèmes.

Tout d’abord, celui de l’unité culturelle de l’Afrique. Littérature nationale, tribale ou littérature africaine ? C’est un faux dilemme : pour faire plus « africain », certains sont tentés de rester dans les sentiers battus des thèmes bien éprouvés : souffrance nègre, colonialisme, néocolonialisme, Afrique des Ancêtres etc. et se perdent dans la banalité ! Il faudrait que les intellectuels aient plus de foi dans la civilisation africaine et ne redoutent pas d’y plonger. Car il y a plus d’« africanité » dans Soundiata de Tamsir Niane, dans Chaka de Thomas Mofolo, dans Trois prétendants, un mari de Guillaume Oyono, que dans les œuvres d’Edouard Glissant ou de Paul Dakeyo.

Comme le disait Gide : c’est en approfondissant le particulier qu’on accède au général. Ce n’est pas en criant « Seigneur, Seigneur » ou plutôt « Afrique, Afrique » que les orphées noirs retrouveront leur négritude s’ils l’ont perdue. Mais les intellectuels formés pour la plupart en Europe et coupés de leur milieu traditionnel ont à refranchir le fossé qui les en sépare, pour manifester valablement les Africains d’aujourd’hui.

Reste à savoir s’il importe pour l’écrivain négro-africain de manifester quelqu’un d’autre que lui-même ?

 

*

*La littérature engagée

Ceci nous amène à considérer le second problème que se posent les auteurs noirs. Dans quelle mesure la littérature doit-elle rester « engagée » ? Nous avons vu qu’à sa naissance, elle était d’emblée militante, ce qui lui donnait d’ailleurs cette exceptionnelle unité qu’à très bien fait remarquer le malgache Rabemananjara. « La vérité est que, sous l’impératif de notre drame, nous parlons malgache, arabe, wolof, bantou, dans la langue de nos maîtres. Parce que nous tenons le même langage, nous arrivons à nous entendre parfaitement de Tamatave à Kingston, de Pointe-à-Pitre à Zomba. »

Nul ne songera à nier la force et le relief que prit ainsi la littérature nègre dès ses débuts. Mais ce demi-siècle d’unanimité combattante peut commencer de peser sur la plume des jeunes. Plusieurs songent et s’essayent à une expression plus individualiste, à un lyrisme plus personnel. Et il est préférable en effet de se cantonner dans son petit moi que de jouer les grandes orgues de l’unanimité nègre sans y croire. Tous les jeunes — et même les anciens — n’ont plus la conviction qui animait encore les Maunick et les Tchicaya. Mais le passé encore proche risque d’exercer le diktat de l’« engagement » obligatoire.

Et ici nous rappellerons qu’en dépit de tous les impératifs extérieurs, l’art et la poésie n’obéissent à la contrainte qu’an prix de l’inspiration. Que la seule obligation péremptoire à laquelle l’artiste est tenu de se soumettre est l’engagement en lui-même, à savoir : l’authenticité. Et qu’on ne pourra garder grief à J. Nzouankeu ni à Nyunai, à Camara Laye ni à Birago Diop, parce qu’ils ne soulèvent pas de problèmes sociaux, raciaux, politiques, mais se contentent d’explorer leur folklore quotidien ou les labyrinthes de leur esprit inquiet.

La question de l’engagement se règle dans la conscience de chacun et n’est pas un critère esthétique. De même, il ne suffit pas de mettre en vers ses bonnes intentions pour faire un bon poème.

 

Il reste que l’artiste qui arrive à exprimer l’âme de sa collectivité tout en coïncidant parfaitement avec lui-même, est sans doute plus représentatif, à l’intérieur d’une littérature, d’une culture. Il reste aussi que, dans la tradition africaine, l’artiste assumait un rôle social qu’il n’a plus en Europe. Et dans la mesure où l’écrivain noir se soucie de « retour aux sources », il ne peut manquer d’être sensible à ce rôle traditionnel que jouait et jour encore le griot ou le conteur à l’égard de son groupe.

 

*

* Langues européennes ou langues africaines?

Le troisième problème majeur qui se pose aux écrivains noirs est celui de la langue. Il est assez simple de comprendre pourquoi ils ont commencé à écrire dans les langues étrangères. Comme l’a justement dit J-P Sartre, ils ont utilisé la langue de leurs colonisateurs — « ne croyez pas qu’ils l’aient choisie » — et ce, pour se faire plus largement entendre. De plus les masses africaines ne sachant pas lire, on ne les aurait pas atteintes beaucoup plus en écrivant dans leurs langues. Enfin les éditeurs européens ne s’intéressaient évidemment qu’à des œuvres écrites en langues européennes. Et il est vrai que ce sont le français, et l’anglais qui ont permis aux intellectuels colonisés d’exposer leurs problèmes devant le monde entier, et il n’est pas question qu’ils renoncent à ces langues de communication internationales, à la francophonie entre autres.

Mais aujourd’hui se créent des maisons d’éditions au Nigéria, au Ghana, au Kenya, au Cameroun. Aujourd’hui, grâce à l’alphabétisation intensive, un public africain populaire s’est constitué et s’accroît sans cesse. Aujourd’hui la littérature écrite n’est plus le monopole des universitaires ayant fait leurs études en Europe. Des Africains d’instruction primaire se mettent à écrire, de plus en plus nombreux, et dans un français douteux ou un anglais voisin du pidgin. On ne peut dès lors s’empêcher de penser que ceux qui ont du talent s’exprimeraient mieux dans leurs langues maternelles. Le cas le plus flagrant est celui d’Amos Tutuola : si je reconnais volontiers avec J. Jahn et Raymond Queneau que l’univers de ce planton de Lagos est rempli de la mythologie africaine la plus authentique, je regrette aussi, avec les lettrés nigérians, la bâtardise d’un langage qui n’est plus anglais, ni africain. Tutuola écrivant en yoruba ferait des merveilles, c’est certain, et nous donnerait des œuvres plus authentiques encore plus purement nègres, que l’on pourrait toujours traduire par la suite comme on l’a déjà fait pour le célèbre Chaka (1933) du southo Thomas Mofolo.

Enfin faut-il encore insister sur l’irréparable perte que constituerait, pour les culture africaines, l’abandon des langues nationales ? Tout un domaine de la sensibilité de l’homme ne peut s’extérioriser que dans sa langue maternelle. C’est la part inviolable, particulière, intraduisible de toute culture. L’homme africain ne peut renoncer à ses idiomes traditionnels sans ressentir une amputation grave de sa personnalité.

Ce mouvement de retour aux langues africaines est d’ailleurs largement amorcé surtout dans les pays de colonisation anglaise : au Nigéria où l’on écrit et enseigne le yoruba et le haoussa jusqu’à l’université, dans l’Est africain (Kenya, Uganda, Tanganyika), se développe toute une littérature écrite en Kiswahili. Ne pourrait-on donc imaginer la formation de littératures wolof, bambara, peule, bamileke, ewondo, kikongo, dont les œuvres écrites rejoindraient l’antique courant oral pour former un vaste ensemble de littératures européennes composées cependant de langues nationales aussi différentes que le français, le russe, l’allemand, l’italien, l’anglais, l’espagnol et j’en passe ?

Certains intellectuels africains ont compris cette nécessité et, sans abandonner le français, ils écrivent aussi en peul, comme Hampaté Ba, en kinyaruanda comme Alexis Kagame, en wolof comme Cheik Ndao et Assane Sylla.

 

*

*Le pari cultuel de l'Afrique

 

La survie des langues africaines dépendra essentiellement du crédit que les Africains eux-mêmes leur accorderont.

Ceci  est aussi vrai pour la survie de la civilisation africaine toute entière. Survie nécessaire sans laquelle jamais aucune indépendance politique, aucun développement économique, ne pourra lever le préjugé qui pèse encore aujourd'hui sur le "barbare" sur le primitif, sur l'évolué, le "singe des blancs". Ce préjugé s'amplifie lorsque l'Africain moderne adopte sans réserve le mode de vie européen, les philosophies, l'art même de l'Europe : cela prouve qu'il n'avait rien de bien valable à conserver n'est-ce pas? C'est donc aussi la justification à posteriori de l'action coloniale!

Tel est le pari culturel qu'il importe que l'Afrique gagne. De telle sorte que soit vérifiée cette profession de foi d'Alioune Diop, fondateur de la revue Présence Africaine

« Incapables de nous assimiler à l'Anglais, au Français, au Belge, au Portugais   de laisser éliminer au profit d'une vocation hypertrophiée de l'Occident certaines dimensions originales de notre génie  nous nous efforcerons de forger à ce génie des ressources d'expression adaptées à sa vocation dans le XXe siècle. » »

 

 

 

 

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14 mai 2023 7 14 /05 /mai /2023 10:21

 

DEUX PETITS POÊMES RAFRAÎCHISSANTS

 

 

La chanson du rayon de lune.

 

Sais-tu qui je suis ? — Le rayon de lune.

Sais-tu d'où je viens ? — Regarde là-haut.

Ma mère est brillante, et la nuit est brune ;

Je rampe sur l'arbre et glisse sous l'eau ;

Je m'étends sur l'herbe et cours sur la dune ;

Je grimpe au mur noir, au tronc du bouleau,

Comme un maraudeur qui cherche fortune.

Je n'ai jamais froid, je n'ai jamais chaud.

                                                                                             (Guy de Maupassant, Des vers, Albin Michel)

 

Guy de Maupassant (1850-1893)
par Nadar

 

> Courte biographie

Guy de Maupassant, (1850-1893) est un écrivain et un journaliste littéraire français. Il est né à Tourville-sur-Arques et mort à Paris, après avoir sombré dans la folie.

 

Son père est originaire de Lorraine. Homme volage, il épouse une jeune fille normande, Laure Le Poittevin, une amie de Gustave Flaubert qui est le filleul du père de Laure.

Laure est une femme très cultivée. Elle aime beaucoup les classiques, notamment Shakespeare.

1856, naît Hervé, frère de Guy, la famille vit alors près du Havre. Mais en 1859, elle s’installe à Paris et Guy est scolarisé au lycée impérial Napoléon.

1860, Laure et ses enfants s’installent à Étretat, après s’être séparée de son mari.

 

Maupassant passe le reste de son enfance à Étretat, dans une grande bâtisse du 18e s. que sa mère a acquise avant son mariage. Il vit entre mer et campagne, dans l’amour de la nature et des sports en plein air.

À 13 ans il est pensionnaire de l’institution ecclésiastique d’Yvetot. C’est là qu’il commence à écrire des poèmes. De cette époque il garde une grande hostilité envers la religion.

Il continue ses études au lycée de Rouen où il est bon élève ; il continue la poésie et participe également aux pièces de théâtre.

1868, son baccalauréat en poche, il étudie le droit à Paris mais la guerre va contrarier ses plans.

À 20 ans, Maupassant s’enrôle comme volontaire dans la guerre franco-prussienne.

Après la guerre il s’installe définitivement à Paris. Il travaille un an au ministère de la Marine comme « employé aux écritures non rémunéré ». Puis il passera 10 ans comme commis à la Marine puis au ministère de l’Instruction publique, grâce à Flaubert.

Le soir il travaille à ses œuvres littéraires.

 

Approché par Catulle Mendès pour devenir franc-maçon, Maupassant a cette phrase :

« Je veux n’être jamais lié à aucun parti politique, quel qu’il soit, à aucune religion, à aucune secte, à aucune école ; ne jamais entrer dans une association professant certaines doctrines, ne m’incliner devant aucun dogme, devant aucune prime et aucun principe, et cela uniquement pour conserver le droit d’en dire du mal. »

Pour se distraire, il aime faire du canot sur la Seine en charmante compagnie. Il mène une vie joyeuse, mais en 1877 on lui diagnostique la syphilis dont il mourra.

Il fréquente des écrivains tels, Flaubert, Edmond de Goncourt, Mallarmé, Tourgueniev, Zola, et beaucoup d’autres.

De 1880 à 1890, la période la plus féconde de Maupassant, il publie 6 romans et plus de 300 nouvelles et quelques récits de voyage.

Été 1881, il voyage en Algérie et Tunisie pour le journal Le Gaulois pour comprendre le sentiment anti-français. Il publie plusieurs articles « Lettres d’Afrique » sous le pseudonyme « un colon » ou « un officier » dans lesquels il critique la politique coloniale de la France. Il note les injustices et dysfonctionnements de la colonisation.

Maupassant publie aussi sous le pseudonyme « Maufrigneuse » un certain nombre d’ouvrages.

Dans les dernières années de sa vie, il a de plus en plus d’hallucinations et souffre de troubles visuels qui le handicapent beaucoup. Il s’isole de plus en plus, souffre de paranoïa. Physiquement il est décharné, se sent de plus en plus mal. Il essaie de se suicider en 1892, à la suite de quoi il est interné à Paris, dans la clinique du docteur Blanche. Il meurt de paralysie générale, après 18 mois d’inconscience presque totale, le 6 juillet 1893.

 

> Ses œuvres principales, romans et recueils de nouvelles, théâtre, poèmes, récits de voyages

Une vie, Bel Ami, Pierre et Jean, Boule de Suif, Le Horla, Fort comme la mort…

La Maison Tellier, Mademoiselle Fifi, Contes de la Bécasse, Clair de lune, contes du jour et de la nuit, le Horla…

Histoire du vieux temps, À la feuille de rose, maison turque…

Des vers, des vers et autres poèmes

Au soleil, Sur l’eau, La Vie errante…

 

La chute d'un gland.

 

Au pied d'un chêne et sur un vert gazon

Se reposait une belette,

Quand un gland détaché par le froid aquilon

Vient tomber d’aplomb sur sa tête.

 

Elle s'éveille, et, tremblante d'effroi,

De ce lieu dangereux s'enfuit à perdre haleine,

Criant au rat des champs qu'elle regarde à peine :

« Là-bas, là-bas, vient de tomber sur moi

La branche énorme d'un gros chêne ».

 

Le rat n'eut garde d’aller voir.

Il dit à deux lapins, broutant sur la colline,

Qu'un gros chêne venait de choir

Sur la belette, sa voisine.

 

Les lapins en le racontant

Y mêlent des éclairs et le feu du tonnerre.

Un écureuil qui les entend

Y joint un tremblement de terre.

 

Bref, les faits, les détails, l'un par l'autre appuyés

S'étaient, le lendemain, si bien multipliés

Qu'à trente milles à la ronde

Tous les animaux effrayés

Dans la chute d'un gland voyaient la fin du monde.

                                                             (Guillaume Viennet, Fables)

 

 

Courte biographie

VIENNET GUILLAUME (JEAN-PONS-GUILLAUME VIENNET) (1777-1868) est un poète et dramaturge français, membre de l’Académie française mais aussi un homme politique.

 

Viennet est né à Béziers. Après des études secondaires au collège de Béziers, ses parents le destinaient à devenir ecclésiastique mais à 19 ans il choisit l’armée et entre comme lieutenant en second dans l’artillerie de marine. Il est envoyé à Brest puis Lorient.

1797, dès sa première sortie, son vaisseau l’Hercule, est attaqué par les Anglais et l’équipage, réduit de moitié, est fait prisonnier. Viennet reste prisonnier pendant 7 mois à Plymouth. Pour passer le temps et se consoler des rigueurs de la détention, il s’adonne à la poésie et monte des pièces de théâtre à bord de sa prison maritime.

Il recouvre la liberté grâce à un échange de prisonniers et réintègre son corps d’origine.

1812, il vient à Paris où il s’adonne à l’écriture.

1813, il fait la campagne de Saxe en tant que capitaine et fut décoré de la main de Napoléon, à la bataille de Bautzen. Mais à la bataille de Leipzig il est fait prisonnier et ne rentre en France qu’avec la Restauration.

Il devient aide de camp du général de Montélégier (aide de camp du duc de Berry).

Après des péripéties politiques il n’a plus d’emploi et se consacre à l’écriture et au journalisme. Il collabore à différents journaux jusqu’à ce qu’il soit admis, grâce à Gouvion Saint-Cyr, dans le corps royal d’état-major.

Pendant ce temps il continue son activité littéraire et musicale.

1823, nommé chef d’escadron à l’ancienneté, il est rayé des cadres en 1827, suite à la publication de son Épitre aux chiffonniers pour la liberté de la presse.

1812, il est élu député (2e arrondissement de l’Hérault, Béziers).

1830, Viennet est élu à l’Académie Française

Il poursuit ses travaux littéraires jusqu’à son dernier jour ; il s’éteint au Val-Saint-Germain, près de Dourdan en 1868.

 

Quelques œuvres

Épitres, Clovis, Le Siècle de Damas, le Château de Saint-Ange, Les Serments, Fables, Le Chêne et ses commensaux, L’Os à ronger, Richelieu, la Franciade, Souvenirs de la vie militaire de Jean Pons Guillaume Viennet, de l’Académie française (1777-1819), Journal de Viennet, pair de France, témoins de trois règnes, 1817-1848.

 

Guillaume Viennet (1777-1868)

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21 avril 2023 5 21 /04 /avril /2023 07:06

L’Église céleste (Paul Schuss)

***

PAUL SCHUSS

Un peintre contemporain français

Atelier (Paul Schuss)

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> Paul Schuss est un peintre français né en 1948 à Münzkirchen (Autriche).

Ses ancêtres (12ième siècle) sont les Cani della Scala de Vérone (Italie) et les Von Asch du Tyrol du sud. 

En 1949 sa famille vient en France où il grandit. 

Après différents domiciles en Provence et sur la Côte d’Azur sa famille s’installe dans la Nièvre (France) en 1953.

À six ans il fréquente l’école primaire de Passy-les-Tours. Il est un élève brillant apprécié de son instituteur. Puis il fréquente le lycée Jules Renard à Nevers. Mais déjà, il s’intéresse de plus en plus à la peinture, domaine où il excelle rapidement.

1967, après le lycée, Schuss commence des études de droit à Paris, qu’il abandonne très vite pour se consacrer entièrement à la peinture. Il a alors 19 ans.

1968, il rencontre Romain de Tirtoff dit Erté, un artiste russe naturalisé français. Il fréquente aussi d’autres artistes, des écrivains, des acteurs.

1970, il part pour l’Autriche, à la recherche de ses racines. Il vit deux ans à Salzbourg puis s’installe à Vienne où il résidera jusqu’en 1979.

1979 : retour en France. Il s’installe en Bourgogne.

1981 : Schuss épouse Chantal Garceau. Ils ont deux enfants :

Tatiana, vivant aux Etats-Unis.

Romain, installé dans la Nièvre.

Sa passion des voyages, la découverte de nouvelles cultures, de nouveaux paysages, l’amènent à parcourir le monde

 

Paul Schuss a commencé à peindre dès l’enfance. À dix ans, un ami de la famille, Albert Drachkovitch-Thomas (petit-fils d’Albert Thomas, homme politique français) découvre son talent et l’encourage dans cette voie. Il lui offre sa première boite de peinture, il a alors 14 ans. Albert Drachkovitch lui enseigne les bases de la peinture à tempera.

Cependant Schuss étudie les autres techniques picturales en autodidacte, telles l’acrylique, l’aquarelle, le lavis, les techniques mixte… .

À 17 ans, Paul Schuss, encore au lycée, expose pour la première fois des tableaux à la tempera qu’il avait peints de 14 à 16 ans. Cette exposition a lieu au Salon du Groupe Nivernais (à la chapelle Sainte-Marie), à Nevers (France). Tous ses tableaux sont rapidement achetés.

Il exposera dans différents lieux :

Il fait sa première exposition parisienne à la Galerie Duncan en 1969. 

En 1970 il expose au Salon des Surindépendants . 

1975 : Exposition à la Galerie Marcel Bernheim (Paris).

***

(Voir les autres expositions : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Schuss )

 

> Séjour en Autriche

1971 : Salzbourg : Schuss y passe deux ans et exposera plusieurs fois dans la ville de Mozart et notamment à la Residenz.

La ville de Salzbourg lui achète une peinture ainsi que le Salzburgland.

1973 : Schuss s’installe à Vienne : il expose à plusieurs reprises notamment au Palais Lobkowitz qui est alors le Centre Culturel Français. 

Il fait la connaissance du Dr Karl Kanzian qui le guide dans sa quête spirituelle et collectionne ses œuvres.  Celui-ci deviendra le plus grand collectionneur des œuvres de Schuss en Europe. 

 

1974 : le Prince Otto zu Windisch-Graetz, (apparenté à l’impératrice Sissi et à l’Empereur François Joseph) et d’autres membres de la famille de celui-ci, rendent visite à Schuss dans son atelier à Vienne. Le prince Otto photographie alors les grands tableaux du peintre comme : « Derniers Soleils », « Dialogue avec l’Éternel », « Puissance de la Nature ».

 

La Forêt mystérieuse (Paul Schuss)

 

> Sa peinture

Schuss découvre le pouvoir mystique de la lumière, en pleine adolescence.

« C'est aussi en pleine adolescence qu'il découvre le pouvoir mystique de la lumière. La vision d'un flot de lumière dorée, chaude, vibrante et étrange - comme habitée - jaillissant à travers la fenêtre d'une tour d'un château-fort en ruine, le toucha au plus profond de lui-même. Cette image qui lui fit ressentir la vie de la lumière ne le quittera jamais. Elle influera de multiples manières sur son œuvre. » (Wikipédia)

A cette époque l’âme tourmentée de l’artiste s’exprime par des peintures aux tons sombres. 

Le ciel y tient une grande place car Paul Schuss a toujours considéré que c’est dans le ciel que se passait la partie la plus importante dans ses tableaux. 

Schuss utilise aussi l’encre de Chine. Il apprend la lithographie en 1987 dans l’atelier de Jacques Mourlot, fils de Fernand Mourlot ; il réalise 6 lithographies en noir et blanc : « L’Arbre refuge », « Passions indomptées », « L’attente », « Le Vieux Pont », « Les Corbeaux », « La Lettre oubliée » et 5 en couleur : « Tatiana ou le voyage des bulles », « La Méditation »en 1987,  «  Reflets » et  «  A la Croisée des Chemins » en 1988 et enfin « Le Rivage du Silence » en 1989 

Schuss détruit officiellement les plaques qu’il a réalisées pour l’impression et chaque lithographie est accompagnée à la vente d’un certificat d’authenticité signé par Mourlot. 

Ses lithographies en noir et blanc connurent le même succès au Japon que ses lithos en couleurs.

1987, Schuss fait la connaissance de Marc Squarciafichi qui devient son marchand au Japon. Squarciafichi dit Marcestel, expose les œuvres de Schuss, ainsi que celles d’autres peintres de l’École de Paris, dans de grandes galeries à Tokyo : Daimaru, Nikken…, et dans les plus grandes villes du pays .

À cette époque le docteur Sozo Hino, propriétaire du Hino Hospital, aussi grand collectionneur d’œuvres d’art, achète les tableaux de Schuss en vue de créer un musée Schuss à Osaka, mais le projet sera abandonné en 1991, suite à la reprise des essais nucléaires de la France.

Schuss Paul expose dans des galeries internationales depuis plus de 50 ans et beaucoup de ses tableaux se trouvent dans des collections privées et publiques sur les cinq continents.

(Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Schuss )

 

Le peintre Paul Schuss et la peinture

Pour Paul Schuss « l’art se situe au-delà des différences de races, de religions et de culture et de tout autre préjugé allant dans ce sens, d’où sa grandeur.

La peinture comme toute forme d’art est un message d’une âme à une autre âme.

Chaque période de l’humanité choisit dans son héritage culturel, la forme d’art dont elle a besoin, et chaque génération a un autre besoin, de même que chaque être. »

 

Puis le peintre Schuss évoque de façon plus personnelle sa peinture et ses réflexions à ce sujet :

« Lorsque je peins et qu’intensément je suis entré dans mon tableau, il me semble qu’une partie de moi-même se promène ailleurs.

Je ne travaille que quelques heures par jour mais avec une concentration extrême et je m’arrête complètement épuisé. " À chaque jour suffit sa peine. "

J’aime la nature passionnément, et si j’aime la peindre dans tout son feu et dans toutes ses flammes, j’aime aussi la peindre dans toute sa douceur et dans toute sa poésie.

Surtout n’ayez aucune crainte à faire un tableau trop beau, car même lorsque vous pensez avoir atteint le summum, vous êtes encore loin de la Parfaite Beauté, de la Perfection Divine.»

 

 

Schuss poursuit sa réflexion et ajoute :

« Ne croyez pas, lorsque vous voyez dans mes tableaux des éléments de l’imaginaire, que je les ai peints sans raison… ils ont leur place dans l’œuvre avec la même logique que le reste.

Je peux passer bien du temps à savoir par exemple comment un oiseau vole : je l’observe dans la nature, j’étudie des documents scientifiques, jusqu'à ce que j’en ai une excellente connaissance. Puis je le peins dans toute sa vérité à côté d’un ange ou d’un objet en lévitation, ou d’un arbre au-dessus d’un village étrange. Tous ces objets, toutes ces créatures ont dans l’œuvre la même raison d’être, la même réalité, la même vérité.

Il y a des sujets qui me hantent et que je porte en moi des années avant de les peindre. Certains tableaux vivent dans ma tête depuis l’âge de 18 ans et je continue de les affiner.

D’autres surgissent d’un seul coup et sont prêts à être portés sur la toile. »

 

 

 

Dans la suite de ses réflexions, Paul Schuss nous plonge dans le cœur de sa création :

« J’ai une foi absolue dans mon travail, dans mes œuvres. Si je ne l’avais pas, jamais je ne pourrais mobiliser toutes ces forces nécessaires à leur création. Et lorsque je crée une œuvre, je me sens à la fois peintre, poète, musicien, architecte et sculpteur. J’ai l’intense désir d’unir dans mon tableau toutes ces formes d’art en un Art Unique.

Même lorsque je conçois en pensée un tableau jusque dans ses moindres détails, je ne sais jamais le résultat final, car entre le tableau imaginé et le tableau réalisé il y a la résistance de la matière et il ne m’est pas possible de la dominer complètement malgré une technique extrêmement élaborée.

Et une excellente technique est un formidable support pour l’expression de l’artiste, mais ce n’est pas une finalité en soi.

La grandeur d’une peinture dépend de son universalité et non des époques ou des modes. »

 

 

Schuss approfondit sa pensée et ajoute :

« Bien qu’étant un enfant de mon siècle, je me suis toujours senti en opposition avec une partie de mon époque, surtout la partie qui recelait le plus d’agressivité, de brutalités et de manque d’imagination, tant dans la musique, la sculpture, l’architecture, le cinéma, la danse ou la peinture que dans les rapports entre les êtres humains en général.

À une époque de mon développement artistique, lorsque je travaillais à la Tempera, la technique des maîtres anciens me fascinait tellement que j’essayais d’en percer tous les secrets. J’essayais d’en rendre tous les aspects… jusqu’aux craquelures des vernis.

Je peins ce que j’aime et ce que je ressens et je le peins comme je le ressens. Je suis en harmonie avec moi-même.

J’ai le désir intense de canaliser l’harmonie dans mes œuvres et de la redonner au contemplateur pour que ses pensées et ses sentiments s’illuminent et s’élèvent. »

 

Sa philosophie

Paul Schuss développe ensuite, de façon plus générale, sa philosophie du monde et  de l’art en particulier :

« Je suis persuadé que le langage pictural le plus chargé de signification pour l’être humain est celui de la nature, avec toute sa richesse de formes, de couleurs et d’atmosphères.

Et j’utilise donc ce langage concret si puissant plutôt qu’un langage abstrait, tronqué et affaibli. Je suis convaincu que de tous temps l’homme y est plus sensible et le comprend le mieux… et grâce à lui il peut même ressentir les forces cachées derrière ces apparences. »

 

 

« Si vous êtes sincère avec vous-même, vous conviendrez qu’en art il n’est pas possible d’être objectif. Chacun juge une œuvre selon ses critères personnels, selon son degré de sensibilité et d’évolution. Et quels sont les critères pour définir une grande peinture ?

Il y en a autant que de spectateurs… et ils sont aussi contradictoires…

Aussi est-il sage d’établir ses propres critères qui sont tout à fait relatifs.

Une chose est certaine : faites votre travail avec amour et ce que vous peindrez sera vrai ; peu importe le sujet et peu importe le style. »

 

 

Le mysticisme du peintre

Paul Schuss se dévoile ici encore davantage, relatant certains épisodes de sa vie :

« À une période de ma vie, je me voulais absolument antireligieux et pourtant sans le savoir j’avais la foi.

Maintenant je peux m’incliner avec la même humilité devant les Divinités d’un temple bouddhiste ou hindou, devant le Dieu d’une mosquée, d’une église orthodoxe ou d’une cathédrale catholique.

Pour moi il s’agit de la seule et même Divinité à laquelle les hommes ont donné plusieurs noms.

Il est vrai que l’orgueil peut donner beaucoup d’énergie pour réaliser une œuvre, mais quelles souffrances aussi.

Si on parvient à laisser une bonne partie de son orgueil, on vit mieux et on travaille plus sereinement. »

 

 

« Pour une grande part l’artiste est quelqu’un qui n’accepte pas le monde tel qu’il est, et qui veut le recréer à son image.

C’est la partie secrète, la partie mystérieuse, la partie essentielle des êtres et des choses qui me passionne et c’est par l’amour que les choses se dévoilent et livrent leurs secrets et non par le mépris. »

 

Schuss nous dépeint l’état d’esprit dans lequel il travail, les conditions qui lui sont nécessaires.

« Lorsque je peins, je suis d’une sensibilité extrême, un écorché vif.

Aussi me sachant si vulnérable, je ne vis qu’au sein de la nature, de ma famille, de mes amis et de mon tableau.

Je me protège, je me cache de tout le reste. Une fois mon œuvre achevée, je reviens dans le monde profane, je revêts une carapace, je me blinde et je suis prêt à affronter le monde extérieur. »

 

 

Le spleen du peintre

On peut constater que Schuss devient de plus en plus sensible à son vécu, à ce qui se passe dans le monde, à la nature, mais surtout il recherche la sérénité, la beauté, l’harmonie qui grandissent l’âme.

« J’ai suffisamment nagé dans la tourmente et dans les tempêtes dans mes vertes années… et cela jusqu’au dégoût de la souffrance.

J’ai parfois des moments de tristesse infinie comme si je portais en moi la détresse de la terre entière. Mais j’ai aussi des flambées de bonheur et de reconnaissance intense envers mon destin.

Mais j’ai aussi des flambées d’intense soif de pureté et de sérénité, et j’ai donc choisi le chemin qui va vers la beauté et l’harmonie.

Aussi je n’aspire plus qu’à la paix, à l’harmonie et à la sagesse… j’aspire à vieillir car ce sont des qualités qui vont rarement de pair avec la jeunesse. Aussi je ne voudrais pas être plus jeune, pas même d’une seconde.»

 

 

Selon Paul Schuss

« L’Art devrait avoir pour but sublime d’élever l’homme en sensibilisant et en affinant tout son être.

Un art brutal, grossier, laid, sans sensibilité et sans émotions avili l’homme et va à l’encontre de la vie et du progrès. »

Le peintre « souffre de plus en plus devant des couleurs sales, brutales et laides, ou devant des sons sans harmonie, comme on en trouve tant dans notre siècle. »

Et il ajoute :

« Aussi suis-je de plus en plus à la recherche de la transparence, de la luminosité de l’harmonie des couleurs.

Je voudrais en extraire tout ce qu’il y a de sale, d’impur et de grossier afin qu’elles apparaissent comme une pure lumière aux multiples reflets. Il faut ressentir la grandeur de cette pureté pour avoir envie de l’atteindre. »

 

 

Pour lui, certains termes sont essentiels comme :

« Créer …Il n’y a qu’une chose qui importe c’est de créer.

L’intérieur … il faut peindre l’intérieur des êtres et des choses.

Poésie et douce mélancolie vont souvent main dans la main. »

 

 

Le peintre se projette dans l’avenir et nous livre cette réflexion :

« À l’aube de ce troisième millénaire, il nous faut maintenant remonter du creux de la vague, et reconstruire, recréer un monde où la beauté et l’harmonie, la lumière et la spiritualité seront les piliers d’un nouvel édifice.

Au-delà de toutes les horreurs, il y a en ce monde une immense soif de pureté.

Il ne faut surtout pas manquer d’aller dans cette direction.

 

Le succès est formidable car il permet à l’artiste de vivre de son art, cependant ma véritable récompense est dans mon atelier lorsque je peins avec bonheur. »

 

 

L’énigme temps – espace

« L’énigme temps – espace m’a toujours préoccupé ; le temps qui passe, les choses qui se défont, les cycles qui reviennent…

Je suis persuadé que si l’être humain arrive à percer le secret du temps-espace une grande lumière se fera sur le monde et sur son destin. »

 

La Source (Paul Schuss)

 

Quelques articles de presse pour mieux comprendre le peintre Paul Schuss

 

« Paul Schuss, […], ce jeune artiste nous entraîne dan un univers visionnaire d’une étonnante force poétique. Ce romantisme servi pat une technique classique parfaitement maîtrisée est un appel à la méditation, au recueillement, au contact psychique  avec les grandes forces solaires et terriennes sont le peintre se mble capter l’essence, l’âme, la pulsion vitale. Quête d’absolu. Quête de connaissance, de communion avec ce divin — ce soleil intérieur — qui hante ce chercheur de musique des sphères, ce conteur alchimiste d’un autre temps. Soif de paix. Soif de grands espaces illuminés de soleils bénéfiques. Soif de communication, aussi, avec l’essentiel des êtres : le cœur et l’âme. Des œuvres comme « Dialogue avec l’Eternel », « La Planète éclatée » sont d’étonnantes méditations d’une grande richesse spirituelle. » (Revue Moderne, exposition galerie Marcel Bernheim, Paris, 1975)

 

 

 

« L’abstrait d’un côté, le figuratif de l’autre et, entre les deux, un rêveur, un poète, un peintre au surréalisme des plus personnels Paul Schuss, à la Galerie de la Place Beauvau.

D’une délicatesse infinie, le pinceau pose sur la toile des touches en même temps évocatrices et précise. On se trouve face à un univers que l’on croit connaître mais auquel le peintre donne une aura inconnue.

Voici un arbre immense, imposant, richement feuillu, « L’Arbre aux fées ».

On ne les voit pas mais on ressent leur présence.

Elles vont apparaître… non …pas encore mais elles surgiront parce que le magicien Paul Schuss l’aura voulu.

Pureté des ciels, bleus ou fauves, tendresse du paysage et des tonalités environnant « L’Aube » qu’incarne une Aphrodite debout dans le ciel.

Une rivière se transforme soudainement en route à moins que ce ne soit le contraire et l’enchantement continue avec « Les Feux du Couchant » et « Le Chant des Sirènes » ((94 Faubourg St Honoré). Juin 1984. » (Prévisions, L’Économiste de Paris, Panorama artistique, Galeries et Musées, par Robert Barret)

 

 

 

Pour plus d’articles Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Schuss

 

Rêves et paix (Paul Schuss)

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19 mars 2023 7 19 /03 /mars /2023 09:09

Sonia Delaunay, lithographie

***

LA VISION DE L’ART DE GOTTFRIED HONEGGER

DANS SA LETTRE À SONIA DELAUNAY

***

Gottfried Honegger (1917-2016)

*

Gottfried Honegger, né et mort à Zurich (1917-2016), est un peintre, graphiste publicitaire et collectionneur suisse.

Il a vécu et travaillé à Paris, Zurich, Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes)…

1938 : il fonde un atelier de graphisme, de décoration et de photographie.

Entre 1939 et 1960, il séjourne dans différents pays puis revient en France en 1960, où il utilise l’informatique pour des dessins programmés par ordinateur.

Honegger réalise des Tableaux-reliefs aux formats monumentaux.

Il est reconnu comme l’un des piliers de l’art concret (mouvement artistique de tendance abstraite).

Il travaille sur le principe des variations à partir d'un seul et même thème.

 

Il pense que la beauté peut changer le monde. Pour lui, l’art a une fonction sociale, ce qui le conduit à concevoir un outil pédagogique : Le Viseur. Cet instrument est destiné à l’apprentissage du regard pour l’enfant : améliorer la perception des couleurs, des formes, du rythme. En 2015, Honegger avait initié des activités plastiques pour les enfants handicapés.

Il est convaincu que «l'excès d'images virtuelles paralyse notre conscience», il s'inquiète de l'addiction des jeunes aux écrans, allant parfois jusqu'à la folie.

 

Il réalise les vitraux des quatorze baies supérieures de la nef de la cathédrale de Liège, avec Hervé Loire, maître verrier de Chartres. (2014).

En 2000, avec sa dernière épouse, Sybil Albers-Barroer, il fait la donation de leur collection d’art (500 œuvres de 160 artistes) à l’État français.

Sonia Delaunay, portrait (vers 1912)

*

"Lettre à Sonia Delaunay

 

Très chère,

 

Je me souviens, Robert Delaunay m'a écrit autrefois : « Aussi longtemps que l'art actuel ne se libérera pas de l'objet, il restera description, littérature, esclave de l'imitation ».

Effectivement, chère Sonia, vous avez prouvé par votre œuvre qu'un art libéré du « contenu » ouvrait les portes du ciel. Vos tableaux, il faut les percevoir en ouvrant grand les oreilles. La musique des couleurs et le rythme des formes caressent nos yeux, font atteindre le sublime.

J'ai eu envie de vivre et de m'approprier le monde de la même manière que votre art se déploie. A quelle source d'espoir puisent votre espoir, votre joie, votre courage de vivre ? Vous débordez, vous composez un chant de couleurs que je n'oublierai jamais.

Les couleurs, n'est-ce pas, il faut les écouter.

 

Lorsque je vous ai rendu visite, j'ai appris à connaître votre personnalité. Vous avez fait la paix avec l' »être ». L'humain contient l'inhumain, dites-vous, ce fait aussi a besoin de la lumière de l'art. Oui, nous avons besoin de l'art, pour tenir tête à la cruauté du quotidien. L'art est peut-être notre ange gardien, celui qui le suit vit dans la beauté et la vérité.

Je vous ai écoutée avec un grand intérêt raconter votre immigration à Paris. Je suis moi-même quelqu'un qui souffre de l'absence de patrie. Ici, à Paris, je suis un étranger, en Suisse, où je suis né, je suis un Suisse de l'extérieur.

Cette non-appartenance a certainement déterminé la forme et le contenu de mon travail.

L'art, vous avez raison de le dire, est toujours imprégné du lieu du crime, de la culture dans laquelle l'artiste vit et travaille. Hans Hartung, par exemple, quand il immigra à Paris, était un expressionniste allemand. Aujourd'hui, devenu cent pour cent français : c'est un informel.

 

En Europe, cette diversité culturelle nous permet — et pas seulement à l'artiste — de trouver notre biotope, notre identité. Je pense que la diversité culturelle est notre capital européen. La diversité des langues, des mœurs, des traditions correspond à la diversité de nos caractères, à notre histoire. La perte de cette richesse conduit à l'uniformité, à l'égalisation, à la perte d'identité.

Vous m'avez raconté que le poète Maxime Gorki, un ami intime de Staline, le dictateur, a suggéré de faire du russe la langue nationale. Visiblement Staline a repoussé cette idée en arguant qu'il perdrait le pays natal, l'odeur de sa langue maternelle.

Il est pour moi incompréhensible que les politiques actuels puissent envisager avec tant de légèreté l'appauvrissement culturel de la nouvelle Europe. Et pourtant Robert Schuman, le père spirituel de l'Europe, a écrit : « L'Europe avant d'être une alliance militaire ou une entité politique doit être une communauté culturelle ».

 

Votre œuvre prouve que de la rencontre d'une Russe et d'un bourgeois français naissent des fleurs nouvelles et des fruits insoupçonnés. Vous apportiez la couleur, Robert, la forme, et l'inséparable tout fut un enfant européen. Vous représentiez ce qui dans l'avant-garde russe était révolutionnaire : le spirituel ; la liberté était la contribution française de Robert Delaunay. Vous comprenez maintenant pourquoi je suis inquiet. Le libre marché, la puissance économique des monopoles, la mondialisation, la bourse, la consommation de masse, tout cela et plus encore affadit, étouffe pour toujours la prodigieuse richesse culturelle européenne. Ce qui a mis mille ans à se développer est menacé par un néo-libéralisme aveugle. Ce serait à nous les intellectuels de protester, d'éclairer, d'apporter notre concours à la nouvelle Europe.

« La santé de la nouvelle Europe repose sur deux conditions : chaque pays doit avoir sa culture propre et les différentes cultures doivent connaître et reconnaître leur parenté intérieure », Eliot.

« Le pluralisme - c'est-à-dire l'égalité des droits, le vivre ensemble protégé par des garanties fondamentales et la possibilité d'une pluralité de groupes sociaux au sein d'une communauté étatique — a été reconnu de plus en plus clairement comme l'une des caractéristiques d'une démocratie libérale », Sontheimer.

Nous n'avons qu'une alternative : soit la prédominance totale de l'économie dans tous les domaines de la vie, la consommation de masse, l'aliénation et l'anonymat par refus de l'art, soit une politique culturelle qui ne favorise pas les arts de façon centrale mais régionale, qui rend possible d'accroître nos expériences, de renforcer la créativité et la liberté individuelle de chacun de nous.

Certains indices me donnent à penser qu'aujourd'hui une minorité a pris conscience d'un appauvrissement culturel. Je rêve d'une exposition dans laquelle on pourrait montrer la diversité de l'art en Europe. Il n'y a rien de plus beau que d'expérimenter la différence des cultures. À cela s'ajoute que dans un monde qui devient de plus en plus standardisé, les identités culturelles sont vitales pour notre bien-être.

Chère Sonia, je me réjouis de notre prochaine conversation."

***

« Même en dehors du fauvisme, Sonia appartient, par la couleur de ses premiers tableaux à l'espèce des grands fauves. Sa force de création est instinctive comme la puissance animale. » (Jacques Damase)

 

***

SONIA DELAUNAY (Sonia Ilinitcha Stern), qui se considérait avant tout comme française et plus encore, comme parisienne « Je ne me sens bien qu'en France, et encore pas partout. Avant tout l’Île de France, c’est ce que j’aime le plus », est née en 1885, en Ukraine, dans une juive. Son père est ouvrier. À 5 ans, elle est adoptée par son oncle, avocat à Saint-Pétersbourg. Elle vit alors dans un milieu cultivé et passe ses vacances à l’étranger. Elle parle français, allemand, découvre les arts.

En 1903, elle est envoyée à Karlsruhe (Allemagne) où elle étudie de dessin

1905, elle arrive à Paris où elle s’installe dans une pension au quartier latin avec d’autres jeunes filles russes.

Elle suit les cours de l’Académie de la Palette.

Très vite elle travaille seule et part à la découverte de Paul Gauguin, Pierre Bonnard, André Derain et Vuillard qui exposent à la galerie Bernheim et qui ont fondé le fauvisme. Nouveau style qui enthousiasme Sonia mais qu’elle veut dépasser.

 

1907 : son premier tableau fauve, Philomène. Cette période est très importante pour elle. Elle y laisse éclater son goût des couleurs vives. Ces couleurs vont réveiller, plus tard, la tendance »sombre » dans laquelle Robert s'enferme. Mais sous l'influence de Sonia, il se relance dans des couleurs plus franches.

 

1907-1908 : Sonia apprend la gravure. Elle rencontre le collectionneur et galeriste allemand, Wilhelm Uhde quelle épouse en 1908.

Elle commence ses premières « tapisseries-broderies », et à la galerie Uhde, elle rencontre Robert Delaunay, Picasso, Derain, et George Braque.

 

1910 : après avoir divorcé de Uhde, elle épouse Robert Delaunay. Ils reçoivent beaucoup et font la connaissance de Kandinsky Vassily.

1911 : naissance de leur fils Charles.  Sonia réalise sa première œuvre abstraite avec du textile : une couverture pour son fils, un assemblage de coupons de diverses couleurs vives, selon la tradition ukrainienne. Elle joue avec les couleurs comme dans sa peinture, fait des collages, des reliures de livres en papier et déchets de tissus. Elle peint des coffrets, des abat-jour, des voilettes…

1912 : Apollinaire donne  au mouvement pictural fondé par les Delaunay, le nom d’Orphisme.

 

Sonia et Robert Delaunay ont surtout travaillé ensemble sur la recherche de la couleur pure et du mouvement des couleurs simultanées, une tendance qui a inspiré d'autres peintres après eux,

 

De plus en plus orientée vers l’art abstrait, elle crée en 1946 le Salon des réalités nouvelles pour promouvoir l'abstraction.

Elle laisse derrière elle une œuvre abondante qui comprend des tissus imprimés, des livres d'artistes, des robes de haute couture…

Plaque Sonia et Robert Delaunay, 16 rue de Saint-Simon, Paris 7e

***

Commentaire

Déjà en 2003, dans cette lettre, Gottfried Honegger, soulève un problème qui, on le voit aujourd’hui, en 2023, s’est accentué.

L’anglais s’impose partout. Une certaine catégorie de personnes ne veut s’exprimer qu’en anglais (snobisme, manque de connaissance de la langue française… ?)

  • Chanteurs
  • Créateurs d’entreprises
  • Médias

À la radio nationale, on n’entend plus que des chansons en langue anglaise, même si les auteurs sont français, allemands…

Les nouvelles entreprises situées en France portent des noms anglais.

Dans les médias : vocabulaire franglais, anglais, même si la majorité des Français ne comprend rien.

On oublie le vocabulaire français, si riche, on oublie la syntaxe, la grammaire françaises (que de fautes n’entend-on pas, ne voit-on pas dans les médias.

Les entreprises françaises avec des noms anglais, n’incitent pas la majorité du peuple à les contacter.

 

Petit à petit, les jeunes générations, baignant dans cette atmosphère, appauvrissent leurs connaissances en français et bientôt ne sauront plus parler correctement leur langue maternelle.

Sommes-nous condamnés, à plus ou moins long terme, à nous exprimer dans une langue mondiale ou européenne appauvrie, uniformisée, dans une pensée unique.

 

Par contre, le métissage est positif, il apporte de la richesse culturelle, du sang neuf, grâce aux gens venus d’ailleurs et évite ainsi à une société de se scléroser.

Nous apprenons les uns des autres, nous nous enrichissons mutuellement.

Une langue européenne, voire mondiale est utile pour mieux nous comprendre sur notre planète, mais en plus des langues nationales, voire régionales.

 

Avec les progrès, la modernisation (tout cela est utile, voire indispensable) nous avons perdu beaucoup de savoir-faire, beaucoup de vocabulaire aussi.

 

En fait, la pensée s’appauvrit ; s’impose à nous un schéma de pensée universelle, standard, mais très simplifié.

Édith Schuss, L'Anémone rouge

 

 

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11 décembre 2022 7 11 /12 /décembre /2022 09:48

 

HUMEUR ET HUMOUR (3)

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FRANCE ET AFRIQUE ?

 

 

Deux vieux amis, tous deux enseignants retraités, Jean-Jacques, le Français et Alioune, ressortissant de l’Afrique de l’Ouest.

Jean-Jacques a longtemps enseigné la psychologie dans plusieurs universités africaines.

Alioune, quant à lui a aussi enseigné longtemps en Afrique, puis en France.

Ils devisent sur quelques traits caractéristiques du tempérament français et africain ainsi qu’on le voit dans le dialogue ci-dessous.

 

 

Jean-Jacques : Sans céder au catastrophisme intégral, force est de constater que ce phénomène a également cours en France sous bien des aspects (même si en ce domaine la comparaison ne peut se faire avec le cas africain) pour ne parler que de la montée de la spéculation parfois jusque dans les sphères dirigeantes de notre société, ainsi que dans des groupes organisés pour la fuite des capitaux ou pour peser sur les décisions de l'Etat, sinon sur des élus en général au moyen de la pression par l'argent. Les intérêts particuliers primant ainsi sur l'intérêt commun, cette situation aboutit à la longue à une dilution du tissu social et du sens civique. Or, le sens civique constitue précisément le ciment de la cohésion sociale. Une société n'est pas un assemblage d'individus, mais un encastrement de corps et d'esprits, un enchevêtrement de destins. De ce point de vue, on peut affirmer que les années 1960 ont signé l'acte de décès d'une certaine France, une France sans doute agraire et paysanne, mais aussi plus authentique, plus vraie où les Français étaient certainement encore plus proches les uns des autres. Mais, chez nous, la montée du phénomène est autrement plus ancienne qu'en Afrique. Ce phénomène prend son essor au XVIIIe siècle et accélère le pas dans la seconde moitié du XXe siècle. L'argent est en passe de devenir l'indicateur social privilégié et sa possession, le critère absolu du statut social. On assiste ainsi aux ravages de l'esprit de profit qui n'est pas seulement générateur de corruption et de concussion, mais aussi du mépris de l'autre et de l'individualisme forcené. Loin de nous l'antique pratique du « don et contre don » des premiers siècles médiévaux. On a oublié qu'au départ, l'argent n'était qu'une simple unité de troc.

Il est des sociétés où, avec de l'argent on est libre en droit et en fait, d'autres où, sans argent, on est libre en droit mais pas en fait. D'autres encore où sans argent on est libre en droit et en fait. Il s'agit de savoir dans quel type de société l'on est. Les propos qui suivent d'Alfred Grosser sont assez édifiants en la matière :

 

« ... Mais à cette époque, l'élève du primaire aspirait facilement à devenir instituteur comme signe d'ascension sociale. Aujourd'hui, l'instituteur ou même le professeur de collège qui recommande à ses élèves de faire comme lui ne soulève pas l'enthousiasme de la classe (sauf si elle pense qu’on évite au moins le chômage quand on est fonctionnaire).

Les instituteurs, les assistantes sociales, les infirmières, les agents des administrations sans lesquels la France ne serait pas gouvernée, pas gérée, ont toujours été habitués à être relativement mal payés. Mais nombre d'entre eux pouvaient à bon droit se sentir considérés.

Or, à mesure que l'argent prend le caractère de critère central de la réussite et même de valeur humaine, la considération s'en va et l'assistante sociale peut avoir l'impression que son métier peu estimé consiste simplement à faire tenir tranquille les déshérités, dont la révolte mettrait en cause la réussite des puissants de la société, donc de l'argent.

Le tableau est assurément trop noir, mais la tendance semble indéniable. L'exemple pernicieux vient très souvent de haut. Des hauteurs de l'Etat ou du sommet du département ou de la région dont les nouveaux immeubles de prestige rappellent peu la rue de Martignac ! » 

                      Alfred GROSSER (cité par Ouest France)

L'argent prend ainsi donc de plus en plus valeur de « critère central de la valeur » humaine, d'étalon unique de la réussite.

 

***

 

Il nous faut désormais veiller à ce que l'argent ne tue pas le civisme, que les droits n'éclipsent pas les devoirs. Il nous faut réapprendre le sens de l'autre, cultiver celui du bien commun et en définitive, promouvoir une « politique de civilisation » qui mène au respect de l'autre et du bien commun. Bref, enseigner la notion de citoyen. Une société qui perd le sens de la solidarité est une société qui perd celui de la responsabilité. Une société qui perd le sens de la solidarité et le sens de la responsabilité est une société qui perd de sa substance. Sans le sens de la solidarité et celui de la responsabilité la République est en danger.

À propos de civisme, j'ai relevé, au hasard de mes lectures cette « confession » dans l'hebdomadaire Télérama (du 31 mai 1995) d'un maire d'une petite commune rurale de cent quatre vingt dix habitants. Ce maire, ancien instituteur qui jette l'éponge, renonçant à briguer un nouveau mandat confie :

« ... Il y a quelques années encore, tout le monde se sentait responsable : quand, à la suite d'un orage il fallait déboucher un fossé, pousser une pierre tombée sur la route, les voisins y allaient tout naturellement. Les gens se prennent moins en main...

Il y a quelques années, même les bêtises des enfants étaient prises en main de manière plus collective. Maintenant, c'est chacun chez soi, et si un jeune dérape, c'est moins toléré... » Tandis qu'un autre maire d'une ville de cent vingt cinq mille habitants confirme :

« Actuellement, il y a un manque frappant de civisme. Chacun cherche à tirer la couverture à soi. »

Alioune : Le civisme social est ciment de la société. La vacuité civique est une menace pour la démocratie.

J.J. : Je ne puis m'empêcher de faire allusion encore une fois à l'Afrique malade d'elle-même. J'ai trouvé son auteur bien naïf en certains chapitres, notamment ceux où les rapports entre l'Etat et le citoyen constituent le thème principal. L'auteur y parle de cette espèce d'émulation entre des fonctionnaires qui consistait à savoir « qui volera le plus l'Etat... » Sais-tu qu'en France, on n'est pas toujours exempt de la même tentation, celle de se servir aux dépens de l'Etat, c'est-à-dire de se servir au lieu de servir ? Naturellement, il faut se garder de toute généralisation, les hommes et femmes intègres sont légion dans ce pays fort heureusement. C'est à ces serviteurs consciencieux, intègres et dévoués parfois jusqu'à l'abnégation que la France doit aussi sa force et sa solidité en tant que nation. Ce constat ne doit pas empêcher par ailleurs de déceler parfois, parmi une certaine catégorie de Français cette espèce de surenchère à l'incivisme. C'est alors à qui respectera le moins les règlements, à qui contournera le mieux les lois...Cela va du conducteur de véhicule sur l'autoroute qui foule aux pieds le code de la route au petit artisan qui cherche tous les moyens détournés possibles pour payer moins d'impôts qu'il ne doit. Là-bas, chez toi, quand les gens volent l'Etat, c'est sans doute parce qu'ils ont faim, qu'ils ont des besoins incompressibles : besoin de se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner (dans ces pays sans sécurité sociale), bref, besoin de vivre décemment ; tandis que chez nous, ce ne sont pas toujours les « petits » ou les « moyens » qui s'adonnent le plus à ce genre de sport. Comment expliquer cette espèce de jubilation intime que certains Français éprouvent à enfreindre les règlements et à se plaindre quand ils sont manifestement dans le tort ? C'est à qui trouvera les meilleurs « trucs » pour déclarer le moins de revenus possible. Et que dire lorsque ce sport singulier est celui auquel se livrent volontiers les moins mal lotis de la société, les plus gâtés par le sort ?

 : Phénomène curieux.

 

***

 

J.J. : Tous ces petits jeux d'incivisme ajoutés les uns aux autres me semblent de nature à nuire à la bonne marche de la démocratie ; car il existe quelques signes forts qui ont valeur de symbole, au sens où, symbole signifie petits signes chargés de sens : parmi lesquels ce manque d'égard vis-à-vis des autres, dans la conduite automobile certes, mais aussi l'injure facile aux hommes et aux institutions, le plaisir manifeste de s'asseoir dans une jubilation béate sur les règlements et lois qui régissent la société.

En France, le droit est en voie de tuer le devoir et c'est là qu'il faut aussi chercher la source de bien des maux de ce pays. Ce mal vient parfois de loin, du fond de l'histoire.

A. : Oui, je crois que les illustres auteurs de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de septembre 1789 auraient dû coupler ce texte historique fondamental avec celui de la déclaration des devoirs du citoyen, expressément mis en exergue. A présent le problème semble sans issue.

J.J. : Si. La pédagogie !

Je garde en mémoire — comme incarnation de cet esprit de dénaturation de la démocratie — le fait que, par deux fois, j'aie vu des personnes — des jeunes et des vieux — siffler, injurier publiquement un président de la République en fin de mandat, quittant définitivement le palais de l'Elysée après avoir remis les clefs de la nation à son successeur.

D'où vient l'utilité de ces injures, comment les justifier dès lors que le peuple — c'est-à-dire ces mêmes citoyens — s'est exprimé majoritairement pour un homme par le moyen du suffrage des urnes ? A quoi sert donc le suffrage universel s'il ne peut éviter la violence et les agressions physiques et morales à l'égard des élus de la nation ? S'il ne peut adoucir les mœurs politiques ? Le fait que le sortant ait perdu ne suffit-il pas ? Faut-il encore l'injurier ? Cette injure n'est-elle pas d'abord adressée à la démocratie ? A cet égard, la comparaison s'impose avec ce qui se passe autour de nous, dans des systèmes politiques comparables au nôtre, c'est-à-dire dans des régimes authentiquement démocratiques. Je pense aux Etats-Unis ou plus près de nous à l'Espagne, au Royaume-Uni, à l'Allemagne... Dans ces pays de telles manifestations sont ignorées (question de culture politique ?) à l'occasion d'une alternance politique, ou à l'égard de perdants à l'issue d'élections.

Serions-nous moins civilisés ? Moins démocrates ? Sommes-nous un peuple de démocratie mûre ou en maturation démocratique ? Sommes-nous tout simplement un peuple civilisé ?

A. : Sans aucun doute. Le peuple français est un peuple civilisé qui a amplement sa place au sein des peuples les plus évolués du monde, mais qui doit simplement s'exercer à la pratique d'une démocratie apaisée. La démocratie avancée se nourrit de l'humilité républicaine.

J.J. : Soit. En fin de compte la France et l'Afrique ont quand même quelques points communs.

A. : Ce sont deux vieilles connaissances.

Je constate cependant un certain étiolement de plus en plus perceptible dans les relations entre la France et ses anciennes colonies comme avec l'Afrique en général.

J.J. : « Les nations sont comme les individus. Elles ne sont ouvertes aux autres que quand elles sont bien en elles-mêmes, dans leur tête, dans leur peau. »

 

 

 

 

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6 décembre 2022 2 06 /12 /décembre /2022 09:33

HUMEUR ET HUMOUR (2)

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ET L’AFRIQUE ?

 

 

Deux vieux amis, tous deux enseignants retraités, Jean-Jacques, le Français et Alioune, ressortissant de l’Afrique de l’Ouest.

Jean-Jacques a longtemps enseigné la psychologie dans plusieurs universités africaines.

Alioune, quant à lui a aussi enseigné longtemps en Afrique, puis en France.

Ils devisent sur quelques traits caractéristiques du tempérament africain ainsi qu’on le voit dans le dialogue ci-dessous.

 

 

Alioune : Que dire des sociétés africaines en ce domaine ? L'impact de l'argent, ses ravages et désastres n'y sont-ils pas encore plus sensible ?

Jean-Jacques : J'en conviens. En vingt ans d'intervalle, j'ai pu constater une évolution considérable de la mentalité africaine vis-à-vis de l'argent. A mon arrivée en Afrique vers les années soixante, l'argent était loin d'avoir ce caractère sacré qu'on lui connaît dans les années quatre-vingts, principalement dans les campagnes, mais aussi les villes évidemment. Maints services autrefois rendus à des voisins par des voisins, à des parents voire à des inconnus l'étaient à titre purement gracieux. Pour certains services importants rendus à autrui, une noix de cola dans les pays de savane, ou une mesure de vin de palme dans les pays de forêt constituait le seul salaire requis. De nos jours, tout cela semble définitivement révolu, oublié. Partout, y compris dans la brousse la plus profonde et la plus fermée, l'espèce sonnante et trébuchante semble le prix incontournable de tout service si infime soit-il. Du coup, l'effet le plus sensible de ce phénomène qu'il m'est arrivé de mesurer fut la perte d'une certaine convivialité naturelle, la perte du sourire africain. La fête est finie au village. Ce qui rejaillit sur tous les autres aspects dans les rapports humains. Comment l'expliques-tu ?

A. : C'est une perte inestimable. J'ai pu voir aussi, hélas, la montée inexorable de l'esprit mercantile avec son cortège de ravages dans les cœurs et les esprits au sein des sociétés africaines.

              La pratique de l'impôt de capitation généralisée à partir du début du XXe siècle par la colonisation a sans doute constitué un moment privilégié de l'éveil des Africains à l'argent au sens moderne du terme. Cet impôt de plus en plus exigé en espèces au fil des ans a abouti à une véritable déstructuration des sociétés traditionnelles. Pour avoir de l'argent afin de payer l'impôt annuel et échapper ainsi à la rigueur implacable de la loi qui s'abat inéluctablement sur tout défaillant, il fallait user de tous les moyens licites et illicites, d'où les migrations de travail à travers toute l'Afrique, de la savane à la forêt, de la brousse vers la ville, de colonie à colonie ; car ne pas pouvoir payer l'impôt à la date fixée par l'Administration coloniale équivalait à une véritable condamnation à la déchéance sociale, à une damnation, à l'humiliation suprême.

De plus, par cette exigence de l'impôt en argent, les colonisateurs (français, anglais, belges ou portugais) ont introduit des modifications majeures, en imposant à leur profit des cultures industrielles dont avaient besoin leurs industries, au détriment des cultures vivrières traditionnelles. L'intérêt était double pour eux. D'une part cela permettait d'ancrer davantage dans l'esprit des Africains la nécessité de gagner de l'argent, donc de pouvoir acheter les produits d'importation provenant d'Europe, d'autre part, en plus de l'approvisionnement à bon compte des industries européennes en matières premières, la pratique de ces cultures, en désorganisant les sociétés africaines, les rendaient plus insécurisées, donc plus malléables... Le producteur africain, mû par l'intérêt mercantile en même temps que contraint, fut amené à s'adonner aux cultures industrielles spéculatives : cacao, café, coton, arachides... ou au travail des mines en Afrique du Sud, mais aussi au Congo belge ou dans les colonies portugaises... l'Administration coloniale française décida d'introduire le cacao en Côte d'Ivoire, les Britanniques ayant tenté la même opération dans leur colonie de Gold Coast (Ghana) comme culture forcée en 1908. Ce fut en Côte d'Ivoire comme au Ghana, un échec total au début de l'initiative (de même au Sénégal avec l'arachide dont la culture fut encouragée dès le milieu du XIXe siècle par Faidherbe, gouverneur de la colonie), les paysans africains désemparés refusant la culture de la nouvelle plante. C'est alors que l'impôt jusque là en nature : denrées, céréales, gomme de caoutchouc, peaux de bêtes... changea d'aspect et l'obligation de sa perception en espèces fut étendue dans toutes les colonies européennes d'Afrique. En conséquence, l'impôt étant désormais exclusivement perçu en espèces, les paysans africains s'engagèrent-ils alors de façon déterminée pour certains, dans la production de ces nouvelles cultures. Plus ils les pratiquaient, alléchés par l'appât de l'argent, plus ces cultures prenaient de l'importance aux dépens des cultures vivrières traditionnelles. Le développement de ces cultures industrielles connut d'autant plus de succès qu'il comblait un vide créé par la suppression officielle de la traite esclavagiste. Elles permettaient d'acquérir les produits des industries européennes, de plus en plus préférés aux productions locales qui périclitaient en conséquence. On entrait ainsi peu à peu dans ce cercle vicieux, véritable engrenage aux effets amplificateurs. Ce fut le même processus au Ghana, au Nigeria, en Côte d'Ivoire...L'une des conséquences en est que ces cultures industrielles ont pris le dessus en s'érigeant au rang de monoculture de nos jours. Toute l'économie de nombre de ces pays producteurs se trouve de ce fait tributaire du cours de ces produits sur le marché international. Quand le prix du café ou du cacao chute, c'est l'économie de ces pays qui plonge. Le malheur veut que le cours de ces produits soit fixé chaque année au niveau mondial à Londres ou Chicago par les pays développés consommateurs. Dans ce domaine également — comme ailleurs — une réflexion s'impose en vue d'une diversification des cultures de sorte que l'économie des pays africains ne soit pas indéfiniment prise en otage par le capitalisme international.

En Afrique du Sud, une législation spécifique élaborée dès 1903, obligeait les Africains à aller s'engager dans les mines ; législation appuyée sur la mise en place d'un impôt de capitation très lourd en espèces bien entendu. Le résultat de cette initiative fut qu'en 1909, quatre vingt pour cent des travailleurs mâles Zoulou étaient des travailleurs « immigrés » dans les régions minières du pays. L'agriculture africaine traditionnelle se voyait dès lors confinée à l'autosubsistance et chargée en particulier de nourrir les familles des travailleurs restées au village. Un schéma quasi identique prévalut également dans les colonies belges, principalement au Congo alors doté de riches régions minières.

Cet impôt en argent exclusivement, mis en place par la colonisation fut considéré après les indépendances comme une merveilleuse trouvaille et conservé comme telle. De même, ainsi que tu viens de le constater, des services jadis rendus au titre du bénévolat et sans la moindre idée de contrepartie sont désormais rétribués en argent. Parallèlement à l'obligation de se soumettre aux nouvelles charges fiscales, la société africaine était et reste inondée de produits étrangers consécutivement à la création de besoins nouveaux, le plus souvent factices, jugés cependant indispensables et préférés aux produits et productions locaux qui entraient de ce fait peu à peu dans une éclipse sans doute irréversible. Le goût pour ces produits se perdait ainsi et avec lui les techniques qui y sont liées.

L'argent sur-apprécié en tant que tel par rapport aux valeurs traditionnelles se révèle un ferment majeur de déstructuration sociale et culturelle. Ainsi se met en place l'engrenage dans lequel l'Africain perdra peu à peu son âme en devenant étranger à lui-même.

 

 

(Suite prochainement)

 

 

 

 

 

 

 

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