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3 juillet 2016 7 03 /07 /juillet /2016 09:02

  À LIRE 

 

Parution

 

BAGUER-MORVAN

  Regards sur son histoire

 

de

 

Jean-Pierre Fontaine

 

L'ouvrage (288 pages) livre un témoignage sur le passé de la paroisse et de la commune de Baguer-Morvan. Les époques qui y sont décrites s'étendent du début du XIIe siècle jusqu'en 1923, année au cours de laquelle les élus municipaux donnent leur accord à l'électrification de la commune. L’histoire sert de fil conducteur aux événements relatés. Elle n’évince en aucune manière des domaines tels que les structures administratives et, le cas échéant, judiciaires, les aspects économiques, sociaux, culturels et religieux, l’étude du nom de la commune ainsi que l’édification de ses bâtiments principaux. Une attention particulière est portée aux conditions de vie des habitants, hommes, femmes et enfants, ainsi qu’à des événements qui les concernent directement, quelle que soit leur position sociale. 

Le livre peut être acheté dans les librairies de Dol-de-Bretagne, la librairie L’Encre de Bretagne (28, rue Sainte Melaine à Rennes) ou auprès de l'auteur, au prix de 19 euros (hors frais éventuels de port). Les deux précédents : Charles Duperré, Vice amiral (biographie) et Les Chouans de Baguer (roman), sont aussi disponibles.

  À LIRE

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  À LIRE

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3 juillet 2016 7 03 /07 /juillet /2016 07:10

LA RÉPUBLIQUE, LA VIE DANS LA CITÉ. CITOYENNETÉ, CIVISME.

LA RÉPUBLIQUE, LA VIE DANS LA CITÉ. CITOYENNETÉ, CIVISME.

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République, loi et vivre ensemble

Jean-jacques Rousseau (1712-1778)
Jean-jacques Rousseau (1712-1778)

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« C’est par la loi qu’on s’émancipe de la force » (J.J. Rousseau)

 

En France, le problème réel, en passe de devenir mal absolu, c'est le non-respect de la règle commune. La lutte contre la délinquance quelle qu'elle soit, celle des mineurs comme celle des adultes, doit être une des priorités de l'Etat. La délinquance des mineurs ne doit pas faire oublier ni occulter celle des adultes. Il y va de l'équilibre de la nation. Le progrès moral n'est jamais acquis définitivement ou passivement. Il importe de le reconstruire sans cesse, condition de la survie d'une nation civilisée. Cette reconstruction constante doit s'inscrire dans des projets éthiques affirmés, conduits par des hommes d'Etat intègres et courageux, car la démocratie ne consiste pas à flatter les bas instincts des uns ou des autres en fuyant les vrais problèmes de la société. Etre citoyen, c'est être civique et sans civisme, point de démocratie. A cet égard, l'Etat a trois sortes de missions qui lui sont spécifiques : d'abord concevoir et promulguer la bonne loi, ensuite, informer sur le bien-fondé de la loi ( pédagogie de la loi ), éduquer à la loi ; enfin, veiller à la bonne application de la loi, sévir au besoin sans faiblesse mais avec intelligence et humanité.

Code civil
Code civil

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Civisme, condition de la réalité de la République démocratique

Avant tout, le premier des enseignements en ce sens, c'est celui des valeurs de la République. Les valeurs, c'est ce qui donne sens à la vie dans la société car seul on ne peut trouver un sens à sa vie. Elles sont donc inséparables de la communauté humaine dans laquelle on baigne ; les valeurs sont ce dont personne ni aucune société ne peut se passer sous peine de désagrégation individuelle ou collective. Ainsi conçues, les valeurs sont un code de conduite qui donne des repères, structure, et constitue notre personnalité : antidote contre notre nature, elles nous humanisent et nous sauvent de l'absurdité. Freins à nos pulsions, elles rendent les relations possibles. C’est un processus de sublimation qui permet à l'individu de s'élever au-dessus de lui-même et tendre vers l'autre par la maîtrise de son ego et celle de ses pulsions multiples.

 

C'est ainsi qu'il faut entendre, pratiquer et enseigner les valeurs de la République, ciment de la nation. Elles constituent à la fois le phare et le viatique de chaque citoyen pour se mouvoir et évoluer au sein de la communauté nationale vers son épanouissement personnel et celui de la collectivité. La liberté, l'égalité, la solidarité, le respect de l'autre, la laïcité, sont les valeurs fondatrices de notre République dont la négation constitue une rupture avec son héritage culturel et spirituel. Les jeunes doivent en être imprégnés progressivement sans systématisation, mais par l'exemple et par la pratique, avec générosité.

 

 

La démocratie se nourrit de l’exemplarité

A ces quelques jeunes qui se signalent par des actes d'incivilité incompatibles avec les normes de la vie en société, il faut aussi pouvoir enseigner que la réussite nécessite l'effort, en premier lieu l'effort de soi sur soi, lequel permet de progresser, d'aller vers l'autre, et qu'aucune réussite ne tombe du ciel. La plus merveilleuse des aventures, ce n'est pas casser ou blesser, c'est participer positivement à l’œuvre de construction de soi par soi. Seulement, afin que ces jeunes s'en imprègnent, il faut aussi savoir le leur dire et le leur enseigner dans une langue et un langage qu'ils comprennent. Que cette tâche soit difficile la rend encore plus nécessaire et exaltante ! Un handicap de départ pour un être humain n'a jamais signifié une sentence irréversible de damnation. Il peut être au contraire un levain, facteur de sublimation pour viser les sommets (les sommets de soi), c'est-à-dire, l'exploration maximale de ses facultés et potentialités enfouies, ignorées ou méconnues.

Bien entendu, l'État et la collectivité doivent apporter leur concours, tendre la main pour aider à cette œuvre individuelle d'édification de l'être et du citoyen, concours à la fois vigilant et généreux. Tous les citoyens sont fils et filles de la République. L'État pourrait, en vue d'encourager et d'éduquer la jeunesse à la civilité républicaine, prendre quelques initiatives telle la création d'une médaille de la citoyenneté, ou médaille nationale du civisme pour différents âges, de 5 à 15 ans, de 16 à 20 ans, de 21 à 25 ans, qui récompenserait des actes de civilité ou de courage dans lesquels des jeunes se seraient illustrés comme nettoyer une plage souillée par la marée noire, porter secours à une personne âgée en difficulté... (école d’éveil à soi et aux autres pour l’épanouissement de tous), qui ne s’apparente en rien à un quelconque endoctrinement.

LA RÉPUBLIQUE, LA VIE DANS LA CITÉ. CITOYENNETÉ, CIVISME.

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L’État, garant de la vie démocratique

   Civisme et civilité : une mission d’éducation et d’éveil à soi et aux autres

L'Etat veillera à utiliser toutes les ressources et tous les ressorts possibles en sollicitant tous les supports appropriés pour informer, encourager, éduquer. Il pourra ainsi utiliser la dimension culturelle, du timbre-poste entre autres, en éditant des timbres à messages pédagogiques sur des thèmes d'intérêt collectif comme la sécurité routière, les dangers de la route, la nocivité de l'abus d'alcool, du tabac, la nécessité de protéger l'environnement etc.

 

La République doit assurer à chacun la liberté et la garantie de ses droits. Elle doit dans le même temps avoir la capacité d'exiger de chacun le respect, la garantie de la liberté et des droits des autres. Cette garantie, la République la doit à tous, et plus particulièrement aux plus fragiles de ses fils et filles. Insécurité et démocratie sont antinomiques. Rendre la justice, faire respecter la loi et le droit doivent être son credo. Un Etat républicain, c'est avant tout un Etat qui sait faire respecter ses lois, en faisant ressortir la nécessité et l’utilité de chacune d’elles pour tous. La sécurité est la première des libertés ; sans elle, il n'est ni justice, ni égalité, ni droits de l'homme par conséquent.

 

Un acte de délinquance, quel qu'en soit le degré de gravité doit appeler réparation, mais réparation appropriée, à la mesure de la nature et de l'échelle du délit. Un acte de délinquance impuni constitue un appel d'air qui, à terme, porte atteinte à la qualité de vie d'un quartier, d'une cité... C'est de toute manière, un coup porté à la démocratie. Personne ne doit se sentir contraint de vivre indéfiniment les actes d'incivilité commis par une minorité au sein de la collectivité ; ceci engage la responsabilité de l'Etat. La loi fonde la République par les idées d'égalité et de protection des citoyens qu'elle incarne. Le respect de la loi est donc fondamental car condition de la survie de la République. L'impunité à l'égard de ceux qui transgressent les lois de la République constitue une faiblesse mortelle pour celle-ci.

 

Mais, de même que l'impunité tue la démocratie, trop de lois tue la loi. Il ne sert à rien d'accumuler des lois, fussent-elles les meilleures du monde, si elles ne sont pas appliquées.

LA RÉPUBLIQUE, LA VIE DANS LA CITÉ. CITOYENNETÉ, CIVISME.

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La loi, colonne vertébrale de la République et de la démocratie

 

« Sorti de l’esclavage, je n’ai d’autre maître que moi, mais de ma liberté, je ne veux faire usage que pour obéir à la loi », proclame un slogan des Révolutionnaires de 1789.

 

Que faut-il entendre par lois ?

Des textes représentant la volonté du peuple, clairs, lisibles, compréhensibles du plus grand nombre, adaptés, diffusés, commentés, appliqués, ayant pour finalité la régulation harmonieuse des rapports sociaux.

Or, en France, de bonnes lois sont votées (de moins bonnes aussi parfois sans doute), mais trop de lois sont marquées de deux faiblesses majeures.

La première est que leur nombre excessif et leur empilement font que l'adage « nul n'est censé ignorer la loi » doit être révisé et amendé puisque bon nombre de Français ne semblent pas intellectuellement aptes à décrypter des articles de lois fondamentaux, complexes dans leur formulation et impossibles à suivre au jour le jour.

La seconde faiblesse qui découle de la première, c'est la non-application effective de la plupart de ces lois, parfois faute de moyens matériels et humains, mais aussi parce qu'elles n'ont pas pénétré culturellement une fraction de la population par manque de simplicité et surtout de pédagogie.

A quoi cela sert-il de voter une bonne loi si elle n'est pas appliquée ou pire, si elle n’est pas applicable ? D'autant plus que cela induit dans l'esprit des citoyens que la loi n'est pas faite pour être respectée. La capacité d'expression démocratique des citoyens s'en trouve amoindrie de même que l'esprit civique car « les nations ont le visage de leur justice ». A-t-on fait ou fera-t-on un jour l'inventaire de lois vouées aux oubliettes, une étude portant sur les textes de loi votés, promulgués et non appliqués en France ? Quel est le pourcentage de textes de loi non appliqués sur la quantité de textes votés en une année ? En une décennie ? Et quelles sont les raisons de la non-application ? Tel pourrait être un bon sujet de mémoire d'étudiant en droit, voire de thèse de doctorat.

Est-ce un hasard si les « Rapports de la Commission d'enquête sur la délinquance des mineurs » publiés par le Sénat portent le sous-titre : « La République en quête de respect ? »

République, loi, respect sont consubstantiels, inséparables. Aucun de ces termes n'est viable sans les autres. Force doit rester à la République pour faire respecter la loi.

Le fait que de plus en plus de jeunes issus de l'immigration soient concernés par les statistiques de la délinquance tel qu'il apparaît dans cette enquête sénatoriale n'implique-t-il pas un rappel du passé colonial de la France, mais surtout, d’un déficit d’attention spécifique à l’endroit de ces jeunes (futurs citoyens) ?

A-t-on cherché à les connaître ? Leur a-t-on enseigné la République et ses valeurs ? Où ? Comment ? Qui ?

S’est-on soucié d’égalité, en donnant plus à ceux qui ont le moins, pour se construire et construire ?

Bref, s’est-on soucié de leur impréparation véritable à la France et à la République ?, À la société française ?

(Voir : Tidiane Diakité, France que fais-tu de ta République ?, L’Harmattan.)

 

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26 juin 2016 7 26 /06 /juin /2016 07:06

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ARISTOTE, LE PRINCIPE DE LA DÉMOCRATIE

Liberté et égalité, caractéristiques essentielles

 

Aristote (384-322 av. JC)

Le principe de base de la constitution démocratique c'est la liberté ; c'est, en effet, ce qu'on a coutume de dire, parce que c'est seulement dans une telle constitution que les citoyens ont la liberté en partage. C'est à cela, en effet, que réside, dit-on, toute démocratie. Et l'une des formes de la liberté c'est d’être tour à tour gouverné et gouvernant. En effet, le juste selon la conception démocratique, c'est que chacun ait une part égale numériquement et non selon son mérite, et avec une telle conception du juste, il est nécessaire que la masse soit souveraine, et ce qui semble bon à la majorité sera quelque chose d’indépassable, et c'est cela qui sera le juste, car ils [les partisans de la démocratie] disent qu'il faut que chaque citoyen ait une part égale. De sorte que dans les démocraties il se trouve que les gens modestes ont la souveraineté sur les gens aisés ; ils sont en effet plus nombreux, et c'est l'opinion de la majorité qui est souveraine.

 

Les instruments de la démocratie athénienne

Qui détient la légitimité du pouvoir de gouverner ? Les plus pauvres ou les plus riches ?

Tel est donc un signe de la liberté que tous les partisans de la démocratie posent comme caractéristique de cette constitution.

Un autre signe c'est de vivre comme on veut, car, disent-ils, tel est l'effet de la liberté, étant donné que la servitude c'est de vivre comme on ne veut pas. Voilà donc la seconde caractéristique de la démocratie. De là est venue la revendication de n'être, au mieux, gouverné par personne, ou sinon de l'être à tour de rôle. Et cela va dans le sens de la liberté fondée sur l'égalité.

Ces bases étant posées, c'est-à-dire le principe de la démocratie étant celui qu'on vient de dire, voici les traits caractéristiques du régime populaire : choix de tous les magistrats parmi tous les citoyens ; gouvernement de chacun par tous et de tous par chacun à tour de rôle ; tirage au sort des magistratures, soit de toutes [de toutes les magistrature] soit de toutes celles qui ne demandent ni expérience ni savoir ; magistratures ne dépendant d'aucun cens ou d'un cens très petit ; impossibilité pour un même citoyen d'exercer, en dehors des fonctions militaires, deux fois la même magistrature, ou seulement un petit nombre de fois et pour un petit nombre de magistratures ; courte durée des magistratures, soit toutes, soit toutes celles pour lesquelles c'est possible ; fonctions judiciaires ouvertes à tous, tous jugeant de tout, ou des causes les plus nombreuses, les plus importantes et les plus décisives, par exemple la vérification des comptes, les affaires politiques, les contrats privés ; souveraineté de l'assemblée dans tous les domaines, aucune magistrature ne l'emportant en aucun domaine ou seulement en très peu de domaines, ou souveraineté de l'assemblée sur les affaires les plus importantes.

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Échelle de rétribution des serviteurs du peuple : la juste mesure

De toutes les magistratures, celle qui a le caractère le plus populaire c'est le conseil : aucun citoyen n'y touche d'indemnité importante, car quand il y existe une telle indemnité, cela enlève tout son pouvoir à cette magistrature : le peuple, en effet, quand il est composé de gens touchant une grosse indemnité, évoque devant lui-même toutes les décisions, comme cela a été dit ci-dessus dans l'exposé précédant celui-ci ; ensuite versement d'une indemnité au mieux pour toutes les charges publiques — assemblée, tribunaux, magistratures — ou au moins pour les magistratures, les tribunaux, le conseil, les assemblées principaux, ou pour celles des magistratures qui nécessitent des repas en commun. De plus, puisqu'une oligarchie se fonde sur la naissance, la richesse, l'éducation, les caractéristiques du régime populaire semblent être le contraire de ceux-ci : basse naissance, pauvreté, grossièreté. Quant aux magistratures, aucune n'est perpétuelle, et si l'une d'elles a survécu sous cette forme à un ancien bouleversement, on lui enlève alors tout pouvoir et on remplace l'élection par le tirage au sort. Telles sont donc les caractéristiques communes aux démocraties. Et de la notion du juste qu'on s'accorde à considérer comme démocratique —à savoir que tous possèdent une part numériquement égale— provient de ce qui passe pour la démocratie, ou régime populaire, par excellence. Car aux yeux des démocrates, égal veut dire que les gens modestes ne gouvernent pas plus que les gens aisés, qu'ils n'ont pas à eux seuls la souveraineté, mais que tous sont à égalité numériquement. C'est ainsi, pensent-ils, qu'on aura l'égalité et la liberté dans la constitution.

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Mais ensuite se présente la difficulté suivante : comment obtiendra-t-on l'égalité ? Vaut-il mieux diviser entre mille citoyens les biens de cinq cents et donner un pouvoir égal aux mille et aux cinq cents ? ou faut-il ne pas établir l'égalité de cette manière, mais diviser de la même manière qu'auparavant puis prendre un nombre égal de citoyens parmi les cinq cents et les mille, qui auront la souveraineté en matière de répartition des biens et dans le domaine juridique. Est-ce que la constitution ainsi organisée est la plus juste du point de vue de la conception populaire du juste, ou n'est-ce pas plutôt celle qui est fondée sur la suprématie du nombre ? Car les partisans de la démocratie disent qu'est juste ce qui semble tel à la majorité, alors que pour les partisans de l'oligarchie c’est ce qui semble tel à ceux qui ont le patrimoine le plus important, car ils disent que c'est le montant du patrimoine qui doit faire la différence. Ces deux positions comportent inégalité et injustice, car si c'est l'opinion du petit nombre qui l'emporte, on aura une tyrannie si, en effet, l'un des gens aisés possède plus que les autres, selon la conception oligarchique du juste, il est juste qu'il commande seul, mais si c'est l'opinion de la majorité numérique, ces gens tomberont dans l'injustice en confisquant les biens des riches minoritaires, comme on l'a dit plus haut. Quelle serait donc l'égalité sur laquelle les deux partis s'entendraient, il faut l'examiner en partant de ce que tous deux ils définissent comme juste. Ils soutiennent, en effet, que c'est l'opinion de la majorité des citoyens qui doit l'emporter.

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Modes et conditions de l’exercice du pou voir démocratique : l’équité entre minorité-majorité

Qu'il en soit donc ainsi, mais pas dans tous les cas, mais, puisqu'il se trouve qu'il y a deux parties dont la cité est composée, les riches et les pauvres, ce qui est l'opinion de ces deux groupes ou de la majorité, que cela l'emporte, et si les opinions sont contraires, que l'emporte celle de la majorité, c'est-à-dire de ceux qui ont la fortune la plus grande. Par exemple, si on a dix riches et vingt pauvres et qu'un avis rassemble six riches et un autre quinze pauvres, les quatre riches restants rejoignant ces quinze pauvres, et les cinq pauvres restants rejoignant les six riches. Le parti de ceux dont la fortune, somme des fortunes de chacun des deux groupes qui le constituent, sera la plus grande, c'est ce parti qui doit l'emporter. Mais s'il arrive que les deux partis soient à égalité, il faut considérer cela comme une difficulté commune, comme lorsque actuellement l'assemblée ou le tribunal est partagé en deux camps égaux. Il faut alors soit tirer au sort soit utiliser une autre procédure de ce genre.

Mais en ce qui concerne l'égal et le juste, bien qu'il soit vraiment difficile de découvrir la vérité à leur propos, il est pourtant plus facile de l'atteindre que de convaincre ceux qui ont la possibilité de s'approprier plus que leur part. Car ceux qui recherchent l'égal et le juste ce sont toujours les plus faibles, alors que les forts n'en ont cure.

Aristote, La Politique. La Démocratie.

 

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18 juin 2016 6 18 /06 /juin /2016 09:05

L’AFRIQUE ET LES MULTINATIONALES

LE PILLAGE PROGRAMMÉ ?

Quelle parade ?

Point de vue d’un lecteur  

« L’Afrique d’aujourd’hui, c’est certainement le continent le plus riche en ce qui concerne les gisements de toutes sortes.

Cette richesse pourrait nourrir un milliard d’êtres de plus… mais, le drame est que cette richesse est exploitée principalement par des multinationales européennes, américaines et asiatiques (et autres) qui font de très gros bénéfices au détriment des peuples africains.

C’est, à mes yeux, un esclavage qui continue en ayant seulement changé de forme.

Voler les richesses de tout un continent pour l’asservir économiquement… Voilà le drame et l’injustice actuels. »

les ressources minières (Source : M Merle (dir)L'Afrique noire contemporaine, A. Colin, 1968)
les ressources minières (Source : M Merle (dir)L'Afrique noire contemporaine, A. Colin, 1968)

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Réflexion juste, et combien pertinente, qui met en lumière une des origines du marasme économique et du retard africains.

 

Mais, le phénomène n’est pas nouveau ; il existe depuis des siècles. Il a seulement changé d’échelle et d’intensité.

Deuxième constat : ceux qui sont victimes de ce vol et de ce pillage connaissent les voleurs depuis longtemps également.

Le pillage de l’Afrique par des sociétés étrangères, aujourd’hui principalement par les multinationales, a changé d’échelle et d’intensité. Ce changement d’échelle a une explication historique qui prend sa source au 19e siècle avant même la colonisation effective du continent par les Européens.

Dans la deuxième moitié du 19e siècle, avec la révolution industrielle en Europe, qui a comme corollaire l’industrialisation de ce continent, on découvre à nouveau le chemin de l’Afrique (après l’époque de la traite des Noirs, qui avait provoqué une première ruée vers ce continent).

La deuxième ruée sur l’Afrique est motivée par la recherche des matières premières alors indispensables aux industries européennes.

 

Le partage de l'Afrique

Le partage de l’Afrique. Chacun sa part du gâteau

Pour que l’exploitation de l’Afrique se fasse dans l’ordre et n’entraîne pas de conflits majeurs entre les puissances européennes, une conférence fut organisée : la conférence de Berlin (1884-1885) qui répartit les zones d’influence de chaque nation (zones aussitôt transformées en colonies d’exploitation).

L'Afrique partagée (Source ; Olivier et Atmore, PUF, 1970)
L'Afrique partagée (Source ; Olivier et Atmore, PUF, 1970)

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De 1885 à la décennie 1960, chaque puissance européenne exploite sa ou ses colonies, seule, sans concurrence. La France exploite ses colonies d’AOF et d’AEF. La Grande Bretagne exploite les siennes, l’Allemagne, la Belgique, le Portugal … les leurs, jusqu’à l’indépendance de ces colonies, de 1960 à 1970 pour la plupart.

C’est la fin du monopole colonial.

Les anciennes colonies, devenues des États indépendants, ouvrent alors leurs portes à de nouveaux partenaires : États et sociétés multinationales.

L’AFRIQUE ET LES MULTINATIONALES ; LE PILLAGE PROGRAMMÉ ?

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De la fermeture à l’ouverture

   L’Afrique aux quatre vents

À nouveau la ruée, car l’Afrique reste toujours immensément riche en matières minérales : pétrole, gaz, cuivre, manganèse, or… et excite la convoitise de nouveaux partenaires : Chinois, Russes, Japonais, Israéliens, Coréens, Indiens, Brésiliens, Iraniens, Américains… L’Afrique redevient un champ clos de compétition, entre partenaires anciens et nouveaux, entre partenaires anciens, entre partenaires nouveaux… tous attirés également par l’immense marché que représente ce continent où tout est à faire, avec une population et une classe moyenne de plus en plus nombreuses, plutôt consommatrices que productrices de biens manufacturés et de services.

Et le pillage recommence, avec la bénédiction, sinon la complicité passive ou active des dirigeants africains.

Cette ouverture et la recherche de partenaires multiples ne sont pas en soi condamnables, bien au contraire, elles permettent de s’enrichir d’expériences multiples, mais cela exige vigilance et volonté de progresser.

En revanche, l'ouverture et la recherche de partenaires multiples deviennent un danger potentiel si les dirigeants africains, par leur passivité et leur complicité sous-traitent leurs responsabilités ou pire, se joignent à ces partenaires nouveaux pour piller leur pays et leurs peuples.

flux financiers illicites
flux financiers illicites

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Le pillage : avec ou sans la complicité des Africains

Ce pillage se manifeste par la fuite des capitaux, plus exactement les flux illicites.

Les flux illicites sont définis comme l’argent gagné illégalement et transféré ailleurs, hors du continent.

Les chiffres sont stupéfiants : entre 1980 et 2009, l’Afrique a perdu 1200 à 1400 milliards de dollars. Cela n’est qu’une petite partie émergée de l’iceberg, car il s’agit d’un système complexe aux mille ramifications.

L’Afrique perd au moins 50 milliards de dollars par an du fait des transactions illégales. Le continent aurait ainsi perdu jusqu’à mille milliards de dollars au cours des 50 dernières années, selon l’ONG américaine, Global Financial Integrity, spécialisée dans la question des flux illicites ; chiffre confirmé par la Banque mondiale.

Cette hémorragie constitue un véritable drame pour le continent africain. Elle le prive d’investissements vitaux pour son développement.

 

Composition des flux illicites

Les flux illicites ont plusieurs composantes selon les spécialistes de la question, notamment l’ONG Global Financial Integrity :

« La corruption sous forme de pots de vin ou de malversations ne représente que 3% environ des flux illicites.

Les activités criminelles telles que le trafic de drogue et la contrebande, 30 à 35 %.

Les transactions commerciales des multinationales 60 à 65%.

L’argent volé par les administrations publiques corrompues est insignifiant comparé aux autres formes de flux illicites. »

Seule une prise de conscience et une réaction forte des Africains eux-mêmes, au-delà du cercle de leurs dirigeants (pas toujours nets !), permettront de mettre un terme à cette hémorragie mortelle pour le continent.

Poutant, une des principales motivations de la revendication d’indépendance de la part des leaders nationalistes africains des années 1950, n'était-elle pas précisément, après la liberté, la justice et la démocratie, la volonté de faire que les ressources naturelles de l’Afrique restent en Afrique pour son développement, et ne soient plus la propriété exclusive des puissances colonisatrices ?

« Personne ne peut nier le pillage passé et présent de l'Afrique par les puissances étrangères, ni l'impact des réalités géographiques et physiques. Pour autant, dédouaner les Africains de leur part de responsabilité dans la persistance du sous-développement serait le meilleur moyen de les condamner au piétinement perpétuel. Pour gagner la bataille de la mondialisation ou simplement y faire bonne figure, il faut gagner celle de l'intelligence, celle de la formation, de la création et de l'innovation. Depuis cinquante ans, il y a eu beaucoup de discours prononcés, beaucoup d'argent octroyé au nom du développement, seul manque le développement. »

Tidiane Diakité, 50 ans après, l’Afrique, Arléa).

Pourquoi les Africains n’ont-ils pu empêcher ce pillage avant la colonisation, pendant la colonisation et après la colonisation ?

 

Quand on sait qu’on est volé et pillé depuis des décennies, et qu’on connaît ces voleurs et pilleurs, que fait-on ?

Il ne s’agit pas seulement de donner à manger aux populations, mais de doter le continent des moyens et de la capacité de son développement, afin de se prendre en main et d’avoir la maîtrise de son destin…enfin !

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11 juin 2016 6 11 /06 /juin /2016 17:18
Lieux de traite
Lieux de traite

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COMMENT SE PROCURAIT-ON DES ESCLAVES SUR LA CÔTE D’AFRIQUE AU 18e SIÈCLE ?

ACTEURS ET MODES OPÉRATOIRES

Un trafic aux acteurs et aux complicités multiples

 

Comment et par qui ce trafic était-il pratiqué dans le contexte nouveau du 18e siècle ?

Comment s’y prenait-on ?

On s'implantait sur les lieux de traite ( création de comptoirs pour entreposer les marchandises de traite,et de forts équippés pour les défendre, condition indispensable); et pour cela, on s'entendait avec ceux qui y habitent, c'est-à-dire qu’on pactisait avec les rois, les chefs et les intermédiaires de tout acabit, en d'autres termes. 

Il fallait ainsi mettre tous ces acteurs dans le jeu.

Une classification des acteurs de ce commerce singulier n'est pas chose aisée. Cela dépend des régions et des époques. D'une façon générale on peut affirmer que pendant toute la première moitié du XVIIIe siècle, c'est-à-dire à l’ époque où la traite est encore caractérisée par une certaine organisation, il existe une hiérarchisation parmi les protagonistes de ce trafic.

On peut grosso modo distinguer deux grandes classes, à l'opposé l'une de l'autre, qui comprennent d'un côté, ceux qui se trouvent au sommet de l'échelle, les rois, les chefs de tribus avec leurs proches, en un mot les dignitaires ; de l'autre, au bas de l'échelle, ceux qu'il conviendrait de désigner par l'expression de « collaborateurs obligés », c'est-à-dire ceux qui se sont vus un jour condamnés – malgré eux – à servir la cause de la traite. Entre ces deux grands groupes bien distincts, évoluent une série complexe d’intermédiaires, parmi lesquels opèrent des marchands occasionnels de tous ordres, des trafiquants interlopes...

Dans la première classe, tout naturellement ce sont les souverains qui contrôlent et supervisent l'ensemble des opérations. « La traite la plus fréquente – nous dit Jean-Baptiste du Casse (un des principaux officiers de la marine de Louis XIV) – se fait sous le contrôle de souverains : damels, alcaïrs, braks, manfoucs, princes, principules, que les capitaines européens traitent parfois de "puissances", comme s'il s'agissait de sa Majesté britannique ou du souverain de Versailles. Tyranneaux, tantôt débonnaires et obséquieux, tantôt féroces, toujours cupides, ils permettent aux navires de mouiller en rade et d'y séjourner... »

Les Grands, les officiels : maîtres du trafic

S'agissant de ces rois et roitelets, Ducasse poursuit : « Certains ont la tête géniale et mercantile, signent des traités en règle, gouvernent avec autorité... A côté de ces bons tyrans, les bêtes sauvages. Si les relations avec les souverains indigènes ne sont pas de tout repos, ceux-ci restent pourtant dans l'anarchique instabilité du continent noir, un certain élément de stabilité. Comme l'essentiel pour eux est d'avoir de la poudre, des oripeaux de soie, de l'alcool surtout, ou plutôt du "vitriol", ils livrent volontiers des captifs, laissent trafiquer les Européens, à condition de recevoir les plus belles marchandises et de toucher leur commission... »

Quant aux courtiers, les dénominations qu'on leur donne varient d'un lieu à un autre, chaque région ayant sa terminologie propre pour désigner les différents intermédiaires.

Cependant partout et de la même manière, ils jouissent d'une grande considération auprès des trafiquants européens. Ils en sont conscients et se prennent alors pour des personnages importants et de haut rang. Ne va-t-on pas jusqu'à tirer des coups de canon en Leur honneur lorsqu'ils apparaissent ?

Le R. P. Dieudonné Rinchon nous présente en ces termes ceux de la côte d'Angole (Angola actuel) : « ces courtiers, dénommés pompeusement ministres par les trafiquants, sont : le Mambouc, prince héritier ; le Manfouc qui commande la pointe où se fait la traite et qui fixe le prix des denrées, préside les marchés, juge les différends, détermine le montant des coutumes, des présents, le tarif ou mercuriale des captifs ; le macaye, "capitaine-mor" ou premier ministre ; le monibèle, messager des chefs ; le maquimbe, capitaine du port ; le mangof, ministre des affaires étrangères et interlocuteur des étrangers à la cour; le governador ou chef de village. »

COMMENT SE PROCURAIT-ON DES ESCLAVES SUR LA CÔTE D’AFRIQUE AU 18e SIÈCLE ? ACTEURS ET MODES OPÉRATOIRES

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Des auxiliaires obligés

A l'opposé de ce tableau des dignitaires privilégiés, celui des « collaborateurs obligés » est moins riant. Ces auxiliaires obligés se trouvent dans tous les points d'attache des Européens sur la côte, dans les comptoirs, dans les forts, à bord des bâtiments stationnés servant de marché... La plupart sont des esclaves achetés parmi lesquels vivent quelques hommes libres qui offrent leurs services à l'établissement européen moyennant un salaire fort modique. Il semble que pour nombre d'entre eux, le but était moins l'appât d'un gage assuré que le besoin de protection, car, ces gens libres qui se donnent au comptoir ou au fort sont le plus souvent des réfugiés qui fuient leur pays pour différents motifs. D'autres enfin sont d'anciens esclaves qui ont racheté leur liberté soit par leur bonne conduite et les services rendus, soit en offrant en échange de leur propre liberté, des captifs qu'ils ont pu se procurer d'une manière ou d'une autre.

Ces auxiliaires obligés sont aussi des captifs travaillant dans les champs et les plantations créés par des négriers ou par des comptoirs européens et dont les produits servent de nourriture aux résidents européens de ces comptoirs et forts, et surtout aux esclaves parqués dans les « troncs » (lieux ou sont parqués les esclaves en attendant leur embarquement pour l’Amérique). Parmi eux, il faut également citer les soldats africains attachés aux établissements ci-dessus mentionnés, et qui seront vers la fin du 18e siècle – à une époque qui marquera un nouveau tournant du commerce des esclaves – envoyés loin à l'intérieur des terres, s'emparer par la force des armes des habitants de villages isolés.

[…]

Tronc ou barrancon (parc à esclaves)
Tronc ou barrancon (parc à esclaves)

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Des intermédiaires : les incontournables

À la fin du 18e siècle, le fort français de Juda compte jusqu'à deux-cents acquérats (hommes libres au service des comptoirs et forts), hommes, femmes et enfants.

Les acquérats sont sous la protection du fort. Ils y vivent en paix et ne peuvent être vendus pour être transportés en Amérique sauf pour motif de faute grave.

Tout comme les autres collaborateurs forcés, ils servent d'intermédiaires aux employés européens du fort pour leur procurer des esclaves qu'ils achètent avec les ressources tirés de leurs services au fort ou qu'ils « poignent », expression que nous verrons bientôt à la mode vers la fin du 18e siècle.

Chacun de ces acquérats avait un rôle spécifique à jouer clans le fort : « Les domestiques employés dans notre comptoir de Whydah (Juda) au temps de Labarthe, étaient un garde magasin, deux courtiers, un portier, six tagonniers rouleurs d'eau, une blanchisseuse ou pileuse, un tronquier et un batteur de gongon pour annoncer l'ouverture et la fermeture de la traite... Quand un stationnaire [navire ancré] était attaché au comptoir, comme au Sénégal, il était en grande partie monté de nègres, laptots ou matelots, gourmets ou timoniers et râpasses ou mousses, auxquels commandait en français le maître de langue ; c'était le maître d'équipage. Tous ces employés étaient payés en toques, en ancres d'eau-de-vie et en galines de bouges [Les bouges étaient des coquillages des Maldives appelés cauris ; la galine équivalait à 5 toques ou 200 cauris ou 10 sols]. Le comptoir est abondamment garni en marchandises de troc,en eau-de-vie surtout qui fait fureur parmi les Nègres. » (Charles de la Roncière).

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Cauris
Cauris

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Des entrepreneurs privés…aussi

A côté de ces serviteurs officiels, on trouve des privés, marchands ou courtiers que nous verrons plus activement à l'œuvre vers la fin du siècle. « Très souvent – écrit Gaston Martin – la négociation ne met pas directement aux prises le propriétaire indigène et l'acheteur blanc. Entre eux s'interposent les courtiers. » Il en distingue deux sortes. Dans les rades importantes comme Cabinde, Juda, Anamabou, il y a des courtiers à demeure. Ce sont pour la plupart des Européens à qui la vie régulière ne convenait plus, associés dans ces villages d'Afrique à des Négresses ou des Métisses et qui, rendant service comme interprètes et comme rabatteurs, à la fois aux princes indigènes et aux capitaines européens, deviennent des manières de personnages et font finalement fortune.

La deuxième catégorie est formée de Noirs choisis comme intermédiaires officiels par les maîtres du pays.

Fréquemment,les courtiers sont des entrepreneurs privés, marchands d'hommes, à qui les capitaines confient souvent des marchandises pour la valeur de dix, vingt, trente esclaves. Ces maquignons d'hommes savent jouer de l'offre et de la demande pour faire hausser le prix de leur « bétail » ; ils savent aussi mettre en concurrence les différents acheteurs. Ils font en tout cas payer cher leurs services en exigeant d'avance leur pot-de-vin, préalablement à toute vente, et qu'il ne faut pas confondre avec leur courtage ; « ils manquent souvent à leur parole... ils retiennent la marchandise sans fournir les Noirs convenus…Les Européens se défendent de leur mieux contre ces incessantes pilleries. Si un courtier réclame une avance, affirme Rinchon, il présente comme caution un parent ou un ami, et s'il ne parvient pas à livrer un esclave, l'otage devient captif. »

Pour aller plus loin. Voir Tidiane Diakité, La Traite des Noirs et ses acteurs africains, Berg International.

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5 juin 2016 7 05 /06 /juin /2016 07:21
LA ROCHEFOUCAULD, LA SINCÉRITE ET LA CONFIANCE : DEUX VERTUS, DEUX PRATIQUES

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LA ROCHEFOUCAULD, LA SINCÉRITE ET LA CONFIANCE :

DEUX VERTUS, DEUX PRATIQUES

La sincérité est liberté

La confiance est prudence

 

François VI, duc de la Rochefoucauld (1613-1680)

Écrivain, moraliste et mémorialiste français

Bien que la sincérité et la confiance aient du rapport, elles sont néanmoins différentes en plusieurs choses : la sincérité est une ouverture de cœur, qui nous montre tels que nous sommes ; c'est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un désir de se dédommager de ses défauts, et de les diminuer même par le mérite de les avouer. La confiance ne nous laisse pas tant de liberté, ses règles sont plus étroites, elle demande plus de prudence et de retenue, et nous ne sommes pas toujours libres d'en disposer : il ne s'agit pas de nous uniquement, et nos intérêts sont mêlés d'ordinaire avec les intérêts des autres. Elle a besoin d'une grande justesse pour ne livrer pas nos amis en nous livrant nous-mêmes, et pour ne faire pas des présents de leur bien dans la vue d'augmenter le prix de ce que nous donnons.

La confiance, condition de l’amitié

La confiance plaît toujours à celui qui la reçoit : c'est un tribut que nous payons à son mérite ; c'est un dépôt que l'on commet à sa foi ; ce sont des gages qui lui donnent un droit sur nous, et une sorte de dépendance où nous nous assujettissons volontairement. Je ne prétends pas détruire par ce que je dis la confiance, si nécessaire entre les hommes puisqu'elle est le lien de la société et de l'amitié ; je prétends seulement y mettre des bornes, et la rendre honnête et fidèle. Je veux qu'elle soit toujours vraie et toujours prudente, et qu'elle n'ait ni faiblesse ni intérêt ; je sais bien qu'il est malaisé de donner de justes limites à la manière de recevoir toute sorte de confiance de nos amis, et de leur faire part de la nôtre.

On se confie le plus souvent par vanité, par envie de parler, par le désir de s'attirer la confiance des autres, et pour faire un échange de secrets. Il y a des personnes qui peuvent avoir raison de se fier en nous, vers qui nous n'aurions pas raison d'avoir la même conduite, et on s'acquitte envers ceux-ci en leur gardant le secret, et en les payant de légères confidences. Il y en a d'autres dont la fidélité nous est connue, qui ne ménagent rien avec nous, et à qui on peut se confier par choix et par estime. On doit ne leur rien cacher de ce qui ne regarde que nous, se montrer à eux toujours vrais dans nos bonnes qualités et dans nos défauts même, sans exagérer les unes et sans diminuer les autres, se faire une loi de ne leur faire jamais de demi-confidences ; elles embarrassent toujours ceux qui les font, et ne contentent presque jamais ceux qui les reçoivent : on leur donne des lumières confuses de ce qu'on veut cacher, on augmente leur curiosité, on les met en droit d'en vouloir savoir davantage, et ils se croient en liberté de disposer de ce qu'ils ont pénétré. Il est plus sûr et plus honnête de ne leur rien dire que de se taire quand on a commencé de parler.

LA ROCHEFOUCAULD, LA SINCÉRITE ET LA CONFIANCE : DEUX VERTUS, DEUX PRATIQUES

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Prudence et fidélité, ressort de la confiance

Il y a d'autres règles à suivre pour les choses qui nous ont été confiées. Plus elles sont importantes, et plus la prudence et la fidélité y sont nécessaires. Tout le monde convient que le secret doit être inviolable, mais on ne convient pas toujours de la nature et de l'importance du secret ; nous ne consultons le plus souvent que nous-mêmes sur ce que nous devons dire et sur ce que nous devons taire, il y a peu de secrets de tous les temps, et le scrupule de les révéler ne dure pas toujours.

On a des liaisons étroites avec des amis dont on connaît la fidélité ; ils nous ont toujours parlé sans réserve, et nous avons toujours gardé les mêmes mesures avec eux ; ils savent nos habitudes et nos commerces, et ils nous voient de trop près pour ne s'apercevoir pas du moindre changement ; ils peuvent savoir par ailleurs ce que nous sommes engagés de ne dire jamais à personne ; il n'a pas été en notre pouvoir de les faire entrer dans ce qu'on nous a confié ; ils ont peut-être même quelque intérêt de le savoir ; on est assuré d'eux comme de soi, et on se voit réduit à la cruelle nécessité de perdre leur amitié, qui nous est précieuse, ou de manquer à la foi du secret. Cet état est sans doute la plus rude épreuve de la fidélité ; mais il ne doit pas ébranler un honnête homme : c'est alors qu'il lui est permis de se préférer aux autres ; son premier devoir est de conserver indispensablement ce dépôt en son entier, sans en peser les suites ; il doit non seulement ménager ses paroles et ses tons, il doit encore ménager ses conjectures, et ne laisser jamais rien voir, dans ses discours ni dans son air, qui puisse tourner l'esprit des autres vers ce qu'il ne veut pas dire.

LA ROCHEFOUCAULD, LA SINCÉRITE ET LA CONFIANCE : DEUX VERTUS, DEUX PRATIQUES

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Confiance, discrétion et respect de l’autre

On a souvent besoin de force et de prudence pour opposer à la tyrannie de la plupart de nos amis, qui se font un droit sur notre confiance, et qui veulent tout savoir de nous. On ne doit jamais leur laisser établir ce droit sans exception : il y a des rencontres et des circonstances qui ne sont pas de leur juridiction ; s'ils s'en plaignent, on doit souffrir leurs plaintes, et s'en justifier avec douceur ; mais s'ils demeurent injustes, on doit sacrifier leur amitié à son devoir.et choisir entre deux maux inévitables, dont l'un se peut réparer, et l'autre est sans remède.

La Rochefoucauld, Réflexions diverses.

LA ROCHEFOUCAULD, LA SINCÉRITE ET LA CONFIANCE : DEUX VERTUS, DEUX PRATIQUES

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29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 07:09
CLIO CONTRE LA MÉMOIRE. L’ESCLAVAGE ET LA TRAITE, LE PASSÉ PRÉSENT

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CLIO CONTRE LA MÉMOIRE

L’ESCLAVAGE ET LA TRAITE, LE PASSÉ PRÉSENT

 

 

Éthique de l’Histoire et vécu

Hérodote (vers 484 - 420 av JC) « Le père de l’Histoire »
Hérodote (vers 484 - 420 av JC) « Le père de l’Histoire »

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Sans aucun doute, l’expérience douloureuse de la traite atlantique aura marqué les Africains d’hier et d’aujourd’hui, au plus profond de leur chair et de leur esprit, au point que pour bon nombre d’entre eux, aucune vérité, fût-elle historique ou scientifique, ne saurait avoir de sens ni d’objectivité à leurs yeux concernant ce sujet.

Leur conviction est faible, seul l’Occident est responsable et coupable, ce qui exclut d’emblée tout examen de conscience de leur part. Une telle crispation mémorielle ne sert ni la vérité, ni l’Histoire.

L’histoire d’un peuple quel qu’il soit, n’est jamais totalement dénuée d’épisodes malheureux ou douloureux, de zones obscures, voire honteuses.

Et, s’agissant de la traite des Noirs, la question essentielle est :

Comment les Européens se procuraient-ils des esclaves en Afrique entre le XVe et le XIXe siècle, sur une terre, et dans des contrées qu’ils ne connaissaient pas ?

La traite, c’est la chaîne de l’offre et de la demande.

Preuve de cette raideur intellectuelle de nombre d’Africains, la lettre reçue d’un ami, à la sortie de l’ouvrage « La traite des Noirs et ses acteurs africains » (Editions Berg.International ).

CLIO CONTRE LA MÉMOIRE. L’ESCLAVAGE ET LA TRAITE, LE PASSÉ PRÉSENT

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Regard sur un livre et son sujet

« Mon très cher Tidiane,

J'ai lu ton livre deux fois, et je le relirai encore, tant il est rempli de données et repères précieux pour nous tous, Noirs, d'Afrique ou de la diaspora. C'est un livre capital et chacun de nous devrait posséder son exemplaire à portée de main. Son avenir est définitivement devant lui !

Il y avait déjà un grand nombre d'ouvrages sur le thème de l'esclavage et de la traite, mais peu (pour ne pas dire aucun) n'ont traité aussi bien cet aspect du drame noir. Tu décris magistralement l'évolution de la traite, depuis les temps hésitants jusqu'à la fin officielle, en passant par le paroxysme de la tragédie.

J'ai salué que tu mettes en avant le fait que durant « les temps premiers », les Africains n'ont nullement participé à la traite et qu'ils ont même longtemps résisté à l'incursion des Européens. On a compris, il est vrai après une bonne moitié du livre, voire vers la fin, que les Africains « collabos » n'avaient pas le choix.

C'est ce qui nous amène à la question suivante : comment ton livre sera-t-il accueilli par les Européens ? Et par les Africains ? J'entends : dans le cadre d'un grand déballage pour savoir où sont les véritables responsabilités dans notre drame depuis ce XVème siècle et jusque (non pas 1948), mais jusqu'au moment où tu lis ma lettre.

Car, toi qui dois avoir lu mon petit texte concernant les conséquences de l'esclave et de la traite dans notre quotidien aujourd'hui, il est clair que notre drame est dans une manière de continuum qui se revêt de nouveaux habits de génération en génération ! C'est la finesse des Occidentaux qui fait croire que les choses changent ! Aujourd'hui, il n'y a plus de négriers, mais l'Africain maîtrise-il les sciences et les techniques pour simplifier sa vie au quotidien ? NON. Et qui ne veut pas qu'il maîtrise la science ?

Je sais que nous aurons l'occasion de revenir sur ces questions, Tidiane. Quant à des historiens comme Pétré-Grenouilleau, j'espère me tromper en sentant que tu leur prêtes une certaine attention. C'est eux les premiers qui demain vont se baser sur ton livre pour dire « Voyez, un Africain a écrit ci ou ça sur les roitelets, il justifie mieux que nous la responsabilité des Africains dans le drame de leurs frères ».

A part ce risque, je vois tout le bien qu'il y a dans ton livre. Mais peut-être était-il difficile, voire impossible de dire la vérité sans prendre un certain risque.

Néanmoins, je reste dans la conviction profonde que ces Africains qui vendaient leurs frères n'étaient que des « hommes drogués » par les marchands européens, « drogués » par des artifices contre lesquels nul homme au monde, nul peuple, ne pouvaient rien. De ce fait, je pense que l'histoire ne retiendra TOUTES LES CHARGES QUE CONTRE LES EUROPEENS. Les Africains seront « relaxés » avec des circonstances atténuantes. Très atténuantes. » [...]

Vision de l’auteur

« Cher Ami,

J'ai bien reçu votre courrier dont les termes me laissent sceptique.

Je mesure la différence d'appréciation entre nous sur les questions de l'esclavage et de la traite. La lecture de votre livre confirme cette différence d'approche.

Le but de mon livre n'est pas de  juger, de rechercher des responsables ou des coupables, mais de présenter des faits le plus objectivement possible, afin de favoriser la connaissance du passé, au-delà des passions et des émotions.

Dans cette tragédie sans nom que fut la traite, l'Afrique noire a besoin d'examiner de manière critique et lucide ses faiblesses passées et présentes pour progresser. Qui peut nier que la traite des Noirs ne fut pas le crime contre l'humanité le plus abominable ? Cela étant, doit-on pour autant rester éternellement dans les chaînes du passé, la tête enfouie dans les bas-fonds de l'histoire au risque de subir éternellement cette histoire, de stériliser définitivement l'esprit et le mental ? A quoi bon ressasser indéfiniment l'irréparable, si ce n'est d'en tirer les leçons qui donnent la force d'aller de l'avant ? Par ailleurs, quel peuple au monde, quelle nation, n’a pas eu sa part des blessures de l’Histoire ?

Il n'est pas question d'oublier, mais de puiser en soi les ressources nécessaires, et la force d'âme qui permettent d'affronter le passé et le présent, en vue de construire le futur. Le but n'est pas de raviver les rancunes et les plaies du passé, mais de les apaiser, et peut-être favoriser ainsi la compréhension entre les Hommes.

Quand, par ailleurs, cessera- t-on de penser en termes de race ou d'ethnie ? S'agissant de la traite des Noirs, ce sont des membres de l'espèce humaine qui ont participé au plus grand crime de notre histoire. C'est ainsi, et, exonérer ou accuser tel ou tel groupe n'est pas une démarche à laquelle j'adhère. L'opprobre de cet acte rejaillit sur l'espèce humaine dans son ensemble. Et c'est collectivement qu'il faut faire face à ce passé pour tenter collectivement de guérir les maux qu'il a générés. Telle est ma vision des choses.

Bien cordialement

Tidiane Diakité 

Autre regard

« Monsieur le Directeur des Éditions Berg International,

Comme suite à notre échange téléphonique de ce jour, je vous confirme par le présent message, le souhait du Collectif Toussaint Louverture de pouvoir accueillir Monsieur Tidiane DIAKITE ici en Picardie, pour la présentation de son nouveau livre La traite des Noirs et ses acteurs africains.

J'ai découvert ce magnifique ouvrage le 21 février, dans une petite librairie, près de la Gare de l'Est à Paris. Je suis persuadé que ce livre va briser pas mal de tabous et conduire certains de mes frères africains à se questionner honnêtement, à propos de cette tragédie humaine. Bravo à son auteur.

Je coordonne le Collectif Toussaint Louverture depuis 1990, Collectif qui a pris le relais de l'Association des Communautés Africaines pour le Bicentenaire de la Révolution Française en 1989. Et depuis 2006, ce collectif coordonne avec de faibles moyens, des animations ici et là, dans l'esprit du Comité pour la Mémoire de l'esclavage que préside Madame Françoise Vergés.

Si donc M. Diakité est libre du 8 au 10 mai 2009, c'est volontiers que nous le recevrons à Creil, Nogent, Château-Thierry, Soissons ou Compiègne, dans le cadre des cérémonies de la Journée Nationale du 10 Mai en France.

Dans l'attente, veuillez agréer Monsieur, l'expression de ma considération distinguée. »

Le Mémorial de Nantes
Le Mémorial de Nantes

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Regard sur le passé

   Nantes et Bordeaux, exemples prometteurs

« Nantes bâtit un mémorial à  l’abolition de l’esclavage

A l’issue d’un interminable débat, Nantes, capitale de la traite négrière au XVIIIe siècle, construit un mémorial, aux luttes, aux résistances contre la traite, et contre tous les esclavages, d’hier et d’aujourd’hui. Avec l’idée de servir l’Histoire de France.

« Lors du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, on avait fait édifier une petite statue sur le quai de la Fosse. Elle a été vandalisée », se souvient Maguy, Antillaise de Nantes. «La nuit suivante je me suis réveillée en pleurs, la gorge serrée. Douze ans après, les travaux du mémorial démarrent enfin. On est ému.»

Nous sommes quai de la Fosse à Nantes, là où va être construit le mémorial à l'abolition de l'esclavage. Au bord de la Loire, « seul souvenir vivant de la traite négrière », expliquent d'une même voix Maguy et quelques autres membres de l'association Mémoire d'Outre-Mer. À cet endroit, chaque 10 mai, les militants jettent une gerbe de fleurs pour commémorer l'abolition de l'esclavage.

Du XVIIe jusqu'au milieu du XIXe siècle, 1709 expéditions nantaises ont alimenté le commerce d'esclaves. Les bateaux nantais ont arraché d'Afrique 450 000 hommes, femmes et enfants pour les expédier en Amérique ou aux Antilles. Nantes s'est enrichie de la traite négrière. Comme Bordeaux, La Rochelle, à un moindre degré Lorient ou Saint-Malo, et d'autres ports européens. Au total, la traite atlantique fit 11 millions de captifs.

Nantes, depuis vingt ans, assume ce passé. Tout démarre en 1985 quand la municipalité de l'époque refuse de soutenir une exposition sur le Code noir, le texte juridique réglant la vie des esclaves à partir du XVIIe siècle. Changement de municipalité, en 1992, l'exposition des Anneaux de la mémoire, exhume un passé longtemps refoulé, occulté, amputé. D'un côté, les esclaves transportés à fond de cale, traités comme une simple marchandise. De l'autre des fortunes amassées, dont témoignent les hôtels particuliers du quai de la Fosse ou de l'île Feydeau à Nantes.

Nouveau jalon, un mémorial permanent, le seul en métropole, financé par les collectivités locales. « Il sera avant tout consacré aux luttes, aux résistances contre la traite, et contre tous les esclavages, d'hier et d'aujourd'hui », souligne Yannick Guin, un élu.

[…]

«  Il ne s'agit pas de repentance, poursuivent-ils. Mais de dire, au nom de la République, cette histoire trop souvent occultée dans les manuels scolaires. » Et encore : « Tant qu’on ne l’aura pas inscrite dans l’histoire nationale, il restera de la tension. Un mémorial, comme ceux de la Seconde Guerre mondiale à Caen ou de la Shoah à Berlin, ça sert à vivre ensemble. Comment répondre au racisme, à l'exclusion, à l'esclavage moderne, si on ne prend pas en compte ce qui a été hier ? »

Selon l'Organisation des Nations unies, 10 % de la population mondiale est aujourd'hui réduite à la condition d'esclave. Cela va de la prostitution à l'exploitation des enfants et au travail des personnes enfermées dans des camps.

Alors, ce mémorial doit servir à ouvrir les yeux : « Tout individu qui entrera dans ce lieu devrait en sortir grandi et voir le monde autrement. »

Philippe GAMBERT (Ouest France)

Mémorial de Bordeaux
Mémorial de Bordeaux

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« Bordeaux se penche sur son passé de port négrier

Bordeaux était, hier, ville d'accueil de la Journée nationale de commémoration de l'abolition de l'esclavage. Pour la première fois, la ville d'Alain Juppé a assumé solennellement son passé de port négrier en inaugurant au musée d'Aquitaine, un espace permanent consacré à l'esclavage. Entre 1672 et 1837, la capitale de l'Aquitaine fut le point de départ de près de 500 expéditions maritimes pour déporter d'Afrique quelque 130 000 esclaves vers les Antilles. « Aujourd'hui, Bordeaux est synonyme et symbole de l'espoir et de la réconciliation », a dit Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, présente à l'inauguration. (Ouest France)

 

Assumer son passé, c’est ouvrir la voie de la connaissance, de la rencontre et de la réconciliation des peuples.

Thucydide (vers 460-395 av JC)
Thucydide (vers 460-395 av JC)

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Propos sur l’histoire

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler brièvement ici, ce qu’est l’Histoire, de même que les règles qui président à son écriture.

L’Histoire est une science, une discipline exigeante. Cette exigence et les règles qui commandent à son écriture la distinguent du roman, de la poésie ou du conte.

Ces règles, qui s’imposent à l’historien, ont été progressivement élaborées et précisées, au fil des siècles, depuis l’Antiquité, d’Hérodote à Thucydide, et par l’Université française, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

 

L’Histoire n’est pas la Mémoire. L’Histoire n’est pas faite pour charmer les oreilles, mais pour servir la vérité, autant que possible. Elle doit être fondée sur des faits irréfutables et des documents authentiques. Son écriture repose sur les qualités d’objectivité, de rigueur et d’impartialité.

 

La première règle qui s’impose à l’historien, c’est de ne rien dire de faux.

La seconde, c’est de ne rien taire qui est vrai (Gabriel Monod).

 

Pour Camille Jullian, enfin, le premier devoir de l’historien est de se mettre au travail, sans préjugé, sans colère, sans idées préconçues, ni passions.

 

L’Histoire est une science aux règles et à l’éthique exigeantes que l’historien ne saurait transgresser, y compris s’agissant de la traite des Noirs.

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21 mai 2016 6 21 /05 /mai /2016 07:31

ALAIN, LE MARIAGE ENTRE SERMENT, AMOUR ET VOLONTÉ

Le couple : architecte de son destin, faire et savoir-faire

 

Alain

(Émile Chartier dit), philosophe français, 1868-1951)

 

Le mariage, depuis le moment où il est conclu et scellé est une chose à faire, non une chose faite. Que l'on se soit laissé marier, ou que l'on ait choisi, il reste que l'on a à passer sa vie, dans la plus grande intimité avec quelqu'un qu'on ne connaît pas, car le premier amour n'éclaire point. Il faut donc faire, au lieu d'attendre. J'ai assez mis en défiance contre cette observation des caractères, en vue de les dominer ; ce ne sont que des chimères, mais qui malheureusement prennent corps par le décret de l'observateur et de l'observé. « Il est ainsi », décret funeste auquel répond l'autre : « Je suis ainsi » ; mais ce n'est jamais vrai. Il y a toujours les qualités aimables en germe, et la bonne humeur plaît sous tous costumes. Et qu'est-ce donc que l'amour vrai, si ce n'est l'art de deviner le meilleur ? Seulement cet amour vrai est voulu ; c'est ce que repousse la doctrine commune sur la fatalité des passions ; chacun cherche à deviner, par des signes, l'avenir de sa vie intérieure ; et par là elle se trouve livrée aux actions extérieures. L'amour, la jalousie, le bonheur, la peine, l'ennui sont reçus comme la pluie et la grêle. Ainsi on donne charge à l'autre, et à tous les hasards de sa propre constance ; on la constate comme un fait de nature. Imaginez un cycliste qui se demande s'il va aller au fossé. Etrange état, où l'on se demande ce qu'on va faire, sans y mettre du sien. C'est l'état des fous. Il est commun dans le mariage, parce que les premières émotions de l'amour viennent en effet du dehors. Ainsi, pour tous les arts, le plaisir vient le premier ; mais ce n'est pas par le plaisir seulement que l'on devient sculpteur, peintre ou musicien, c'est par le travail. Et le proverbe dit bien que toutes les belles choses sont difficiles. C'est un travail que d'être heureux, et en ménage aussi.

La beauté dans l’effort

Tout travail difficile veut la fidélité. Dans le génie il y a plus d'une condition, mais certainement un serment à soi-même, et que l'on tient. Comme l'inventeur ; il se jure à lui-même d'arriver à ses fins. Et le sage aussi se jure à lui-même d'être sage ; car il n'attend point que la sagesse lui soit apportée comme sur un plat, et l'on se moque des enfants qui veulent être musiciens tout de suite. Mais on ne veut point de serments pour une chose aussi facile que d'être heureux par celui qu'on aime. Heureusement la sagesse commune, qui se règle sur les effets, veut un serment aussi aux premiers moments du bonheur. Or, un serment n'est pas une prophétie ; un serment signifie que je veux et que je ferai. A quoi l'on dit : « Je ne puis promettre de l'amour », et cela est vrai des premières émotions, aussi n'a-t-on jamais à les promettre, mais pour l'amour et le bonheur pleins, non seulement on peut jurer, mais il faut jurer, comme pour apprendre la musique. Aussi faut-il bien l'entendre, et ne pas se croire enchaîné par son serment ; c'est bien plutôt la destinée qui est enchaînée et domptée par le serment.

 

Savoir vivre et savoir être comme ciment

Si donc il y a des témoins et une contrainte extérieure comme la coutume le veut pour tous serments, et comme celui qui juge en exige lui-même par une vue juste des pièges, il faut prendre ces liens extérieurs comme des secours à soi-même contre les événements. Jamais le serment n'entrave le libre arbitre ; au contraire il nous met en demeure d'en user ; car on ne jure point d'être, on jure de faire et de vouloir. Tout serment est contre les passions. C'est pourquoi la publicité du mariage, et les liens nouveaux de parenté voulue et d'amitié qu'il entraîne, ne sont que pour aider à accomplir l'œuvre voulue. Sans compter que le savoir-vivre y gagne ; car, sans attendre un vrai bonheur de tous ceux que l'on voit, il faut toujours en venir à s'en accommoder. Au reste, il est impossible d'écrire mieux sur le mariage qu'Auguste Comte n'a fait ; et je renvoie le lecteur à sa Politique.

 

Les enfants

J'appuierai seulement sur les contraintes de politesse, si imprudemment méconnues par les jeunes amants. Quand on vit en naïveté avec les passions, et qu'on est en état d'éprouver, par un si étroit voisinage, les moindres mouvements d'humeur de celui dont on attend tout son bien, le premier mouvement est souvent funeste. J'ai observé que, même dans les bons ménages, et quand l'amitié a confirmé l'amour, les moindres disputes arrivent aisément au ton de la violence. Il est vrai aussi que l'amour pardonne beaucoup; mais il ne faut pas s'y fier, car il n'est pas moins vrai que l'amour interprète beaucoup et devine trop. A quoi peut remédier une vie de famille assez patriarcale, et surtout la présence des enfants, qui, dès leur plus jeune âge, modèrent naturellement autour d'eux l'éclat des voix et la vivacité des mouvements, terminant bientôt les disputes par des cris sans mesure qui donnent une juste leçon. D'où est venu le proverbe que Dieu bénit les nombreuses familles.

Alain, Éléments de philosophie.

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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 09:17

 

L’Afrique, la traite, l’esclavage

Un passé qui dure

 

Film documentaire :

Bois d’ébène.

La traite atlantique

Réalisateur : Moussa Touré

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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« Un commerce d'hommes ! Grands Dieux ! Et la nature ne frémit pas ? S'ils sont des animaux, ne le sommes-nous pas comme eux ? »

Olympe de Gouges (1748-1793).

Réflexion

Beau film, par sa qualité technique et la qualité des acteurs.

Il faut se réjouir de constater que son réalisateur est sénégalais, d’un pays qui fut un site important de la traite atlantique.

En effet, les auteurs africains (écrivains, historiens ou cinéastes),qui traitent  de cette tragédie multiséculaire sont plutôt rares. Or, si cette traite, la plus documentée, la plus vulgarisée, est un pan de l’histoire mondiale, elle constitue avant tout l’épisode sans nul doute le plus douloureux de l’histoire africaine. Dès lors, on peut légitimement s’étonner qu’il y ait si peu d’auteurs africains qui s’y intéressent.

Pourquoi les Africains, les plus touchés par cet épisode dramatique de l’histoire, ne proposent-ils pas leur propre vision de ce phénomène, qui ne soit pas une copie de ce que disent ou écrivent des auteurs non-Africains ? (ou au contraire, pourquoi certains s’enferment-ils dans une posture stérile de refus et de contestation systématique vis-à-vis de ces mêmes auteurs ?)

Leur apport aurait sans nul doute l’énorme avantage de contribuer à l’enrichissement de l’historiographie universelle sur ce sujet universel, qui recèle encore bien des zones d’ombres.

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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« Ah ! Que nous sommes inconséquents, et dans notre morale et dans nos principes ! Nous prêchons l'humanité et tous les ans nous allons porter des fers à vingt mille habitants de l'Afrique ! »

Necker, De l'administration des finances de la France, 1784.

Responsables ou acteurs ?

Bien sûr, les Africains ne sont pas responsables de cet odieux trafic d’êtres humains, ni ses initiateurs. Il y eut en Afrique beaucoup de résistance dans toutes les régions touchées par ce fléau, de la part de quelques rois qui ont su mobiliser leurs peuples à cette fin, mais aussi de simples villageois qui ont su s’organiser pour résister et donner la chasse aux chasseurs d’esclaves.

Cependant, la vérité historique exige aussi de reconnaître qu’à l’inverse, des rois, des chefs, des trafiquants, des intermédiaires de tous genres, mus par l’appât du gain, et une cupidité aliénante, jouèrent un rôle éminent à tous les niveaux.

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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« Chaque tasse de café sucré contient quelques gouttes de sang noir. »

                                                           Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814).

Les faiblesses du film « Bois d’ébène »

Malgré sa qualité, sur le fond, ce film n’est pas sans reproches :

le premier reproche c’est de ne présenter qu’une seule phase et une seule facette de cette histoire qui en compte plusieurs. On ne voit ainsi ni les débuts, c’est-à-dire l’enclenchement du commerce d’esclaves, ni les premiers acteurs africains et européens, ni en conséquence le passage de la phase de razzias organisées par les Européens à la phase de signature de traités avec les rois et les chefs locaux, qui "légalisait" la capture et la vente de captifs. C’est la phase de l’organisation de la traite, avec des règles précises et des codes…

le deuxième reproche concerne la projection  du film : c’est l’absence de débat, mieux encore de commentaire accompagnant ce film, qui tienne lieu à la fois d’explication, et surtout de pédagogie, pour éclairer les esprits.

Peut-on aujourd’hui, projeter le livre Mein Kampf, ou en faire la lecture publique sans commentaire à caractère historique, explicatif et pédagogique ?

On devait, à l’Afrique, aux Africains et au monde entier, ainsi qu’à tous ceux qui auront vu ce documentaire, cette explication et cette pédagogie.

La fonction et l’intérêt d’un tel document ne doivent pas seulement consister à rappeler un passé, mais, de faire que ce passé soit suffisamment connu de tous afin qu’il ne revienne plus jamais.

Par ailleurs, l’Afrique, qui fut jadis le théâtre de la traite, apparaît de nos jours comme une des régions de prédilection de ce qu’on appelle improprement « l’esclavage moderne », dont les victimes sont essentiellement les enfants, et les acteurs essentiellement des Africains.

La leçon n’a-t-elle pas été tirée des affres de la traite atlantique, qui a sévi dans cette même région du XVe au XIXe siècle ?

Précisément, le débat ou le commentaire à caractère pédagogique aurait permis une réflexion salutaire à cet égard. Il aurait sans doute permis aux spectateurs africains de se demander pourquoi le mot esclave, qui ne désignait que les slaves, en Occident, du Xe au XVe siècle (slavus slaves esclaves), a fini par ne désigner que les Noirs, à partir du XVe siècle ? et pour toujours ? au point que pour beaucoup, aujourd’hui encore, esclave est synonyme de noir.

Les Africains auraient également pu tirer profit de la réflexion suscitée par les questions suivantes :

Pourquoi l’Afrique, du XVe au XIXe siècle ?

Pourquoi des Noirs et autant de victimes pendant si longtemps ?

Et si c’était à refaire ? L’Afrique et les Africains seraient-ils toujours victimes ?L'histoire ne sert pas seulement à expliquer le passé. Elle sert aussi à comprendre le présent et à préparer l'avenir.

La réponse à ces questions et les réflexions qu’elles inspirent auraient sûrement permis d’éviter que des enfants et des femmes soient victimes, en Afrique, aujourd’hui, de cette maladie matérialiste, de cette inhumanité.

 

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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Les victimes de la cupidité et de la barbarie

La barbarisation de l'Afrique

Si l'on juge le niveau de conscience morale d'un peuple à l'aune de l'état de ses enfants, les Africains n'ont pas de quoi pavoiser. S'il est une région du monde où l'enfance est en danger et à sauver, c'est bien l'Afrique.

De tous les enfants du monde, les petits Africains sont les plus insécurisés, le plus victimes de la folie des adultes. C'est incontestablement sur ce continent que le sort de l'enfant est le plus critique, parce que, de tous, le petit Africain est le plus mal nourri, le plus mal vêtu et le moins éduqué. C'est en Afrique que les enfants sont le plus exploités.

D'abord par le travail bien que la quasi-totalité des États africains aient signé les différentes Conventions internationales sur les droits et la protection de l'enfant. Mais très peu ont chez eux une législation propre à l'enfance, encore moins de dispositions législatives ou juridiques qui reconnaissent des droits à l'enfant et le protègent. Dans ce domaine comme dans d'autres, en Afrique, les mots (comme les chiffres) n'ont pas grand sens (les pires dictatures s'arrogent l'intitulé de république et de démocratique !!). Le terme protection de l'enfance n'a pas la même signification au Bénin, au Nigeria qu'en France ou en Belgique. L'Afrique s'illustre négativement dans le palmarès mondial peu enviable des conditions de l'enfance. Si un quart de tous les enfants de la planète âgés de 5 à 14 ans, soit 250 millions, sont condamnés au travail, c'est en Afrique que ce phénomène est le plus étendu et le plus critique. Si, en nombre absolu, l'Asie compte le plus grand nombre d'enfants obligés de travailler (parce que continent le plus peuplé), c'est l'Afrique qui détient en pourcentage, le record mondial avec 41% de ses enfants économiquement actifs contre 21% en Asie et 17% en Amérique latine.

En Afrique, presque un enfant sur deux travaille contre un sur quatre pour le reste du monde, et se retrouve dès l'âge de cinq ans, ployé sous le poids d'une harassante vie de labeur.

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L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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Ces enfants, une fois vendus par leurs parents ou razziés, sont soumis à des traitements inhumains qui n'ont rien à envier à ceux infligés à leurs lointains ancêtres dans les cales des navires négriers du XVIIIe siècle ou sur les plantations en Amérique. A peine nourris, battus, drogués, « contraints à des horaires de bête de somme, ils débroussaillent les champs dès l'aube et jusque tard dans la nuit, parfois au clair de lune. Les plus turbulents, ceux qui refusent de travailler, sont mis nus et battus devant les autres. La nuit, ils ont les pieds entravés par une lourde chaîne, afin de les empêcher de s'enfuir. Entassés dans des salles insalubres, ils sont souvent sous-alimentés. Quelques bananes plantain à midi et un bol de bouillie de maïs le soir suffisent aux yeux de leurs maîtres ... Poussant loin les limites du cynisme, certains d'entre eux n'hésitent pas à faire avaler aux enfants des stimulants pour doper leur "enthousiasme" au travail ».

 

Et cela se passe le long de l'ancienne « Côte des Esclaves » nom prédestiné de triste mémoire, là même où jadis, on venait arracher à l'Afrique son « bois d'ébène » : sa substance vive pour bâtir les fortunes de l'Amérique et de l'Europe, la condamnant ainsi à la dégradation matérielle et humaine. Aujourd'hui en ce même lieu, c'est l'Afrique qui s'arrache sa substance vive aux yeux du monde, pour devenir demain, plus qu'un continent pauvre et dégradé, le continent de l'asservissement.

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L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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Des pratiques contraires aux conventions signées

L'UNICEF s'efforce de mettre fin à cette situation inhumaine par le biais de l'éducation et en travaillant « de concert avec les gouvernements pour interdire le trafic d'êtres humains ».

Oui, mais ce trafic, l'Afrique l'a déjà connu par le passé. N'est-il pas significatif que cette mémoire fasse aujourd'hui défaut à ce continent ?

Cette traite des Noirs dans sa nouvelle version du XXIe siècle ne se limite pas aux seules côtes africaines, elle s'étend au-delà des mers et s'installe sur les trottoirs des villes européennes : la nouvelle traite des Noires.

« Les filles sont jeunes, parfois mineures. Le réseau est tenu par des mafieux (africains) qui terrorisent ces filles. Une forme de commerce d'êtres humains jusqu'alors inconnue dans ces régions ».

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L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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L’ancienne Côte des Esclaves et la mémoire ?

Les pays en cause sont ceux qui correspondent aux principaux points d'impact de la traite atlantique du XVIe au XIXe siècle. Ce sont les mêmes (ceux de l'ancienne « Côte des esclaves » : Bénin, Togo, Nigeria et au-delà) où l'on traquait, convoyait et « commercialisait » les enfants noirs, lieux de la déchéance humaine hier comme aujourd'hui. En Europe, les trafiquants africains d'Africains se muent en proxénètes sans cœur, sans âme ni loi, assoiffés de gains matériels, illicites et criminels. Cette prostitution « noire » sur le continent européen constitue aussi l'un des indices patents de la dégradation africaine.

L'avenir de l'Afrique peut-il reposer sur ses enfants esclaves ? L'Afrique marche à reculons depuis une trentaine d'années et il semble que ce sens de la marche soit sa marche de prédilection. C'est la « Longue Marche » dans sa version africaine. Où donc chercher le salut ? Dans la coopération internationale ?

Tidiane Diakité, L’Afrique & l’aide ou Comment s’en sortir ? L’Harmattan.

 

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7 mai 2016 6 07 /05 /mai /2016 07:10

BALTASAR GRACIAN : COMMENT CHEMINER DANS L’« HÔTELLERIE » DU MONDE ?

Connaître et se connaître pour frayer son chemin

Baltasar Gracian (1601-1658)

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N'être pas trop singulier, ni par affection, ni par inadvertance.

Quelques gens se font remarquer par leur singularité, c'est-à-dire par des actions de folie, qui sont plutôt des défauts que des différences ; et comme quelques-uns sont connus de tout le monde, à cause qu'ils ont quelque chose de très laid au visage, ceux-ci le sont par je ne sais quel excès qui paraît dans leur contenance. Il ne sert de rien de se singulariser, sinon à se faire passer pour un original impertinent ; ce qui provoque alternativement la moquerie des uns et la mauvaise humeur des autres.

 

 

Ne prendre jamais les choses à contre-poil, bien qu’elles y viennent.

Tout a son endroit et son envers. La meilleure chose blesse si on la prend à contresens ; au contraire, la plus incommode accommode si elle est prise par le manche. Bien des choses ont fait de la peine, qui eussent donné du plaisir si l'on en eût connu le bon. Il y a à tout du bon et du mauvais ; l'habileté est à savoir trouver le premier. Une même chose a différentes faces, selon qu'on la regarde différemment ; et de là vient que les uns prennent plaisir à tout, et les autres à rien. Le meilleur expédient contre le revers de la fortune, et pour vivre heureux en tout temps et en tous emplois, est de regarder chaque chose par son bel endroit.

 

 

Connaître son défaut dominant

Chacun en a un, qui fait un contrepoids à sa perfection dominante ; et si l'inclination le seconde, il domine en tyran. Que l'on commence donc à lui faire la guerre en la lui déclarant, et que ce soit par un manifeste. Car s'il est connu, il sera vaincu ; et particulièrement si celui qui l'a le juge aussi grand qu'il paraît aux autres. Pour être maître de soi, il est besoin de réfléchir sur soi. Si une fois cette racine des imperfections est arrachée, l'on viendra bien à bout de toutes les autres.

 

 

Attention à engager.

La plupart des hommes ne parlent ni n'agissent point selon ce qu'ils sont, mais selon l'impression des autres. Il n'y a personne qui ne soit plus que suffisant pour persuader le mal, d'autant que le mal est cru très facilement, quelquefois même qu'il est incroyable. Tout ce que nous avons de meilleur dépend de la fantaisie d'autrui. Quelques-uns se contentent d'avoir la raison de leur côté, mais cela ne suffit pas, et, par conséquent, il faut le secours de la poursuite. Quelquefois le soin d'engager coûte très peu et vaut beaucoup. Avec des paroles on achète de bons effets. Dans cette grande hôtellerie du monde, il n'y a point de si petit ustensile dont il n'arrive d'avoir besoin une fois l'an ; et si peu qu'il vaille, il sera très incommode de s'en passer. Chacun parle de l'objet selon sa passion.

 

 

N'avoir ni le bruit ni le renom d'avoir méchante langue.

Car c'est passer pour un fléau universel. Ne sois point ingénieux aux dépens d'autrui ; ce qui est encore plus odieux que pénible. Chacun se venge du médisant en disant mal de lui ; et comme il est seul, il sera bien plutôt vaincu que les autres, qui sont en grand nombre, ne seront convaincus. Le mal ne doit jamais être un sujet de contentement ni de commentaire. Le médisant est haï pour toujours ; et, si quelquefois de grands personnages conversent avec lui, c'est plutôt pour le plaisir d'entendre ses lardons, que par aucune estime qu'ils fassent de lui. Celui qui dit du mal s'en fait toujours dire encore davantage.

 

 

Savoir partager sa vie en homme d'esprit.

Non pas selon que se présentent les occasions, mais par prévoyance, et par choix. Une vie qui n'a point de relâche est pénible comme une longue route où l'on ne trouve point d'hôtelleries ; une variété bien entendue la rend heureuse. La première pause doit se passer à parler avec les morts. Nous naissons pour savoir, et pour nous savoir nous-mêmes, et c'est par les livres que nous l'apprenons au vrai, et que nous devenons des hommes faits. La deuxième station se doit destiner aux vivants ; c'est-à-dire qu'il faut voir ce qu'il y a de meilleur dans le monde, et en tenir registre. Tout ne se trouve pas dans un même lieu. Le Père universel a partagé ses dons, et quelquefois il s'est plu à en faire largesse au pays le plus misérable. La troisième pause doit être toute pour nous. Le suprême bonheur est de philosopher.

 

 

Ouvrir les yeux quand il est temps.

Tous ceux qui voient n'ont pas les yeux ouverts ; ni tous ceux qui regardent ne voient pas. De réfléchir trop tard, ce n'est pas un remède, mais un sujet de chagrin. Quelques-uns commencent à voir quand il n'y a plus rien à voir. Ils ont défait leurs maisons et dissipé leurs biens avant que de se faire eux-mêmes. Il est difficile de donner de l'entendement à qui n'a pas la volonté d'en avoir, et encore plus de donner la volonté à qui n'a point d'entendement. Ceux qui les environnent jouent avec eux comme des aveugles, et toute la compagnie s'en divertit ; et d'autant qu'ils sont sourds pour ouïr, ils n'ouvrent jamais les yeux pour voir. Cependant, il se trouve des gens qui fomentent cette insensibilité, parce que leur bien-être consiste à faire que les autres ne soient rien. Malheureux le cheval dont le maître n'a point d'yeux ! Il sera difficile qu'il engraisse.

Baltasar Gracian, L’Art de la prudence, Rivages poche/Petite Bibliothèque. Traduit de l’espagnol.

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