POURQUOI DES COLONIES ?
L’épidémie coloniale au XIXe siècle :
la course aux territoires exotiques
Justifications : les dits et les non-dits
Jules Ferry
Je dis que cette politique coloniale est un système [...] ; qu'il repose sur une triple base, économique, humanitaire, et politique [...].
1 — Au point de vue économique, pourquoi des colonies ?
La forme première de la colonisation, c'est celle qui offre un asile et du travail au surcroît des pays pauvres ou de ceux qui renferment une population exubérante. Mais il y a une autre forme de colonisation : c'est celle qui s'adapte aux peuples qui ont ou bien un superflu de capitaux ou bien un excédent de produits.
[...] Un pays qui laisse échapper un large flot d'émigration n'est pas un pays heureux, un pays riche, et ce n'est pas un reproche à faire à la France, [...] que de remarquer qu'elle est de tous les pays de l'Europe celui qui a le moins d'émigrants. Mais il n'y a pas que cet intérêt dans la colonisation. Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux [...].
[...] Je dis que la France, qui a toujours regorgé de capitaux et en a exporté des quantités considérables à l'étranger [...] a intérêt à considérer ce côté de la question coloniale.
Mais, messieurs, il y a un autre côté plus important de cette question [...]. La question coloniale, c'est, pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, comme la nôtre, la question même des débouchés [...].
Au temps où nous sommes et dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d'une colonie, c'est la création d'un débouché. Il suffit que le lien colonial subsiste entre la mère patrie qui produit et les colonies qu'elle a fondées, pour que la prédominance économique accompagne la prédominance politique [...].
[…]
Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures [...].
3 — La vraie question, Messieurs, la question qu'il faut poser, et poser dans des termes clairs, c'est celle-ci : est-ce que le recueillement qui s'impose aux nations éprouvées par des grands malheurs doit se résoudre en abdication ? Et parce qu'une politique détestable, visionnaire et aveugle, a jeté la France où vous savez, est-ce que les gouvernements qui ont hérité de cette situation malheureuse se condamneront à ne plus avoir aucune politique européenne ? Est-ce que, absorbés par la contemplation de cette blessure, qui saignera toujours, ils laisseront tout faire autour d'eux ; est-ce qu'ils laisseront aller les choses ; est-ce qu'ils laisseront d'autres que nous s'établir en Tunisie, d'autres que nous faire la police à l'embouchure du Fleuve Rouge [...]. Est-ce qu'ils laisseront d'autres se disputer les régions de l'Afrique équatoriale ? Laisseront-ils aussi régler par d'autres les affaires égyptiennes qui, par tant de côtés, sont des affaires vraiment françaises ? Je sais, Messieurs, que cette théorie existe ; je sais qu'elle est professée par des esprits sincères, qui considèrent que la France ne doit avoir désormais qu'une politique exclusivement continentale. [...]
Messieurs, dans l'Europe telle qu'elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d'une population incessamment croissante, dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou d'abstention, c'est tout simplement le grand chemin de la décadence ! Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l'activité qu'elles développent [...].
Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l'écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l'Afrique ou vers l'Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c'est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisième et au quatrième.
Jules Ferry, Discours devant les députés, 28 juillet 1885.
Faire adhérer les Français à l’expansion coloniale
Hubert Lyautey
Aimer nos colonies. On ne peut faire connaître nos colonies sans en même temps les faire aimer. L'histoire de leur fondation, celle de leur développement, des perspectives de leur avenir sont autant d'éléments de l'histoire de France elle-même qui doit toucher le cœur de tous les Français. Le devoir colonial est devenu une forme du devoir civique et patriotique. Aimer la France, c'est aimer la plus grande France, celle qui n'est pas enfermée dans ses frontières, mais qui rayonne dans toutes les parties du monde. Ces immenses domaines d'outre-mer ont besoin d'hommes —de cerveaux, de cœurs et d'énergies— pour les mettre en valeur. La tâche n'offre pas que des profits. Elle exige du dévouement, de l'abnégation, de l'esprit de sacrifice. Or, notre faible natalité, ainsi que l'agrément de l'existence dans un des pays les plus favorisés du monde sont un obstacle à l'expatriation. Pour trouver des coloniaux, il faut éveiller des enthousiasmes.
MARÉCHAL LYAUTEY, 1929.
Et les autres ?
Point de vue britannique selon Chamberlain, ministre britannique des colonies.
Joseph Chamberlain
Joseph CHAMBERLAIN, homme politique anglais (1839-1914). Ce manufacturier de Birmingham devint maire de sa ville, député, puis secrétaire au Colonial Office de 1886 à 1903 ; craignant en particulier la concurrence de l’industrie allemande, Chamberlain était partisan d'un système de préférence coloniale : l’Angleterre et ses colonies formeraient un ensemble économique dans lequel le libre échange serait maintenu ; mais il serait protégé contre la concurrence des produits étrangers par le rétablissement des droits de douane.
Autre argument
« Une nation est comme un individu : elle a des devoirs à remplir et nous ne pouvons plus déserter nos devoirs envers tant de peuples remis à notre tutelle... C’est notre domination qui, seule, peut assurer la paix, la sécurité et la richesse à tant de malheureux qui, jamais auparavant ne connurent ces bienfaits. Et c'est en achevant cette œuvre civilisatrice que nous remplirons notre mission nationale, pour l'éternel profit des peuples à l'ombre de notre sceptre impérial. »
Chamberlain devant la Chambre des Communes, 1886.
Bismarck, le chancelier allemand, revendique le droit de son pays à coloniser.
Otto von Bismarck
L’Allemagne, occupée à faire son unité et à établir sa domination sur le centre de l'Europe, a tardé à se lancer dans la politique coloniale. Vers 1880, elle commence à remettre en cause le partage du monde, qui lui semble bien trop favorable aux Français et aux Anglais. Alors est élaboré la doctrine de « l'espèce vital ».
« Un peuple a besoin de terre pour son activité, de terre pour son alimentation. Aucun peuple n'en a autant besoin que le peuple allemand qui se multiplie si rapidement, et dont le vieil habitat est devenu dangereusement étroit. Si nous n’acquérons pas bientôt de nouveaux territoires, nous irons inévitablement à une effrayante catastrophe. Que ce soit au Brésil, en Sibérie, en Anatolie ou dans le sud de l'Afrique, peu importe, pourvu que nous puissions de nouveau nous mouvoir en toute liberté et fraîche énergie, pourvu que nous puissions à nouveau offrir à nos enfants de la lumière et de l'air d'excellente qualité en quantité abondante.
Ce qu'il faut à l'Allemagne, ce sont donc non des colonies de peuplement, mais des colonies d'exploitation, dans lesquelles puisse s'employer l’énergie active des jeunes gens des classes moyennes et qui fournissent de larges débouchés aux produits de l'industrie germanique ».
Et l’Italie ?
N’a-t-elle pas droit à sa part ?
Elle réclame depuis le début des années 1880, un partage « équitable » du gâteau africain. Avec la France, de 1880 aux années trente, aussi bien au sujet de la Tunisie que de l’Ethiopie, de l’Erythrée ou de la Somalie, la preuve est faite qu’entre nations d’Europe, il existe une autre voie que celle de la canonnière pour régler les différends coloniaux, du moins avant la Deuxième Guerre mondiale, mais, de quelle façon !
Benito Mussolini
Actes signés le 7 janvier 1935
par le Chef du gouvernement italien
et le Ministre des Affaires étrangères de France
I
Déclaration générale
Le ministre des Affaires étrangères de la République française et le chef du gouvernement italien :
Considérant que les conventions en date de ce jour ont assuré le règlement des principales questions que les accords antérieurs laissaient pendantes entre eux, et notamment de toutes questions relatives à l'application de l'article 13 de l'accord de Londres du 26 avril 1915 ;
Considérant que les questions litigieuses qui pourraient surgir à l'avenir entre leurs gouvernements trouveront leur issue soit par la voie des pourparlers diplomatiques, soit par les procédures établies par le pacte de la Société des Nations, le statut de la Cour permanente de justice internationale et l'acte général d'arbitrage ;
Déclarent la détermination de leurs gouvernements de développer l'amitié traditionnelle qui unit les deux nations et de collaborer, dans un esprit de mutuelle confiance, au maintien de la paix générale.
En vue de cette collaboration, ils procéderont entre eux à toutes les consultations qu'exigeraient les circonstances.
Fait en double exemplaire.
Rome, le 7 janvier 1935.
Pierre Laval Mussolini.
Frontières entre l'Erythrée
et la Côte française des Somalis
Article 4
Le tracé suivant sera substitué à la délimitation établie entre l'Érythrée et la Côte française des Somalis par les protocoles de Rome en date des 24 janvier 1900 et 10 juillet 1901 :
- de Der Éloua sur le détroit de Bab-El-Mandeb une ligne droite rejoignant l'Oued Weima immédiatement en aval de Daadato.
Ce tracé est indiqué sur la carte n° 2 jointe au présent traité.
Article 5
Des commissaires spéciaux, délégués à cet effet par les deux gouvernements, procéderont sur les lieux, d'après les données énoncées à l'article précédent, à une démarcation effective. Ils soumettront aux deux gouvernements, en même temps que le résultat de leurs travaux, un projet d'accord sur les dispositions à prendre pour assurer d'une manière efficace la police dans la zone frontière et pour y régler l'utilisation des pâturages et des points d'eau par les populations indigènes.
Article 6
La France reconnaît la souveraineté de l'Italie sur l'île de Doumeirah et les îlots sans nom adjacents à cette île.
Article 7
Le présent traité sera ratifié et les ratifications seront échangées à Rome dans le plus bref délai possible. Il entrera en vigueur le jour de l'échange des ratifications.
En foi de quoi, les plénipotentiaires susnommés ont signé le présent traité, établi en double exemplaire, et y ont apposé leurs cachets.
Fait à Rome, le 7 janvier 1935.
Pierre Laval Mussolini.