L’EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS, HIER.
L’ASIE OU L’AFRIQUE ? ①
Les préférences des uns et des autres
du 19e au 20e siècle
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La France d’outre-mer
Affiche de 1944
Quand l’empire abritait la France Libre
« Ces quelques arpents de neige… »
Cette expression devenue célèbre, exprime une dépréciation marchande de la possession française du Canada (la Nouvelle France) par Voltaire au 18e siècle.
Plus tard, en 1803, Bonaparte vendit la Louisiane aux États-Unis.
Si ces deux cas sont souvent cités, de toutes les régions de ce que fut l’empire colonial français hier, l’Asie et l’Afrique furent celles qui donnèrent lieu à l’expression de préférences les plus régulièrement exprimées et les plus contrastées. Cependant du 19e siècle aux années 1960, c’est l’Afrique qui semble avoir réuni sur son nom le plus de suffrages favorables à son maintien dans l’empire, au détriment de l’Asie, grâce notamment à l’activité et à la puissance d’expression de deux personnalités, véritables thuriféraires de ce continent : Émile Bélime et Onésime Reclus, mais aussi du parti colonial français.
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L’Asie ou l’Afrique ?
Dans un livre plaidoyer : « Gardons l’Afrique », Émile Bélime montre pourquoi l’Afrique, contrairement à toutes les autres possessions d’outre-mer, est essentielle à la France, non seulement sur le plan économique, mais aussi, sur les plans culturel et humain. D’où son intérêt marqué pour les nouvelles institutions qui ont vu le jour après la Deuxième Guerre mondiale, notamment « L’Union française », qui était sensée constituer une fédération de la France avec ses anciennes colonies, en 1946.
« Même si cette institution est mal née », écrivait-il, elle n’est nullement condamnée à une disparition inéluctable, grâce au poids de l’Afrique dans cet ensemble.
Sans nier par ailleurs la réalité des nombreuses menaces qui planent au-dessus de ce qu’il appelait la « famille France-Afrique », fort de sa connaissance du continent africain, tout particulièrement l’Afrique de l’Ouest, où il a vécu de longues années comme responsable d’organismes techniques de développement, et aussi de sa connaissance des habitants qu’il a longtemps côtoyés, il exprime son optimisme pour le présent et le futur, espoir d’un lien solide et durable entre la France et l’Afrique.
Pour lui, parmi les obstacles sur la route de cette famille France-Afrique, figurent en bonne place, l’ONU et sa charte du Comité de décolonisation, selon lui inspirée par la jalousie des deux superpuissances de l’après Deuxième Guerre mondiale : l’Union soviétique et les États-Unis, dont il rappelle dans son livre, leur passé colonial, au même titre que la France et la Grande-Bretagne dans les années 1950.
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Un plaidoyer puissant et argumenté
De tous, Onésime Reclus fut celui qui fit preuve de la plus grande constance et qui a produit les publications les plus nombreuses dans sa détermination à lier la France et l’Afrique
Ce géographe est le premier à employer le terme « francophone » dans un ouvrage magistral, « France, Algérie et colonies », paru en 1886.
Il parle de la « famille francophone », qu’il définit comme des peuples unis par et autour de la langue, et qui doit pouvoir se défendre contre les convoitises et les attaques venues de l’extérieur. (Vu le contexte, après 1870, l’Allemagne semble tout particulièrement visée).
Le titre de son livre « Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique » constitue une véritable profession de foi au service de la relation France-Afrique ; ouvrage d’une grande richesse par les arguments et par la puissance de l’expression de volonté et de foi.
Rien n’échappe à la démonstration rigoureuse du géographe, ni la géographie physique, ni la langue et la culture, ni la politique ou la géopolitique, ni les hommes et femmes de ces deux continents, Afrique et Asie.
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Une Asie peu sûre demain
« Puisque la France ne peut pas tout garder, le temps est venu d’éliminer toutes les conquêtes faites et tous les territoires dont la possession nous réserve plus de mal que de bien », car selon la sagesse des temps,
« Qui terre a, guerre a. »
Reclus procède alors à une élimination méthodique de tout ce qui est de nature à porter ombrage à la France, demain, à commencer par l’Asie :
« À regarder l’avenir en face, l’Asie malgré toutes ses richesses, toutes ses splendeurs, -toutes ses promesses, est la plaie ouverte au flanc de l’empire français. »
S’agissant de l’Indochine, il écrit :
« Que de grâces à rendre au souverain concours des forces, si cette presqu’île pénétrait, non la mer des Indes, mais la mer Atlantique, au bout de notre Sénégal ou de notre Guinée, de notre Côte d’Ivoire ou de notre Gabon…
Mais, par bien grand malheur, la nature l’a collée au monde qui nous est le plus antipathique : au monde chinois, hors de notre rayonnement, trop loin des bras maternels, au pôle attractif des ambitions contraires, là ou d’autres, Russes, Anglais, Yankees, Japonais sont plus puissants que nous.
Ce monde à nous étranger, l’éloignement, ces ennemis, la contigüité avec les Chinois incoercibles, voilà, si l’on osait parler mythologiquement, voilà bien la robe de Nessus. »
Puis il ajoute :
« À quoi bon se bercer d’une fausse espérance, heurter du front l’impossible, se casser la tête contre la muraille ? »
Avant de conclure sa prophétie :
« Le ciel de l’Extrême-Orient n’est pas pour nous un ciel serein. »
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Une question de crâne ?
Onésime Reclus s’attarde ensuite sur le portrait physique, compare d’abord des Asiatiques et des Français, puis des Jaunes et des Noirs.
« Quelle prise peut avoir la France, à pareil éloignement, sur un ensemble de peuples dont on peut dire qu’ils n’ont pas le crâne fait comme nous ?
Rien qu’à la vue des Jaunes — or, les Annamites sont des Jaunes — une sorte d’instinct nous avertit, semble-t-il, qu’ils ne font pas partie de la même humanité que nous ; tout au moins, que leur humanité n’est absolument pas la nôtre. »
Onésime Reclus poursuit son argumentation :
« Lors des diverses expositions coloniales, ou non coloniales, les beaux messieurs, les belles dames, le simple populaire, s’approche avec sympathie du Nègre, du Négroïde, avec une certaine antipathie du Jaune et du Jaunâtre.
Le Nègre est grand, athlétique, d’un charmant et très beau sourire, souvent, sur d’admirables dents blanches.
L’homme dit mongoloïde est en moyenne petit, atténué, laidement féminin ; son sourire n’a rien de gracieusement spontané, autour d’une bouche ouverte sur des dents ensanglantées par le bétel qui mène à la gingivite expulsive.
Le Noir ne se présente pas toujours à nous sous le masque noir : une foule de peuples et sous-peuples que nous rangeons sous le nom de Nègres, ne sont pas des nègres : tels les Abyssiniens [Éthiopiens], les Nubiens, les Gallas, les Peuls ; ces millions de Soudanais, de Nilotiques, brillent en éclat sombre, mais brillent tout de même d’une beauté parfaitement égale, sinon supérieure à l’européenne. […]
Comme peau d’ailleurs, ils ne sont pas noirs, mais bronzés, simplement assombris…
Quant aux mélanges entre blancs et Négresses, ils ont mis au monde de superbes créatures, principalement des femmes magnifiques… tandis que la rencontre des Blancs et des Jaunes n’a rien encore créé que de vilainement médiocres. »