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3 juillet 2022 7 03 /07 /juillet /2022 10:51

 

IMMIGRATION, IMMIGRÉ

DEUX VIEUX MOTS

SANS DOUTE PARMI LES PLUS UTILISÉS

DANS LE MONDE HIER ET AUJOURD’HUI (1)

 

istockphoto.com

 

Deux vieux mots qui recouvrent un même phénomène

(déplacement de personnes et des réalités différentes).

 

 

°Un monde en mouvement depuis la nuit des temps, de l’homme de Neandertal jusqu’à celui du XXIe siècle.

Après la création d’un État, le premier souci de ses habitants étaient de le protéger des invasions éventuelles. Pour cela ils créèrent des frontières et émirent des lois pour réguler l’entrée des nouveaux arrivants dans leurs villes et villages.

Malgré les États, les frontières et les lois, les hommes ont toujours été en mouvement, partout et pour diverses raisons : échanges de produits, de savoir-faire…

 

 

Gérard Noiriel, dans son ouvrage, Atlas de l’immigration en France, nous montre le début et l’extension de ce mouvement des peuples.

 

« Les migrations : une histoire ancienne.

Dans l'Antiquité, c'est grâce aux migrations que les grandes civilisations ont pu s'épanouir, dans le bassin méditerranéen ou en Asie…

À partir du XVIe siècle, les progrès économiques et techniques de l'Europe occidentale fournissent à ses habitants les moyens de coloniser les autres peuples du monde. On peut distinguer deux grandes périodes. La première, celle des “temps modernes“, encadrée par deux grandes dates symboliques : 1492 (“découverte“ de l'Amérique par Christophe Colomb) et 1789 (début de la Révolution française) correspond à l'ère de la navigation à voile et de l'exploration du globe. L'émigration des Européens vers les autres continents reste limitée. En Asie, en Afrique et en Océanie, un petit nombre d'aventuriers, de marins et de commerçants installent des comptoirs en bordure des océans. Seule l'émigration vers l'Amérique présente un caractère de masse, conduisant à l'asservissement des cultures et au massacre des peuples des mondes précolombiens. L'histoire des migrations humaines débouche ainsi sur des formes de barbarie qui sont aggravées par le développement du “commerce triangulaire“, fondé sur la mise en esclavage de population africaine et sur la traite des Noirs. » (Gérard Noiriel, Atlas de l’immigration en France)

 

 

L’étude des migrations, quelles que soient les raisons ou l’aspect sous lequel on la mène, ou les régions du monde considérées, exige une vision globale du phénomène migratoire en rapport avec l’évolution des peuples et des nations, mais aussi de l’économie, des techniques…

L’Europe et la France en particulier, ont longtemps été considérées comme des régions d’immigration. Cette situation s’est amplifiée à partir du commencement du 19e siècle avec le début de l’industrialisation. Pour développer leurs industries, les Européens devaient aller chercher ailleurs la main-d’œuvre et la matière première indispensable au bon fonctionnement de leurs usines. Ils devaient également trouver à l’extérieur, des débouchés pour leurs produits manufacturés.

Pour cela ils colonisèrent les régions du monde qui leur étaient utiles, particulièrement en Afrique, en Amérique, en Asie.

 

 

° L’amplification de ce mouvement s’amorce au 19e siècle pour culminer de nos jours : flux de personnes, de produits, de techniques, d’idées...

Au début du 19e siècle, la France apparaît comme le principal État d’immigration en Europe comme on le voit sur la carte ci-dessous.

Des ressortissants de divers pays d’Europe convergent vers la France, surtout pour y trouver du travail.

(Gérard Noiriel, Atlas de l’immigration en France)

 

° L’industrialisation de la fin du 19e siècle, et des crises sociales entraînent le départ de nombreux Européens vers l’Amérique, devenue un pôle d’attraction.

 

(Gérard Noiriel, Atlas de l’immigration en France)

 

Cependant la France reste un pays d’immigration surtout pour les ressortissants des colonies françaises.

Le texte ci-dessous de Gérard Noiriel, tiré du même ouvrage, en est un bon résumé.

 

« LA SINGULARITE DE LA FRANCE.

Pendant la première période de l'histoire coloniale, la France, État le plus peuplé d'Europe, est un grand pays d'émigration. Des ports comme Nantes et Bordeaux ont bâti leur prospérité initiale sur le commerce triangulaire, participant activement à la traite négrière. Des milliers de colons français s'installent au Québec, en Louisiane, dans les Caraïbes. Des comptoirs français se créent sur les rives de tous les autres continents.

Au cours du XIXe siècle, pendant la deuxième phase de la colonisation, la IIIe République s'engage, comme les autres grands États européens, dans la course aux possessions coloniales, sous l'impulsion de Jules Ferry (que ses ennemis appellent le «Tonkinois»). À partir des «têtes de pont» établies dans les siècles antérieurs, l'empire français s'étend en Afrique, en Asie et en Océanie.

Mais, si l'on compare cette seconde période de l'histoire coloniale française à la première, on constate un changement essentiel : l'émigration des colons s'affaiblit. En raison du déclin démographique qui touche l'Hexagone dès le milieu du XIXe siècle, les départs sont juste suffisants pour fournir les cadres de l'empire colonial et la France devient, dès cette époque, un grand pays d'immigration.

La pluriactivité qui avait permis un vigoureux essor de l'économie française, sans pour autant aggraver l'exode rural, est condamnée par le développement de l'industrie lourde dans les dernières décennies du xix' siècle. Désormais, le recours massif aux travailleurs étrangers s'impose. »

 

 

° Les « Trente Glorieuses »

En France, la période comprise entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale de 1945 à 1975 environ, est connue sous le nom des « Trente Glorieuses ».

Ce fut, en effet, une période de reconstruction du pays pour lui permettre de se relever des ruines et des affres du conflit mondial destructeur.

Ce fut aussi l’époque d’un développement et d’une modernisation de la France.

 

 

Ce prodigieux développement et cette modernisation sans précédent furent rendus possibles par l’afflux important de travailleurs étrangers provenant principalement des colonies ou anciennes possessions françaises d’Afrique et d’Asie.

Puis la France procéda au licenciement massif de ces travailleurs étrangers et à leur rapatriement par divers moyens.

Certains parmi eux voulurent échapper à ce départ forcé, et devinrent donc des « clandestins ».

(Voir article du blog du 26 mai 2012 : immigration, clandestins d’hier et d’aujourd’hui).

(Voir également d'autres articles du blog sur le même thèmes)

 

Un si long chemin

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18 juin 2022 6 18 /06 /juin /2022 12:24

Cathédrale de Chartres (Vitrail de Charlemagne)

 

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MOYEN ÂGE : LES ABUS DE CERTAINS ARTISANS

DÉNONCÉS PAR UN PRÉDICATEUR ALLEMAND :

BERCHTOLD DE RATISBONNE

 

Berchtold de Ratisbonne (Manuscrit de Vienne, 1447)

**

Berchtold (ou Berthold, Bertold) de Ratisbonne (en allemand Berthold von Regensburg) (vers 1220 – 1272) fut un religieux allemand du XIIIe siècle, connu et respecté, un prédicateur exceptionnel et recherché, un écrivain européen avant l’heure.

Après son noviciat à Ratisbonne, il commença rapidement à prêcher, d’abord à Ratisbonne, sa ville natale, puis très vite en itinérance, d’abord en Allemagne, puis dans toute l’Europe : Autriche, Suisse, France, Angleterre...

Sa forte personnalité et ses prédications renommées attiraient un public de plus en plus nombreux, à tel point que « les églises ne pouvaient les recevoir et il était forcé de parler d'une plate-forme ou d'un arbre en plein air », selon l’abbé Hermann de Niederaltaich, son contemporain (1200/1202-1275).

---

Ses prêches abordaient surtout ce qui concernait les gens moyens, leurs préjugés, leur vie de tous les jours…

Berchtold de Ratisbonne dénonçait aussi les pratiques des artisans et marchands, pratiques qui avaient cours au moyen âge et qu’il jugeait inacceptables, déshonorantes, ce qui annonce une réorganisation des métiers dans les siècles à venir.

Il dénonçait l'usure et le commerce malhonnête, le monde des métiers et des corporations, bruyants et hors les règles de la bienséance, comme on le voit dans l’extrait ci-dessous.

Il dénonçait aussi les magistrats injustes, les impôts excessifs…

Son style nous apprend l’un de ses biographes, « clair et remarquablement dégagé de toute construction latine était fort apprécié du public… ».

 

***

Berchtold de Ratisbonne s’adresse à certaines corporations d’artisans en ces termes :

 

« De tous les fripons, vous êtes les premiers, vous qui travaillez dans le vêtement, les soies, la laine, la fourrure, les chaussures, les gants ou les ceintures. On ne peut en aucune façon se passer de vous. Il faut absolument que les hommes s'habillent. Votre devoir serait donc de les satisfaire par la conscience de votre travail, en vous abstenant de voler la moitié de l'étoffe ou de recourir à d'autres roueries telles que mêler du crin à votre laine ou l'étirer tellement que le client pense avoir acheté de la bonne étoffe, alors que vous l'avez rendue plus longue qu'elle ne devrait,... et vous faites d'une bonne étoffe quelque chose d'inutilisable. Aujourd’hui, à cause de votre fraude, personne ne peut trouver de bon chapeau; la pluie en traversera le bord et dégoulinera sur la poitrine. Même tromperie pour les chaussures, les fourrures, le corroyage. Vous vendez du vieux cuir en le faisant passer pour neuf et, quant au nombre de vos supercheries, personne ne le sait mieux que vous et votre maître, le diable !...

En second lieu viennent ceux qui travaillent avec des outils de fer. De tels artisans devraient tous être consciencieux et dignes de confiance dans leur tâche, qu'ils travaillent à la journée ou à la pièce, ainsi que le font beaucoup de charpentiers et de maçons. Lorsqu'ils travaillent à la journée, ils ne devraient pas rester volontairement désœuvrés pour multiplier d'autant le nombre de leurs journées. Et toi, si tu travailles à la pièce, ton devoir te dicte de ne pas expédier la tâche trop vite afin d'en être débarrassé plus tôt, si bien que la maison s'effondrera avant qu'un an ou deux soient écoulés. Tu dois t'appliquer à ce travail comme si c'était pour toi. Toi, maréchal-ferrant, tu ferreras un cheval d'un fer qui ne vaut rien et qui cassera avant que l'animal ait parcouru à peine un mille. Il en restera peut-être boiteux, ou bien le cavalier sera fait prisonnier ou perdra la vie. Tu es un démon et un apostat et ce sont les anges apostats que tu iras rejoindre. » (Berchtold de RATISBONNE in Maxime Roux, Textes relatifs à la civilisation matérielle et morale du Moyen âge)

 

Maréchal ferrant

 

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4 juin 2022 6 04 /06 /juin /2022 14:53

 

Racisme ordinaire

{

Voici deux poèmes qui illustrent ce racisme ordinaire ; l’un plein de tendresse, l’autre plein d’humour.

 

 

Rasmané

 

A quand remonte mon Amour pour l'Afrique

je pense, à la découverte de mon Ami Tom

ma plaie au cœur est loin d'être utopique

Je n'ai jamais oublié la souffrance de cet homme

 

Mémé appelait mon bébé noir, le négro

Et dans sa bouche, je ressentais le mépris

Pourquoi n'aimait-elle pas mon enfant chéri

peut-être à cause de la couleur de sa peau ?

 

Puis vinrent les apprentissages de la géo

avec son cortège de dénomination peu claire

Demandant à Maman pourquoi cet imbroglio

pour désigner ce pays plein de mystères.

 

Mémé était bêtement follement raciste

cela a renforcé en moi mes convictions

je fis du bénévolat empreinte d'émotion

pour effacer ses idées fatalistes

 

marraine d'un enfant au Burkina Faso

Je partage avec lui ses désirs, ses idées

Il ne s'appelle pas Tom bien sûr mais Rasmané

Aurons-nous la chance de nous voir bientôt ?

                                                                          (Mireille GOUTARD in D’une rive à l’autre, Revue de l’Association « Poésie et Nouvelles en Normandie », n°70)

                                                                                            

 

Cher Frère Blanc

 

Quand je suis né, j'étais noir

Quand j'ai grandi, j'étais noir

Quand je vais au soleil, je suis noir

Quand j'ai froid, je suis noir

Quand j'ai peur je suis noir

Quand je suis malade, je suis noir

Quand je mourrai, je serai noir.

 

Tandis que toi, homme blanc

 

Quand tu es né, tu étais rose

Quand tu as grandi, tu étais blanc

Quand tu vas au soleil, tu es rouge

Quand tu as froid, tu es bleu

Quand tu as peur, tu es vert

Quand tu es malade, tu es jaune

Quand tu mourras, tu seras gris.

 

Et après ça, tu as le toupet de m'appeler

Homme de couleur

                                                                      (Léopold Sedar SENGHOR)

 

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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 09:05

Cathédrale de Chartres (Vitrail de Charlemagne)

 

**

 

PARIS AU MOYEN-AGE : MÉTIERS ET CORPORATIONS

 

 

Après l’An Mil, dans les villes et les bourgs, les artisans s’organisent en associations professionnelles, les corps de métiers. (Guildes ou Hanses, selon les lieux).

Les corporations étaient composées d’artisans d’une même profession (taverniers, cervoisiers, forgerons, tisserands, boulangers, charpentiers…).Chaque corporation était organisée selon une hiérarchie stricte : apprentis, compagnons, maîtres (patrons).

La plupart des métiers d’artisans étaient régis par une corporation qui avait pour rôle de réglementer la durée de la formation, la procédure, pour obtenir le titre d’artisan.

C’est aussi la corporation qui fixait les prix, des marchandises et assurait la protection de ses membres.

 

***

Ci-dessous deux exemples qui illustrent le rôle des corporations au 13e siècle, rapportés par Étienne Boileau dans son ouvrage Le Livre des Métiers.

 

« Corporation des taverniers

Peuvent être taverniers à Paris ceux qui le veulent, s'ils en ont les moyens, en payant le chantelage (droit que prélevait le seigneur sur le vin vendu en gros.) au roi, les mesures aux bourgeois et les crieurs. Chaque tavernier doit acheter tous les ans ses mesures aux bourgeois de Paris. Les bourgeois les vendent plus à l'un, moins à l'autre, selon leur caprice. Quiconque vend à Paris du vin en tonneau doit avoir un crieur.

Tous les taverniers de Paris peuvent vendre le vin qu'ils veulent, au prix qu'ils veulent. Cependant ils ne doivent pas augmenter leurs prix; par contre, ils peuvent le baisser et avoir du vin en tonneau autant qu'il leur plaît. Qu'ils aient des mesures justes ; si quelqu’un utilise de fausses mesures, le roi fixera l'amende à lui infliger.

 

Marchand de vin rouge (Tacuinum sanitatis, 15e S)

 

Corporation des cervoisiers (brasseurs.)

Nul cervoisier ne peut ni ne doit faire de la cervoise (sorte de bière) avec autre chose que de l'eau et du grain, c'est-à-dire de l'orge, du méteil (mélange de seigle et de froment) et de la drèche (résidu de la distillation des grains). Si on y mettait autre chose, genièvre, piment, pour la rendre plus forte, et si on était pris sur le fait, on payerait au roi une amende de vingt sous de Paris. Les prud'hommes du métier disent que tout n'est pas bon à entrer dans la composition de la cervoise, car il y a des choses malsaines et mauvaises pour la tête, pour le corps, pour les gens affaiblis et malades.

Nul ne peut ni ne doit vendre de la cervoise ailleurs qu'en la brasserie. Car ceux qui sont revendeurs de cervoise ne la vendent pas si bonne que ceux qui la fabriquent chez eux, et ils la vendent aigre et tournée : en effet, ils ne savent pas la mettre au point ; de plus, ceux qui ne la fabriquent pas chez eux, quand ils la font vendre en deux ou trois endroits dans Paris, ne sont pas là et leurs femmes pas davantage : ils la font vendre par leurs petits garçons et dans les rues des faubourgs. »  (Boileau Étienne, Le Livre des métiers, in Maxime Roux, Textes relatifs à la civilisation matérielle et morale du Moyen âge)

 

Boileau Etienne (1200-1270)
                       
Statue de l'Hôtel de ville de Paris

*

Etienne Boileau (1200-1270)

Il reçoit de Louis IX la première magistrature de Paris, vers 1254.

Louis IX le nomme Prévôt de Paris de 1261 à 1270.

Il est sévère et redouté. Il réprime les abus, rétablit les revenus royaux, réorganise les corporations d’arts et métiers. Il fait inscrire leurs coutumes et règlements ainsi que les octrois perçus et les juridictions de Paris sur un registre, le « Livre des métiers » rédigé en 1268.

 

Le Livre des métiers qu'il fait compiler vers la fin de sa carrière est un recueil de règlements établis et de règles spontanées qui tirent leur force de l'usage, et dont l'objet principal était de protéger l'artisanat et le petit commerce parisiens contre la concurrence déloyale et le chômage. Bien qu'il ne s'agisse en rien d'une œuvre originale, on y dénote un souci de cohérence et d'harmonisation. La plupart des dispositions du Livre des métiers sont la base de la réglementation professionnelle à Paris, jusqu'à la fin du Moyen Âge.

C’est un recueil des statuts de métiers parisiens (publié en 1837, pour la première fois).

 

Étienne Boileau est installé au Châtelet et cumule les fonctions de receveur des finances, d’officier de police, de juge et d’administrateur. Son traitement est fixé à 300 livres par an.

C’est avec beaucoup de fermeté qu’il exerce ses fonctions et va même jusqu'à tenir tête au chapitre de Notre-Dame pour défendre les droits du roi.

 

Étienne Boileau a appliqué la justice sans considération pour la richesse ou le rang et il a débarrassé la cité de tous ses voleurs et criminels, selon Jean de Joinville.

 

 

Le métier de crieur illustré par Jean Bodel dans le « jeu de Saint-Nicolas ».

Le crieur est au service du tavernier qu’il relaie dans la rue. Son rôle est de vanter le vin servi dans cette taverne.

 

13e siècle, un crieur de rue

« Raoulet. Vin nouvellement mis en perce ! A plein lot, à plein tonneau ! honnête et buvable, franc et corsé, courant comme écureuil au bois, sans aucune saveur de pourri ni d'aigre, courant sur lie, sec et vif, clair comme larme de pécheur, s'accrochant à la langue du gourmet ! Nul autre n'y doit goûter ! Voyez comme il tire son rideau de mousse, voyez comme il monte, étincelle et pétille ! Gardez-le dans la bouche, sa saveur vous ira jusqu'au cœur !»  (Jean Bodel, in Maxime Roux, Textes relatifs à la civilisation matérielle et morale du Moyen âge)

 

***

Jean Bodel (1165-1210)

*

Jean Bodel (1165-1210) vécut à Arras. C’est un trouvère qui s’est illustré dans la chanson de geste et le fabliau.

En 1202, Jean Bodel contracta la lèpre et entra dans une léproserie où il finira ses jours.

 

Il est l’auteur d’un certains nombre d’écrits :

  • La Chanson des Saisnes qui relate la guerre de Charlemagne contre les Saxons et leur chef Widukind (que Bodel appelle Guiteclin).
  • Le Jeu de Saint-Nicolas qui narre la façon dont Saint-Nicolas a forcé des voleurs à rendre un trésor volé.

 

Il fut le premier à avoir classé les thèmes légendaires et les cycles littéraires connus par la littérature médiévale dans

  • La matière de Rome (contes de l’antiquité classique)
  • La matière de Bretagne (concernant le Roi Arthur)
  • La matière de France (concernant Charlemagne et ses paladins).

 

Dans ses « Congés » Bodel, malade, fait ses adieux à sa ville natale et à ses amis. Le poème n’est plus sur la mort en général, mais sur sa mort.

 

Avec « Les Vers de la mort » d’Hélinand de Froidmont, il ouvre la voie à une poésie personnelle, « le dit ». Rutebeuf en est un célèbre représentant.

 

Il a aussi écrit des fabliaux comme « Brunain la vache au prêtre »


 

 

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20 avril 2022 3 20 /04 /avril /2022 14:41

L’Homme de Vitruve
 (Léonard de Vinci)

 

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LA VISION DE L’ART DE GOTTFRIED HONEGGER

DANS SA LETTRE À LEONARD DE VINCI

 

Gottfried Honegger (1917-2016)

 

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Gottfried Honegger, né en 1917 à Zurich et mort en 2016 également à Zurich, est un peintre, graphiste publicitaire et collectionneur suisse.
Il a vécu et travaillé à Paris, Zurich, Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes)…

En 1938, il fonde un atelier de graphisme, de décoration et de photographie.
Entre 1939 et 1960, il séjourne dans différents pays puis revient en France en 1960, où il utilise l’informatique pour des dessins programmés par ordinateur.

Honegger réalise des Tableaux-reliefs aux formats monumentaux.

Il est reconnu comme l’un des piliers de l’art concret (mouvement artistique de tendance abstraite).
Il travaille sur le principe des variations à partir d'un seul et même thème.

 

Il pense que la beauté peut changer le monde. Pour lui, l’art a une fonction sociale, ce qui le conduit à concevoir un outil pédagogique : Le Viseur. Cet instrument est destiné à l’apprentissage du regard pour l’enfant : améliorer la perception des couleurs, des formes, du rythme. En 2015, Honegger avait initié des activités plastiques pour les enfants handicapés.

Il est convaincu que «l'excès d'images virtuelles paralyse notre conscience», il s'inquiète de l'addiction des jeunes aux écrans, allant parfois jusqu'à la folie.

 

« Son père fut sa deuxième école, éthique plus que politique : « Un père socialiste qui me dit : “Tu as eu de la chance, mais il y en a d’autres qui n’ont pas eu cette chance. Fais ton travail pour aider ceux-là.” Et je suis devenu socialiste avec un imaginaire de paysan. » (Le Monde, 18 janvier 2016).

 

Il réalise les vitraux des quatorze baies supérieures de la nef de la cathédrale de Liège, avec Hervé Loire, maître verrier de Chartres. (2014).
En 2000, avec sa dernière épouse, Sybil Albers-Barroer, il fait la donation de leur collection d’art (500 œuvres de 160 artistes) à l’État français.

 

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«l'Europe avant d'être une alliance militaire ou une entité politique doit être une communauté culturelle». (Maurice Schumann)

 

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La Joconde (Mona Lisa)

 

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Lettre à Léonard de Vinci

 

Très cher,

 

Afin de persuader notre ministre de la culture que l'art ne fait pas que coûter de l'argent, qu'il en laisse aussi dans les caisses de l'État, je lui ai écrit le billet suivant : « Mona Lisa, votre tableau suspendu au Louvre a rapporté à la France plus de devises et de prestige que Citroën, Peugeot et Renault réunis. Votre Mona Lisa n'a jamais fait grève, n'a jamais été malade, ni enceinte. Durant les cinquante dernières années, elle n'a été absente que deux ans. Et le vol n'a fait que renforcer sa légende, sa popularité. Ajoutons que Mona Lisa est un cadeau que vous avez fait à François Ier, alors roi de France ».

 

Il serait temps d'admettre que l'art n'est pas un luxe. Une ville comme Paris dépérirait sans l'art, sans les musées. Chaque année quatorze millions de touristes viennent dans la capitale, essentiellement attirés par la légende artistique de Paris. C'est l'art en premier qui crée une identité nationale.

 

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La poésie est un art qui ne se sent pas, alors que l’art, une poésie qui ne se voit pas » (Léonard de Vinci)

 

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Ceci dit en passant. Si je vous écris, c'est parce que la vulgarisation de votre Mona Lisa me préoccupe. Pas un drap de lit, pas une assiette, pas un t-shirt, pas..., pas..., pas..., pas une publicité télévisuelle sans elle. Votre œuvre est devenue une marque mondiale, exploitée avec cynisme et mauvais goût. Même des collègues artistes comme Marcel Duchamp ou Andy Warhol utilisent Mona Lisa, pour je ne sais quelle raison. Ce culte de Mona Lisa, cette pseudo-culture qui mêle art et consommation nuit à votre œuvre, à l'art tout entier. On utilise la légende de votre œuvre à des fins mercantiles. Le dommage qu'elle subit témoigne d'une économie sans scrupule, sans éthique.

 

Mais il n'y a pas que votre Mona Lisa, tout ce qui possède un éclat, un sens, est déshonoré. Quand la religion sert à vendre des pâtes alimentaires et Picasso des Citroën, plus rien n'est épargné.

Les héritiers Picasso, eux-mêmes, dirigent à New York une multinationale de la marque Picasso qui ne rapporte pas un simple pourboire. Que Picasso ait été communiste et ait dessiné la colombe de la paix s'embarrasse personne de nos jours. Picasso qui a écrit : « Je ne peins pas pour décorer des murs, je peins contre les ennemis de l'humanité » .

 

 

 

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« Chez nous, les hommes devaient naître plus heureux qu’ailleurs, mais je crois que le bonheur vient aux hommes qui naissent là où il y a du bon vin. » (Léonard de Vinci)

 

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Est-ce que je vous parais trop moralisateur, trop prude, trop dépourvu d'humour ? Je pense que l'économie, le néolibéralisme ont besoin du manteau de la culture pour camoufler leur égoïsme, leur course à l'argent et au pouvoir. En ce sens le sponsoring de l'activité économique est pure publicité de prestige. L'art doit fournir ce que la Bourse ne possède pas : la culture.

Cette popularité mondiale de l'art n'épuise pas seulement l'éthique de votre œuvre. Max Bense, un philosophe allemand, professeur au nouveau Bauhaus d'Ulm m'a convaincu qu'une œuvre d'art, aussi bonne qu'elle soit, est condamnée au kitsch par la reproduction en série et par le temps. Il a raison, votre Mona Lisa est aujourd'hui nue, avilie, récupérée par le tourisme de masse — le safari culturel.

 

Vous m'avez écrit autrefois : « Nous en concluons que la peinture n'est pas qu'une science (c'est-à-dire un chemin vers la connaissance), elle est chose divine qui recrée l'œuvre vivante de Dieu ». Vous écriviez dans la même lettre : « L'art pictural atteint une telle perfection qu'il ne se consacre pas seulement aux apparences de la nature, il engendre les apparences comme nature ».

Votre vision de l'art me donne le courage de persévérer, de continuer à protester. Notre travail est aujourd'hui plus que jamais une exhortation. Nous devons dans l'ombre d'un monde qui se cherche rendre perceptible la croyance à un meilleur, à un possible. L'espoir est une énergie qui fait jaillir la lumière.

Autrefois une idéologie uniforme déterminait la forme et le contenu de l'art. L'art était au service du pouvoir, mais aussi des Lumières (Aufklàrung). Aujourd'hui je regrette l'absence de commande officielle. La diversité de l'art actuel est le reflet de notre liberté démocratique. Ce qui nous manque, ce qui manque à la plupart des artistes c'est de comprendre que l'art, comme il l'a toujours fait, doit viser une politique culturelle. Un art sans engagement social reste décoratif, un simple divertissement.

Ce qui caractérise votre œuvre, c'est sa participation à la vie publique. Votre art rend visible. Il nous ouvre les yeux sur le miracle du monde.

Je vous remercie de votre patience. Je vous remercie aussi, parce que votre œuvre, l'impact de vos tableaux ont fortifié ma conscience, ma volonté de créer des formes.

 

Léonard de Vinci (1452-1519)

 

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Léonard de Vinci (1452 à Vinci-1519 à Amboise)

La personnalité puissante et séduisante de Léonard de Vinci est apparue au moment où la renaissance était en pleine vigueur. Léonard de Vinci s’y trouvait parfaitement à l’aise.

Il a incarné pleinement les idées nouvelles de la période, par-dessus tout, la liberté nouvelle de l’artiste, émancipé des cadres professionnels anciens. Pour lui, cette soif de liberté devait permettre à l’artiste de s’émanciper de ces cadres et dominer, par la réflexion scientifique et philosophique, l’empirisme des métiers.

C’est ainsi que Léonard de Vinci devint l’interlocuteur des grands de l’époque à travers l’Europe.

Son génie infatigable et singulier « déborde les préoccupations objectives et sereines de la première renaissance ».

 

Sa biographie atteste une activité prodigieuse qui n’est pas toujours menée à terme, suscite des reproches et se retrouve de bonne heure colorée par la légende, son œuvre écrite connaît un sort étrange : ses recherches théoriques donnent des proportions inconnues à la doctrine d’ « l’art-science ».

Il touche à tous les arts en suggérant partout un idéal de rigueur et de complexité qu’illustre, en peinture un petit nombre d’œuvres souvent inachevées.

 

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« Plus on connaît, plus on aime » (Léonard de Vinci)

 

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Quelques éléments de sa vie :

 

Né en 1452 à Vinci (Italie), près de Florence, il est le fils naturel d’un notaire Piero da Vinci et d’une jeune paysanne. Il est élevé dans la maison paternelle à Vinci et choyé par sa jeune belle-mère (ce qui nuance les spéculations de Freud sur la pénible condition du bâtard, car Ser Piero se maria quatre fois mais n’eut un second enfant qu’en 1476).

Son père l’inscrit à 10 ans, à Florence, dans une « scuola d’abaco » et ensuite dans l’atelier de Verrocchio.

Il y apprend les mathématiques, l’architecture, la perspective mais aussi la peinture le dessin et la sculpture.

Il y côtoie Botticelli et Pérugin, entre autres.

En 1472, L. de Vinci devient membre de la corporation des peintres de Florence. Il reste cependant au service de Verrocchio jusqu’en 1482.

 

Léonard de Vinci débute sa propre carrière par des portraits, tableaux religieux…

Il réalise surtout des commandes passée par les monastères et notables de Florence.

Afin de se mettre à l’abri du besoin, il cherche un mécène. Apprenant que le duc de Milan, Ludovic Sforza (dit Ludovic le More) veut ériger la statue équestre de son père, Léonard part pour Milan (1482) où il se consacre à la création de cette statue pendant 16 ans. Mais faute de bronze elle ne sera pas réalisée.

Il peint cependant les portraits suivants :

Portrait de Cesilia Gallerani (maîtresse du duc de Milan), La Vierge aux Rochers, La Dame à L’Hermine.

Il est nommé « Maître des arts et ordonnateur des fêtes » et invente des machines de théâtre.

À la chute du duc de Milan, Léonard quitte la ville. Pendant 15 ans il voyage entre Florence, Rome, Milan.

Génie touche à tout, il se fit connaître, partout, par l’importance et la diversité de son œuvre: peinture, sculpture, littérature, dessin, portrait, travaux de mathématiques, décors de théâtre…

 

Vers 1490 Léonard de Vinci, dessine « L’Homme de Vitruve », célèbre dessin inspiré des écrits de l’architecte romain Vitruve qui a travaillé sur les proportions idéales du corps humain.

Il montre un homme placé dans un cercle avec pour centre le nombril ; œuvre symbolique de la Renaissance, de l’humanisme et de la science. (L’homme est au centre de tout).

 

Dessin-invention de Léonard de Vinci

**

Léonard de Vinci en France

 

À la fin de 1516, Léonard de Vinci est invité par le roi de France, François Ier (vainqueur de Marignan et arbitre de l’Italie).

Il a pris soin d’emporter avec lui ses tableaux et ses cahiers de notes qu'il laisse en totalité à son élève et compagnon fidèle, Francesco Melzy.

 

En 1517 il réside à Amboise, au Manoir de Cloux (actuel Château de Clos Lucé) et est nommé « premier peintre et architecte du roi ».

Il reprend des projets de canalisation pour Romorantin, et donne, en même temps des décors pour la fête de cour du printemps de 1518.

 

Léonard de Vinci meurt le 2 mai 1519, à Amboise.

**

 

« Comme une journée bien remplie nous donne un bon sommeil, de même une vie bien remplie nous mène à une mort paisible » (Léonard de Vinci)

 

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Statue de Léonard de Vinci à Florence (Italie)

 

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5 avril 2022 2 05 /04 /avril /2022 10:34

 

UN ÉCRIVAIN SOUCIEUX DE L’UNITÉ DE L’EUROPE
VICTOR HUGO

 

Victor Hugo (1802-1885)

 

¤ Lettre à l’armée russe

Cette lettre s’inscrit bien dans l’actualité ; presque deux siècles séparent l’invasion de la Pologne et de l’Ukraine ; et toujours une certaine sauvagerie de l’armée russe.

***

« Soldats russes, redevenez des hommes.
           
Cette gloire vous est offerte en ce moment, saisissez-la.
           
Pendant qu’il en est temps encore, écoutez :

Si vous continuez cette guerre sauvage ; si, vous, officiers, qui êtes de nobles cœurs, mais qu’un caprice peut dégrader et jeter en Sibérie ; si, vous, soldats, serfs hier, esclaves aujourd’hui, violemment arrachés à vos mères, à vos fiancées, à vos familles, sujets du knout, maltraités, mal nourris, condamnés pour de longues années et pour un temps indéfini au service militaire, plus dur en Russie que le bagne ailleurs ; si, vous qui êtes des victimes, vous prenez parti contre les victimes ; si, à l’heure sainte où la Pologne vénérable se dresse, à l’heure suprême ou le choix vous est donné entre Petersburg où est le tyran et Varsovie où est la liberté ; si, dans ce conflit décisif, vous méconnaissez votre devoir, votre devoir unique, la fraternité ; si vous faites cause commune contre les polonais avec le czar, leur bourreau et le vôtre ; si, opprimés, vous n’avez tiré de l’oppression d’autre leçon que de soutenir l’oppresseur ; si de votre malheur vous faites votre honte ; si, vous qui avez l’épée à la main, vous mettez au service du despotisme, monstre lourd et faible qui vous écrase tous, russes aussi bien que polonais, votre force aveugle et dupe ; si, au lieu de vous retourner et de faire face au boucher des nations, vous accablez lâchement, sous la supériorité des armes et du nombre, ces héroïques populations désespérées, réclamant le premier des droits, le droit à la patrie ; si, en plein dix-neuvième siècle, vous consommez l’assassinat de la Pologne, si vous faites cela, sachez-le, hommes de l’armée russe, vous tomberez, ce qui semble impossible, au-dessous même des bandes américaines du sud, et vous soulèverez l’exécration du monde civilisé ! Les crimes de la force sont et restent des crimes ; l’horreur publique est une pénalité.

Soldats russes, inspirez-vous des polonais, ne les combattez pas.

Ce que vous avez devant vous en Pologne, ce n’est pas l’ennemi, c’est l’exemple. »

VICTOR HUGO.

Hauteville-House, 11 février 1863.

 

(Article paru le 11 février 1863 dans le journal La Presse.)

 

 

 

« Il vient une heure où la protestation ne suffit pas, après la philosophie, il faut l’action. » (Victor Hugo)

 

 

¤ Bref rappel de la vie de Victor Hugo

Victor Hugo, écrivain français, est né à Besançon en 1802 et mort à Paris en 1885.
        Fils d’un général d’Empire, il montre très tôt un goût prononcé pour les lettres (la littérature).

À ses débuts, très tôt, avant l’âge de 20 ans, il semble tenté par la rigueur classique et fait preuve d’un « certain conservatisme en politique », sensible dans ses premières œuvres :

-les Odes (1822).

-les Ballades (1826).

Mais, le jeune écrivain va vite vers d’autres formes littéraires, avant d’évoluer vers le romantisme qui semble plus convenir à son tempérament.

Cette évolution littéraire s’accompagne d’un pendant prononcé  pour la politique.

 

 

À partir de la publication des « Orientales », il fait de la liberté un élément indispensable de la création artistique (toutes les formes de l’Art)

 

Dès lors Victor Hugo, s’impose comme le chef de file du romantisme, surtout avec la représentation de sa pièce « Hernani »

À partir de 1831 il multiplie les recueils de poésie :

-Les feuilles d’Automne

-Les chants du crépuscule

-Les Voies intérieures

-Les Rayons et les Ombres

 

La gloire littéraire d’Hugo le pousse à se lancer dans la publication de romans historiques

-Notre-Dame de Paris

-Les Misérables

-Quatre-vingt-treize

-Les Travailleurs de la mer

 

À ces activités littéraires, il ajoute un autre penchant, la politique.

Louis-Philippe le nomme Pair de France (1845) en tant que Vicomte Hugo.

1848, il est élu député.

Mais opposé au coup d’État de 1851, il s’exile d’abord à Jersey puis Guernesey (où il écrit « Lettre à l’armée russe » en 1863.

Durant son exil (19 ans) il rédige une bonne partie de son immense œuvre (entre 1851 et 1870, date de la chute de Napoléon II.

Cette œuvre monumentale et diversifiée à souhait, fait sans doute de lui, l’écrivain français le plus lu de son temps, comme par la postérité.

Inspiré et prolixe jusqu’à la fin de sa vie, Hugo a fait montre d’un génie, d’un talent et d’une activité exceptionnels.

 

 

« Une guerre entre Européens est toujours une guerre civile. » (Victor Hugo)

 

Dans le ton de la « Lettre à l’armée russe », le poème « Amis, un dernier mot » que Victor Hugo publia en 1831.


Amis, un dernier mot ! —

 

[…]

 

Je hais l'oppression d'une haine profonde.
Aussi, lorsque j'entends, dans quelque coin du monde,
Sous un ciel inclément, sous un roi meurtrier,
Un peuple qu'on égorge appeler et crier ;
Quand, par les rois chrétiens aux bourreaux turcs livrée,
La Grèce, notre mère, agonise éventrée ;
Quand l'Irlande saignante expire sur sa croix ;
Quand Teutonie aux fers se débat sous dix rois ;
Quand Lisbonne, jadis belle et toujours en fête,
Pend au gibet, les pieds de Miguel sur sa tête ;
Lorsqu'Albani gouverne au pays de Caton ;
Que Naples mange et dort ; lorsqu'avec son bâton,
Sceptre honteux et lourd que la peur divinise,
L'Autriche casse l'aile au lion de Venise ;
Quand Modène étranglé râle sous l'archiduc ;
Quand Dresde lutte et pleure au lit d'un roi caduc ;
Quand Madrid se rendort d'un sommeil léthargique ;
Quand Vienne tient Milan ; quand le lion Belgique,
Courbé comme le bœuf qui creuse un vil sillon,
N'a plus même de dents pour mordre son bâillon ;

Quand un Cosaque affreux, que la rage transporte,
Viole Varsovie échevelée et morte,
Et, souillant son linceul, chaste et sacré lambeau,
Se vautre sur la vierge étendue au tombeau ;
Alors, oh ! je maudis, dans leur cour, dans leur antre,
Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu'au ventre
Je sens que le poète est leur juge ! je sens
Que la muse indignée, avec ses poings puissants,
Peut, comme au pilori, les lier sur leur trône
Et leur faire un carcan de leur lâche couronne,
Et renvoyer ces rois, qu'on aurait pu bénir,
Marqués au front d'un vers que lira l'avenir !
Oh ! la muse se doit aux peuples sans défense.

J'oublie alors l'amour, la famille, l'enfance,
Et les molles chansons, et le loisir serein,
Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain !

 

 

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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 08:50

 

REGARD SUR LA GUERRE

 

Jean de la Bruyère (1645-1696)

 

**

Jean de La Bruyère, homme de son temps

 

**

 

« La critique souvent n’est pas une science ; c’est un métier où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie. » (La Bruyère)

 

*

Jean de la Bruyère,  homme de lettres et moraliste français, né en 1645 à Paris et mort à Versailles en 1696, fils d’un Contrôleur Général de Paris, s’exerça à plusieurs métiers avant de devenir un des grands noms de la littérature française.

Après de brillantes études il obtient la licence de Droit et devient avocat au Parlement de Paris, mais plaide peu.

Il achète ensuite un office de Trésorier des Finances de la Généralité de Caen. Sa charge l’occupant peu, il passe le plus clair de son temps à lire, surtout à observer le monde de l’époque, principalement celui de sa classe et celui de la classe au-dessus. Il observe, écoute, regarde.

 

Un de ses biographes dira de lui :

« Il peut méditer, lire, observer à loisir. Il mène en somme, jusqu’en 1684, la vie d’un sage, très modéré dans ses ambitions, très jaloux de son indépendance. Chez ce bourgeois de Paris, de la même race qu’un Boileau, qu’un Voltaire, sommeillent encore des dons de perspicacité réaliste et d’ironie caustique, qu’un brusque changement dans sa destinée va lui permettre de révéler. »

 

Ce changement intervient effectivement. Le 15 août 1688, La Bruyère, sur la recommandation de Bossuet, est nommé professeur d’histoire, précepteur du Duc de Bourbon, petit fils du Grand Condé, au château de Chantilly.

Ainsi, un large champ d’observation s’ouvre « à son regard aigu : il voit, de près et dans l’intimité, les grands seigneurs auxquels se mêlent parfois des parvenus, plus orgueilleux encore que les princes de sang ».

 

Dans « Les Caractères » La Bruyère poursuit un double objet :

—Peindre ses contemporains d’après nature et les amener ainsi à prendre conscience de leurs défauts et les corriger.

—Mais, comme La Fontaine, Molière, La Rochefoucauld, il vise aussi à discerner chez les Français du 17e siècle, des traits éternels de la nature humaine.

*

Le texte de La Bruyère ci-dessous contre la guerre, nous présente ce double objet.

*

« La plupart des hommes emploient la meilleure partie de leur vie à rendre l’autre misérable. » (La Bruyère)

 

*

La Bruyère a horreur de la guerre. Avec une ironie indignée il en dénonce le caractère atroce et surtout l’absurdité, montrant qu’elle ravale l’homme au-dessous des bêtes.

 

« La guerre a pour elle l’antiquité ; elle a été dans tous les siècles : on l’a toujours vue remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire périr les frères à une même bataille…

De tout temps, les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres ; et, pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire ; ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation ; et ils ont depuis enchérie de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De l’injustice des premiers hommes comme de son unique source est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s’abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté.

*

« L’homme, (est) toujours plus avide du pouvoir à mesure qu’il en a davantage, et qui ne désire tout que parce qu’il possède beaucoup. » (La Bruyère)

 

*

Petits hommes hauts de six pieds, tout au plus de sept, qui vous enfermez aux foires comme géants, et comme des pièces rares dont il faut acheter la vue, dès que vous allez jusques à huit pieds ; qui vous donnez sans pudeur de la hautesse et de l’éminence, qui est tout ce que l’on pourrait accorder à ces montagnes voisines du ciel et qui voient les nuages se former au-dessous d’elles ; espèce d’animaux glorieux et superbes, qui méprisez toute autre espèce, qui ne faites pas même comparaison avec l’éléphant et la baleine, approchez, hommes, répondez un peu à Démocrite. Ne dites-vous pas en commun proverbe : des loups ravissants, des lions furieux, malicieux comme un singe ? Et vous autres, qui êtes-vous ? J’entends corner sans cesse à mes oreilles : l’homme est un animal raisonnable. Qui vous a passé cette définition ? Sont-ce les loups, les singes et les lions, ou si vous vous l’êtes accordée à vous-mêmes ? C’est déjà une chose plaisante que vous donniez aux animaux, vos confrères, ce qu’il y a de pire, pour prendre pour vous ce qu’il y a de meilleur. Laissez-les un peu se définir eux-mêmes, et vous verrez comme ils s’oublieront et comme vous serez traités. Je ne parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos folies et de vos caprices, qui vous mettent au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement leur petit train, et qui suivent sans varier l’instinct de leur nature ;  mais écoutez-moi un moment. Vous  dites d’un tiercelet de faucon qui est fort léger, et qui fait une belle descente sur la perdrix : "Voilà un bon oiseau" ; et d’un lévrier qui prend un lièvre corps à corps : "C’est un bon lévrier ". Je consens aussi que vous disiez d’un homme qui court le sanglier, qui le met aux abois, qui l’atteint et qui le perce : "Voilà un brave homme". Mais si vous voyez deux chiens qui s’aboient, qui s’affrontent, qui se mordent et se déchirent, vous dites : "Voilà de sots animaux" ; et vous prenez un bâton pour les séparer. Que si l’on vous disait que tous les chats d’un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu’après avoir miaulé tout leur soûl, ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe ; que de cette mêlée il est demeuré de part et d’autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l’air à dix lieues de là par leur puanteur, ne diriez-vous pas "Voilà le plus abominable sabbat dont on ai jamais ouï parler" ? Et si les loups en faisaient de même : "Quels hurlements ! quelle boucherie !" Et si les uns ou les autres vous disaient qu’ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours qu’ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et à anéantir leur propre espèce ? ou, après l’avoir conclu, ne ririez-vous pas de tout votre cœur  de l’ingénuité de ces pauvres bêtes ? » (Extraits de La Bruyère, Les Caractères.)

*

« Le trop d’attention qu’on met à observer les défauts d’autrui fait qu’on meurt sans avoir eu le temps de connaître les siens. » (La Bruyère)

 

 

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4 mars 2022 5 04 /03 /mars /2022 09:44

 

GUSTAVE GAUTHEROT, UN ANTIBOLCHÉVIQUE RÉSOLU (2)

 

 

Les Bolchéviks dans les possessions françaises d’Afrique, par Gustave Gautherot

 

 

Gustave Gautherot était persuadé que les bolchéviks s’adonnaient à une œuvre mondiale de subversion minutieusement programmée qui commence par les possessions françaises d’Afrique (Nord et Sud du continent), comme on peut le constater dans l’extrait ci-dessous.

 

 

Le texte est un extrait de « Le Bolchévisme aux colonies » :

 

« Le Bolchévisme en Afrique

 

Le 4 mars 1928, en installant la commission interministérielle chargée d'étudier les projets relatifs à l’extension des droits politiques des indigènes de l’Algérie et des colonies, le Ministre de l’Intérieur, M André Tardieu, après avoir observé que « tout se tenait dans l’unité française », a donné ce solennel avertissement :

« Sur tous les points de ce vaste empire, mais plus particulièrement en Afrique, nous avons d’autre part à compter avec deux forces, dont l’une est ancienne et l’autre récente ; dont l’une a prouvé qu’elle comporte avec notre génie de mutuelles et fécondes adaptations, dont l’autre démontre chaque jour qu’elle est inassimilable ; dont la première fut et demeure créatrice de civilisation et dont la seconde ne serait que dissociante et destructive. La première est l’Islam, la seconde est le bolchévisme. Vous compterez avec toutes les deux. »

Entre l’Islam et la civilisation européenne, entre leur spiritualisme, leur morale, leurs principes sociaux élémentaires, il existe en effet des points de contact et des possibilités de collaboration. La muraille qui les séparait ressemble à ces antiques remparts qui courent aujourd’hui à travers les cités sans entraver la commune activité. Bien avant les gouvernements franco-tunisiens et franco-marocains, l’amitié franco-musulmane a prouvé qu’au fond rien n’empêchait d’anciens ennemis de se tendre une main loyale et de travailler ensemble, dans le mutuel respect de leurs croyances héréditaires, aux œuvres de paix. Nous ne sommes d’ailleurs qu’aux premières décades de cette heureuse collaboration, et il y a lieu d’espérer qu’elle multipliera ses fruits. En tout cas, le fanatisme musulman a les meilleures chances de s’assouplir à notre contact ; les vertus des races qui, dans le passé, furent si fécondes, et qu’une sorte de maladie du sommeil immobiliserait ne seront pas étouffées, mais revigorées par notre génie en plein essor ; et se sera tout profit pour l’humanité.

Nous en dirions de même des autres religions africaines, de ces religions « animistes » qui n’excluent pas une remarquable sociabilité. La sauvagerie du continent noir est d’ordinaire le résultat de déchéances qu’il nous appartient de guérir. Entre Français et indigènes, la confiance, la compréhension, l’amitié, s’établissent aisément. Jusqu’au cœur de l’Afrique, nos missionnaires multiplient de significatives conquêtes. L’avenir est plein de fraternelles espérances.

**

Mais voilà que se dresse, sur ce continent renaissant, le « spectre rouge » du bolchévisme : il y inspire, non pas la fraternité, mais la haine ; il y prépare non pas le progrès dans la paix, mais la régression dans la guerre destructrice. Entre l’Islam et la France, il cherche, non pas à aplanir les barrières mais à les relever. Le bolchévisme qui est, en dernière analyse, l’ennemi mortel de toutes les libertés comme de tous les sentiments religieux, prêche l’indépendance nationale, bien plus l’indépendance raciale, la révolte continentale, et prétend constituer contre nous, contre l’Europe, le bloc africain : Afrique noire contre Afrique blanche.

Ce n’est encore qu’un rêve assez lointain. L’U.R.S.S. ne pénètre pas l’Afrique de toutes parts comme elle pénètre l’Asie. Ni par leur densité, ni par leur degré de culture, les deux continents ne sont comparables. Les insurrections chinoises, hindoues ou druses n’ont pas eu encore — (sauf avec Abd-el-Krim) — leurs pendants en Afrique. Mais le plan d’action est nettement tracé ; leurs courants d’idées sont établis ; les conséquences s’en développent régulièrement, favorisées par des rivalités internationales et par des disputes françaises qu’il importe d’abord de caractériser. »

 

Papillon communiste collé sur les murs d'Alger en 1930

 

****

« Rivalités internationales et Problèmes français

 

Le partage de l’Afrique s’est naturellement effectué, au XIXe siècle, entre les puissances qui contribuèrent le plus à découvrir le continent, qui y possédaient déjà des territoires, qui se trouvaient orientées vers lui et en mesure d’y soutenir leurs droits. L’Allemagne sut, après coup, s’y tailler un véritable empire, que lui fit perdre sa défaite de 1918. L’Italie, trop tard venue, et d’ailleurs arrêtée jadis par des opérations malheureuses, se trouve à l’étroit en Tripolitaine. Les Etats non-coloniaux et l’Union Nord-Américaine elle-même estiment aujourd’hui que les débouchés africains ne sauraient rester le monopole de quelques nations. D’où les compétitions dont joue Moscou.

 

LA COLLUSION GERMANO-SOVIÉTIQUE

 

Par les traités de Brest-Litovsk, de Rapallo et de Berlin, le Reich a conclu avec les Soviets — « avec le diable » — des pactes qui, au point de vue économique, ont abouti à de fatales désillusions, et qui, au point de vue politique, ont singulièrement favorisé la bolchévisation de l’Allemagne. Des patriotes aussi éclairés que le général Max Hoffmann [ancien chef d’État-major des armées allemandes en Russie], dès 1919, et le capitaine Ehrhardt [chef nationaliste très actif], à la fin de 1929, ont d’ailleurs condamné une aussi funeste politique.

Si les Alliés victorieux lui avaient laissé ses colonies, le Gouvernement allemand n’en aurait-il  pas profité pour jouer en Afrique aussi la carte de Moscou ? Ou bien la solidarité coloniale ne l’aurait-elle pas rapproché de l’Occident ? Quoi qu’il en soit, dans l’état actuel des choses, la collusion germano-soviétique apparaît de la façon la plus nette sur le terrain colonial.

*

Pangermanistes et internationalistes moscoutaires s’accordent tout au moins pour combattre le traité de Versailles. En ce qui concerne les colonies, au mois d’avril 1929, le Dr H. Schacht, président de la Reichsbank et chef de la délégation allemande à la commission des Réparations, a manœuvré à Paris pour obtenir la restitution du Togo, du Cameroun, du Sud-Ouest et de l’Est-Africain allemands, restitution liée, déclarait-il, à la prospérité économique, et par conséquent à la capacité de paiement du Reich. Il était soutenu en cela par toute la presse d’Outre-Rhin, et par les objurgations de la « Ligue d’Empire des Allemands à l’étranger, des Colonies et des pays frontières dépouillés de leurs biens ». Logiquement, cette attitude est inconciliable avec le bolchévisme — qui réclame l’abolition de toute domination coloniale ; —  mais, outre que la politique germanique s’embarrasse assez peu de pure logique, les colonialistes allemands, repoussés par les Puissances mandataires, les attaquent alors avec des arguments semblables à ceux de Moscou.

*

Pour établir la nécessité du retour en Afrique des colons, des ingénieurs, des médecins, des missionnaires allemands, ils taxent en effet d’insuffisance, voir d’indignité, ceux qui les ont remplacés. Ils proclament la faillite de la colonisation française, anglaise ou belge. Ils prennent la défense des malheureux indigènes. Ils rejoignent alors les purs bolchévistes de la Ligue contre l’Impérialisme et contre l’Oppression Coloniale.

Nous avons suffisamment décrit les origines et l’action germano-soviétique de cette ligue pour qu’il soit utile d’y revenir. Nous n’accusons pas l’ensemble de la nation allemande d’un aussi détestable concours ; mais il est démontré que les mortels ennemis de la civilisation européenne et de son rayonnement à travers le monde ont pu établir leur second quartier général dans un pays dont la culture et la puissance d’expansion devraient, en vérité, servir à d’autres fins.

Pour l’Allemagne elle-même, l’alliance avec les Soviets est une arme à deux tranchants, qui déjà entaille profondément sa propre substance, l’empoisonne et la menace d’une irrémédiable déchéance.

L’AMBITION ITALIENNE

 

Romme et Moscou ne sont-ils pas aux antipodes ? Le « Duce », qui a soustrait la péninsule aux griffes du bolchévisme, réconcilié de Quirinal et le Vatican, et insufflé une âme nouvelle au peuple italien, pourrait-il conspirer en quoi que ce soit avec l’ennemi juré du fascisme ? Ce serait assurément paradoxal. Mais il arrive que les extrêmes se touchent, surtout quand la politique méprise les lois d’un sage équilibre.

Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient aux extravagances des thuriféraires qui saluent en M. Mussolini l’ « Empereur des Latins » et vont jusqu’à opposer son triomphant césarisme au « despotisme tremblant d’une France en dissolution », jusqu’à imaginer un « Occident Romain » en révolte contre l’ « Occident usurpateur » dans lequel « la suprématie de Paris n’est qu’une apparence », nous devons constater que les ambitions fascistes sont assez conquérantes pour réclamer, en Europe, la Corse, l’ancien comté de Nice et la Savoie ; en Afrique, les territoires du Borkou et du Tibesti, qui séparent la Tripolitaine du lac Tchad, et même, bien au-delà, le Cameroun, ce qui constituerait, de la Méditerranée au Golfe de Guinée, une Afrique italienne coupant en deux l’Afrique française ! Il s’y ajouterait sans doute la Tunisie, qu’une colonisation non pas seulement économique, mais d’allure politique et agressive, vise à italianiser. On voit tout ce qu’une telle attitude a d’incompatible avec l’amitié franco-italienne et avec l’équilibre européen, tout ce qu’elle présente, par conséquent, d’avantageux pour l’ennemi commun.

*

Une si aveugle activité entraîne de tristes conséquences. Puisqu’on songe à dépouiller la France, ne convient-il pas d’en affaiblir, d’en flétrir la domination coloniale ? Le 31 janvier 1929, le Giornale d’Italia publiait  une correspondance de Paris dont les titres monumentaux sont assez significatifs :

« Premières lueurs sur les mystères de la tragédie africaine : trois millions de noirs en fuite de la colonie française :

17 000 victimes pour 140 kilomètres de chemin de fer.
          
La féroce persécution des travailleurs africains.
          
Cruauté incroyable et massacres en masse. »

 

Que s’était-il passé ? Dans la Haute-Sangha congolaise, où nous n’avons qu’un cadre très restreint de fonctionnaires, le sorcier Karinou avait suscité une certaine effervescence. Le sorcier était mort depuis, et le trouble s’était apaisé. Il s’agissait donc d’incidents sans importance, mais aussitôt grossis par la haine de l’Humanité, qui annonça :

« En A.E.F., les nègres se dressent contre la colonisation sanglante.

La révolte des noirs de la Grande-Forêt.

Le ministre Maginot, actuellement à Dakar, hâte l’organisation des colonnes de répression. »

 

 

Ce vulgaire bourrage de crâne avait été utilisé par le Giornale d’Italia ! Et d’autres journaux italiens imitent, quand il s’agit d’attaquer la colonisation française, la presse de Moscou : par exemple Il Tevere (de Rome), dont une caricature montre un officier français cravachant un pauvre nègre nu et décharné : « Bandit ! crie le Français, cela ne te suffit donc pas d’avoir l’honneur d’être citoyen du grand empire français ! » Sous le titre « Degrés de civilisation », l’A.E.Z. (de Rome) publie « quelques renseignements démographiques recueillis au Congo français d’où il résulte que la mortalité des noirs y est épouvantable », renseignements synthétisés dans ce dialogue illustré entre un obèse colon et un nègre affublé à l’européenne : « Nous nous révoltons parce que nous sommes les plus civilisés des Français. — Comment ? — Certainement ! Nous sommes déjà  arrivés à cent morts pour cinquante naissances ! » Un dessin d’Il Impero (de Rome) représente un officier français donnant des chaussures et un fusil à un indigène : « Tu es idiot, dit le noir, si tu espères que je veux me mettre des souliers pour me faire massacrer sur le Rhin ! ». Sous le titre « Au chic parisien », Il Travaso delle Idee (qu’imprime la Tribuna Romana) offre le 7 juillet 1929 a ses lecteurs ce dialogue entre une acheteuse et un vendeur : «  C’est exagéré ! Un simple petit sac en peau, mille francs ! — Mais, c’est de la peau de maroquin (marocain), et celle-ci coûte très cher aujourd’hui, surtout à nous autres Français. »

Est-ce l’ambassadeur des Soviets à Rome qui fournit les clichés, ou les idées ? En tout cas, il doit en être satisfait, non seulement à l’égard de la France, mais encore à l’égard de l’Italie et de toutes les Puissances colonisatrices.

*

C’est toujours, en effet, l’arme à deux tranchants qui frappe à coup sûr. Si les fascistes dont nous venons de caractériser la manière n’en comprennent pas le danger, leur gouvernement ne saurait fermer les yeux à l’évidence. L’Italie, elle aussi, emploie des troupes noires : « A Bou-Aily, — relatait, lors des opérations militaires de Cyrénaïque, l’Union du 30 janvier 1929, — l’un de nos officiers tombait valeureusement pendant le combat avec dix hommes de couleur. Nous avons eu en outre vingt blessés, tous de couleur ». Lors du mariage du Prince de Piémont avec la Princesse de Belgique, — avec la fille du souverain du Congo, — le défilé des troupes de couleur a d’ailleurs déchaîné l’enthousiasme romain. Comment l’Italie s’assurera-t-elle de leur fidélité, quel rôle pourra-t-elle jouer en Afrique, si elle y détruit elle-même le prestige des blancs, et si elle méconnaît la solidarité coloniale qui — face au bolchévisme — unit nécessairement les puissances européennes ?

Cette solidarité est d’ailleurs battue en brèche par d’autres nations de race blanche.» 
[…]          
                
(Gustave Gautherot, Le Bolchévisme aux colonies, et l’impérialisme rouge)

 

****

Ainsi le professeur Gautherot aura, toute sa vie, lutté avec constance, par la plume, contre ce qu’il nommait l’ « infection des colonies » françaises par ce qu’il considérait comme le mal absolu, le bolchévisme soviétique.

Il croyait ce « virus » capable, en s’infiltrant dans les colonies, d’infester l’esprit des indigènes, les amenant ainsi à toutes sortes de rebellions contre la métropole.

 

 

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14 février 2022 1 14 /02 /février /2022 13:40

 

GUSTAVE GAUTHEROT, UN ANTIBOLCHÉVIQUE RÉSOLU

Un rempart contre l’expansion du bolchévisme en Europe ?

 

Gustave Gautherot (1880-1948)

 

> Seul dans la tempête Rouge ?

Fort d’une impressionnante documentation glanée dans la presse mondiale, Gustave Gautherot (1880-1948), professeur d’histoire, docteur ès lettres, fut un combattant acharné du communisme et de l’Internationale contre lesquels il lutta tel un Don Quichotte français se battant contre les moulins à vent dans un désert aride.

Toute sa vie, il lutta avec le même zèle contre l’expansion du communisme bolchévique en France, en Europe, mais aussi en Amérique, en Afrique, en Asie où il étudia avec minutie les conquêtes et les avancées du communisme dans toutes ces régions du globe.

Il étudia avec soin les méthodes d'organisation du bolchévisme pour infiltrer les associations, les syndicats de même que leurs responsables.

Selon lui, les Bolchéviques possédaient l’art le plus raffiné pour infiltrer les responsables syndicaux notamment dans les colonies européennes d’Afrique, d’Asie…

 

Document extrait du livre
Le bolchévisme aux colonies et l’impérialisme rouge,
Gustave Gautherot

 

> Un véritable érudit, scientifique et politique

Gustave Gautherot laisse une œuvre importante par sa diversité, avec sans doute une préférence pour la politique et la société.

Parmi cette œuvre foisonnante :

  • Les relations franco-helvétiques de 1789 à 1792.
  • La Révolution française dans l’ancien évêché de Bâle.
  • L’Assemblée constituante : le philosophisme révolutionnaire en action.
  • La Démocratie révolutionnaire. De la Constituante à la Convention.
  • L’agonie de Marie-Antoinette.
  • Le Monde communiste

 

Enfin un dernier ouvrage mais non  le moins lu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

  • Derrière le rideau de fer, la vague rouge déferle sur l’Europe (1946)

 

 

Élu sénateur de la Loire Inférieure en 1932, puis 1933, l’infatigable baroudeur anti-communiste a rendu l’âme le 24 avril 1948 à Paris, couvert de distinctions et de titres honorifiques :

  • Croix de guerre
  • Chevalier de la Légion d’Honneur

Et de multiples prix littéraires.

 

 

Ce texte est extrait de « le Bolchévisme aux colonies et l’impérialisme rouge » de Gustave Gautherot, publié en 1930.

L’intérêt de ce texte réside — selon certains spécialistes — dans le fait qu’il apparaît non comme une attaque frontale du système soviétique mais comme un moyen de dénoncer les méthodes utilisées par ce régime, consistant à affaiblir les puissances européennes en les attaquant dans leurs possessions coloniales : en Afrique, en Amérique, en Asie…

 

« Le gouvernement Soviétique, étroitement lié à la Troisième Internationale, a déclaré au monde une guerre sans merci. Il s’agit d’abattre la civilisation moderne, d’en éteindre le rayonnement et de lui opposer un impérialisme que le programme officiel de l’Internationale Communiste annonce en ces termes :

"En se groupant politiquement autour des centres de la dictature prolétarienne, les Soviets paysans des anciennes colonies arriérées et les Soviets ouvriers et paysans des anciennes colonies d’un type plus développé seront intégrés dans le système général de la Fédération toujours croissante des Républiques Soviétiques, et par là-même dans le système mondial de la dictature prolétarienne..."

Contre l’Occident, contre tous ses principes intellectuels, moraux juridiques, politiques, se retourneraient ainsi les masses asiatiques et africaines. Le but final de l’assaut n’est pas de libérer les peuples de couleur, de sauvegarder leurs propres traditions, mais de les plier à la Dictature de Moscou et de les absorber dans l’Union Soviétique qui — doctrinalement — n’a pas de frontières.

**

Nous savons quels sophismes et quelles réalités cache l’expression "dictature prolétarienne" : depuis 1917, l’histoire de l’infortuné peuple russe nous a suffisamment édifiés sur le léninisme et ses applications.

Mais le bolchévisme n’en poursuit pas moins sa course. On nous parle du "crépuscule" de la race blanche ; et la nécessité de défendre l’Occident contre les ténèbres venues d’Orient préoccupent d’autre part les esprits les mieux avertis, si dissemblables que soient leurs tendances. Bornons-nous ici à quatre témoignages particulièrement autorisés.

"Au moment même où nous essayons de nous rapprocher des âmes indigènes, écrit M. Georges Hardy, directeur de notre École Coloniale[1], d’autres influences tendent à les éloigner de nous. Un peu partout, de grands mouvements qui agitent le monde menacent de faire vibrer les populations coloniales : ici, c’est le Communisme ; ailleurs, la propagande pan-nègre, transmise par les Noirs d’Amérique ; ailleurs encore, le panislamisme, les menées révolutionnaires venues de l’Inde… Ces mouvements se trouent fréquemment déformés par les caractères et les traditions du milieu, où ils pénètrent ; telle agitation communiste, par exemple, n’a de communiste que le nom ; mais ils rejoignent généralement une formation ethnique, ils donnent aux groupements indigènes une conscience nouvelle de l’autorité européenne et compromettent un rapprochement qui s’annonçait déjà  difficile."

Le directeur du Bureau International du Travail dénonce plus positivement la force de la propagande communiste : "Partout, a déclaré M. Albert Thomas à son retour d’Extrême-Orient, non seulement l’isolement, mais aussi, il faut bien le dire, quelque opposition des races. Et, par là-dessus, un facteur qu’il ne faut pas négliger, qu’on retrouve partout, ici comme ailleurs, le Communisme… Au Japon, j’ai été accueilli par des cris et des sifflets à la gare de Tokyo : les communistes avaient menacé de ne pas me laisser débarquer. Dans les Universités, dans des auditoires de 3 000 à 3 500 étudiants japonais, il y avait toujours dans le fond quelque cent à deux cents Communistes qui intervenaient violemment, me posaient des questions ou m’insultaient…"[2]

Deux années auparavant, — le 22 avril 1927 — M. Albert Sarraut avait prononcé à Constantine le fameux discours dont il convient de rappeler quelques passages car l’ancien ministre de l’Intérieur et des Colonies, l’ancien Gouverneur général de l’Indochine, l’auteur du projet de loi sur "la mise en valeur des Colonies françaises"[3] y oppose de la façon la plus frappante les principes de la colonisation française aux doctrines communistes :

"L’insurrection coloniale, la perte ou l’abandon par la France de ses colonies est l’un des articles essentiels du programme de déchéance française dont l’exécution méthodique est impérieusement tracée par une influence étrangère aux affiliés français servilement courbés sous sa loi. Une logique rigoureuse ordonne à cet égard les desseins de la IIIe Internationale de Moscou. La France représente dans le monde la force morale la plus capable sans doute de résister victorieusement à l’entreprise universelle de désagrégation nationale et sociale d’où les dirigeants du Communisme moscovite espèrent faire surgir le nouvel impérialisme.

"La colonisation a toujours été pour la France une création d’humanité, et si le colonisateur est en droit de retirer de son œuvre de légitimes avantages, la doctrine française considère qu’elle n’est pas simplement un enrichissement national, mais en enrichissement universel…

"Avec son domaine d’outre-mer, la France est une nation de cent millions d’habitants, riche d’incomparables richesses. Sa force militaire, c’est-à-dire sa sécurité et son avenir économique, dépendent largement, dépendront plus largement encore demain de ce potentiel colonial. Voilà donc ce qu’il faut annihiler

"Pour le Gouvernement et le Parlement, comme pour les masses laborieuses, la devise, le mot d’ordre doit rester le même : le Communisme, voilà l’ennemi."

Plus récemment, c’est l’organe d’observateurs très compétents, — car ils sont en contact étroit avec l’âme indigène — c’est la Revue Missionnaire (de mars 1930) dont l’éditorial caractérisait ainsi "la marée montante du bolchévisme"

"Les troubles révolutionnaire d’Indochine et de Durban (Sud-Africain), les révélations du procès de Meerut (Indes anglaises) et des quelque huit cents communistes arrêtés au Japon, la recrudescence de l’opposition communiste dans les provinces du Sud en Chine, nous montrent dans le monde entier le progrès irrésistible du bolchévisme en pays de Missions. Alors que la vie chrétienne ne s’y épanouit que lentement, à la manière d’une plante qui croît et se développe, le bolchévisme se propage à la manière d’un feu destructeur : sa flamme tantôt monte toute droite, se faisant plus vigoureuse, tantôt se couche et rampe sous une rafale, se communiquant à tout ce qui l’entoure."

Si forts, cependant, que soient de tels cris d’alarme, et si vives les flammes qui jaillissent aujourd’hui à travers les continents, l’alerte est encore inopérante. La Revue Missionnaire elle-même croit pouvoir affirmer que "Moscou n’est pas la tête du bolchévisme"[4]. L’éminent directeur de l’École Coloniale craint d’exagérer le rôle du bolchévisme (dont il n’étudie d’ailleurs pas l’organisation). Le Bureau International du Travail, et la Société des Nations gardent à son endroit une déconcertante passivité. Les gouvernements attaqués, du dehors et du dedans, ne prennent contre l’ennemi commun que  des mesures sans portée, contradictoires et isolées, quand ils n’en favorisent pas les entreprises par de fatales complaisances.

 

**

Au cours de ce livre, qui met nécessairement en jeu toute la politique internationale, nous verrons en effet la vigoureuse logique des principes et l’unité de front existant du seul côté de l’agresseur.

Il est évident que la destruction des empires coloniaux entraînerait la ruine des métropoles, la ruine aussi des autres pays, en raison de la solidarité économique internationale. Entre la France et la Grande-Bretagne par exemple ou entre l’Europe et l’Amérique, aucune concurrence d’intérêts ne saurait au fond l’emporter sur les liens vitaux qui unissent les producteurs, les commerçants et les consommateurs, sans parler des liens immatériels qui rapprochent les âmes. L’Impérialisme Rouge cherchant à briser ces liens et à déchaîner ces catastrophes, il est non moins évident qu’il faut lui barrer la route.

Or, maints gouvernements tolèrent et en quelque sorte légalisent la servile et criminelle propagande de ses agents ; reconnaissent "de jure" et admettent les ambassadeurs d’une puissance qui, par définition, combat implacablement tous leurs droits et le Droit lui-même. Si l’on traite ainsi d’égaux à égaux avec les bourreaux d’une grande nation et avec les perturbateurs du monde ; si les journaux communiste ont licence d’inciter quotidiennement, publiquement les peuples coloniaux à la révolte ; si un députés communiste peut impunément faire l’apologie de l’insurrection et de la trahison à la tribune du Parlement, quelle autorité peuvent ensuite conserver les arrêts de justices, et comment les condamnés ne seraient-ils pas transformés en victimes de l’arbitraire, en martyrs, bientôt en triomphateurs, — alors qu’en Russie Soviétique la résistance à l’oppression, même sur le terrain économique, est un crime capital, irrémissible ?

Le plus vaste des empires coloniaux va plus loin encore ; au moment même où le bolchévisme bouleverse ses possessions asiatiques et africaines, il étend le privilège de l’immunité diplomatique aux délégations commerciales dont l’ingérence dissolvantes est inévitable.

Les relations diplomatiques ne sont d’ailleurs pas nécessaires aux commerçants, aux industriels, aux ingénieurs, aux capitalistes pour conclure avec les Soviets des marchés qui sont doublement des marchés de dupes ; car d’une part les ressources fournies au Gouvernement Soviétique servent à alimenter sa propagande extérieure ; d’autre part, si la réintégration de l’immense Russie dans l’économie mondiale s’impose certes le plus en plus, il est clair qu’elle ne pourra s’opérer efficacement qu’après la chute de ses destructeurs.

Que dire des "pactes avec le diable" et des hideuses collusions dont usent encore certains politiciens assoiffés de revanche ou brûlés d’ambition ? Ignorent-ils donc que l’Impérialisme Rouge compte précisément sur les luttes fratricides des nations civilisées pour réaliser ses desseins ?

**

Le plan bolchéviste commence pourtant à s’inscrire sur le globe en traits de feu.

Les principes directeurs et le mécanisme de la révolution mondiale sont exposés dans les statuts de l’Internationale Communisme, les comptes-tendus de ses congrès, les bulletins de ses groupements internationaux. Il en ressort que jamais méthode plus rigoureuse, voire plus "scientifique, n’a été mise au service d’une plus puissante machine de guerre sociale.

En Europe, même parmi les esprits cultivés, cette monstrueuse théorie a multiplié les victimes. Ce goût du suicide, cette éclipse du bon sens, ce refroidissement du foyer civilisateur paraissent au premier abord assez alarmants. Mais les races qui, de 1914 à 1928, ont prodigué tant d’héroïsme ne sont pas des races épuisées ; et leurs prodigieuses expansions d’outre-mer prouvent qu’elles ne sont pas en décadence. Le bolchévisme a, somme toute, échoué sur ce continent, ou du moins ce continent reste capable de le juguler.

En Asie, il en va autrement. Appliqué à d’antiques civilisations qui n’ont pas rajeuni leur sève, le bolchévisme — combiné d’abord avec le nationalisme wilsonien — produit l’effet d’un explosif.au sein de l’anarchie chinoise et à travers la révolte hindoue on voit apparaître les nouveaux maîtres. L’Union Soviétique, étalée sur la moitié du continent, injecte directement son virus à des masses de huit cent millions d’hommes : si elle ne parvient pas à les lancer contre l’Europe, elle peut du moins s’en servir pour chasser les colonisateurs blancs, pour couper les courants internationaux, pour rompre l’équilibre mondiale, — pour porter à l’Europe le coup indirect qu’elle espère mortel.

En Afrique, la gangrène est beaucoup moins menaçante. Les populations méditerranéennes retrouvent le soleil latin. Les races noires, enfin éveillées, sont entraînées dans son orbite et fraternisent avec nous dans le vaste empire qui prolonge la France jusqu’au Congo. La Belgique, l’Italie, l’Espagne, le Portugal complètent sur ce sol neuf l’emprise européenne. Pour l’humanité, il y a là de magnifiques espérances. Nous n’oublions pas l’Angleterre, grande puissance africaine : mais ici aussi le "colosse aux pieds d’argile" est fortement secoué ; les troubles de l’Union Sud-Africaine répondent à ceux des Indes ; l’indépendance égyptienne, conjuguée avec la sédition palestinienne, menace le canal de Suez, artère impériale. Une  révolution noire sud-africaine ne se répercuterait-elle pas jusqu’au cœur du continent ? Et comment l’Afrique, surtout si le Nord-Est laisse passer le flot rouge, ne subirait-elle pas le contrecoup des révolutions asiatiques ? Jamais l’armée française (qui garde heureusement, comme au temps des croisades, le bastion syrien) et la flotte britannique n’ont-été plus solidaires !

La solidarité s’étend aux Amériques, peuplées d’Européens. Si les États-Unis prétendaient encore "tourner le dos" aux mères-patries, Moscou se chargerait de modifier cette attitude, d’ailleurs illusoire, car le bolchévisme progresse dans le Nouveau-Monde ; il s’efforce d’en disjoindre les races, d’y acclimater la "lutte de classe" et d’y saper une prospérité dont les gigantesques « gratte-ciel » ne s’élèvent pas sur d’assez fermes assises ; il y cherche même des renforts pour "libérer" l’Afrique…

L’Impérialisme Rouge présente au moins cet avantage de nous faire comprendre que pour les continents eux-mêmes l’époque n’est plus des "splendides isolements". Mais encore faut-il que le rapprochement des peuples enfante la paix, et non la guerre. Et c’est bien la guerre, la guerre totale, la guerre universelle que prépare l’Impérialisme Rouge.

**

Nous établirons surabondamment ces tragiques vérités.

Il nous a été difficile de donner des contours précis aux mouvants événements et de discerner le degré de véracité de maintes informations. Mais nous avons toujours noté les sources auxquelles nous puisions : le lecteur pourra donc les vérifier, ou en apprécier la portée.

En ce qui concerne la doctrine et le programme d’action du bolchévisme anticolonial, la force de notre documentation est d’ailleurs indéniable, puisqu’elle est extraite de la "littérature" soviétique.

Cette "littérature" indigeste, rebutante, barbare, est trop peu connue. Elle échappe même aux "sympathisants" communistes qui pèchent surtout, nous l’avons souvent constaté, par ignorance et par naïveté. Elle échappe  aussi sans doute aux hommes d’État, aux guides politiques et intellectuels des peuples, puisqu’ils en tiennent si peu de compte. Présentée sous une forme substantielle, et objective, car il s’agit de serrer de près les textes et les faits, mais méthodique et nous l’espérons, assez claire, complétée par les critique des assertions bolchévistes, elle dévoile l’extraordinaire puissance des plans de l’Impérialisme Rouge et l’aveugle ou coupable faiblesse des résistances qu’il rencontre.

Un inexorable dilemme s’impose aujourd’hui aux Êtas civilisés. Ou bien ils s’uniront contre l’ennemi commun ; ils l’expulseront de chez eux et des colonies qu’il infecte ; ils lui arracheront les peuples asiatiques et africains qu’il veut enchaîner au char d’Attila. Ou bien ils subiront sa dictature et livreront ainsi l’humanité aux pires régressions. » (Gustave Gautherot)

 

 


[1] Nos Grands Problèmes Coloniaux (Armand Colin, Paris, 1929)

[2] Communication au Comité National d’Études, séance de la Cour de Cassation du 4 mars 1929. M. Albert Thomas fit des déclarations analogues à l’Institut Colonial Français.

[3] Déposé à la Chambre le 12 avril 1921, ce projet n’a jamais été discuté.Il a été publié par l’éditeur Payot (1923)

[4] La revue estime qu’"un changement de régime politique en Russie ne marquerait nullement un arrêt dans la bolchévisation du monde"  parce que "la IIIe Internationale possède une organisation indépendante du Gouvernement soviétique". C’est une erreur de fait. Il est probable que la IIIe Internationale survivrait à la chute du Gouvernement soviétique, mais privée de sa gigantesque base d’opérations, elle s’agiterait comme un serpent dont on aurait tranché la tête.

 

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30 janvier 2022 7 30 /01 /janvier /2022 11:40

SOUVENIR D’ÉCOLE D’UNE ENFANT PENDANT LA GUERRE

Ce poème est tiré de la revue « D’une rive à l’autre » ; revue de l’Association « Poésie et Nouvelles en Normandie ».
Revue n° 68.
Le thème de cette revue : « Souvenirs d’École ».

 

« Chez Louise

 

C'était un matin un peu gris

Ma mère jeta dehors un œil surpris

Et puis elle est rentrée très vite

J'ai demandé sans doute : « c'est qui ? »

« il y a les allemands »

Ils étaient là le long de la route

Rangés sur le bas coté

Les camions bâchés ; les jeeps vert de gris

A perte de vue

Ils étaient arrivés pendant la nuit

On avait rien entendu.

 

Les Allemands occupèrent les écoles

Privée et publique

Qui généralement se faisaient la nique

Aux murs des portraits d'Hitler, leur idole.

Pour nous c'était comme des vacances

Nos classes s'étaient transportées

Dans les arrières salles de cafés

Nous avions bien de la chance

Dans le bourg il y avait une quantité

-douze ou treize bistrots -chacun sa spécialité.

 

Dans le « café charcuterie » de Louise

Aux bretelles de tablier croisées dans le dos.

Le matin il arrivait qu'on puise

Nos forces dans les fumets de pâté

Ou de saucisse en traversant la salle saupoudrée

De sciure de bois fraîche

Ce qu'enseignait madame Garlantézec

Ne paraissait pas trop revêche

Malgré sa main leste

Elle était un peu pète sec.

 

Nous savions bien que c'était la guerre

Nous avions entendu le sinistre tocsin

Et vu les pleurs de nos mères

Quelques mois plus tôt.

Nos pères étaient prisonniers de guerre

Et ne reviendraient pas de si tôt.

On recevait des taloches

La tuberculose sournoise enlevait nos proches

Le cochon criait sous le couteau

Du charcutier qui l'égorgeait.

 

I1 y avait des jours où nos sabots de bois

Étaient à la fête allez savoir pourquoi !

Je me souviens d'un certain mercredi

Pendant la pause de midi

Nous étions appuyées au muret au bord de la route

Un paquet de fillettes - presque toutes -

Qui chantions des chansons à boire

Les repas de communion ou de mariage

Sont des sources notoires

De ce genre de dévergondage

 

Ce qui devait arriver arriva

Notre maîtresse sut dans l'heure

Que nous avions fait scandale et brouhaha;

Ce qui était enjeu, son honneur

Et l'honneur de l'école publique

Aux yeux des habitants du village

Les punitions n'étaient pas automatiques.

Dans notre vieille école il y avait bien le nettoyage

Mais chez Louise ! pas possible, Alors ?

Alors nous irions ramasser les doryphores. »

                                                                                Adrienne GARNIER, in D’une rive à l’autre.

 

¤¤¤

 

« PS : tâche très ingrate, munies d'une boite de conserve nous ramassions les doryphores, leurs larves oranges et les feuilles de pommes de terre où étaient collés les œufs dans les grands champs désignés par les paysans, Nous ramenions notre récolte à la mairie qui s'occupait de la détruire. »

 

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